Œuvres de Saint François De Sales

 

TOME XVIII. LETTRES – VOLUME VIII

 

 

 

Droits d'auteur pour tous les fichiers des Oeuvres complètes de saint François de Sales: sont mis à disposition pour un usage personnel ou l'enseignement seulement. Dans l'usage public vous devez indiquer la source www.donboscosanto.eu. Pas être utilisés à des fins commerciales de toute nature!

Cinquième édition pour la concordance: seulement les écrits de saint François de Sales

 

Index OCR

 

Index OCR. 2

Lettres de Saint François de Sales. Année 1617. 15

MCCCVIII. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex. Zèle du Saint pour la discipline ecclésiastique. — Il soutient avec fermeté ses droits d'Evêque dans toute l'étendue de son diocèse, et impose sa volonté pour la gloire de Dieu et l'honneur de l'Eglise. 15

MCCCIX. A Madame de la Valbonne. Double renoncement. — Délicate charité de François de Sales à l'égard de ceux qui n'approuvent pas ses avis. — Quand la perte des Communions n'est pas dommageable à l'âme. 16

MCCCX. A M. Philippe de Quoex. Amour maternel que doivent avoir les ministres de Dieu pour les âmes. — Aimable réponse à une filiale inquiétude. — La « petite ruche » et les « pauvres abeilles. » — Ce qui affligeait l'Evêque de Genève et ce qui le consolait. — Dissension dans un prieuré. 16

MCCCXI. A Madame de la Fléchère (Inédite). Quelques nouvelles. — Intérêt de saint François de Sales pour les enfants de la destinataire. — Messages. — « Une carrossee de dames » arrivant de Grenoble. — Les exercices spirituels de Mme de la Thuille. 18

MCCCXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Droits de la ville d'Annecy aux bienfaits du souverain. 18

MCCCXIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Recours à l'intervention du prince pour obtenir la confirmation des privilèges de la ville d'Annecy. 19

MCCCXIV. A M. Claude de Blonay. Pourquoi François de Sales retarde volontiers son voyage en Chablais. Sa douleur et sa résignation au sujet de la maladie de son frère Bernard. 19

MCCCXV. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Le Saint console la Mère de Bréchard de la perte de son père. — Quel douloureux message il doit porter à la baronne de Thorens. — Gloire humaine et saint trépas du frère de l'Evêque de Genève. 21

MCCCXVI. A Madame de Cornillon, sa sœur. Cris de douleur et larmes de tendresse au sujet de la mort de Bernard de Sales. — Détails sur ses derniers jours. — La vertu de sa veuve. 21

MCCCXVII. Au Baron Amédée de Villette. Deuil profond. — Pleurs et résignation de Marie-Aimée. — Adhérence au vouloir de Dieu. 22

MCCCXVIII. A Madame de Montfort. Réponse à des condoléances. 23

MCCCXIX. Au Président Antoine Favre (Inédite). Décès du président de Sautereau. — Un cœur où se mélangent l'amour, l'amertume et la constance. — Prochain voyage à Thonon et à Gex. — Départs répétés pour l'éternité. 23

MCCCXX. A la Présidente de Sautereau. François de Sales s'afflige avec la destinataire du décès de son mari. — Comment se préparer à « la vie ou il n'y a plus de mort. » — Pour l'amour du défunt, sa veuve doit modérer sa douleur. 25

MCCCXXI. A la Mère de Chantal. Une novice de la Visitation malade à la mort ; ce qu'il faudrait faire pour ses funérailles. — Le cœur du Saint pour ses Filles. — Conseils à la Mère de Chantal. 26

MCCCXXII. Au Pére René Ayrault, de la Compagnie de Jésus. Compliments affectueux à un ancien « compaignon d'escole. » Deux prises de voile à la Visitation. 27

MCCCXXIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Paternelle sollicitude pour la santé de la Mère de Chantal. — Ne pas se contenter d'attendre les âmes, mais leur aller au-devant. — La pureté en ce monde. — Désirs d'une sainte mère pour sa fille. 27

MCCCXXIV. A la Baronne de Thorens, sa belle-sœur. Les consolations d'un « frere et Pere tout ensemble. » — Rien de précieux ne s'acquiert sans peine. — Une joie de la Mère de Chantal. 29

MCCCXXV. A Madame Louise de Ballon, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine. La chose la plus étonnante et douloureuse qui se voit tous les jours. — Malgré les épreuves intérieures, aimer Dieu et lui rester fidèle. 30

MCCCXXVI. A une dame. Combat et liberté. — Moyen de triompher. — Le principal devoir de la vraie dévotion. — Particulières facilités de la destinataire pour la vie chrétienne et pieuse. — Témoignages d'honneur et de sainte affection. — Pourquoi la fécondité est une bénédiction de Dieu. 31

MCCCXXVII. A une personne inconnue (Fragment inédit). Deshonorée devant le monde ; en estime devant Dieu. 32

MCCCXXVIII. A M. Michel Favre (Billet inédit). Demande de nouvelles de deux chers malades. 33

MCCCXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). François de Sales sollicite l'indulgence de Charles-Emmanuel pour un homme plus malheureux que coupable. — Les deux ailes de la renommée des bons princes. 34

MCCCXXX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée (Fragment inédit). Deux offensés qui souhaitent la grâce de l'offenseur. Plus d'infortune que d'iniquité. 34

MCCCXXXI. A la Mère de Chantal. Une postulante attendue à Sainte-Catherine et qu'il faut recevoir à la Visitation. — Madame du Puits-d'Orbe en route pour Annecy. — Trempe d'esprit de l'Abbesse. — Le Saint offre son logis pour la voyageuse. — Malades corporelles et malades spirituelles. 35

MCCCXXXII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Bienvenue à l'Abbesse. — La société des âmes pleines d'amour divin allège les afflictions. 36

MCCCXXXIII. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Un empressé départ. 37

MCCCXXXIV. A la Mère de Chantal. Annonce de retour. 37

MCCCXXXV. A Madame de Genève, Abbesse de Baume-Les-Dames (Inédite). Consécration d'une chapelle mortuaire. — Compliments affectueux et saints conseils. 37

MCCCXXXVI. A la Mère de Chantal. Des fermiers retardataires à payer. — Fine et aimable proposition du Saint à la Mère de Chantal. 39

MCCCXXXVII. A la même. Retour de l'Evêque à Annecy. — Pourquoi il veut le lendemain se lever de bonne heure. 39

MCCCXXXVIII. Au Président Jean-Georges Crespin (Fragment inédit). Raisons d'un retard à écrire. 39

MCCCXXXIX. Au Président René Favre de la Valbonne. Félicitations au destinataire. — Joie du Saint, et celle qu'il promet au nouveau président du Conseil de Genevois. — Le petit Antoine et son grand-père. 40

MCCCXL. A une dame. Ne jamais s'attrister, car Dieu nous aime et nous sommes siens. 40

MCCCXLI. Au Père Pierre de Bérulle. L'Evêque de Genève propose au fondateur de l'Oratoire un établissement dans son diocèse. 42

MCCCXLII. A la Mère de Chantal (Inédite). Que faire contre les bruyantes réclamations de deux femmes. 43

MCCCXLIII. A Madame de la Fléchère. Une dame « un peu brune » sur le Saint. — Pourquoi son protégé n'a pas été pourvu au concours. 44

MCCCXLIV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Paris et Grenoble en attente de l'Evêque de Genève pour le Carême. — Mince bagage de science qu'emporte d'Annecy le jeune des Hayes. — Uu engagé militaire en congé. — Souvenir douloureux de la mort de Bernard de Sales. — Capitulation devant une « batterie de pleurs ». — La tyrannie du péché. 45

MCCCXLV. Au Président Antoine Favre (Inédite). Une distraction de François de Sales. — Démarches de Mme de Thorens pour recouvrer les armes de son mari. — Inquiétudes au suiet de la santé de la présidente de la Valbonne. 47

MCCCXLVI. A Madame de Blanieu. Comment ne pas dévier du chemin des ordonnances divines. 48

MCCCXLVII. A la Mère de Chantal. Attente et désir du saint Evêque. 48

MCCCXLVIII. A la même (Fragment inédit). Visite différée. 49

MCCCXLIX. A M. Laurent Scotto (Inédite). Un bénéfice prêt à vaquer. 49

MCCCL. A Madame de Montfort. Nouveau deuil et nouvelle douleur. — Saintes dispositions de la baronne de Thorens à son lit de mort. 50

MCCCLI. A un gentilhomme (Fragment). Sainte mort de la baronne de Thorens. 51

MCCCLII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins (Fragment). Suprême transformation d'une âme. — « Un amour infiniment plus que fraternel. ». 52

MCCCLIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Une baronne qui promettait de devenir une autre Mère de Chantal. — Sa mort douloureuse et sainte. 52

MCCCLIV. Au Cardinal Robert Bellarmin. Un heureux transfuge de l'hérésie. — Pour lui, le Saint réclame le paiement d'une pension promise. — Souhait ardent d'avoir, de la main du savant Cardinal, l'explication de quelque Epître de saint Paul. — Les princes en guerre et le Pacificateur à venir. 53

MCCCLV. Aux Religieux du Monastère de Sixt (Inédite). Encouragement à la réforme. 55

MCCCLVI. A un gentilhomme. Quelques points qui doivent servir à justifier les Religieuses de la Visitation. — Les Sœurs ne manquent ni aux lois civiles, ni aux lois ecclésiastiques dans la construction du monastère. 56

MCCCLVII. A Madame de la Fléchère. Visite au milieu d'un appointement. — L'avis de François de Sales au sujet des études de Charles de la Fléchère. 57

MCCCLVIII. A Sa Sainteté Paul V (Minute). L'Evêque de Genève implore une dispense pour les pauvres Clarisses de son diocèse. — Son but est de leur faciliter l'observance de la Règle et la vie de prière. 57

MCCCLIX. Au Cardinal Robert Bellarmin (Minute). La misère des Clarisses du diocèse de Genève. — Ce qu'apprend l'expérience sur la trop grande pauvreté des Monastères de femmes. — Sollicitude du Saint pour des Religieuses exemptes de sa juridiction. — Il dénonce des manquements aux décrets du Concile de Trente. 59

MCCCLX. A Don Jérome Boerio, Général des Barnabites. Eloge du P. Baranzano. — Prière de le renvoyer au collège d'Annecy. 60

MCCCLXI. A Don Juste Guérin, Barnabite. Départ précipité du P. Redento. — François de Sales ne sait pas encore s'il prêchera à Paris ou à Grenoble. — Le jardin des Barnabites. — Pourquoi le Saint garde une lettre sans l'envoyer. 62

MCCCLXII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Le « Pré Lombard » demandé au duc de Nemours pour la Visitation. 62

MCCCLXIII. A Madame de Granieu. Le courage appuyé sur la confiance. — Joie inaltérable des âmes données à Dieu. — « Religieux entre les soldatz » et « sainte entre les Religieuses ». 64

MCCCLXIV. A une religieuse. L'arbre de vie et la rosée qui le féconde. — Un désir qui sera sûrement satisfait. 65

MCCCLXV. A Madame de Grandmaison (Inédite). Retour douloureux et résigné sur les deuils multiples de l'année qui s'achève. — Le Saint prépare la destinataire à celui qui doit la frapper bientôt. — Où se transforment nos amertumes. 66

MCCCLXVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Pourquoi le duc de Savoie désigne Grenoble à François de Sales pour les prédications de l'A vent et du Carême. — Une ambition de l'apôtre au sujet de Lesdiguières ; son peu d'espoir de la voir satisfaite. — Joies qu'il aurait eues à Paris, avantage qu'il trouve en Dauphiné. — La paix sans les effets de la paix. — Doute sur la validité d'une dispense. 67

MCCCLXVII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. L'Evêque de Genève implore la charité du Prince en faveur d'un ancien converti. 68

MCCCLXVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Un pauvre capitaine converti, solliciteur de Son Altesse. 68

MCCCLXIX. A la Mère de Chantal. Béatitude des crucifiés. — Le testament de la baronne de Thorens. — Murmures faits au sujet d'un projet de mariage pour Françoise de Chantal. 69

MCCCLXX. A une personne inconnue (Fragment inédit). Douceur de la main divine. — Affliction et consolation. 70

MCCCLXXI. A M. Jean de Lacurne. Lettres perdues. — Eloge des PP. Barnabites ; la seule chose qui leur manque. — Fruits qu'on peut espérer de leur établissement en France. — La divine origine des afflictions. — Souvenir du baron et de la baronne de Thorens. 70

MCCCLXXII. A la Mère de Chantal. Attente de nouvelles de la Fondatrice malade. 71

MCCCLXXIII. A Don Jérôme Boerio, Général des Barnabites (Minute). Action de grâces pour le retour d'un Religieux. — Les desseins du prince de Piémont et de l'Evêque de Genève sur Contamine ; pour les faire réussir, l'intervention de D. Juste auprès des cours de Savoie et de Rome est nécessaire. — Deux autres affaires importantes demandent ce voyage. — Litige au sujet d'un étang sans poissons ; équité et charité du Saint. 72

MCCCLXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Supplique en faveur de ceux qui s'occupent de «l'art de la soye». 75

MCCCLXXV. A la Mère de Chantal. Salutation affectueuse. 75

MCCCLXXVI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon Inquiétudes du Saint au sujet de la Mère de Chantal. Nouvelles et salutations. 75

MCCCLXXVII. A la Mère de Chantal. Un chant de joie du saint Evêque. — Ses souhaits pour lui-même et pour la destinataire. 76

MCCCLXXVIII. A la même (Fragment). Messe d'action de grâces pendant laquelle la Sainte Vierge a regardé François de Sales de « bon œil ». 76

MCCCLXXIX. A Madame de Chailliol. Un heureux mariage. — Exhortation à l'humilité. — Les avantages de la dévotion. — Quelle vertu il faut « soigneusement nourrir. ». 77

MCCCLXXX. A la Sœur de Gérard, Novice de la Visitation. La plus grande austérité. — L'école de l'abnégation de la propre volonté. Quelle mortification il faut rechercher. 78

MCCCLXXXI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Force des vœux dans l'Institut de la Visitation. — Un procédé que le monde n'approuve pas. — Légitimité de l'expulsion dans les Ordres religieux, et de la prolongation du noviciat. — Douce plainte du saint Fondateur. 79

MCCCLXXXII. A Madame de la Valbonne. Deux vertus essentielles. — Le plus sûr moyen d'acquérir l'honneur. — Les sécheresses spirituelles et leurs remèdes. — Avis pour la confession. 80

MCCCLXXXIII. A la Mère de Brechard, Superieure de la Visitation de Moulins (Fragment). Pourquoi les premières Mères de la Visitation doivent être très humbles et unies à Dieu. 81

Année 1618. 82

MCCCLXXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Prochain voyage du Cardinal de Savoie en France. — L'Evêque de Genève se dispose à l'accompagner. 82

MCCCLXXXV. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée (Inédite). Reconnaissance et soumission au sujet d'un commandement honorable. 83

MCCCLXXXVI. A Don Juste Guérin, Barnabite. Raisons pour lesquelles on sollicite le privilège du petit Office pour les Sœurs de la Visitation. — Demande d'Indulgences pour les Monastères. — Traiter toute cette affaire avec prudence. — Nouvel effort du Saint pour l'établissement d'un Séminaire. 83

MCCCLXXXVII. A M. Benigne Milletot. Aimable réponse à la demande d'une cédule d'amitié. — Le voyage de l'Abbesse du Puits-d'Orbe ; ce que le Saint blâme et regrette. — Une âme que l'amertume trouble démesurément. — Nouvel ami de l'Evêque de Genève. — Tristesses et difficultés au sujet du testament de la baronne de Thorens. 84

MCCCLXXXVIII. A la Mère de Chantal. L'embarras du Saint à l'arrivée de voyageurs dauphinois. 87

MCCCLXXXIX. A M. Bénigne Milletot. Recommandation en faveur d'un ami engagé dans un procès. — Voyage du Prince Cardinal de Savoie différé. 87

MCCCXC. A Madame de Blanieu. Le prix de la paix ; sa récompense. — Deux moyens de la conserver. 87

MCCCXCI. A la Présidente de Bouquéron. Comment le respect règle les témoignages de l'affection. — Souhaits des gens de bien et contradictions au sujet de la fondation du Monastère de Grenoble. — Le service de Dieu, unique bonheur en ce monde. 89

MCCCXCII. Au Roi de France, Louis XIII (Minute). L'avis du Saint pour le rétablissement des Carmes à Gex. — Impossibilité de leur assigner le revenu destiné au service des paroisses. — Travail et dévouement des Capucins. — Deux moyens de hâter l'entière conversion du pays. 89

MCCCXCIII. A la Mère de Chantal. Départ d'une belle âme pour le Ciel. — Une demeure toute de paix. — Confiance en Dieu, et regrets sur les morts. 90

MCCCXCIV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Mort de deux grands serviteurs de Dieu. — Admirable acquiescement du Saint. 91

MCCCXCV. A la Baronne de Menthon (Inédite). Vacance d'un bénéfice. — Trois raisons d'en pourvoir sur-le-champ Benoît de Chevron. 92

MCCCXCVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Très sage avis du Saint au sujet du transfert de l'abbaye du Puits-d'Orbe. — Devoir de l'Abbesse pour maintenir ses filles en union et charité. — Humble démarche qu'elle doit faire. 92

MCCCXCVII. A la Mère de Chantal. Discrétion que garde le baron de Chantal et qu'il faut garder avec lui. 93

MCCCXCVIII. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, Prieur de Talloires. Doux reproche à un ami trop affligé. — Aimer le bonheur de ceux qui nous ont quittés pour aller à Dieu. 94

MCCCXCIX. Au Père Ange Calcagni, Cordelier. Consolation à un prisonnier. 95

MCD. A M. Jean de Chatillon (Inédite). Décisions pour le service de quelques paroisses. 96

MCDI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Supplique pour l'installation des Chartreux à Ripaille. 97

MCDII. A la Sœur de Blonay, Maitresse des novices a la Visitation de Lyon. La foi en la Providence au milieu des sécheresses spirituelles. — Quel examen il faut faire. — Le grand acte d'amour de Notre-Seigneur sur la croix. — Profit que nous devons tirer de nos imperfections. — Vivre joyeuse sous le regard de Dieu. — Saluts paternels. 98

MCDIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Les mères poules et leurs poussins. — Une école de charité et de patience. — Conseils au sujet de Novices. — Le filet imperceptible de la Providence. — Parure de ce monde et parure du Ciel pour les épouses du Christ. — Humilité du saint Evêque. 100

MCDIV. Au Père Jean-Matthieu Ancina de la Congrégation de l'Oratoire (Inédite). Envoi d'un mémoire sur les vertus de Juvénal Ancina. 101

MCDV. A Dona Ginevra Scaglia. Remerciements pour une lettre et un présent. — Sur la demande de la destinataire, l'Evêque de Genève lui offre une occasion d'aider les Sœurs de la Visitation. — Nouvelles de la Congrégation. 102

MCDVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amedee. Les nécessités de la Sainte-Maison de Thonon. — Appel à la bonté du prince. 104

MCDVII. A Madame de Vignod, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine. Un bouquet mystique à offrir aux Saints ; de quelles fleurs il faut le composer. — Saint Thomas d'Aquin. — Quel est l'ennui le plus importun. — Les menues tracasseries exercent l'amour de la propre abjection. — Avis pour supporter et corriger une petite fille d'humeur difficile. 105

MCDVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Témoignage et intercession en faveur du P. Ange Calcagni. 106

MCDIX. A Don Juste Guérin, Barnabite (Inédite). Louange à Dieu pour le bon et le mauvais succès de divers événements. — Confiance en la Providence et courage pour agir. — Pourquoi il faut tout tenter et tout sacrifier afin d'obtenir aux Sœurs de la Visitation le privilège du petit Office. 107

MCDX. A M. Claude de Quoex. Dévouement aux Religieux de Talloires en mémoire d'un ami défunt. « Multitude de bonnes occupations. ». 109

MCDXI. A Madame de Lescheraine. Une visite manquée. 110

MCDXII. A la Mère de Chantal (Fragment). A quelle condition Dieu bénit les entreprises. — Sortie d'« avettes ». 110

MCDXIII. A la même (Fragment inédit). Pronostic sur une Novice. 111

MCDXIV. A la Mere de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Espérance d'un prochain revoir. — Projets de fondations à Bourges et à Paris ; celle de Grenoble va se faire. — Un bienfaiteur de la Maison de Moulins. — Œuvres dont Dieu « tiendra bon comte ». 112

MCDXV. A Don Juste Guérin, Barnabite. A quoi les Sœurs de la Visitation emploieront-elles le temps si elles ne disent le grand Office ? — Deux réponses à cette objection. 112

MCDXVI. A la Présidente le Blanc de Mions. Aimable et ferme correction de François de Sales à une de ses filles spirituelles excessive en ses témoignages d'estime et d'affection, 113

MCDXVII. Au Duc Roger de Bellegarde (Inédite). Un converti fugitif qu'il faut accueillir favorablement. — L'audace des hérétiques et le remède à y opposer. 115

MCDXVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Reconnaissance pour la protection accordée à de pauvres curés ; prière de la continuer. 116

MCDXIX. A la Mère de Chantal, a Grenoble. Charmantes nouvelles de la Communauté d'Annecy. — Comment employer le nous et nostre. — Avis sur une dispense. — « Un peu de consideration humaine » dans des désirs paternels. — Difficultés du mariage de Celse-Bénigne. — La pensée du Saint sur la Communion dans son Institut. — Craintes pour le voyage de la Mère de Chantal à Lyon. — Lettres aux dames de Grenoble ; recommandations à ce sujet. 117

MCDXX. A Madame de la Baume. Baser sa dévotion sur de fortes maximes. — Le « grand artisan de misericorde. » — Quel doit être le seul souci des enfants de Dieu. — Confiance et abandon en la Providence. — Qu'importe le temps à qui regarde l'éternité ? — Moyen de transformer en roses toutes les croix. 120

MCDXXI. A Don Juste Guérin, Barnabite (Fragment). Esprit conciliant et condescendant du Saint. — Pourquoi les Sœurs de la Visitation se contenteront d'être logées » avec incommodité. » — Pèlerines en route vers la cité permanente, hôtesses d'une nuit. 121

MCDXXII. A Madame Cottin (Inédite). Recommandation à la destinataire de soumettre sa volonté à celle de Dieu. 123

MCDXXIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Espoir d'aller à Lyon. — Le premier Président de Savoie et sa famille attendus à Annecy. 123

MCDXXIV. A la Mère de Chantal, a Grenoble (Fragment). Petites violettes à transplanter en divers jardins. 123

MCDXXV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Inédite). Deux visites promises à la Mère Favre. — Lettres envoyées et reçues. 125

MCDXXVI. A la Mère de Chantal, a Grenoble (Inédite). Encore l'affaire des jardins. — Les lettres de M. de Granier. — Difficultés au sujet d'un contrat de mariage. — Roses changées en épines. — La clarté dans les affaires. 126

MCDXXVII. A Madame Liotard. Regrets du Saint en apprenant les obstacles qui s'opposent à la conclusion d'une alliance. — Prière de la faciliter. 128

MCDXXVIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Recommandation en faveur d'un avocat. 129

MCDXXIX. A Madame de la Fléchère. Un mal moins grand qu'on ne pensait. — Prochain retour de la Mère de Chantal. 129

XXX. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Témoignage d'amitié. — Ombre à la joie du saint Evêque au sujet du mariage de Henri de Nemours. 129

MCDXXXI. A M. Claude de Blonay. Union de joies et de peines. — La Mère de Chantal est à Lyon et se dispose à rentrer à Annecy. 131

MCDXXXII. A Madame de Granieu. Quelles consolations donner à la Mère de Chastel après le départ de la Mère de Chantal. 132

MCDXXXIII. A Madame de la Fléchère. Sollicitude paternelle. — Visites consolantes. 132

MCDXXXIV. A la Présidente le Blanc de Mions (Inédite). Un petit signe du cœur. — Messages affectueux. 133

MCDXXXV. A une tante. Condoléances et consolations. — Le chemin de la félicité future. Rempart contre le torrent des adversités. 134

MCDXXXVI. A une dame. La souffrance des séparations. — Par quelle pensée s'en consoler. Encouragement paternel à écrire souvent. 135

MCDXXXVII. A la Mère de Chantal. Conséquence d'un accablement d'affaires. — Annonce d'un mariage. 135

MCDXXXVIII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Les étoiles pâlissant devant le soleil. — Une nouvelle apprise « a tastons. » — Souhaits de bonheur au duc de Nemours. — Aimable plaisanterie. 136

MCDXXXIX. A la Mère de Chantal (Fragment). Comment se disposer à recevoir le comble du saint amour. — D'où procède la souveraine unité dans une âme. 137

MCDXL. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. La vanité d'un chef de guerre. — La vanité d'un portrait. 137

MCDXLI. A Madame de Granieu. Les « empeschemens » du saint Evêque et sa paternelle bonté. — Envoi de deux portraits. — « Le secret des secretz en l'orayson. » — Quelle est la meilleure prière. — Double travail de la « petite mouche a miel. » — Messages de père et d'ami. 138

MCDXLII. A Don Juste Guérin, Barnabite (Fragment). Un serment inutile. — Protestation d'amitié. 139

MCDXLIII. A Madame de la Forest, Religieuse de l'Abbaye de Bons (Inédite). Comment apaiser, par humilité et douceur, un cœur mécontent. Nul déshonneur à pardonner. 140

MCDXLIV. A madame de la Fléchère. Deux mots écrits en allant à Vêpres. — Ne pas se mettre en peine après avoir fait ce que l'on a cru être bon. 141

MCDXLV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). Un homme « tout spirituel et tout de Dieu. » — Avis du Saint pour la conduite intérieure. 141

MCDXLVI. Au Duc Roger de Bellegarde. Inquiétudes au sujet de la santé du destinataire et action de grâces pour sa guérison. — Que faire pour le bien de la vie conservée. — Recommandation en faveur d'un nouveau converti. 141

MCDXLVII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins (Inédite). Envoi d'une lettre pour Mme des Gouffiers. — Comment vivre au-dessus du monde et de ses embûches. 142

MCDXLVIII. Au Chanoine Jean-François d'Ulme. Contradictions suscitées à la Visitation. — Le vaisseau « prest a singler et a faire voyle. » — Pourquoi les Sœurs de Grenoble sont heureuses. — Fleurs de suavité. 144

MCDXLIX. A madame de Granieu. Heureuse occasion d'avoir de mutuelles nouvelles. — Ce que dit un portrait au cœur filial. — Conseils au sujet du confesseur et de la confession. — Salutations paternelles. 144

MCDL. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon. Projet d'une assemblée pour le bien de la Sainte-Maison. 146

MCDLI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Inédite). Estime que l'on fait du crédit du Saint ; celle qu'il en fait lui-même. 147

MCDLII. Au Roi de France, Louis XIII. Petite mer agitée. — Eloge des PP. Célestins. — Double sentiment de l'Evêque de Genève en approchant le trône de France. 147

MCDLIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Vraie cause du peu de santé d'une Novice. — Que faire en face de caprices inguérissables. 148

MCDLIV. Aux Consuls de Chabeuil. Le Saint congratule les consuls de l'établissement projeté des PP. Barnabites dans leur ville. 148

MCDLV. A la Présidente du Faure. Réponse à des témoignages de confiance et d'affection. — Prières et souhaits pour la destinataire. 149

MCDLVI. A Madame de Granieu. L'obéissance et le pain quotidien. — Explication d'un avis mal compris. — Comment la confiance restreint le nombre des lettres. — L'amour céleste exercé ici-bas. — Préparation d'un sermon. 149

MCDLVII. A Don Jérome Boerio, General des Barnabites. L'offre d'un collège aux PP. Barnabites, — Réponses à des objections. 150

MCDLVIII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). Tenir son cœur au-dessus des variations de la dévotion sensible. 153

MCDLIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Insuccès de précédentes démarches. Nouvelles instances en faveur de deux pauvres curés. 153

MCDLX. A M. Jean Carron (Inédite). Premier témoignage d'honneur et d'estime. — L'insuccès des démarches et la vanité des promesses faites en faveur des curés d'Armoy et de Draillant. — Triste état de leurs paroisses. — Financiers à court d'argent. — Moyen proposé par le Saint pour remédier au mal. 154

MCDLXI. Au Père Léonard Lessius, de la Compagnie de Jésus. Pourquoi le Saint aime et vénère le P. Lessius. Trois livres du docte Jésuite ; appréciation de François de Sales. 156

MCDLXII. A Don Juste Guérin, Barnabite. Chant de victoire avant le triomphe. — Un contrat rompu. — Désir d'avoir quelques livres. 158

MCDLXIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Les victimes d'un désastre aux pieds de Son Altesse. — L'Evêque joint ses supplications aux leurs pour obtenir la pitié du prince. 159

MCDLXIV. A Don Juste Guérin, Barnabite (Fragment). Affectueux reproches à un ami qui ne prend pas assez de soin de sa santé. 159

MCDLXV. A un religieux (Fragment). Course rapide d'une âme vers le sommet de la perfection. Le mystère d'un nom. 160

MCDLXVI. Au Chanoine Honore des Echelles. L'inconstance, loi des choses de ce monde ; les amitiés saintes en triomphent. — Désir de quelques jours de repos à Belley. — La demeure des Filles de la Visitation ici-bas, leur demeure dans l'éternité. — Eloge de la Mère de Chantal. 161

MCDLXVII. A M. François Fyot de Barain. Grande union des chanoines de Saint-Pierre de Genève avec leur Evêque. — Celui-ci soutient leurs droits dans un procès avec la ville de Seyssel. 162

MCDLXVIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. Remerciements pour l'accueil fait au président Crespin. — Naufragé abordant au hâvre de grâce. — Le voyage du Cardinal de Savoie est toujours incertain. 162

MCDLXIX. A la Présidente du Faure (Inédite). Lettres qui soulagent au lieu de surcharger. — Demande et promesse de prières. 163

MCDLXX. A Madame de Granieu. Ne pas craindre d'écrire souvent. — Le souhait du Saint pour l'âme de sa chère fille. — Espérance d'un revoir. 164

MCDLXXI. A Dom Bruno d'Affringues, Général des Chartreux. Messages affectueux par un Capucin en route pour la Chartreuse. 164

MCDLXXII. A Messieurs les Avoyers et les Membres du Conseil de ville de Fribourg. Gracieuses offres de service. — Pourquoi le Saint veut toujours obliger les magistrats de Fribourg. 165

MCDLXXIII. A la Mère de Chantal. François de Sales seconde, sans les connaître, les désirs de la Mère de Chantal. 165

MCDLXXIV. A la même (Billet inédit). Une bannière, ou une croix de confrérie à restaurer. 166

MCDLXXV. A la même. Sollicitude paternelle du Saint pour ses Filles. — Quelque chose que la Mère de Chantal ne saura peut-être jamais. — Une postulante pauvre qu'il faut gratifier. 166

MCDLXXVI. A un gentilhomme (Inédite). Offre de services et demande de protection. 167

MCDLXXVII. Au Cardinal Frédéric Borromée, Archevêque de Milan. Envoi d'une harangue du cardinal du Perron, et promesse de son oraison funèbre. 167

MCDLXXVIII. A Dona Ginevra Scaglia (Inédite). Nouveaux délais pour la fondation de Turin. — Départ pour la France ; joie au sujet d'un compagnon de voyage. — L'itinéraire de la Mère de Chantal différent de celui de l'Evêque de Genève. 169

MCDLXXIX. Au Père Jean-Matthieu Ancina de la Congrégation de l'Oratoire. Pourquoi le Saint est obligé de renoncer à écrire la Vie de Juvénal Ancina. Ses regrets. 170

MCDLXXX. A M. Michel Favre. Une liste de nécessiteux à soulager. 171

MCDLXXXI. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Les excuses que doit faire la Mère de Bréchard, pour le Saint et pour elle-même. 172

MCDLXXXII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Servantes, grandes et petites, de la Mère de Dieu, unies dans son amour. 173

MCDLXXXIII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Grand désir de l'Evêque de Genève d'obliger M. de Montholon. — Difficultés d'accepter les prédications de l'Avent à Saint-André-des-Arts. 173

MCDLXXXIV. A Dona Ginevra Scaglia. Projets de voyages pour la Mère de Chantal. — La bienveillance du comte de Verrua pour François de Sales. — Un Cardinal et un Evêque ramant sur la Loire. — Tout Paris à la rencontre de Maurice de Savoie. — Portrait de la future princesse de Piémont. — Accroissement de piété dans la capitale. 174

MCDLXXXV. A Madame de Charmoisy. Le seul mot de consolation que puisse dire le Saint. — Comment apaiser les sanglots et soupirs. 176

MCDLXXXVI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Une pépinière de fondations. — Vertus à y enraciner. — Ce que la Mère Favre doit lire dans le cœur de son père spirituel. 177

MCDLXXXVII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Comment Dieu bénit une œuvre. — Trois fondements de la Visitation. La racine de la joie. 178

MCDLXXXVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amedée. Félicitations à Victor-Amédée au sujet de son mariage. — Eloge de la future princesse de Piémont. — Grand prince et très digne cardinal. 179

MCDLXXXIX. A Madame de la Fléchère. Douloureuses nouvelles de Savoie ; nombreuses et bonnes affaires à Paris. — Difficultés pour l'établissement de la Visitation. 180

MCDXC. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragment). Un sermon devant « la Reyne et son beau monde. »   181

MCDXCI. A Madame de la Fléchère. Permission et conditions pour l'entrée de la destinataire à la Visitation. — Pourquoi le Saint est de bon cœur à Paris, pourquoi il y souffre. 181

MCDXCII. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragment). Un novice qui ne sera pas profès. — Racine, branches et fruits. — Pommes de senteur entre les mains de Dieu. — Le dépouillement total de soi-même, combien difficile. 182

MCDXCIII. A un ecclésiastique. Le mot du plus franc amour selon la nature et la grâce. — Assaut d'humilité et d'affection. 182

MCDXCIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Conseils de prudence au sujet de visions et de révélations. — Ruses du malin esprit. — Exemple de Nicole Tavernier. — Quelle conduite tenir à l'égard d'une âme qui marche par une voie extraordinaire ; la leçon qu'elle doit apprendre. — Puissance de l'imagination. 184

MCDXCV. Au Père Gérard de Tournon, Capucin L'esprit de contrariété là où devraient régner l'union et la « conformité. » — Un poste favorable pour un ecclésiastique. — Sollicitude du Saint pour quelques paroisses du pays de Gex. — Son humilité et sa reconnaissance à l'égard du destinataire. 185

Année 1619. 187

MCDXCVI. A la Présidente de Herse. Le Saint accepte une invitation et le carrosse de la Présidente. 187

MCDXCVII. A la Mère de Chantal, a Bourges. Les aventures de Celse-Bénigne et les tourments de la Mère de Chantal. — Consolations et encouragements. — Le bonheur de ceux qui sont à Jésus-Christ. — Un prétendant grandement en peine. 188

MCDXCVIII. A une religieuse. Le cœur de l'Enfant Jésus : ses attraits. — Une sainte jalousie. — Comment concourir, du fond du cloître, à la prédication du Saint. — Efficacité de la prière. 188

MCDXCIX. A Dona Ginevra Scaglia. Au milieu des affaires de la cour, François de Sales n'oublie pas la vocation de sa fille spirituelle. — La conduite de la Providence sur ses serviteurs. — Quand différer l'exécution d'un vœu en toute sûreté de conscience. 189

MD. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragments). Jésus crucifié et Jésus glorifié. — Quand est-ce que Dieu supporte notre fardeau avec nous. 191

MDI. A Madame de Granieu. Grand et doux moyen de n'être jamais séparés. — Une recherche inutile. — Où la Sainte Vierge tient son noviciat. — Nouvelles de la Mère de Chantal. — Prédications multipliées. — La mort de M. de la Coste. 192

MDII. A Madame de Veyssilieu. Le « tracas insupportable » de Paris. — Un cher malade en voie de guérison. — Ce qu'il faut pour vivre content en ce monde. — Filiale confiance en Dieu et paix entre ses bras. 193

MDIII. A la Mère de Chantal, a Bourges. Abjuration d'un gentilhomme. — A quelles conditions peut-on recevoir les infirmes à la Visitation. — Sans jambes, si elle n'est point estropiée de cœur, une Sœur est capable de tous les exercices essentiels de la Règle. — « La plus brave princesse » qui se puisse voir et le cartel de son royal fiancé. — Celse-Bénigne s'apprivoise avec le Saint ; ce qui lui manque pour faire des merveilles. — Le projet de mariage entre Mlle de Chantal et M. de Foras. 194

MDIV. A la même. Celse-Bénigne recommandé au Cardinal de Savoie. — Affectueux éloges de M. de Foras. — Projet de fondation dans la capitale. — Les Haudriettes. — Monde et mondains. — Messages d'affection paternelle. 196

MDV. A la Soeur de la Roche, Assistante-Commise de la Visitation d'Annecy. Gracieuse annonce de François de Sales à sa correspondante. — Sainte liberté et surnaturelle prudence à garder au sujet des confesseurs extraordinaires. — Espérances pour l'établissement de la Visitation à Paris. — Salutations. 198

MDVI. A la Comtesse de Rossillon. Prière d'agréer une protestation de respect et d'affection. — Souhait du cœur. — Délicat conseil à une jeune cousine. 198

MDVII. A Madame de Villeneuve. Des tentations « plus ennuyeuses que perilleuses. » — Promesse d'une entrevue. 199

MDVIII. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragment). Les craintes de la prudence humaine au sujet de la fondation d'un Monastère de la Visitation à Paris. 200

MDIX. A Dona Ginevra Scaglia. Détails bar la mort du comte de Verrua. — Consolations à sa fille. — La pensée du prince de Piémont sur la fondation de la Visitation à Turin. — Une vertu plus nécessaire que la magnanimité. 200

MDX. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragments). Nécessité de presser le départ pour Paris. — Hardiesse de l'entreprise. — Renouveler son courage pour le service de Dieu. 203

MDXI. A Madame de Veyssilieu. Quatre lignes sorties du cœur. — Aspirer aux contentements de l'éternité à mesure que Dieu nous sèvre de ceux de ce monde. 204

MDXII. A une dame (Inédite). Une jeune fille prisonnière chez les hérétiques. 205

MDXIII. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Ce que le Saint a vu dans le cœur de la destinataire. — Pourquoi Dieu n'exauce pas tout de suite nos prières. — La Visitation fondée à Paris. 206

MDXIV. A la Mère de Chantal, a Paris. Une journée laborieusement et fructueusement employée. — Proposition d'une maison pour les Filles de la Visitation. 206

MDXV. A la même. Annonce d'une visite, et d'un visiteur qu'il faut traiter avec prudence. 208

MDXVI. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment inédit). La présidente Le Blanc parmi les Anges. 209

MDXVII. A la Mère de Chantal, a Paris. En quête d'un carrosse. 209

MDXVIII. A M. Michel Bouvard. Insuccès des démarches du Saint en faveur de M. de Quoex. — Recommandations au sujet de diverses affaires. 209

MDXIX. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Les pensées de François de Sales sur la confiance qu'on lui témoigne. — Pourquoi il est bon de prendre avis de diverses personnes. — Réponse à la crainte de suivre ses inclinations tout en obéissant. — Promesse d'une visite ou d'une lettre. 210

MDXX. A M. Soudan de la Palme (Inédite). Un parrain heureux des nouvelles de son filleul. — Prochain départ de Paris. — Deux adresses pour les lettres. 211

MDXXI. A Madame de Charmoisy (Inédite). L'Evêque de Genève solliciteur pour Mme de Charmoisy. — Difficultés d'obtenir et circonspection à garder dans les demandes. — Approches du retour en Savoie. 213

MDXXII. A Madame de Villesavin. Comment supporter les petites persécutions des enfants du monde. — Salomon, ses richesses, et « son inenarrable malheur. » — La devise du Christ. — Un adieu jusqu'à l'éternité. — Pourquoi se réjouir de s'être aimés en cette vie. 214

MDXXIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Un conseil de conscience. — Ce qui « osta un peu l'asseurance » au saint prédicateur. 215

MDXXIV. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Les noms de « plus grande force pour tesmoigner la dilection. » — Un sentiment que le Saint veut conserver soigneusement. — Desseins de Dieu sur l'Abbesse de Port-Royal. — Le livre de D. Sens et la manière de le comprendre. — Remarque pleine de sagesse et de délicatesse de l'Evêque de Genève au sujet de la doctrine du Général des Feuillants. — Ne pas trop se charger d'austérités. 215

MDXXV. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Une dame d'honneur de la princesse de Piémont retenue à Paris. 217

MDXXVI. Au Duc Roger de Bellegarde. Instante requête au destinataire pour l'heureuse conclusion d'un procès entre les chanoines de Saint-Pierre de Genève et les habitants de Seyssel. 218

MDXXVII. A la Mère de Chantal, a Paris. Un sentiment de l'âme du Saint au lieu d'un bouquet du désert. — Deux regards qui rendent bienheureux. — Comment faire la grille du choeur. — La première profession à la Visitation de Paris. 219

MDXXVIII. A une dame. Pourquoi on ne peut pas recevoir Mme du Tertre à la Visitation de Paris. Réserve et prudence du saint Evêque. 220

MDXXIX. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Une confession générale faite « a la desrobee. » — Promesse d'un revoir. — Le chemin d'une « excellente sorte de vie. » — Divin compagnon de route ; manière de le suivre. — Méditation du Saint sur la Communion. 221

MDXXX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. « Quatre lignes pour gage. ». 222

MDXXXI. A un gentilhomme. La clarté de l'Ecriture, et l'obscurité de l'esprit humain. — Contradictions des luthériens et des calvinistes dans l'explication de certains passages. — L'Eglise, gardienne et interprète infaillible de la Parole de Dieu. 223

MDXXXII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Remerciements et soumission. — Le duc et la duchesse de Nemours. 224

MDXXXIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Une protectrice pour la Visitation. — Préparatifs d'une cérémonie de profession. 225

MDXXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Témoignage en faveur du collatéral de Quoex. — Quelle correction permettent l'équité et la clémence pour des fautes sans malice. — Espérance en la bonté du prince. 226

MDXXXV. A la Mère de Chantal, a Paris. Le Saint, malade, traité par une « archimedecine. » — Confessions avant de « s'en aller aux chams. ». 227

MDXXXVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. La détresse du duc de Nemours. — François de Sales appuie sa cause. — Désir de l'Evêque de retourner en son diocèse. 228

MDXXXVII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Une jeune veuve qui désire la vocation religieuse. — Pourquoi le saint Fondateur a choisi le monastère de Moulins pour sa retraite. — De quelle tyrannie délivrer cette âme, quel joug lui imposer. 229

MDXXXVIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Obligeante intervention de M. de Neufchèzes dans une affaire. — Le saint Evêque, malade, est obligé de contremander plusieurs sermons. 230

MDXXXIX. A Madame de Villesavin. Un même trésor pour tous les cœurs des enfants de Dieu. — Ne pas se lasser ni lasser les autres par la longueur des exercices spirituels. — Conduite à tenir dans les conversations. — Chasser la tristesse. — Envoi d'une méthode pour s'unir à Notre-Seigneur. 230

MDXL. A la Mère de Chantal, a Paris. Programme d'une journée. 231

Appendice. 233

I. Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants. 235

A. Lettre de la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. 235

B. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie. 236

C. Lettre du Cardinal Robert Bellarmin (Fragment). 236

D. Bref se Sa Sainteté Paul V.. 237

E. Lettre des Avoyers et du Conseil de la Ville de Fribourg. 238

F. Lettre de M. Etienne Dunant, Curé de Gex. 239

G. Lettre du Président Crespin. 240

H. Lettre du Chanoine Artus de Lionne, Seigneur d'Aoste. 241

II. Lettres & Pièces diverses. 243

A. Lettre de l'Abbé de la Mente au Duc de Savoie (Fragment). 243

B. Lettre de Don Juste Guérin a D. Boerio, Général des Barnabites. 244

C. Lettres patentes de Henri de Savoie, Duc de Nemours, en faveur des Religieuses de la Visitation d'Annecy  246

D. Requête des Religieuses de la Visitation d'Annecy au Duc de Savoie. 247

 

 

Lettres de Saint François de Sales. Année 1617

(Suite)

_____

 

 

MCCCVIII. A M. Etienne Dunant, Curé de Gex. Zèle du Saint pour la discipline ecclésiastique. — Il soutient avec fermeté ses droits d'Evêque dans toute l'étendue de son diocèse, et impose sa volonté pour la gloire de Dieu et l'honneur de l'Eglise.

 

Annecy, 11 mai 1617.

 

            Monsieur,

 

            Je ne retarde d'aller a Gex que pour y aller plus a propos. Mays en attendant, je vous prie d'advertir tous nos ecclesiastiques de dela de faire retirer promptement les femmes quilz ont peut estre en leurs maysons. Et je dis peut estre, parce que je sçai que nul n'en avoit ci devant sinon M. Jaquin, auquel j'en ay parlé, et [1] m'asseure quil y aura mis ordre. Que sil ne l'a pas fait il a tort, car il sçait bien ce que je luy en ay dit. Ni ne veux pas croire quil soit si outrecuidé de dire, comme quelques uns, qu'il est en l'Eglise gallicane en laquelle les prestres sont privilegiés ; car je pense qu'il sçait que l'Eglise gallicane est un membre de l'Eglise universelle, et que les anciens canons des Conciles y sont receuz, et que les Evesques ne sont pas moins Evesques en France qu'ailleurs, et, qu'en particulier, je ne suis rien moins dela le Rosne que deça, ains j'affectionne d'establir la discipline ecclesiastique de dela, et sur tout a Gex, avec plus de soin que de deça, par ce qu'icy les adversaires de l'Eglise sont moins puissans et moins præsens.

            Mays, de tout ceci, communiques en avec le P. Commissaire qui est, je m'asseure, maintenant vers vous, affin quil fortifie mon intention de ses remonstrances, sil y escheoit. Or, mon intention est que nul præstre n'ayt en sa mayson aucune femme qui y habite, sinon les meres, bellemeres, seurs, belleseurs, tante (c'est a dire seur du pere ou de la mere) et niece, fille de frere ou de seur, selon l'ordre porté par le Concile de Nicee. Et ce soit asses dit quant a ce point, auquel je veux estre obei absolument, sachant combien il importe a l'honneur de l'Eglise. Toutefois, si ledit M. Jaquin n'avoit pas obtemperé et quil demandast quelques quinze jours de delay, vous le luy pourres donner.

            Je dis de mesme de la distribution des saintes Huiles, en quoy tous nos confreres doivent suivre l'ordre mis au Sinode. Il n'est pas expedient pour encor que M. Jaquin aille faire residence ; car, comme pourroit il faire [2] commodement la charge de l'œconome que vous luy aves remise ? Il a promis de faire reparer la mayson presbiterale de sa cure et accommoder les choses requises a l'exercice, ce qu'attendant il pourra bien suppleer. Le P. Commissaire estant la, je m'asseure, employera sa prudence a discerner ce qui sera expedient, affin que, quand j'y iray avec luy, nous puissions trancher nettement et ordonner a chacun son office et ce qul devra faire.

            Atant, me recommandant a vos bonnes graces et prieres et saluant humblement le P. Commissaire avec tous les Peres et nos confreres Mrs les curés, je demeure,

            Monsieur,

Vostre tres humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XI may 1617, Annessi.

 

            Monsieur

Monsieur du Nant, Curé de Gex.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mmc la comtesse d'Asnières de Sales, à Metz (Annecy).

_____

 

 

MCCCIX. A Madame de la Valbonne. Double renoncement. — Délicate charité de François de Sales à l'égard de ceux qui n'approuvent pas ses avis. — Quand la perte des Communions n'est pas dommageable à l'âme.

 

Annecy, 15 mai 1617.

 

             Il n'y a remede, ma chere Fille : nous avons renoncé aux consolations mondaines, et, non contens de cela, [3] encor nous faut il renoncer aux spirituelles, puisque telle est la volonté de Celuy pour lequel nous devons vivre et mourir.

            Pensés si nostre Mere eust fait une grande feste de vous voir a la Visitation, et si vostre consolation m'en eust donné une excellente. Mais puisque le mary ni le confesseur ne l'ont pas treuvé bon, il faut demeurer en paix, comme aussi aux retranchemens des Communions. Je ne sçai leurs motifs en cela, et ne les sachant pas, il ne faut pas que j'en die autre chose. Ilz ne sçavent peut estre pas aussi les miens, et c'est pourquoy ilz ne les jugent pas dignes d'estre suivis. En cela, chacun a son goust particulier ; mais pour vous, je vous asseure bien que vous ne perdres rien, car ce que vous ne gaigneres pas en la suavité de la Communion, vous le treuveres en l'humilité de vostre sousmission, si vous acquiesces simplement a leurs volontés.

            Mays de cette crainte qu'on vous donne que vos frequentes Communions vous pourroyent tourner a mal, je pense que vous ne vous en deves point mettre en peine, et qu'on ne vous a pas dit cela par discernement de l'estat de vostre cœur, mays pour vous mortifier, ou peut estre simplement par maniere de desfaite, comme quelquefois il arrive aux personnes mesme fort sages de ne peser pas bien toutes choses.

            Quand madame la Presidente viendra, au moins alhors nous verrons-nous ; et ce pendant, vivés toute humble, toute douce, toute passionnee de l'amour sacré de l'Espoux celeste. Je suis en luy, ma tres chere Fille, tout parfaitement vostre.

            D'Annessi, le 15 may 1617. [4]

_____

 

 

MCCCX. A M. Philippe de Quoex. Amour maternel que doivent avoir les ministres de Dieu pour les âmes. — Aimable réponse à une filiale inquiétude. — La « petite ruche » et les « pauvres abeilles. » — Ce qui affligeait l'Evêque de Genève et ce qui le consolait. — Dissension dans un prieuré.

 

Annecy, 16 mai 1617.

 

            Monsieur,

 

            Sans offencer ou quasi sans offencer une fille, on la jugeroit peu sage et n'avoir pas la cervelle bien arrestee si, au milieu de la ville, elle ouvroit son sein et exposoit ses mammelles a la veuë de chacun es rues et aux eglises ; mais on ne murmurera jamais, et l'on ne le doit pas faire, de voir qu'une mere nourrice ouvre son sein, monstre et donne sa mammelle a son poupon, pour ce que l'on sçait bien qu'elle est nourrice, et que son devoir de mere nourrice l'oblige a donner le lait a son cher petit poupon en quel lieu et place qu'elle connoist qu'il en a de besoin.

            Je dis ceci et pour vous et pour moy ; car il faut tous-jours faire ce que nous devons, pour le service de nostre doux et bon Maistre, envers ceux qui sont veritablement en luy nos enfans, et leur ouvrir en tout lieu, ou leur necessite le requiert, le sein maternel de nostre affection a leur salut et leur donner le lait de la doctrine. Je dis maternellement, a cause que l'amour des meres est tous-jours plus tendre envers les enfans que celuy des peres, pour ce, a mon advis, qu'il leur couste plus. Soyons-le pourtant l'un et l'autre ; car c'est le devoir que le Souverain nous a imposé. [5]

             Au reste, je vous asseure que j'ay ri, mais sçaves vous, de bien bon cœur, quand j'ay veu, sur la fin de vostre lettre, que l'on vous avoit dit que je m'estois mis en grande cholere, et avois dit tout ce que vous me marques. Et de plus, vous me dites : Mon Pere, ne caches point la verité a vostre filz, qui est perplexe sur ce sujet.

            Et je vous dis donq que veritablement, mon Filz, mon cœur va rendre a vostre cœur l'hommage de la verité. Si celuy qui vous a fait un narré de ma cholere, n'en eust pas eu davantage que moy, vous ne series pas en peine de ce chetif Pere. Mays je vous supplie, quand il retournera a vous, embrassés-le de ma part, et luy donnes double charité, car je vous confesse qu'il n'a pas tout a fait tort. Je suis un chetif homme, sujet a passion ; mais, par la grace de Dieu, depuis que je suis berger, je ne dis jamais parole passionnee de cholere a mes brebis. Il est vray que, sur la resistance de ces bons NN., je menaçay celuy ci de son Superieur et l'autre de N. ; mais je ne fis rien en cela que ce que je doys faire et que je feray tous-jours en tel cas. Je fus esmeu a la verité, mais je retins toute mon esmotion, et confessay ma foiblesse a nostre Mere, qui, en cette occasion, n'eut, non plus que moy, aucune [6] parole de passion ; et je vous diray bien de plus : il semble que ces bonnes gens la se plaisent a luy donner des frequens sujetz de mortification, qu'elle boit insatiablement.

            Mais dites moy, Monsieur mon cher Confrere, quel tort avons nous fait a ce bonhomme ? Helas ! nostre Mere ni moy ne pretendons qu'a dresser une petite ruche, mediocre et conforme a nostre dessein, pour loger nos pauvres abeilles qui ne se mettront en peine que de cueillir le miel sur les sacrees et celestes collines, et non de la grandeur ou embellissement de leur ruche. Il est vray que, quand je considere nostre Mere et ses filles, gratias ago ei qui me confortavit, Christo Jesu Domino nostro, quia fidelem me existimavit, ponens in ministerio, a l'occasion de cette Congregation. C'est asses dire la dessus pour vous oster de peine, mon tres cher Frere, mon ami ; priés seulement pour nous, et tout va bien.

            Pour le regard de ces bons gentilzhommes, pour Dieu, Monsieur mon tres cher Confrere, absolves de tout ce que je puis absoudre, sans reserve ; car, pourquoy vous reserverois-je aucune authorité que je puisse communiquer, puisque vous ne reserves aucune peine que vous puissiés prendre pour le bien de mes cheres brebis ? [7]

            Helas ! Monsieur mon cher ami, j'ay quelquefois les larmes aux yeux, quand je considere ma babilonique Geneve calviniste : Hæreditas nostra versa est ad alienos ; le sanctuaire est en derision, la mayson de Dieu en confusion ; et qu'en diray-je ? Je ne puis bonnement autre chose que pleurer sur ses ruines.

            Quand je considere nostre pauvre, petite et humble Visitation qui apportera tant de gloire a Dieu, encor ay je quelque consolation d'estre Evesque de ce diocese ; au moins y auray je fait ce bien. Mais si cet evesché avoit un Hilaire, un Augustin, un Ambroyse, ah ! ces soleilz dissiperoyent les tenebres de l'erreur. Toutefois je m'arreste, et dis comme les gens de nostre Evangile : Dieu a tout bien fait. Et vous, mon parfait ami et tres cher Confrere, vous feres bien, si vous me croyes incomparablement

Vostre tres humble frere et serviteur,

(a peu s'en faut que je ne die filz)

FRANÇS, E. de Geneve.

            D'Annessi, le 16 may 1617.

             J'ay esté vivement touché d'apprendre qu'au prieuré de [Talloires] l'on n'y voit plus la face de la sacree dilection et union, sans laquelle la Religion n'est qu'une veritable illusion. Le pire est que la dissension est entre les bons, dont elle est plus dangereuse ; et, comme dit saint Bernard parlant des Religieux qu'il estime estre les yeux de l'Eglise, espouse de Jesus Christ, non est [8] dolor sicut dolor eorum. Vostre œil doit discerner ce qui sera propice pour remedier a ce mal ; vostre moderation paternelle doit dissiper les humeurs peccantes ; vostre zele, vostre justice et vostre force, doit terminer ces discordes.

_____

 

 

MCCCXI. A Madame de la Fléchère (Inédite). Quelques nouvelles. — Intérêt de saint François de Sales pour les enfants de la destinataire. — Messages. — « Une carrossee de dames » arrivant de Grenoble. — Les exercices spirituels de Mme de la Thuille.

 

Annecy, 20 mai 1617.

 

            Nous ferons ce que nous pourrons pour ce pauvre bonhomme affin quil demeure icy, quoy quil me sera malaysé, le P. François qui sçait tout, estant absent. Dieu accompaigne monsieur le Marquis de Saint Damian, avec lequel nous avons esté bien doucement icy, et croy qu'il soit de bonne nature.

            Puysque monsieur de Charmoysi, nostre cousin, a esté d'advis que l'on ramenast le filz, il ne peut estre que bon. Vous aures sceu comme nous avons gouverné [9] l'Anthoine qui, avec un peu de soin, deviendra brave fille, ayant l'esprit bon comme ell'a, et vous pouves penser si je luy souhaite du bien.

            Je vous salue mille et mille fois de tout mon cœur, du quel je suis tres parfaitement tout vostre.

F. E. de G.

            Annessi, le XX may 1617.

            Je vous supplie de saluer Mlle de Beaufort, que je cheris et honnore infiniment, et Mme de Mirebel, et madame de Monthouz un peu a part.

            Nostre Mere est en affaire pour la reception d'une vertueuse damoyselle de Grenoble qui est venue ce matin, avec une carrossee d'autres dames qui l'ameynent ; car il vous faut tenir advertie des particularités de la Mayson, et que Mme de la Thuille partit hier, ayant fait sa revëue a la Visitation, ou ell'a esté cachee environ sept ou huit jours, avec beaucoup de consolation pour son cœur.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Harrow (Londres). [10]

_____

 

 

MCCCXII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Droits de la ville d'Annecy aux bienfaits du souverain.

 

Annecy, 26 mai 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Cette ville d'Annessi recourt a la debonaireté de Vostre Altesse pour avoir la confirmation des privileges que Messeigneurs ses prædecesseurs luy ont donné. Je jointz ma tres humble supplication a la sienne, protestant que jamais Vostre Altesse ne gratifiera aucuns peuples de sa sujettion qui ayt (sic) plus de cœur, d'honneur, de fidelité et d'obeissance a vostre coronne, Monseigneur, que celuy ci qui, au reste, a un extreme besoin d'estre revigoré par telz bienfaitz, tandis qu'incessamment avec moy il leve les mains et les yeux au Ciel pour la prosperité de Vostre Altesse, delaquelle je seray a jamais,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            XXVI may 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [11]

_____

 

 

MCCCXIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Recours à l'intervention du prince pour obtenir la confirmation des privilèges de la ville d'Annecy.

 

Annecy, 26 mai 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Cette petite ville d'Annessi recourant a Son Altesse pour la confirmation de ses privileges, a toute son esperance en vostre bonté. C'est pourquoy elle l'implore de toutes ses forces ; et moy, Monseigneur, j'accompaigne d'autant plus hardiment sa supplication, que Vostre Altesse me tesmoigna lhors qu'elle estoit de deça, qu'elle nous favoriseroit tous en cett'occasion. Et je le croy, Monseigneur, puisque vostre debonaireté se plait aux bien-faitz, et particulierement envers les peuples fideles, obeissans et affectionnés a la coronne de Son Altesse, tel que je puis attester estre celuy ci, qui, outre cela, a grand besoin d'estre en quelque sorte allegé.

            Ainsy nous prions tous Dieu qu'il benisse, conserve et prospere Vostre Altesse, delaquelle je vivray a jamais,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Annessi, 26 may 1617. [12]

_____

 

 

MCCCXIV. A M. Claude de Blonay. Pourquoi François de Sales retarde volontiers son voyage en Chablais. Sa douleur et sa résignation au sujet de la maladie de son frère Bernard.

 

Annecy, 28 mai 1617.

 

            O Dieu, mon tres cher monsieur de Blonnay, mon ami, que je retarderay volontier mon voyage, puisque monsieur le Marquis le desire ; car aussi bien estois-je prest de vous escrire, ou a monsieur l'Abbé : Dimitte me, ut plangam paululum dolorem meum. Helas ! j'attens tous les quartz d'heure la nouvelle du trespas de mon frere de Thorens, qui partit d'icy il y a trois semaines, et le jour de la Trinité estoit a Thurin, abandonné des medecins, et hors de toute esperance d'eschapper ; et des-ja, de Chamberi, le bruit vient qu'il est mort. Penses si j'auray besoin de 15 jours pour consoler sa pauvre vefve et toute cette fraternité, et pour rasseoir un peu mon cœur, qui est certes grandement esmeu.

            Or sus, je dis neanmoins de tout mon cœur a Dieu : Je me tais, et n'ouvre point ma bouche, car vous l'aves fait. J'adore les decretz de sa providence et embrasse la croix quil luy plait nous presenter. Oüy, Pere æternel, car il a semblé ainsy bon devant vous. [13]

            Je le recommande a vos prieres, et de tous nos amis generalement.

Vostre tres humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 28 may 1617.

            Je salue tres humblement monsieur le Marquis, et suis son serviteur fidele.

 

            Monsr

Monsr de Blonnay,

Præfect de la Ste Mayson.

 

Revu sur l'Autographe qui appartenait à M. le chanoine Jean-Marie Chevalier, à Annecy.

_____

 

MCCCXV. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Le Saint console la Mère de Bréchard de la perte de son père. — Quel douloureux message il doit porter à la baronne de Thorens. — Gloire humaine et saint trépas du frère de l'Evêque de Genève.

 

Annecy, 29 mai 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Hier nostre Mere me fit voir vostre derniere lettre et la nouvelle du trespas de monsieur vostre pere. [14] Ne doutés point que je ne prie pour luy, car c'estoit le pere de ma tres chere Fille, qui m'est, je vous asseure, infiniment chere, et aux desplaysirs et playsirs de laquelle mon cœur participe affectionnement. Mais icy, hors le sentiment naturel, il y a occasion de sainte consolation, puisque ce bon gentilhomme s'en est allé en une bonne viellesse, et, ce qui importe, en une bonne disposition spirituelle.

            Donq, ma tres chere Fille, demeures consolee, et nous rendes la pareille par vos prieres pour mon pauvre tres cher frere de Thorens, lequel estant allé en Piemont avec un regiment de mille hommes, y fut enseveli mardy passé, comme on me vient d'escrire, et comme je m'attendois, il y a trois jours, sachant la qualité de la maladie. Or, penses, ma tres chere Fille, ou cette affliction me touche, et voyes si la mienne n'est pas surchargee de celle de sa pauvre petite et de nostre Mere, a qui il faut que ce matin j'aille oster le peu d'esperance qui leur estoit restee apres les premieres nouvelles de cet accident, sur lesquelles nous avons mille et mille fois adoré le decret de la Providence divine, et avons jetté nos cœurs entre les mains de Dieu avec esprit de sousmission, repetant : Ouy, Seigneur, car ainsy il a esté aggreable devant vous. Et nous n'avons aussi a dire autre chose en tout ce que Dieu fait, sinon : Amen.

            Ce pauvre garçon est mort le premier jour de son arrivee en ce païs-la, d'une fievre pestilentielle, dans le sein de l'Eglise, muni des Sacremens receus avec grand sentiment de religion, sous la direction du bon Pere D. Juste. Helas, qu'il est heureux ! ce me semble ; mais il est pourtant impossible que je ne pleure sur luy. Vous ne sçauries croire combien il estoit accomply, combien il s'estoit rendu aymable a chacun, combien il s'estoit signalé aux yeux du Prince en l'occasion de [15] l'annee passee ; et sur cela, le voyla emporté. Mais Dieu est bon, et fait toutes choses en sa bonté. A luy soit honneur, gloire et benediction.

            Le pauvre chevalier est encor la, qui aura esté spectateur de ce triste trespas, et peut estre en sera-il le sectateur.

            Dieu soit beni en la vie et en la mort des siens. Amen.

Vostre tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Cette lettre, ma tres chere Fille, a esté escritte a trois reprises, et je la ferme ce jourd'huy, 29 may 1617.

_____

 

 

MCCCXVI. A Madame de Cornillon, sa sœur. Cris de douleur et larmes de tendresse au sujet de la mort de Bernard de Sales. — Détails sur ses derniers jours. — La vertu de sa veuve.

 

Annecy, 30 mai 1617.

 

            O Dieu, ma pauvre tres chere Seur, que j'ay de peine pour le desplaysir que vostre cœur souffrira sur le trespas de ce pauvre frere, qui nous estoit a tous si cher ! Mays il n'y a remede : il faut arrester nos volontés en celle de Dieu, qui, a bien considerer toutes choses, a grandement favorisé ce pauvre defunt, de l'avoir osté d'un siecle et d'une vocation ou il y a tant de dangers de se damner. [16]

            Pour moy, ma chere Fille, j'ay pleuré plus d'une fois en cette occasion, car j'aymois tendrement ce frere, et n'ay sceu m'empescher d'avoir les ressentimens de douleur que la nature m'a causés ; mais pourtant, je suis maintenant tout resolu et consolé, ayant sceu combien il est trespassé devotement entre les bras de nos Peres Barnabites et de nostre chevalier, apres avoir fait sa confession generale, s'estre reconcilié trois fois, avoir receu la Communion et l'Extreme Onction fort pieusement. Que luy peut on desirer de mieux selon l'ame ?

            Et selon le cors, il a esté assisté en sorte que rien ne luy a manqué. Monseigneur le Prince Cardinal et Madame la Princesse l'envoyerent visiter, et les dames de la cour luy envoyerent des presens pour sa bouche ; et en fin, Monseigneur le Prince Cardinal, apres son trespas, envoya douze flambeaux avec les armoiries de Son Altesse, pour honnorer son ensevelissement.

            Dieu donq soit a jamais beni pour le soin qu'il a eu de recueillir cette ame entre ses esleus ! car en somme, que devons nous pretendre autre chose ?

            Il ne se peut dire combien sa pauvre petite vefve a [17] tesmoigné de vertu en cette occasion. Nous la garderons encor icy quelques jours, jusques a ce qu'elle soit bien rassise. Jamais homme ne fut plus generalement regretté que celuy ci.

            Or sus, ma tres chere Fille, consolons nos cœurs le mieux que nous sçaurons, et tenons pour bon tout ce qu'il a pleu a Dieu de faire ; car aussi, tout ce qu'il a fait est tres bon.

            Je rens cette lettre commune a mon tres cher frere et a vous, avec esperance de vous voir bien tost. Dieu benisse a jamais vostre cœur, ma tres chere Seur, ma Fille, et je suis sans fin tres parfaitement tout vostre, et

Vostre plus humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCCCXVII. Au Baron Amédée de Villette. Deuil profond. — Pleurs et résignation de Marie-Aimée. — Adhérence au vouloir de Dieu.

 

Annecy, 30 mai 1617.

 

            Monsieur mon Oncle,

 

            Helas ! il n'est que trop vray que vous aves perdu un tres humble neveu et fidele serviteur, et moy mon tres cher frere que j'aymois incroyablement pour plusieurs bonnes raysons, outre celle du sang. C'est quasi un songe de gens qui veillent, de sçavoir ce pauvre garçon [18] mort aussi tost qu'arrivé en ce païs-la, et sans avoir eu le loysir d'avoir veu le Prince auquel il alloit consacrer sa vie et son courage.

            Or, apres toutes les idees que le desplaysir me donne, je conclus que Dieu l'ayant voulu, ç'a esté le mieux. Que son nom soit beni, et les decretz de sa volonté adorés es siecles des siecles. Amen.

            Certes, je croy bien que M. de Giez, mon cousin, M. le Baron de Bonvilaret et mon neveu du Vuaz auront ressenti grandement cette perte, comme sçachant que ce pauvre trespassé les cherissoit et honnoroit tres particulierement, selon que la nature et plusieurs considerations l'y obligeoyent ; mais s'il leur manque, ce n'est pas par son eslection, ni par sa faute. Dieu, par sa bonté, les veuille proteger et conduire parmi les hazars ou cette guerre les porte.

            Ma pauvre chere seur tesmoigne entre ses pleurs et regretz la plus aymable, constante et religieuse pieté qu'il est possible de dire : en quoy elle nous contente extremement, pour le desir que nous avons qu'elle conserve l'enfant que nous croyons, par bonnes conjectures, avoir esté laissé en ses flancs par le defunt, comme pour quelque sorte d'allegement a ses freres.

            Que vous diray-je plus, Monsieur mon cher Oncle ? Ce pauvre garçon decedé s'estoit destiné a la vie militaire, et pouvoit mourir de cent façons plus lamentables que celle de laquelle il est mort. Beni soit Dieu qui l'a ravi devant les duelz, les mutineries, les desespoirs, et en [19] somme devant ces innombrables occasions d'offencer Dieu que cette espece de vacation donne en ce miserable aage.

            Et pour tout, je ne puis dire autre chose, sinon : Ita, Pater, quoniam sic placitum fuit ante te. J'acquiesce et dis Amen, non seulement sur les paroles, mais aussi sur les œuvres de Dieu, le suppliant qu'il vous conserve, et demeurant pour jamais,

            Monsieur,

Vostre tres humble neveu et fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 30 may 1617.

_____

 

 

MCCCXVIII. A Madame de Montfort. Réponse à des condoléances.

 

Annecy, 3 juin 1617.

 

            Madame ma Cousine,

 

            Vous pouves aysement vous imaginer quelle est nostre affliction pour la perte que nous venons de faire, ayant connoissance comme vous de l'amitié qui a tous-jours esté, graces a Dieu, entre ceux de cette mayson. Je vous remercie tres humblement du soin que vous aves pris de nous tesmoigner le ressentiment que vous aves de nostre mal.

            Je vous supplie de recommander a la misericorde de Nostre Seigneur le repos de l'ame de nostre pauvre defunt et de nous tous-jours aymer. Je fay la mesme [20] requeste a monsieur de Montfort, auquel, comme a vous, je suis tres certainement, Madame ma Cousine,

Vostre tres humble cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, 3 juin 1617.

_____

 

 

MCCCXIX. Au Président Antoine Favre (Inédite). Décès du président de Sautereau. — Un cœur où se mélangent l'amour, l'amertume et la constance. — Prochain voyage à Thonon et à Gex. — Départs répétés pour l'éternité.

 

Sales, 21 juin 1617.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je regrette extremement la perte que nous avons faite par le trespas du bon monsieur le President de Sautereau, qui vous honnoroit certes plus quil ne se peut dire, et me favorisoit d'un' amitié extraordinaire, a vostre consideration. Et donques, comme je voy, c'est presque sans intermission que nos amis se vont separant de nous tous les jours ; et partant, il se faut resoudre de bonn'heure de n'esperer plus es consolations de cette vie, pour attendre plus doucement celles de l'autre vie, en laquelle nostre societé sera inseparable.

            J'escris la ci jointe a madame la Presidente de Sautereau, non pour la consoler, mais pour luy tesmoigner que je conserveray a jamais la memoire des infinies obligations que j'avois a son defunt ; tandis que je me treuve icy a Sales, aupres de nostre jeune vefve, qui me fait [21] tout estonné de voir en son ame tant d'amour de son mari trespassé et tant de constance a supporter l'amertume du desplaysir de son trespas.

            Je passeray vandredi a La Roche pour planter la premiere pierre de l'eglise des Capucins, et dela je m'en vay a Thonon, parti (sic) pour consacrer l'eglise que les mesmes Peres y ont dressee, avec le grand autel des Peres Barnabites, partie pour appayser, si je puis, quelques noyses, lesquelles par tentation humaine sont survenues en la Sainte Mayson. Dela je passeray a Gex, ou je suis desiré pour pareilles affaires, et, Dieu aydant, me rendray a Annessi pour nostre feste de Saint Pierre aux liens. [22]

            Une chose en tout ceci me donne de la peine : c'est que je laisse mon frere de Boysi fort malade d'une fievre tierce, et que sil est vray que Monseigneur l'Archevesque de Lyon aille ambassadeur a Rome, il se pourroit faire quil passast les mons pendant ce tems-la ; ce que toutefois m'est difficile a croire, puisque, comme je pense, il voudra voir le Roy son maistre avant son depart.

            J'ay perdu un bon et cordial amy en monsieur de Chanal, qui ayant esté appellé de Dieu a la vie devote des quelques annees en ça, sera mort en tel estat, je m'asseure, que nous avons occasion de benir l'heure de son trespas ; et moy particulierement, qui ay une invincible rayson de l'estimer heureux, par le conte de sa conscience et de ses bonnes intentions quil me rendit avant son depart d'Annessi. Comm'au contraire, je regretterois infiniment monsieur de Bourgeois et monsieur de la Pierre, s'ilz s'estoyent entreservis de bourreau l'un a [23] l'autre, pour s'abismer en la damnation par le duel ; mays, tandis que je le puis, je me veux abstenir de croire une chose si malheureuse. C'est dommage de monsieur de Passier ; et Dieu sçait sil y en aura point d'autres que nous ayons a regretter en cette rencontre.

            Je supplie de tout mon cœur sa divine Bonté qu'il vous conserve, avec madame ma tres chere seur et toute vostre compaignie, et vous saluant tous tres humblement, je demeure a jamais,

            Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble et tres obeissant

frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ma seur vous bayse tres humblement les mains, et a madame vostre chere Presidente, et est vostre tres humble servante.

            A Sales, le XXI juin 1617.

 

            A Monsieur

Monsieur Favre, Baron de Peroges,

Premier President de Savoye,

commandant generalement deça les montz pour S. A.

 

Revu sur une photographie de l'Autographe, conservée à la Visitation d'Annecy. [24]

_____

 

 

MCCCXX. A la Présidente de Sautereau. François de Sales s'afflige avec la destinataire du décès de son mari. — Comment se préparer à « la vie ou il n'y a plus de mort. » — Pour l'amour du défunt, sa veuve doit modérer sa douleur.

 

Sales, 21 juin 1617.

 

            Madame,

 

            Vous ne sçauries croire combien m'est sensible l'affliction que vous aves. J'honnorois avec une affection toute particuliere le cher seigneur trespassé, pour plusieurs respectz ; mais celuy de sa vertu et pieté tenoit lieu de fondement. Quelle pitié qu'en une sayson en laquelle il est si grande disette de telles ames parmi les gens de ce rang la, nous voyons et souffrons ces pertes si dommageables au public !

            Neanmoins, ma chere Dame, toutes choses considerees, il faut accommoder nos cœurs a la condition de la vie en laquelle nous sommes : c'est une vie perissable et mortelle, et la mort qui domine sur cette vie ne tient point de train ordinaire ; elle prend tantost ci, tantost la, sans choix ni methode quelcomque, les bons emmi les mauvais et les jeunes parmi les vieux.

            O que bienheureux sont ceux qui, vivans en continuelle [25] desfiance de mourir, se treuvent tous-jours prestz a mourir, en sorte qu'ilz puissent revivre eternellement en la vie ou il n'y a plus de mort ! Nostre bienaymé trespassé estoit de ce nombre la, je le sçai bien. Cela seul, Madame, est suffisant pour nous consoler ; car en fin, en peu de jours, ou tost ou tard en peu d'annees, nous le suivrons en ce passage, et les amitiés et societés commencees en ce inonde se reprendront pour ne recevoir jamais de separation. Ce pendant, ayons patience, et attendons courageusement que l'heure de nostre depart sonne pour aller ou ces amis sont ja arrivés ; et puisque nous les avons aymés cordialement, perseverons a les aymer, faysons pour l'amour d'eux ce qu'ilz ont desiré que nous fissions et ce que maintenant ilz souhaitent pour nous.

            Sans doute, ma chere Dame, le plus grand desir que monsieur vostre trespassé eut a son depart fut que vous ne trempassies pas longuement dans le regret que son absence vous causeroit, mais que vous taschassies de moderer, pour l'amour de luy, la passion que son amour vous donnoit ; et maintenant, en son bonheur dont il jouit, ou qu'il attend en asseurance, il vous souhaite une sainte consolation et que, moderant vostre tribulation, vous conservies vos yeux pour un meilleur sujet que les larmes, et vostre esprit pour des plus desirables occupations que celles de la tristesse.

            Il vous a laissé des gages pretieux de vostre mariage : conservés vos yeux pour regarder a leur nourriture, conservés vostre esprit pour relever le leur. Faites cela, Madame, pour l'amour de ce cher mari, et vous imagines qu'il vous en a prié a son depart et qu'il vous demande encor cet office ; car en verité, il l'eust fait s'il eust peu, et il desire cela de vous a present : tout le reste de vos passions peut estre selon vostre cœur, qui est encor en ce monde, mais non pas selon le sien, qui est en l'autre.

            Et puisque la vraye amitié se plaist a complaire aux justes aggreemens de l'amy, pour complaire a monsieur vostre mari, consoles-vous vous mesme, soulages vostre [26] esprit et relevés vostre courage. Que si ce conseil, que je vous donne avec une sincerité nompareille, vous est aggreable, prattiqués le, vous prosternant devant Nostre Seigneur, acquiesçant a son ordonnance, et considerant l'ame de ce cher defunt qui desire a la vostre une vraye et chrestienne resolution, et vous abandonnant du tout a la celeste providence du Sauveur de vostre ame, vostre protecteur, qui vous aydera et vous secourra, et en fin vous reunira avec vostre trespassé, non point en qualité de femme avec son mari, mais d'heritiere du Ciel avec son coheritier et de fidele amante avec son fidele amant.

            J'escris ceci, Madame, sans loysir et presque sans haleyne, vous offrant mon tres affectionné service qui vous est de long tems acquis, et celuy encor que les merites et la bienveuillance de monsieur vostre mari envers moy pouvoyent exiger de mon ame. Dieu soit au milieu de vostre cœur. Ainsy soit il.

FRANCS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCCCXXI. A la Mère de Chantal. Une novice de la Visitation malade à la mort ; ce qu'il faudrait faire pour ses funérailles. — Le cœur du Saint pour ses Filles. — Conseils à la Mère de Chantal.

 

La Roche, 24 juin 1617.

 

            En verité, ma tres chere Mere, et moy et tout suis grandement touché de la maladie de cette pauvre chere fille, digne certes d'estre bien aymee. Il faut attendre ce que Dieu fera, et non seulement l'accepter, mais, [27] autant que nous pourrons, il faudra l'accepter aggreablement et amiablement. J'espere quil la nous laissera ; il y en a tant d'autres qui sont eschappees apres avoir jetté le tac, et qui ont esté moins assistee (sic) qu'elle ne sera. Toutefois je replique : Ainsy que la volonté de Dieu sera au ciel, soit fait en terre.

            Si ell'estoit preste a passer, on pourroit luy faire faire la profession simplement, en luy lisant, devant, l'oblation et les vœux, qu'elle confirmeroit, sinon qu'elle mesme la peut prononcer. On la pourroit enterrer en l'eglise, car ell'est asses benite en la benediction des fondemens que nous fismes en la position de la premiere pierre. Il faudroit faire venir le vicaire de Saint Maurice, et trois ou quatre prestres avec luy pour faire l'Office, et mettre simplement 4 cierges blancz au (sic) quatre coins du cors. Vous pourries donner audit vicaire un ducaton, et aux autres prestres a chacun 8 solz d'aumosne affin quilz dissent Messe pour elle. Pour le reste, vous vous conseillieries. Mays, qu'elle vive ou meure, je luy donneray [28] en la sainte Messe que je vay dire, la sacree benediction de Dieu et de son Eglise.

            O ma tres chere Mere, mon cœur, mes espritz et mon ame s'esmeuvent en disant ceci, car j'ayme toutes nos filles tres cordialement, et celle-la avec une speciale tendreté. Mays sur tout, en pleurant descharges bien vostre cerveau, reposes vous convenablement, et vous divertisses le plus doucement que vous pourres ; prenes bien souvent des raysins un peu amollis au vin et eau chaude, et en somme ayes soin de vous conserver la, car icy, ne doutes point ; je suis un certain homme quil ny a rien a craindre, sinon quand je le diray moymesme.

            Ma tres chere Mere, salues et benisses mille fois cette chere fille de ma part, et ma. Seur Marie Michele. Dieu soit a jamais nostre tout, et sa volonté nostre amour. Amen.

            A La Roche, jour saint Jean.

            On ne peut partir que le tems ne s'accoise, a cause des ruisseaux, mais soudain quil sera remis je feray porter la presente.

 

A ma tres chere Mere en N. S.

            A la Visitation.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [29]

_____

 

MCCCXXII. Au Pére René Ayrault, de la Compagnie de Jésus. Compliments affectueux à un ancien « compaignon d'escole. » Deux prises de voile à la Visitation.

 

La Roche, [24-28 juin] 1617.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            J'ay receu a beaucoup d'honneur la lettre que Mlle Favreau [30] et Mlle d'Albamé m'escrivirent de vostre part ; car, outre la douceur que je prens a me ramentevoir le tems auquel nous estions compaignons d'escole, vos merites me font grandement estimer tous les tesmoignages quil vous plait me donner de vostre bienveuillance, laquelle je vous conjure de me vouloir continuer par vostre courtoysie, bien ayse de sçavoir que vous soyes arresté en nostre voysinage, sous l'esperance que, par ce moyen, il se pourra bien faire que j'aye encor un jour lhonneur de vous revoir.

            Et cependant, je cheriray de tout mon cœur tout ce quil vous plaira de me recommander, comme je fay le sujet d'avoir soin plus particulier de ces deux damoyselles, desquelles l'une, madamoyselle Favreau, est des-ja voylee, et l'autre le sera soudain que je seray de retour d'un voyage que je vay faire a Thonon ; et espere que l'un'et l'autre donneront [et recevront] reciproquement de l'edification et consolation en la Congregation en laquelle elles ont esté appellees, puisque a ce commencement Dieu leur en donne de si bonnes arres. [31]

            Playse a la divine Bonté de vous conserver et prosperer de plus en plus en son saint service, et je suis de tout mon cœur,

            Mon Reverend Pere,

Vostre plus humble, tres affectionné

confrere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            …… 1617, a La Roche.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Beaufort, chez les Sœurs Hospitalières de Saint-Joseph.

_____

 

 

MCCCXXIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Paternelle sollicitude pour la santé de la Mère de Chantal. — Ne pas se contenter d'attendre les âmes, mais leur aller au-devant. — La pureté en ce monde. — Désirs d'une sainte mère pour sa fille.

 

Viuz-en-Sallaz, 29 juin 1617.

 

            Je suis tous-jours bien brave homme a me porter bien icy et par tout, et n'y a rien a craindre, ma tres chere Mere. Mais, comme me pourrois-je empescher d'estre en peine de ce que je suis la, quant a la santé ? Pour Dieu, ne parles pas beaucoup, soulages vous, et vous tenés un peu tranquille tant d'esprit que de cors ; car le premier accident vous arriva apres le traitté avec M. de la Roche, ou vous ne fustes pas sans parler avec affection, et puis le tracas des malades fit venir le second. Travailles, ma [32] tres chere Mere, mais tout bellement, tout doucement, tranquillement.

            Je suis consolé que nos pauvres filles soyent un peu allegees, car je les cheris d'un cœur plus que paternel toutes, et vous sçaves que j'ayme particulierement cette pauvre Marie Gasparde de tous tems, et, maintenant qu'elle est malade, encor plus tendrement. Nous continuerons a faire prier pour elles.

            J'ay pensé sur cette chetifve fille dont je vous escrivis ; et en fin, si elle veut faire une retraitte pour se resoudre, il faut non seulement la recevoir, mais, sil se pouvoit, luy aller au devant. Qui sçait si Dieu aura pitié d'elle et luy pardonnera ? Son mauvais naturel ne m'estonne point, car Nostre Seigneur fait quelquefois les enfans d'Abraham des pierres. La conversion ne depend pas de la nature, mais de la grace. Je voy que cette venue apportera de l'incommodité, mais, peut estre, bienheureuse incommodité, qui se prend pour recueillir l'estranger par l'hospitalité spirituelle. Saint Pierre, prince des pœnitens, est devant mes yeux, qui fut si doux aux pecheurs apres quil ne le fut plus.

            Je suis bien en peine de l'autre chere fille, que nous cherissons tant en suite de la dilection de sa mere ; car je [33] ne sçai bonnement comme en parler a sa mere, qui en recevra bien du desplaysir, estant bien esloignee de cette humeur-la. Je m'essayeray de l'attirer en confession et de la faire bien confesser, car de la depend sa delivrance. Il est vray, ma tres chere Mere, il y a peu de pureté en ce monde, sinon celle que la pœnitence opere et la vie devote.

            Or bien, je vous escriray a toutes occurrences, ma tres chere Mere, mon cœur et ma vie ne pouvant subsister avec consolation que par l'unité quil a pleu de faire a Dieu de nous, affin qu'aeternellement nous fussions siens.

            Madame de la Flechere de ce pais, qui vint hier faire sa reveüe,vous bayse millefois les mains. C'est une sainte ; elle a grand desir de vous aller voir et de vous mener une sienne brave fille a mon gré, laquelle est aagé (sic) de 19 ans, et, par ouï dire, est un peu touchee d'estre de la Visitation ; et cette bonne mere, qui en brusle, estime que la veüe la fera resoudre.

            Dieu vous conserve, ma tres chere Mere, et remplisse a jamais nostre unique ame de son tres pur amour. Amen.

            A Viu, le jour des deux saints amans, saint Pierre et saint Paul.

 

            A ma tres chere Mere.

            A la Visitation.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de San Vito al Tagliamento

(Italie). [34]

_____

 

MCCCXXIV. A la Baronne de Thorens, sa belle-sœur. Les consolations d'un « frere et Pere tout ensemble. » — Rien de précieux ne s'acquiert sans peine. — Une joie de la Mère de Chantal.

 

Viuz-en-Sallaz, 30 juin 1617.

            Vous pouves penser, ma tres chere Fille, ma Seur, et je croy que vostre cœur vous le dit asses, que j'ay une extreme consolation dans le mien quand vous m'escrives de vos nouvelles ; car, puisqu'il a pleu a Dieu, je suis le cher frere et le Pere tout ensemble, mais le plus affectionné et sincere que vous sceussies imaginer.

            Or, faites donq bien, ma chere ame, vos petitz effortz, doux, paysibles et amiables pour servir cette souveraine Bonté qui vous y a tant obligee par les attraitz et bien-faitz dont elle vous a favorisee jusques a present, et ne vous estonnes point des difficultés ; car, ma chere Fille, que peut on avoir de pretieux sans un peu de soin et de peine ? Il faut seulement tenir ferme a pretendre la perfection du saint amour, affin que l'amour soit parfait, l'amour qui cherche moins que la perfection ne pouvant estre qu'imparfait.

            Je vous escriray souvent, car vous sçaves le rang que vous tenes dans mon esprit, le tout joignant nostre Mere, a laquelle je vous prie de me recommander ; car, bien que je luy escrive, si est ce qu'il faut un peu employer vostre entremise pour la recreer et res-jouir, d'autant qu'elle prend playsir a sçavoir que vous estes tres parfaitement ma tres chere fille et que vous me cherisses en cette qualité la. [35]

            Dieu soit au milieu de vostre cœur et de celuy de nostre chere seur, qui est certes ma fille de tout mon cœur ; au moins je le croy et le veux tous-jours croire pour mon contentement.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 30 juin 1617.

_____

 

MCCCXXV. A Madame Louise de Ballon, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine. La chose la plus étonnante et douloureuse qui se voit tous les jours. — Malgré les épreuves intérieures, aimer Dieu et lui rester fidèle.

 

[Juin 1617.]

 

            Ma chere, mais vrayement tres chere Fille, ma Cousine,

 

            Il la faut certes retirer, cette pauvre ame, du hazard, car la molle façon de vivre du lieu ou elle est, est tellement perilleuse, que c'est merveille quand on eschappe de la meslee. Helas ! ma pauvre Fille, vous aves rayson de vous estonner qu'une creature veuille offenser Dieu, car cela surpasse tout estonnement ; mais pourtant cela se fait, comme par malheur on voit tous les jours. Et l'infortunee beauté et bonne grace que ces pauvres filles [36] faineantes se font accroire d'avoir, parce que ces miserables le leur dient, est cela qui les perd, car elles s'amusent tant au cors, qu'elles perdent le soin de l'ame. Or sus, ma Fille, il faut faire ce qui se pourra et demeurer en paix.

            Et pour vostre regard, ma chere Cousine, ma Fille, il ne faut perdre courage ; car vous deves estre si amoureuse de Dieu, qu'encor que vous ne puissies rien faire aupres de luy et en sa presence, vous ne laissies pas d'estre bien ayse de vous y mettre pour seulement le voir et regarder quelquefois. Et quelque peu avant que d'aller en l'orayson, mettes vostre cœur en paix et en repos, et prenes esperance de bien faire ; car si vous y alles sans esperance et des-ja toute degoustee, vous aures peine de vous remettre en appetit.

            Courage donq, ma petite Cousine, dites a Nostre Seigneur que vous ne le laisseres jamais, encor qu'il ne vous communiqueroit jamais aucune douceur ; dites luy que vous demeureres devant luy jusques a ce qu'il vous aye beny. Quand vostre cœur s'esgarera ou se distraira, ramenes-le tout doucement a son point, remettes-le tendrement aupres de son Maistre ; et quand vous ne feries autre chose tout au long de vostre heure que de reprendre tout bellement vostre cœur et le remettre aupres de Nostre Seigneur, et qu'autant de fois que vous l'y remettries il s'en destourneroit, vostre heure seroit tres bien employee, et feres un exercice fort aggreable a vostre cher Espoux, auquel je vous recommande du mesme cœur que je suis tout vostre. [37]

_____

 

MCCCXXVI. A une dame. Combat et liberté. — Moyen de triompher. — Le principal devoir de la vraie dévotion. — Particulières facilités de la destinataire pour la vie chrétienne et pieuse. — Témoignages d'honneur et de sainte affection. — Pourquoi la fécondité est une bénédiction de Dieu.

 

[Juillet 1617 ou 1604 ? ]

 

            Madame,

 

            La lettre que vous m'aves escrite le 16 may et laquelle je n'ay receuë que le 27 juin, me donne grand sujet de benir Dieu de la fermeté en laquelle il conserve vostre cœur pour le desir de la perfection de la vie chrestienne, lequel je descouvre bien clairement par la naïfveté sainte avec laquelle vous representes vos tentations et le combat que vous faites ; et je voy bien que Nostre Seigneur vous assiste, puisque pied a pied et jour a jour vous conqueres vostre liberté et affranchissement des imperfections et infirmités principales qui vous ont ci devant affligee. Je ne doute point que dans fort peu de tems vous n'en soyes entierement victorieuse, puisque je vous voy si courageuse au combat et si pleyne d'esperance et de confiance de vaincre par la grace de nostre bon Dieu. La consolation que vous aves en cette entreprise est sans doute un vray presage qu'elle vous reuscira tres heureusement. [38]

            Fortifies-vous donq, Madame, en ce bon dessein, duquel la fin est la gloire eternelle ; n'oublies rien au logis de ce qui est requis pour en chevir. Continues vos Communions et confessions frequentes, ne passés point de jour sans lire quelque peu dans un livre spirituel, et, pour peu que ce soit, pourveu que ce soit avec devotion et attention, le prouffit en sera bien grand. Faites l'examen de conscience au soir ; accoustumes-vous aux prieres briefves et oraysons qu'on appelle jaculatoires, et le matin, en sortant du lict, mettes-vous tous-jours a genoux pour saluer et faire la reverence a vostre Pere celeste, a Nostre Dame et a vostre bon Ange ; et quand ce ne seroit que pour trois minutes, il n'y faut jamais faillir. Ayés quelque image bien devote et la baysés souvent.

            Je suis consolé dequoy vous aves l'esprit plus gay que ci devant. Sans doute, Madame, tous les jours vos contentemens croistront, car la douceur de Nostre Seigneur se respandra de plus en plus en vostre ame. Jamais personne n'a gousté de la devotion, qui ne l'ayt bien treuvee souëfve. Je m'asseure que cette gayeté et consolation d'esprit s'estend et rend son odeur pretieuse sur toutes vos conversations et particulierement sur la domestique, laquelle, comme elle vous est la plus ordinaire et selon vostre principal devoir, aussi s'en doit elle ressentir plus que nulle autre. Si vous aymes la devotion, faites que tous luy portent honneur et reverence ; ce qu'ilz feront s'ilz en voyent des bons et aggreables effectz en vous.

            Mon Dieu, que vous aves de grans moyens de meriter en toute vostre mayson ! Indubitablement vous la pouves rendre un vray paradis de pieté, ayant monsieur vostre mari si propice a vos bons desirs. Hé, que vous seres heureuse si vous observes bien la moderation que je vous ay dite en vos exercices, les accommodant le plus que vous pourres a vos affaires domestiques et a la volonté de vostre mari, puisqu'elle n'est point desreglee ni farouche. Je n'ay guere veu de femmes mariees qui puissent estre devotes a meilleur marché que vous, Madame, qui partant estes fort obligee a vous y avancer.

            Je voudrois bien que vous fissies l'exercice de la sainte [39] meditation, car il me semble que vous en estes fort capable. Je vous en dis quelque chose pendant ce Caresme, je ne sçai si vous y aures mis la main ; mays je desirerois que vous n'y employassies pas sinon demi heure chasque jour et non plus, au moins de quelques annees ; je pense que cela serviroit bien fort a la victoire de vos ennemis.

            Je suis pressé d'escrire, et neanmoins je ne sçai finir, tant je suis consolé de vous parler sur ce papier. Et crovés, Madame, je vous supplie, que le desir que j'ay une fois receu de vous servir et honnorer en Nostre Seigneur, croist et s'augmente tous les jours en mon ame, marri que je suis d'en pouvoir si peu rendre d'effectz. Au moins ne manque-je point de vous offrir et representer a la misericorde de Dieu en mes foibles et languissantes prieres, et sur tout au saint Sacrifice de la Messe ; j'y adjouste tous-jours toute vostre mayson, que je cheris uniquement en vous, et vous en Dieu.

            J'ay appris que vous esties grosse ; j'en ay beni Dieu qui veut accroistre le nombre des siens par l'augmentation des vostres. Les arbres portent les fruitz pour les hommes, mais les femmes portent les enfans pour Dieu ; c'est pourquoy la fertilité est une de ses benedictions. Faites vostre prouffit de cette grossesse en deux façons : offrant vostre fruit a Dieu cent fois le jour, comme saint Augustin tesmoigne que sa mere, estant enceinte de luy, avoit accoustumé de faire ; puis, es ennuis et afflictions qui vous en arriveront et qui ont accoustumé de suyvre la grossesse, benissés Nostre Seigneur de ce que vous souffres pour luy faire un serviteur ou servante, qui, moyennant sa grace, le louera eternellement avec vous.

            Dieu en fin soit en tout et par tout glorifié en nos peines et consolations.

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCCCXXVII. A une personne inconnue (Fragment inédit). Deshonorée devant le monde ; en estime devant Dieu.

 

[Mai-juillet] 1617.

 

……………………………………………………………………………………………………..

sa femme et l'Abbé de la [Mente]. C'est une famille gastee et des ames perdues, et l'unique fille de cet homme-la, qui est une bonne fille, deshonnoree devant le monde, bien que devant Dieu, estant devote comme ell'est, elle ne laisse pas d'estre d'estime. Or cett'…

 

Revu sur l'Autographe conservé au 1er Monastère de la Visitation de Marseille.

 

MCCCXXVIII. A M. Michel Favre (Billet inédit). Demande de nouvelles de deux chers malades.

 

Thonon, 2 juillet 1617.

 

            Monsieur Michel, mon ami,

 

            Salues, je vous prie, mon frere de ma part, et faites moy sçavoir a tous propos de ses nouvelles, comm'aussi [41] de ma Mere. C'est tout ce que je vous puis dire cette matinee de la tressainte Visitation, vous donnant le bon jour et demeurant

Vostre plus humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

            A Monsieur Michel Favre,

            A la Visitation.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

_____

 

MCCCXXIX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (Minute). François de Sales sollicite l'indulgence de Charles-Emmanuel pour un homme plus malheureux que coupable. — Les deux ailes de la renommée des bons princes.

 

Thonon, 7 juillet 1617.

 

             Monseigneur,

 

            Je demande tres humblement pardon a Vostre Altesse, si, en un tems auquel elle est environnee de tant d'affaires de consequence, je prens la confiance en sa [42] douceur de luy presenter cette supplication, a laquelle je suis forcé par le devoir que ceux de ma condition ont de compatir aux miserables et soulager les desolés, lors mesme qu'ilz sont abandonnés de tout autre secours.

            Apres, donq, avoir bien sceu que l'estrange accident advenu au sieur [Président Crespin] estoit procedé de malheur, plustost que d'aucune malice ou deliberation ; voyant qu'en une si extreme tribulation il recouroit a moy pour obtenir, par ma tres humble intercession, l'acces aux pieds de Vostre Altesse, je ne l'ay peu ni voulu esconduire, de peur d'offencer Celuy qui jugera les vivans et les mortz selon l'assistence qu'ilz auront faite aux affligés, puysque mesme les deux personnes [43] qui ont esté les plus touchees en ce desastre semblent conspirer au desir de la consolation de celuy auquel il est arrivé : car la fille ne souhaite rien tant que d'avoir son pere, puisqu'elle a perdu sa mere ; et quant a monsieur [l'Abbé de la Mente,] soit qu'il ayt eu compassion de ce pere et de cette fille, soit qu'il ayt esté animé de ce divin Esprit qui nous fait vouloir du bien a ceux qui nous font du mal, il a des-ja protesté qu'il ne vouloit procurer aucune punition, ni faire partie.

            Reste l'œil du publiq qui, je m'asseure, regardera avec edification la grace d'un homme qui a tant de raysons et de justes excuses, ainsy que Vostre Altesse jugera bien, si elle commande que rapport luy soit fait de cette desadventure, selon qu'il en resultera des procedures de justice. Et partant, Monseigneur, la faveur que Vostre Altesse fera a cette calamiteuse famille sera egalement ornee de justice et de misericorde, qui sont les deux aisles sur lesquelles l'aggreable renommee des bons princes vole et au Ciel et en terre, parmi mille benedictions et de Dieu et des hommes.

            Playse donq a vostre debonnaireté, Monseigneur, de tendre sa main secourable a ce pauvre desolé, et d'excuser la liberté avec laquelle je luy propose ce bon œuvre, protestant que c'est avec toute la tres humble reverence que je doys a Vostre Altesse, a laquelle je souhaite le comble de toute sainte prosperité, demeurant a jamais,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Le 7 julliet 1617, a Thonon.

_____

 

 

MCCCXXX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée (Fragment inédit). Deux offensés qui souhaitent la grâce de l'offenseur. Plus d'infortune que d'iniquité.

 

Thonon, 7 juillet 1017.

 

……………………………………………………………………………………………………...

la fille ne craint rien tant que de se voir privee de son pere, a mesure qu'elle se treuve avoir perdu sa mere ; et quant a monsieur l'Abbé de la Menthe, soit quil ayt eu compassion du pere et de la fille, soit quil ayt esté animé de l'Esprit celeste qui nous fait souhaiter du bien a ceux mesme qui nous font du mal, il a protesté qu'il ne vouloit en façon quelcomque faire partie, ni procurer aucune punition.

            Reste le publiq lequel, je m'asseure, ne sera nullement scandalisé si, sur forces (sic) raysons justificatives d'un tel accusé, il plait a Son Altesse d'ouctroyer la grace, laquelle affin de pouvoir plus aysement obtenir, j'addresse a vostre charité, Monseigneur, cette tres humble requeste, fondee partie sur la justice, partie sur la misericorde ; d'autant que, comme on ne peut pas nier qu'il ny ayt en cet accident quelque sorte d'apparence de coulpe, puisqu'il y a des mortz et blessés, aussi faut il confesser qu'il y a beaucoup d'innocence en effect, et plus de grande infortune que de grande iniquité. [45]

            Playse donq a Vostre Altesse de gratifier de sa faveur ce calamiteux demeurant de famille, affin que, par le pardon fait a son chef, elle puisse aucunement subsister apres un si funeste esbranlement.

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Angéline Gavard, à Ville-en-Sallaz (Haute-Savoie).

_____

 

 

MCCCXXXI. A la Mère de Chantal. Une postulante attendue à Sainte-Catherine et qu'il faut recevoir à la Visitation. — Madame du Puits-d'Orbe en route pour Annecy. — Trempe d'esprit de l'Abbesse. — Le Saint offre son logis pour la voyageuse. — Malades corporelles et malades spirituelles.

 

Thonon, vers le 8 juillet 1617.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            M. le Premier et M. de la Valbonne m'escrivent d'un'affection si extraordinaire pour Mlle de Beauvilars, que j'ay creu ne pouvoir ni devoir l'esconduire, attendu que ce bon seigneur peut et veut tant favoriser nostre mayson dAnnessi en toutes les occurrences esquelles la Congregation en pourra avoir besoin. Vous verres, sil vous plait, la lettre que j'escris et celles que j'ay receues, [46] par lesquelles, je pense, vous connoistrés que nous ne pouvons pas gauchir.

Je voy bien qu'a Sainte Catherine, ou on gardoit la place, j'auray a m'excuser, puisque mesme la chere fille s'estoit desfaite de tout autre besoigne pour avoir le soin de cette fille ; mays j'auray plus tost accommodé cela que mon esprit, si en chose qui se peut j'avois despieu a monsieur le premier Præsident. Dieu, ce crois-je, convertira ceci en bien, et si la fille sçait lire et escrire, et qu'elle soit si bien conditionnee qu'on dit, l'incommodité ne sera pas si grande. Monsieur le Curé de Bons, qui connoit M. de Beauvilars, en dit beaucoup de bien.

            Mays voyla un'autre affaire. Mme du Puys d'Orbe vient, et je ne puis nullement quitter les affaires que j'ay icy sur les bras, qui sont publiques et pour ma charge. Et encor, si un jour suffisoit a voir cette fille, je m'efforcerois de courir jusque la et revenir ; mays, comme vous sçaves, cet esprit est malaysé a s'ouvrir, il y va des jours et des jours. Ma pauvre tres chere Mere, ma vie (je vous asseure que je pensois escrire ma mie, mais il ne va pas mal ainsy) ; je dis donq, ma tres chere Mere, escrives moy ce que je pourray et devray faire, a vostre advis.

            Mays, mon Dieu, cette pauvre fille que j'ayme tant, a grand tort, ce me semble, d'avoir veu M. de Sauzea [47] a Lyon ; car, quand il seroit un saint, puisque M. le Premier et M. le Baron d'Origni l'aborre (sic) si fort, ne failloit il pas s'abstenir de cette veüe ? Or bien, il ny a remede ; c'est pour cela que Dieu donne ces affections paternellement maternelles, affin qu'on se degouste point de servir ces enfans emmi leurs enfances.

            Au reste, serves vous absolument de nostre logis pour la recevoir et de tout ce qui y est, sil vous semble bon de la faire loger la. En somme, je ne sçai que vous dire ; vous sçaves mon cœur comme le vostre propre, faites ce que vous verres. O si la petite mayson de M. le fiscal estoit desembarassee, il y auroit commodité ; au moins, moins d'incommodité.

            Voyla aussi cett'autre fille de Bons qui peut estre viendra : voyla bien du tracas. Tout se convertira en [48] bien, et la peine de l'enfantement estant passee, on se res-jouira du bien qui demeurera. La multitude des occasions de bien faire tient quelquefois lieu de croix, mais cet (sic) pourtant la croix la plus douce. Les convulsions des enfantemens, les tranchees, les douleurs sont fascheuses ; les steriles, pourtant, les prefereroit (sic) a la tristesse de la sterilité.

            Nos malades m'ont fait une grande consolation de guerir, et ces malades spirituelles nous en feroyent encor un (sic) plus grande si elles guerissoyent. On ne peut pas aymer sans travail, mais le travail est aymable quand on ayme.

……………………………………………………………………………………………………...

            Ce qui me tient en peine pour le fait de la fille de la petite seur, c'est que je l'ay oüie en confession et la fille de chambre aussi, et bien que de ce coste la je ne sache chose au monde de ce qu'on dit, si est ce quil faut eviter qu'on le puisse penser. Dieu me conduira, car j'ay cela bien a cœur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [49]

_____

 

 

MCCCXXXII. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Bienvenue à l'Abbesse. — La société des âmes pleines d'amour divin allège les afflictions.

 

Thonon, 15 juillet 1617.

 

            Ma tres chere Seur,

 

            Je sçavois vostre venue de deça par un advis que monsieur le Premier, vostre beaufrere, m'avoit envoyé, et par un billet receu des que je suis icy de madame la Premiere, nostre bonne seur. Et bien que je sois attaché icy encor pour quelque jours, si n'avois-je pas laissé de donner ordre que vous fussies receu (sic) Annessi, comme vous seres, Dieu aydant, a vostre arrivee, laquelle je suis infiniment marri avoir esté retardee par cette …ntion. O Dieu, que… vous a causé de desplaysirs ! Venes, ma tres chere Seur, et venes bien disposee a suivre mes conseilz, qui partiront d'un esprit qui cherit vostre ame nompareillement. Que ce rencontre n'[ébranle] point vostre courage ; Dieu convertira tout cela en bien.

            La bonne madame de Chantal vous attend impatiemment ; vous seres, ce me semble, toute alegee du fardeau [50] de vos afflictions quand vous aures esté un jour avec elle et avec ses filles, qui sont, a la vérité, toutes pleines du divin amour et de douceur.

            J'escris a monsieur le lieutenant qui, je [m'assure,] suivra mon advis. Dieu vous benisse, ma tres chere Seur, ma Fille, et je suis en luy,

Vostre plus humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Thonon le 15 (?) julliet 1617.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. l'abbé Gustave Chevallier, Missionnaire apostolique, à Fixin (Côte-d'Or).

_____

 

 

MCCCXXXIII. Au Chanoine Jean-François de Sales, son frère. Un empressé départ.

 

Thonon, 19 juillet 1617.

 

            Mon cher Frere,

 

            Ces deux motz sont escritz sur le plus empressé depart [51] que je fis onques ; M. le Collateral vous le dira, et tout le reste. Vives joyeux avec Nostre Seigneur.

            A Thonon, le 19 julliet 1617.

 

            A Monsieur

            Monsieur de Boysi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

_____

 

 

MCCCXXXIV. A la Mère de Chantal. Annonce de retour.

 

Thonon, 19 juillet 1617.

 

            A nostre Mere.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Ces trois motz vous annonceront ma santé et l'esperance de vous revoir bien tost. J'escris sur le depart pour Evian, ou je vay le plus empressement que jamais j'allay en lieu du monde ; M. le Collateral vous le dira.

            Je suis, ma tres chere Mere, comme vous sçaves vous mesme, tout vostre.

            19 julliet 1617.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [52]

_____

 

 

MCCCXXXV. A Madame de Genève, Abbesse de Baume-Les-Dames (Inédite). Consécration d'une chapelle mortuaire. — Compliments affectueux et saints conseils.

 

Thonon, 24 juillet 1617.

 

            Madame ma tres chere Mere,

 

            Je pars, certes, accablé de mill'affaires, ayant aujourdhuy consacré la chapelle de monsieur vostre frere, qui sera bien belle, certes, et la tumbe aussi. Vous pouves penser si nous avons souvent parlé de vous, mays non pas toutefois si souvent comme j'y ay pensé.

            Ma tres chere Mere, vives tous-jours toute a Dieu, auquel vostre ame est de si long tems consacree. Sa Passion soit vostre refuge, sa Croix vostre appuy, sa mort vostre vie et sa vie vostre gloire æternelle. Je suis sans fin,

            Madame ma tres chere Mere,

Vostre tres humble filz et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            24 julliet 1617, a Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy. [53]

_____

 

MCCCXXXVI. A la Mère de Chantal. Des fermiers retardataires à payer. — Fine et aimable proposition du Saint à la Mère de Chantal.

 

Gex, 26 juillet 1617.

 

            A nostre Mere.

            J'envoye prendre des chevaux pour vous aller revoir, ma tres chere Mere. Ce billet donq n'est que pour vous saluer en attendant, et vous dire que les fermiers de Monseigneur vostre frere ne me veulent point donner d'argent, par ce, disent ilz, qu'ilz ne peuvent faire vostre somme que d'icy a 15 jours. Voyes si vous voules que, pour attendre cela, je retarde icy. Vous aymeres mieux que je vous voye lundi, si ce n'est dimanche.

            Dieu soit a jamais au milieu de nostre unique cœur.

            A Gex, le 26 julliet 1617.

            Et a ma tres chere petite seur, ma fille tout uniquement tres aymee, que j'ay grande envie de revoir.

 

Revu sur l'Autographe qui appartenait à M. Mercier, chanoine de la cathédrale d'Annecy. [54]

_____

 

 

MCCCXXXVII. A la même. Retour de l'Evêque à Annecy. — Pourquoi il veut le lendemain se lever de bonne heure.

 

Annecy, 30 juillet 1617.

 

            Me voyci donq arrivé, ma tres chere Mere, en tres bonne santé, graces a Dieu. Je dormiray bien cette nuit, sil luy plait, et vous obeiray fort soigneusement. Mais je ne pense pas que demain je puisse ne me lever pas matin, car il y a trop de playsir a jouir de cette douce partie du jour ; et puis, ne faut il pas aller dire vostre Messe, puisque le reste du jour sera pour l'Office de nostre grande feste ? Aussi ay-je un desir extreme de vous revoir, et ma tres chere petite seur, avec nos Filles.

            Dieu soit a jamais au milieu de nostre unique cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans. [55]

_____

 

 

MCCCXXXVIII. Au Président Jean-Georges Crespin (Fragment inédit). Raisons d'un retard à écrire.

 

Annecy, [commencement d'août] 1617.

 

            J'estois en Chablaix quand je receu la premiere lettre quil vous pleut de m'escrire, et j'attendois response de la supplication que j'avois faite a Son Altesse, pour pouvoir m'asseurer de celle que j'avois a vous faire…

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Casa Cottolengo. [56]

_____

MCCCXXXIX. Au Président René Favre de la Valbonne. Félicitations au destinataire. — Joie du Saint, et celle qu'il promet au nouveau président du Conseil de Genevois. — Le petit Antoine et son grand-père.

 

Annecy, 6 août 1617.

 

            Monsieur mon Neveu,

 

            Nul ne vous est icy ce que je vous suis, et nul, ni icy ni ailleurs, ne vous veut honnorer et cherir plus que je [57] souhaite de le faire. Pensés donq, s'il vous plait, quel est mon contentement sur vostre venue en cette ville, pour y posseder la qualité que si souvent je vous avois desiree et laquelle vous est arrivee avec tant d'honneur. Le bien est doublement heureux quand il nous arrive heureusement, et doublement honnorable quand il nous vient honnorablement. Venes donq, Monsieur mon cher Neveu, venes vers nous et vivés avec nous joyeusement et suavement, jusques a ce qu'apres longues annees vous suivies monsieur vostre pere au siege souverain, avec autant de consolation publique comme vous venes luy succeder en ce siege subalterne.

            Je salue tres humblement ma tres chere niece, et me res-jouis avec elle, si elle se res-jouit de venir ; et si elle ne se res-jouit pas, je m'en res-jouis neanmoins, augurant que tout son cœur, que vous aves et qu'elle a, s'en res-jouira quand elle y verra chacun en feste autour de vous et d'elle, pour le contentement general de vostre venue et de la sienne.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre esprit pour faire justice et jugement, et pour vous combler de douceur et consolation celeste. Je suis sans fin,

            Monsieur mon Neveu,

Vostre tres humble oncle et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [58]

 

            Je suis seulement en peine de la separation de monsieur vostre pere et de son petit Anthoyne François, si vous l'apportes, ou de celle de ma niece et de luy si vous ne l'apportes pas ; mays vous l'apporteres, je m'asseure, car, comme separeroit-on ma niece de ses entrailles ? et moy j'auray charge de le caresser souvent de la part de ce grand grand pere.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

_____

 

 

MCCCXL. A une dame. Ne jamais s'attrister, car Dieu nous aime et nous sommes siens.

 

Annecy, 7 août 1617.

 

            Quel bonheur, Madame, d'estre toute a Dieu ! car il ayme les siens, il les protege, il les conduit, il les met au port de la desirable eternité. Demeurés donq ainsy, et ne permettes jamais a vostre ame qu'elle s'attriste ni vive en amertume d'esprit, ou en scrupule, puisque Celuy qui l'a aymee et qui est mort pour la faire vivre, est si bon, si doux, si amiable.

            Il a voulu, ce grand Dieu, que vous fussies sienne, et vous l'a fait vouloir, et vous l'aves voulu, et il vous a fait prendre tous les vrays moyens pour le devenir. Vous [59] l'estes donq sans doute, ma tres chere Fille, dont je me res-jouis infiniment et en benis sa misericorde, comme estant en elle sans fin,

            Madame,

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Annessi, le 7 aoust 1617.

_____

 

MCCCXLI. Au Père Pierre de Bérulle. L'Evêque de Genève propose au fondateur de l'Oratoire un établissement dans son diocèse.

 

Annecy, 11 août 1617.

 

            Monsieur,

 

            J'ay bien sujet de vous remercier tres humblement pour l'offre qu'il vous a pleu de me faire par l'entremise de monsieur de Forax ; mays j'attens de vous rendre ce devoir jusques a ce que je sache si j'auray occasion de me prævaloir de la grace quil vous plait me faire.

            Cependant vous sçaves, comme je pense, quelle estime j'ay tous-jours faite de vostre Congregation, et pour cela, des qu'il a pleu a Dieu par sa bonté de la faire esclorre, j'ay tous-jours desiré d'en avoir une Mayson en ce diocaese ; ce que je n'ay sceu faire jusques a present, qu'a mon advis je puis reuscir de ce dessein. C'est en une ville ou nous aurions un prieuré de huit cens escus d'or de revenu fort liquide, l'eglise toute faite et presque ameublee, et le lieu beau, amene, pres de Geneve et Losanne, et auquel on vit presque pour neant, c'est a dire a fort bon marché. Reste qu'il vous playse de me faire [60] sçavoir si vous voudries accepter le parti, et si nous pourrions y avoir d'abord huit prestres, puisque la fondation requiert cela, et si il se pourroit pas faire que l'un des huit exerçast la charge des ames, aydé par les autres ; car cela estant, je n'auray plus a faire que d'obtenir le consentement de Son Altesse qui, je m'asseure, l'accordera volontier.

            J'attendray donq de vos nouvelles pour ce regard, et vous conjurant de me recommander souvent a la misericorde de Dieu, je demeureray a jamais, de toute vostre Congregation en general, et de vous en particulier,

            Monsieur,

Tres humble confrere et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XI aoust 1617, Annessi.

 

            A Monsieur

Monsieur de Berule,

            en la Congon de l'Oratoire.

            A Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Reims. [61]

 

MCCCXLII. A la Mère de Chantal (Inédite). Que faire contre les bruyantes réclamations de deux femmes.

 

Annecy, vers mi-août 1617.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Voyci madame la fiscale qui crie tant qu'elle peut misericorde, et la vefve crie aussi de son costé. Il [62] m’est advis que vous n'aves rien a faire en ceci, sinon de prendre ce que selon justice et rayson messieurs les deputés vous bailleront, en le bien payant. Et quant au reste, la vefve ne sçauroit garder ce qu'elle prætend ; car, quand pour avoir ce qui vous est necessaire de sa mayson on la luy aura payee, il se treuvera asses de gens qui feront tenir sequestré l'argent. Mais je ne puis bonnement m'expliquer par escrit ; ce sera demain matin, Dieu aydant. Cependant il faut renvoyer le tout a ce que messieurs les deputés feront ; ce que je vous dis par ce que je crain (sic) que ladite madame la fiscale n'aille encor vous parler et crier alarme.

            Et bon soir de tout mon cœur, ma tres chere Mere de tout mon cœur.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le chanoine Robert, doyen du Chapitre de Belley.

_____

 

MCCCXLIII. A Madame de la Fléchère. Une dame « un peu brune » sur le Saint. — Pourquoi son protégé n'a pas été pourvu au concours.

 

Annecy, 28 août 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je le croy que cette bonne dame sera un peu brune sur moy, par ce que ell' affectionne fort les serviteurs de sa mayson, et l'un d'iceux s'estant presenté au concours dernierement sous sa recommandation, ne fut pas [63] prouveu, quoy qu'il soit certes fort capable. Mays a la premiere commodité, je luy feray sçavoir qu'il m'est impossible de le gratifier tandis quil ne sera pas prestre ni lié aux Ordres sacrés ; car, quelle apparence de donner les charges ecclesiastiques de telle consequence a un qui n'est encor point ecclesiastique, au præjudice de plusieurs honnestes ecclesiastiques qui ont des-ja fait longuement l'exercice et qui ont bien servi l'Eglise ? Je laisse a part qu'il n'est pas du diocæse, car en cela je me puis dispenser. Voyla, ma tres chere Fille, tout le sujet qu'elle peut avoir. C'est grand cas comme l'esprit humain est ami de sa volonté, et comme chacun suit l'amour propre sans regarder ce qui est plus au service de Dieu ! Sur cela je luy escris l'advis requis pour l'affaire de monsieur le Prieur ; je ne sçai si cela accommodera son cœur, mais il me tardoit que je le fisse.

            Au reste, Mlle de Chantal ne peut ne vous honnorer et cherir cordialement, puisqu'ell'est la fille de sa mere, et la mienne certes, car je l'ayme bien. Et je suis parfaitement vostre, mais je dis tres absolument, et Jesus soit a jamais nostre vie. Amen.

            XXVIII aoust 1617, Annessi.

 

            A Madame

[Madame] de la Flechere.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy. [64]

_____

 

MCCCXLIV. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Paris et Grenoble en attente de l'Evêque de Genève pour le Carême. — Mince bagage de science qu'emporte d'Annecy le jeune des Hayes. — Uu engagé militaire en congé. — Souvenir douloureux de la mort de Bernard de Sales. — Capitulation devant une « batterie de pleurs ». — La tyrannie du péché.

 

Annecy, 30 août 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Je vous rens graces tres humbles de lhonneur que vous me faites, qui m'est certes infiniment prætieux ; et pleut a Dieu que je peusse correspondre par autant de services comme j'ay de desirs !

            Je suis encor incertain si j'iray a Paris ou si je retourneray a Grenoble, Son Altesse, laquelle m'a commandé l'un et l'autre, ne m'ayant encor voulu determiner auquel des deux je m'attacheray.

            Monsieur Garin vous dira toutes nos nouvelles et que nous renvoyons le jeune M. des Hayes doux, amiable, courtois, a M. son pere, mais non pas fort sçavant, ains seulement instruit d'un peu de latin et de quelques parties des mathematiques. Je m'asseure que monsieur son pere s'en contentera, puisque il ne s'est rien peu faire davantage, quoy que nos Peres Barnabites, ayent cooperé de tout leur pouvoir. [65]

            Vous m'aves renvoyé M. de Barraux, affin quil eut quelque sorte de refuge vers moy en ce qui regarde son bonheur, c'est a dire vostre grace. Pour cela, suis je obligé de vous asseurer que tous les jours il va de bien en mieux, s'estant rangé a la compaignie de M. le Marquis d'Aix, duquel il eut congé, apres la miserable prise de Verceil, devenir icy, pour toutefois retourner dans peu de jours en Piemont, ou je ne vous diray point quelle perte vous et moy avons faite : vous, d'un serviteur fort asseuré, moy, d'un frere tres aymable et qui entroit fort honnorablement en la connoissance et bienveuillance de son Prince. Obmutui, Domine, et non aperui os meum, quoniam tu fecisti. La playe est des-ja a moytié soudee, apres trois moys.

            La femme du sieur Gautier m'a forcé par ses larmes de vous supplier, Monseigneur, de recommander sa misere a son mari, ou plus tost la misere de ses filles, car quant a la sienne, elle ne nie pas de l'avoir meritee. Il ny a moyen de resister a cette batterie de pleurs, et cela m'excusera dequoy je prens cette confiance.

            M. de Bellerive avoit renvoyé en Piemont sa Marguerite, sur mes exhortations ; mais comme ce sont des [66] diablesses familieres dont on ne se peut defaire apres qu'on leur a fait hommage, on m'a dit qu'ell' est retournee d'elle mesme, comme philtree et transportee de la passion de l'amour de cet homme ; mais quant a la vouloir espouser, il proteste de ny avoir jamais pensé. Je le vis l'autre jour passant a Gex, et croyois, quelques jours apres, de les assembler, ouïr et accommoder, mays je ne fus pas si heureux de la voir ni le revoir ; encor veux je pourtant m'en essayer. La tyrannie du peché est cruelle ; elle oste le jugement, oüy mesme a ceux qui n'en ont point.

            Je prie Dieu quil vous conserve et comble de toute sainte prosperité, demeurant a jamais, Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant

frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            30 aoust 1617, Annessy.

 

            A Monseigneur

Monseigneur l'Evesque de Monpelier,

Conseiller d'Estat de Sa Majesté.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montpellier. [67]

_____

 

MCCCXLV. Au Président Antoine Favre (Inédite). Une distraction de François de Sales. — Démarches de Mme de Thorens pour recouvrer les armes de son mari. — Inquiétudes au suiet de la santé de la présidente de la Valbonne.

 

Annecy, 30 août 1617.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Hier, parmi un tracas importun, escrivant a monsieur de Charmoysi mon cousin, et ayant volonté de vous escrire, je fermay sa lettre comme si c'eust esté a vous, sur le sujet de la maladie de madame la Presidente de Genevois ma niece. Je croy que vous m'excuseres aysement, et mon cousin aussi, qui connoisses asses mon esprit sujet aux evagations.

            Maintenant, c'est au nom de ma seur de Thorens que je vous escris, et vous presentant son tres humble baysemain, je vous supplie de la favoriser en ce qui se pourra bonnement faire pour le recouvrement de certaines armes de feu mon frere son mari, dont ce porteur vous declarera les particularités ; vous remerciant tres humblement encor de la part de cette seur du soin quil vous plaist d'avoir es occurrences des affaires de feu mon frere, que nous allons demeslant le mieux que nous pouvons, pour payer cinq ou six cens escus de debtes quil a laissés, en attendant de voir ce que la providence de Dieu fera naistre de sa vefve enceinte.

            Au reste, je vous supplie tres humblement de commander que nous soyons advertis de l'estat de la maladie de nostre Presidente, car en verité nous en sommes en [68] peine jusques a l'inquietude inclusivement, et les Dames de la Visitation n'oublient pas a prier Dieu, comme aussi que sa bonté vous veuille conserver. Je suis, Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble et obeissant frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Annessi, 30 aoust 1617.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

_____

 

MCCCXLVI. A Madame de Blanieu. Comment ne pas dévier du chemin des ordonnances divines.

 

Annecy, 30 août 1617.

 

            Que faites-vous, ma tres chere Fille ? car voyla le mot que vous voules. Mon cœur pense souvent au vostre et, si vous entendies son langage, il vous demande si vous estes tous-jours au pied de la Croix, ou je vous laissay, c'est a dire tous-jours attachee a la tressainte volonté de Dieu, pour ne fourvoyer ni a droitte ni a gauche (ni aux contentemens ni aux afflictions, ni entre les amis ni entre les ennemis) du chemin de ses ordonnances. Je le croy, certes, ma tres chere Fille, et je vous en conjure. Ces jours s'escoulent, l'eternité s'approche : passons si droit qu'elle nous soit heureuse.

            Ce sont les souhaitz que je fay sur vous, ma tres chere Fille, a qui je suis fort affectionnement

Vostre tres humble serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 30 aoust 1617, Annessi.

_____

 

 

MCCCXLVII. A la Mère de Chantal. Attente et désir du saint Evêque.

 

Annecy, 5 septembre 1617.

 

            Helas, ma tres chere Mere, si j'osois j'irois ; quand il sera a propos, faites le moy sçavoir. Certes, mon ame est en peine. Dieu, par sa bonté, nous veuille donner l'ame de cet enfant et la vie de la mere, que j'ay dedans mon cœur comme ma pauvre tres chere petite fille.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives Barolo.

_____

 

MCCCXLVIII. A la même (Fragment inédit). Visite différée.

 

Annecy, 5 septembre 1617.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            J'ay esté sur le point de vous aller [voir] et dire la [70] Messe en vostre eglise ; mais ce qu'on m'a dit [du] mauvais chemin m'a arresté, outre que j'ay quelque [opinion] que je ny doive pas aller encor maintenant. Pour…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Fribourg.

_____

 

 

MCCCXLIX. A M. Laurent Scotto (Inédite). Un bénéfice prêt à vaquer.

 

Annecy, 7 septembre 1617.

 

            Illustre et molto Reverendo Signor,

 

            In fretta, con queste quattro righe, dico a V. S. che il signor Nicolò Clerico non ha mai voluto resignar la capella, nè alcun altro beneficio, quantumque egli sia un pezzo fa ammalato. Per questo, V. S. farà bene di prevalersi del tempo et procurar di haver la nominatione de quelli che han il juspatronatus, perchè li medici [71] certificano che ben presto detto signor Nicolò morirà. D'il che, non havendo potuto far meglio, ho pensato di dover dar aviso a V. S., alla quale io son con tutto il cuore,

Affettionatissimo servitore et fratello,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 7 di Settembre 1617.

 

All' Illustre et molto Rdo Sigr,

Il Sigr Lorenzo Scotto,

             Capellano di S. A.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Milan, Archives du prince Trivulzio.

 

 

 

            Illustre et très Révérend Seigneur,

 

            Par ces quatre lignes, je dis en hâte à Votre Seigneurie que M. Nicolas Clerc n'a jamais voulu résigner la chapelle ni aucun autre bénéfice, quoiqu'il soit malade depuis longtemps. C'est pourquoi vous ferez très bien de profiter du temps et de tâcher d'en obtenir la nomination par ceux qui ont le droit de patronage, car les [71] médecins assurent que M. Nicolas mourra bientôt. Aussi, n'ayant pu mieux faire, j'ai pensé devoir en avertir Votre Seigneurie, à qui je suis de tout cœur,

Très affectionné serviteur et frère,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, 7 septembre 1617.

 

A l'Illustre et très Révérend Seigneur,

M. Laurent Scotto, Chapelain de Son Altesse.

_____

 

 

MCCCL. A Madame de Montfort. Nouveau deuil et nouvelle douleur. — Saintes dispositions de la baronne de Thorens à son lit de mort.

 

Annecy, 10 septembre 1617.

 

            Madame ma tres chere Cousine,

 

            Nous n'avions encor achevé nos plaintes pour la perte que nous avions faite en Piemont, que voyci la seconde arrivee, laquelle, je vous asseure, nous est infiniment [72] sensible, cette chere ame ayant tellement vescu parmi nous, qu'elle nous avoit rendus tous parfaitement siens, mais moy plus particulierement, qu'elle regardoit avec un amour et honneur filial ; et puis, le contrecoup receu par l'affliction de sa digne mere donne surcroist a nostre desplaysir.

            Mais pourtant, a l'imitation de cette defunte, nous embrassons, aymons et adorons la volonté de Dieu, avec toute sousmission de tout nostre cœur, car c'estoyent presque ses dernieres paroles ; vous asseurant que jamais je n'ay veu un trespas si saint que celuy de cette fille, quoy qu'elle n'eust que cinq heures pour le faire.

            Je vous remercie cependant humblement, et M. de Montfort, mon cousin, de l'honneur de vostre souvenance, et suis a jamais,

            Madame ma Cousine,

Vostre tres humble cousin et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Le 10 septembre 1617. [73]

_____

 

MCCCLI. A un gentilhomme (Fragment). Sainte mort de la baronne de Thorens.

 

Annecy, vers le 12 septembre 1617.

 

            ………………………………………………………………………………………………

            Il a pleu encor, ces jours passés, a Dieu de me visiter en nostre mayson, retirant a soy nostre nouvelle vefve, ma seur de Thorens, femme des plus sages, vertueuses et aymables qu'on eust sceu desirer. Il m'estoit advis que mon frere ne fust pas du tout mort tandis que cette femme vivoit. Elle s'estoit vouee a la Visitation des l'instant de sa viduité et avoit des-ja fait ce projet au despart de son mari ; et Dieu luy a fait la grace qu'elle est morte en cette mayson, d'une mort marquee de sainteté extraordinaire ; elle demanda l'habit et fit les vœux avant que de mourir.

            Monsieur, il me fait grand bien de vous dire mes douleurs, puisque vous me faites l'honneur de me vouloir du bien…

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de Marie-Aimée de Rabutin-Chantal, baronne de Thorens, conservée à la Visitation d'Annecy. [74]

_____

 

MCCCLII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins (Fragment). Suprême transformation d'une âme. — « Un amour infiniment plus que fraternel. »

 

Annecy, vers le 12 septembre 1617.

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Au reste, que dires vous de nos afflictions domestiques ? Ce n'est pas l'aymable belleseur de Thorens que vous avies veuë, c'est une seur toute autre que nous avons veu trespasser ces derniers jours ; car, des un an en ça, elle estoit tellement perfectionnee qu'elle n'estoit plus connoissable, mais sur tout despuis sa viduité, qu'elle s'estoit voüee a la Visitation. Aussi, mon Dieu, quelle fin a elle faite ! certes, la plus sainte, la plus suave et la plus aymable qu'il est possible de s'imaginer. Non, je la cherissois d'un amour infiniment plus que fraternel ; mais, ainsy qu'il a pleu au Seigneur, ainsy doit il estre fait : son saint nom soit beni ! Amen. [75]

……………………………………………………………………………………………………...

_____

 

 

MCCCLIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Une baronne qui promettait de devenir une autre Mère de Chantal. — Sa mort douloureuse et sainte.

 

Annecy, 12 septembre 1617.

 

            Vous vous imagineres bien de quelle sorte nous avons esté touchés ces jours passés, ma tres chere Fille. Ce n'est pas la madame de Thorens que vous aves veuë, quoy que celle-la fust fort aymable : c'est une madame de Thorens toute dediee a Dieu, toute relevee au desir de ne vivre qu'a Dieu, toute pleine de clarté es choses spirituelles et de la connoissance de Dieu et de soy mesme, et telle que l'on pouvoit esperer que dans peu de tems elle seroit une autre nostre Mere.

            Je ne vous diray rien de sa fin tressainte ; on vous l'escrira de chez nos Seurs. Entre ceux qui la virent en cette derniere maladie, il y en eut qui, le jour suivant, me vindrent demander congé de l'invoquer, et d'autres qui vindrent renouveller leurs bons propos, esmeus du spectacle de cette mort toute pleine de douleurs extremes, et douleurs toutes parsemees de : « VIVE JESUS ! Seigneur Jesus, tirés moy a vous. O Passion et Mort de mon Jesus, je vous embrasse, je vous ayme, je vous adore, vous estes mon esperance. VIVE JESUS et MARIE, que j'ayme plus que ma vie ! » et semblables, prononcés si suavement que merveilles.

            Or sus, ma tres chere Fille, il m'a fait grand bien de [76] vous dire ces quatre motz qui sont un eschantillon de la pieté de cette mort. Cette chere ame est trespassee Seur et Fille de la Visitation tout ensemble.

            Je suis infiniment vostre.

FRANCS, E. de Geneve.

            Le 12 septembre ….

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de Marie-Airnée Je Rabutin-Chantal, baronne de Thorens. conservée à la Visitation d'Annecy.

_____

 

 

MCCCLIV. Au Cardinal Robert Bellarmin. Un heureux transfuge de l'hérésie. — Pour lui, le Saint réclame le paiement d'une pension promise. — Souhait ardent d'avoir, de la main du savant Cardinal, l'explication de quelque Epître de saint Paul. — Les princes en guerre et le Pacificateur à venir.

 

Annecy, 12 septembre 1017.

 

            Illustrissime et Reverendissime Domine mihi semper in Christo colendissime,

 

            Dominus Ludovicus Desplans, in media civitate Gebennensis natus et in medio populi corda et labia polluta habentis educatus, ante multos annos conversus ad Christum, Pastorem et Episcopum animarum nostrarum, ejusdem Sponsæ suavissimæ Ecclesiæ nimirum catholicæ nomen dedit, vel potius reddidit, [77] illiusque communioni restitutus est, idque Romæ, Beatissimo P. Papa Clemente octavo ita jubente ; postea vero a Sanctissimo D. Papa Paulo, quem Deus conservet, canonicatum hujus nostræ Ecclesiæ Gebennensis accepit, una cum pensione quadam, quæ tantisper ejus paupertati utcumque sustentandæ sufficeret. Nam quod ad canonicatum attinet, nemo sane, quantumvis parcus, ex ejus fructibus vivere posset, quippe qui ad summum 40 scutorum vix unquam ascendunt, et quam sæpissime, ne quidem ad summam 25 aureorum. Nunc vero, cum pensione illa frui minime possit, vix est, ac ne vix quidem, ut possit diutius vivere, quandoquidem neque paternis bonis, neque aliis ecclesiasticis gaudet. Quare iterum recurrit ad fontem Apostolicum, ut vel ei pensio illa stabilis et firma, ac fructuosa reddatur, vel alia pensio aliudve beneficium illi conferatur ; cumque expetiverit, ut eum Illustrissimæ Dominationis Vestræ commendarem, id quam libentissime facio, et humillime.

            Et hanc occasionem nactus, eidem plurimum gratulor de ultimis duobus libris piissimis quibus fidelium mentes [78] et recreavit et ad meliorem frugem excitavit. Sed adhuc unum Mot loquar ad domimim meum. Quam vellem, Deus bone ! quam vellent etiam plerique viri cordati, ut si non omnes, saltem unam aut alteram etiam ex brevissimis Epistolis Sancti Pauli, tribus illis sensibus quos Dominatio Vestra Illustrissima notat, historico, dogmatico, mystico, explicatam haberemus ; specimen videlicet et exemplar cæterarum similiter explicandarum. Sufficeret si vel illam brevem ad Titum, imo ad Philemonem, vel si unum aut alterum caput aliarum, ita expositas haberemus. Nam omnes petere aut [79] expectare ab illustrissima manu Dominationis Vestræ sequum sane ac justum non est, quandoquidem illam in extrema hac senectute, post tam multos pro re Christiana inde jam ab ineunte propemodum ætate exantlatos labores, tanto operi perficiendo, non animi (Deo gratias), sed corporis viribus imparem esse satis suspicari licet. Sane, methodum hanc aperire et tyronibus etiam vix sequentibus præire in hoc campo, operæ pretium foret.

            Interim autem, dum id summopere expeto, a Deo optimo maximo supplex peto ut Dominationem Vestram Illustrissimam quam diutissime et felicissime servet incolumem.

            Dominationis Vestræ Illustrissimæ et Reverendissimæ,

Addictissimus, obsequentissimus et humillimus servus,

FRANCISCUS,. Episcopus Gebennensis.

            Annecii Gebennensium, 12 Septembris 1617.

 

            Heu, Illustrissime Domine, quot et qualia impendent capitibus nostris mala, nisi fiat pax in virtute Domini [80] Dei exercituum ! Utinam esset Principibus catholicis cor unum ! sed divisum est cor eorum, nunc interibunt. Ubi est pacem faciens ? Etiam, veni, Domine Jesu !

 

Revu sur une copie conservée à Rome, Archives du Postulateur général des Causes des VVbles et BBx S. J., dossier Bellarmin, carton 4º.

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur, objet de ma constante vénération dans le Christ,

 

            M. Louis Desplans, né en pleine cité de Genève, a été élevé au milieu d'un peuple au cœur et aux lèvres souillés. Mais il y a de longues années déjà que, converti au Christ, Evêque et Pasteur de nos âmes, il est venu, ou plutôt revenu, à sa très douce Epouse, l'Eglise catholique, dans la communion de laquelle il a été rétabli à [77] Rome même, et par l'ordre du bienheureux Pontife Clément VIII. Plus tard, il reçut de notre Très Saint-Père le Pape Paul V — que Dieu conserve ! — un canonicat de notre Eglise de Genève, ainsi qu'une pension qui devait tant bien que mal subvenir à sa pauvreté ; car, en ce qui concerne le canonicat, personne assurément, si économe soit-il, ne peut vivre de ses revenus : à peine s'élèvent-ils a quarante écus, et encore, le plus souvent, ils n'atteignent pas même vingt-cinq pièces d'or. Mais voici que son titulaire ne peut en aucune façon toucher la pension. Dans ces conditions, il lui est désormais difficile, ou plutôt impossible de vivre, étant par ailleurs privé de patrimoine et de tout autre bénéfice ecclésiastique. C'est pourquoi il a de nouveau recours à la source Apostolique pour obtenir que cette pension lui soit confirmée et les revenus assurés, ou bien qu'on lui octroie quelque autre pension ou bénéfice. A sa prière, je le recommande très volontiers et en toute humilité à Votre Seigneurie Illustrissime.

            Je saisis cette occasion pour vous féliciter vivement de vos deux derniers livres, pleins de piété, par lesquels vous avez ranimé le cœur [78] des fidèles et les avez excités à poursuivre une perfection plus haute. Mais je dirai encore un mot à mon seigneur. Combien je voudrais, ô Dieu de bonté ! combien souhaiteraient aussi la plupart des gens de bien, que nous eussions, sinon toutes, au moins l'une ou l'autre des Epîtres de saint Paul, fût-ce des plus courtes, expliquée au triple sens historique, dogmatique et mystique, que signale Votre Illustrissime Seigneurie. Ce serait un spécimen et un type pour un commentaire analogue des autres Epîtres. Il suffirait d'avoir, exposée d'après cette méthode, l'Epître si brève à Tite, ou même celle à Philémon, ou encore tel ou tel chapitre de quelque autre. Demander l'explication de toutes, l'attendre de la main illustre de Votre [79] Seigneurie, serait indiscret et excessif. N'est-il pas permis de craindre, à un âge si avancé, après tant de labeurs supportés dès la jeunesse pour les intérêts de la chrétienté, qu'une pareille œuvre ne soit au-dessus, non de la vigueur de votre esprit, grâce à Dieu, mais de vos forces corporelles ? Frayer cette voie nouvelle dans le champ des Ecritures, à la tête de jeunes recrues à peine en état de vous suivre, serait assurément une œuvre très utile.

            En attendant, tout en formulant ce vœu de tout cœur, je supplie le Dieu très bon et très grand de garder une vie florissante le plus longtemps possible à Votre Seigneurie Illustrissime et Révérendissime. dont je suis

Le très dévoué, très obéissant et très humble serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, 12 septembre 1617.

 

            Hélas ! Illustre Seigneur, combien de maux, et quels maux sont suspendus sur nos têtes, si la paix ne se conclut par la vertu du Seigneur, Dieu des armées ! Plût au Ciel que les princes catholiques [80] n'eussent qu'un seul cœur ! Mais leur cœur est divisé, donc ils périront ! Où est-il le Pacificateur ? Oui, venez, Seigneur Jésus !

_____

 

 

MCCCLV. Aux Religieux du Monastère de Sixt (Inédite). Encouragement à la réforme.

 

Annecy, 12 séptembre 1617.

 

            Mes Reverens Freres,

 

            Ayant sceu par monsieur le Prieur, monsieur Jean Moccand, la bonne disposition en laquelle vous [vous] treuves pour remettre vostre Monastere et Congregation au train de l'ancienne pieté de vostre Ordre, j'en ay loué Dieu de tout mon cœur et m'en suis grandement res-jouy, [81] comme de chose qui importe extremement au service de Dieu, et a vostre salut et consolation, et a l'edification des fideles.

            C'est pourquoy je vous exhorte de toutes mes forces de prendre au plus tost entre vous la resolution de commencer ; pour a quoy vous servir et assister, je vous envoyeray homme bien instruit et de bonne qualité, quand vous me feres sçavoir qu'il en sera tems, et moy mesme, s'il est requis, je m'y achemineray tres volontier, et m'estimeray bien heureux si je puis estre utile a faire reuscir un dessein si honnorable et pieux. Prenes courage, Dieu sera parmi vous, qui fera l'œuvre, si vous l'en supplies ; il ne vous a pas donné cette bonne disposition, qu'il ne veuille vous acheminer a la perfection de l'œuvre.

            J'attendray cependant de vos nouvelles, et vous desirant toute sainte consolation, je demeureray, mes Reverens Freres,

Vostre plus humble et tres affectionné

frere en Nostre Seigneur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Annessi, le XII septembre 1617.

 

            A Messieurs

Messieurs les Reverens Chanoynes reguliers

de St Augustin et Chapitre du Monastere de Sixt.

 

Revu sur le texte inséré dans le Ier Procès de Canonisation. [82]

_____

 

MCCCLVI. A un gentilhomme. Quelques points qui doivent servir à justifier les Religieuses de la Visitation. — Les Sœurs ne manquent ni aux lois civiles, ni aux lois ecclésiastiques dans la construction du monastère.

 

Annecy, vers 10-15 septembre 1617.

 

            Monsieur,

 

            Je prens la confiance en vostre charité de vous prier que les pointz suivans soyent bien remonstrés, en sorte que, s'il est possible, l'audiencier les escrive.

            1. Que les Dames de la Visitation ayant acheté au veu et sceu de toute la ville la mayson en laquelle elles sont [83] a present, pour y servir Dieu, et s'y estant logees sans opposition ni contradiction de personne, ni mesme des Peres de Saint Dominique, ains au contraire le Reverend Pere de Bollo, Superieur de l'Ordre, ayant favorisé leur Congregation et leur sejour en ce lieu la de plusieurs saintes exhortations faites par luy en leur oratoire, elles n'avoyent nul sujet de penser que lesditz Peres eussent pris en si mauvaise part leur demeure en ce quartier.

            2. Que despuis, ayant pleu a Dieu de donner accroissement a leur Congregation, elles se sont treuvees en necessité d'eslargir leur habitation et s'accommoder des maysons voysines, par traittés legitimes faitz avec les possesseurs d'icelles et, par mesme moyen, elles se sont treuvees en necessité de bastir et former leur mayson en monastere pour pouvoir observer la clausure et la

bienseance de l'habitation …… Et partant, ayant besoin d'avancer leur bastiment sur le canal, il a pleu a la pieté de Sa Grandeur, a laquelle il appartient, de la leur accorder, ainsy qu'il appert par ses patentes ; et ce, les gens de Sa Grandeur, Messieurs de cette ville, et le Reverend Pere nostre Maistre le Prieur ouÿs en toutes les remonstrances qu'il leur pleut de faire. [84]

            3. Qu'elles sont extremement marries de ne pouvoir eslever leur bastiment sans donner quelque ombre au jardin desditz Peres : que si en cela elles donnent quelque nuisance, c'est a leur regret et sans leur coulpe, puisque la necessite de leur edifice les contraint ; en sorte que si elles font quelque incommodité, si ne leur font elles point de tort, estant des incommodités que les voysins, par disposition de droit et la coustume generale des gens, doivent souffrir des voysins.

            4. Que neanmoins, bien qu'en cela elles ne fassent rien que selon leur droit et avec legitime authorité de Sa Grandeur et de l'Ordinaire du lieu, elles ont tousjours desiré pouvoir en quelque façon accommoder leur necessité urgente de bastir en ce lieu la avec l'utilité desditz Reverens Peres : ayant a ces fins supplié M. Rousselet et M. le President des Comptes, et quelques autres personnes d'honneur, de vouloir moyenner quelque accommodement qui peust contenter lesditz Peres ; s'offrant, icelles Dames, de faire tout ce qu'il plairoit auxditz seigneurs Rousselet et President, ou mesme a telz autres qu'on choisiroit, de marquer et ordonner. A quoy elles perseverent, et prient lesditz Reverens Peres d'en venir a expedient amiable par les voyes qui seront advisees plus propres ; et ce, en consideration de la charité religieuse qui doit regner entre des personnes qui, par commune vocation, ont quitté le monde pour servir Dieu, lesquelles se pouvant entr'ayder, le doivent faire, et non pas s'empescher l'une l'autre.

            5. Qu'en ce qui regarde la bienseance et la juste distance qui doit estre entre les monasteres des femmes et ceux des hommes, elles s'en sont rapportees au jugement du Reverendissime Evesque de ce lieu, lequel est chargé par les Canons et par le Concile de Trente de prouvoir a tout ce qui regarde la clausure et asseurance des [85] monasteres des filles. De sorte qu'iceluy, toutes choses considerees, les ayant authorisees en ce bastiment, elles sont hors de tout reproche et en droit de bastir en ce lieu la ; lequel, au reste, n'est ni proche ni en veuë du monastere desditz Reverens Peres, ains seulement d'un jardin qui leur appartient, escarté de leur monastere et hors l'enclos d'iceluy, lequel, avant que la Congregation de la Visitation fust, estoit exposé a la veuë des femmes et filles, et au bruit [de celles qui] faisoyent la lessive, [là où] maintenant il semble [que] la condition desditz Reverens [Pères est améliorée,] puisque lesdites Dames……. [et] que les Seurs ne regarderont ni ne seront aucunement [regardées.] Mais sur tout [elles auraient prié lesdits] Reverens Peres, avant que de passer aux ameres et peu edificatives poursuites de proces, de convenir de gens d'honneur et de qualité qui fissent essay d'accommoder la necessité qu'elles ont de bastir au lieu que Sa Grandeur leur a accordé, avec l'utilité du monastere de Saint Dominique auquel elles desirent porter respect et honneur. [86]

            Monsieur, je laisse a part les procedures faites, les cautions prestees et ce qui resuite des pieces ; mais ayant veu les Canons, les Conciles et les elucidations du Concile de Trente, il me semble qu'elles doivent rejetter sur moy l'article de la bienseance, comme chose dont je suis chargé. Et qu'il faut encor bien noter la difference qu'il y a entre le monastere et le jardin du monastere, sur tout en cette occurrence en laquelle le jardin est hors de l'enclos du monastere et de sa propre constitution, sujet a la veuë de tout le voysinage ; de sorte que l'on n'empire pas sa condition, ains on l'ameliore, puisqu'on leur ostera la veuë des [femmes] qui seront la aux fenestres de………. deront point la… [87]

_____

 

 

MCCCLVII. A Madame de la Fléchère. Visite au milieu d'un appointement. — L'avis de François de Sales au sujet des études de Charles de la Fléchère.

 

Annecy, 15 septembre [1617.]

 

            J'ay veu ce cher filz, mais si peu que c'est presque ne l'avoir pas veu, mesme aujourdhuy quil est venu tandis que j'estois en un appointement. Mays pourtant, je le voy plein de bon visage et bien marqué. Je suis d'advis qu'il retourne a Lyon, puisque il s'y porte si bien et quil est de si bon naturel quil ne refuse pas l'estude auquel il commence a prendre goust, ainsy que son maistre m'a dit. Mays avant son retour nous aurons bien le contentement de le revoir, et vous aussi, ma tres chere Fille, a qui je souhaite mille et mille benedictions, qui suis infiniment vostre et

Vostre tres humble serviteur, compere et Pere,

sans loysir.

            XV septembre.

 

            A Madame

Madame de la Fleschere.

            A Rumilly.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [88]

_____

 

 

MCCCLVIII. A Sa Sainteté Paul V (Minute). L'Evêque de Genève implore une dispense pour les pauvres Clarisses de son diocèse. — Son but est de leur faciliter l'observance de la Règle et la vie de prière.

 

Annecy. 17 septembre 1617.

 

            Beatissime Pater,

 

            Extant in hac diæcesi Gebennensi duo Monasteria Ordinis Sanctæ Claræ, quorum unum ex civitate Gebennensi in civitatem Annessiacensem, alterum, ex oppido Orbensi in oppidum Aquianense, hæreticorum injuria et violentia ante sexaginta annos expulsa, secesserunt. Cumque Sorores dictorum Monasteriorum, inter varias et frequentissimas paupertatis et mendicitatis serumnas, vitam hactenus utcumque traxerint et sustentaverint ; nunc tamen, post tot hæreticorum incursiones, ac diuturnorum bellorum clades, cum diæcesis ista, miseranda paupertate vexata, illarum mendicitati occurrere deinceps minime valeat ; ad pedes Beatitudinis Vestræ humiliter [89] prostratæ, illius providentiam Apostolicam suramis votis orant, ut in posterum, per ejus placitum et dispensationem, illis liceat prædia et alia bona immobilia in communi possidere, quemadmodum cum aliis ejusdem Ordinis Sororibus, Gratianopoli degentibus, minusque egentibus, pro Apostolicæ Sedis paterna charitate, dispensatum esse omnes probi rerum spiritualium æstimatores laudaverunt.

            Sic enim fiet ut molestissimis anxietatibus animi, quæ in tanta rerum omnium inopia spiritum propemodum extinguunt, liberatæ et solutæ, alacriter in cæteris Regulis sui Ordinis adamussim servandis, ac Dei laudibus [90] celebrandis, necnon pro Ecclesiæ precibus fundendis, longe fœlicius, facilius et attendus incumbant et perseverent.

……………………………………………………………………………………………………...

F. E. Gebennensis.

            Annessii Gebennensium, 17 Septembris 1617.

 

 

 

            Très Saint-Père,

 

            Il y a dans ce diocèse de Genève deux Monastères de l'Ordre de Sainte-Claire, transférés, depuis plus de soixante ans, l'un de la cité de Genève en celle d'Annecy, l'autre de la ville d'Orbe en celle d'Evian, lorsque l'injustice et la violence des hérétiques chassèrent les Religieuses de leurs couvents. Les Sœurs de ces Monastères ont pu, jusqu'à ce jour, tant bien que mal, traîner et soutenir leur vie au milieu d'épreuves diverses et nombreuses, conséquence de la pauvreté et de la mendicité. Mais désormais, ce diocèse, cruellement appauvri par les fréquentes incursions des hérétiques et les ravages de longues guerres, ne peut plus répondre à leurs demandes de [89] secours. Humblement prosternées aux pieds de Votre Béatitude, elles adressent à Votre providence Apostolique les vœux les plus ardents pour qu'elles puissent, sous son bon plaisir et avec sa dispense, posséder en commun des biens fonds et autres immeubles. Cette dispense a déjà été accordée, à Grenoble, par la paternelle charité du Saint-Siège, à d'autres Sœurs du même Ordre, moins pauvres que celles-ci. Tous les justes appréciateurs des choses spirituelles ont loué cette mesure.

            En effet, libres et affranchies par ce moyen des pénibles anxiétés qui, dans un si grand dénûment de toutes choses, semblent presque étouffer l'élément spirituel, elles se rendront avec ardeur parfaites observatrices des autres règles de leur Ordre ; et, avec plus de [90] joie, de facilité, d'attention et de persévérance, elles s'adonneront à célébrer les louanges de Dieu et à prier pour l'Eglise.

…………………………………………………………………………………………………….

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, 17 septembre 1617.

_____

 

 

MCCCLIX. Au Cardinal Robert Bellarmin (Minute). La misère des Clarisses du diocèse de Genève. — Ce qu'apprend l'expérience sur la trop grande pauvreté des Monastères de femmes. — Sollicitude du Saint pour des Religieuses exemptes de sa juridiction. — Il dénonce des manquements aux décrets du Concile de Trente.

 

Annecy, 17 septembre 1617.

 

            Illustrissime et Reverendissime Domine mi in Christo colendissime,

 

            Habemus hic Monasterium unum Sanctæ Claræ, et alterum Aquiani, in quibus Sorores jejuniis, vigiliis, pedum nuditate ac multis aliis corporis macerationibus, Deo optimo maximo servire conantur, cumque mendicatis [91] hinc inde eleemosynis, hactenus quamvis ægerrime, inter multas et frequentissimas ægritudines utcumque vixerunt. Nunc demum res ad eum statum redacta est, ut nulla prorsus ratione earum victui provideri possit, nisi Sedes Apostolica cum eis dispensare dignetur, ut in communi prædia et alia bona immobilia possidere possint.

            Nam triginta annorum bellum durissimum, ac crebræ infestissimæque hæreticorum incursiones effecerunt, ut in hac Gebennensi diæcesi deinceps inveniri non possint eleemosynæ, quæ Monasteriis istis sustentandis et alendis sufficere queant. Mitto mendicitatem fœminarum, ut experimento certissimo constat, acerrimis sollicitudinibus, continuis, immoderatis ac melancholicis cogitationibus, importunis de modo quærendi et habendi inventionibus, et inquietissimis anxietatibus plenissimam esse.

            Quare videns paupertatem hanc extremam interiori [vitæ] plurimum obesse, neque posse Moniales istas diutius [92] in proposito perseverare, nisi de remedio opportuno illis a Sede Apostolica provideatur, quamvis non mihi, sed Ordini Fratrum Minorum cura illarum incumbat, nolui tamen omittere quin earum super hac re supplicationem et preces, quas Sancissimo Domino nostro offerre intendunt, meis etiam humillimis votis adjuvarem apud Dominationis Vestræ Illustrissimæ clementiam, quam illis summopere cupio propitiam.

            Eamdem interim obiter admonens, in istis Monasteriis mulierum hujus provinciæ nullo modo observari Concilii Tridentini saluberrima decreta de confessario extraordinario bis terve in anno Monialibus dando, et de puellis feminisve ante professionem ab Episcopo probandis. Quin etiam, quando per Jubilaeum cuicumque licet quem maluerint, ab Ordinario approbatum, confessarium eligere, per summum nefas istis hæc via solandi conscientias suas intercluditur. Atque hoc Illustrissimæ Dominationi Vestræ aperuisse satis sit. [93]

            Deus autem ipsam quam diutissime servet incolumem, cujus sacras manus humillime exosculor.

            Illustrissimæ et Reverendissimæ Dominationis Vestræ,

Obsequentissimus et humillimus servus,

F., E. G.

            Annessii Gebennensium, XVII Septembris 1617.

 

 

 

            Illustrissime et Révérendissime Seigneur, très vénéré dans le Christ,

 

            Nous avons, l'un ici, l'autre à Evian, deux Monastères de Sainte-Claire, où les Sœurs, par les jeûnes, les veilles, la nudité des pieds et beaucoup d'autres macérations corporelles, s'efforcent de servir le Dieu très bon et très grand. Jusqu'à présent, avec des aumônes [91] mendiées de côté et d'autre, elles ont vécu tant bien que mal, quoique très difficilement, au milieu de nombreuses et très fréquentes afflictions. Finalement, les choses en sont venues maintenant à un tel point qu'il n'y a plus du tout moyen de pourvoir à leur subsistance, si le Siège Apostolique ne daigne leur donner la dispense nécessaire pour qu'elles puissent posséder en commun des biens fonds et autres biens immeubles.

            En effet, après trente années d'une guerre cruelle, après les fréquentes et désastreuses incursions des hérétiques, on ne peut plus trouver dans ce diocèse de Genève, des aumônes suffisantes pour soutenir et entretenir ces Monastères. Je passe sur ce qu'une expérience convaincante nous apprend de la mendicité des femmes : elle est toujours accompagnée de préoccupations pénibles, de soucis immodérés et continuels, de pensées mélancoliques, d'industries dangereuses sur les moyens de demander et d'obtenir, et des plus troublantes inquiétudes.

            Aussi, voyant cette pauvreté extrême nuire beaucoup à leur vie intérieure et rendre ces Religieuses incapables de persévérer plus [92] longtemps dans leur vocation, si le Siège Apostolique ne pourvoit d'un remède opportun, j'ai tenu — bien que le soin de ces Sœurs incombe, non à moi, mais aux Frères Mineurs — à appuyer les demandes et les supplications qu'elles se proposent d'adresser à Sa Sainteté, par mes très humbles prières à la bonté de Votre Seigneurie Illustrissime, que je souhaite beaucoup leur être favorable.

            Je l'informe en passant que dans ces Monastères de femmes de notre province, on n'observe nullement les très salutaires décrets du Concile de Trente sur le confesseur extraordinaire à donner deux ou trois fois l'année aux Religieuses, et sur l'examen que l'Evêque doit faire des filles ou femmes avant leur profession. Bien plus, alors que, pour le Jubilé, il est permis à chacun de choisir un confesseur à son gré, pourvu qu'il soit approuvé par l'Ordinaire, ce moyen de soulager leur conscience leur est interdit par une cruelle injustice. Qu'il me suffise de signaler ces faits à Votre Illustrissime Seigneurie. [93]

            Dieu veuille la garder en santé très longtemps encore ! En lui baisant très humblement les mains, je demeure,

            De Votre Illustrissime et Révérendissime Seigneurie,

Le très obéissant et très humble serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, 17 septembre 1617.

_____

 

 

MCCCLX. A Don Jérome Boerio, Général des Barnabites. Eloge du P. Baranzano. — Prière de le renvoyer au collège d'Annecy.

 

Annecy, 23 septembre 1617.

 

            Reverendissimo in Christo Padre osservandissimo,

 

            Il P. D. Redento ritorna dove la santa ubedientia lo chiama. Egli è persona di bonissime qualità et laquale [94] ci ha dato a tutti grand'edificatione. Sô che ha fatto errore nell'impressione de' libri suoi senza la debita licenza ; ma di questo errore sô che la maggior parte è venuta da una certa simplicità et inadvertenza ; et mediante la paterna et benigna correttione che V. P. Rma glie farà, egli senza dubbio starà horamai saldo. Onde, se V. P. non giudica altrimenti che fosse inconveniente [95] per qualche ragione a me secreta, ardisco di dirli che saria bene di rimandarlo, già che havendo imparata la lingua et essendo molto grato in queste bande, parmi che sarebbe di molta utilità.

            Però, in tutto io mi rimetto alla molta prudentia di V. P. che Iddio faccia beata nella gratia et gloria celeste, et alla quale io voglio sempre restare

Servitore et fratello humilissimo et devotissimo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            XXIII Settembre, Annessi.

 

            Al Rmo in Christo Padre osservandissimo,

Il P. Generale de' Clerici regolari di S. Paolo.

            Milano.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [96]

 

 

 

            Révérendissime et très honoré Père dans le Christ,

 

            Le P. D. Redento retourne où la sainte obéissance l'appelle. Il a de très bonnes qualités et nous a donné à tous beaucoup [94] d'édification. Je sais qu'il a failli en faisant imprimer ses livres sans l'autorisation requise, mais je sais aussi que la cause principale de cette faute est une certaine simplicité et inadvertance ; sans doute, grâce à la correction paternelle et pleine de bonté qui lui sera faite par Votre Paternité Révérendissime, il se tiendra désormais sur ses gardes. C'est pourquoi, à moins qu'elle ne le juge pas à propos pour [95] quelque raison que j'ignore, j'ose dire à Votre Paternité qu'il serait bon de le renvoyer ici ; car ayant appris la langue et étant fort goûté en ces quartiers, il me semble qu'il s'y rendrait très utile. Cependant, je me remets pour tout à votre grande prudence.

            Que Dieu comble de bonheur dans la participation de la grâce et de la gloire céleste Votre Paternité, dont je veux demeurer toujours

Le très humble et très dévoué serviteur et frère,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            23 septembre 1617, Annecy.

 

Au Reverendissime et très honoré Père dans le Christ,

Le Père Général des Clercs réguliers de Saint-Paul.

            Milan. [96]

_____

 

MCCCLXI. A Don Juste Guérin, Barnabite. Départ précipité du P. Redento. — François de Sales ne sait pas encore s'il prêchera à Paris ou à Grenoble. — Le jardin des Barnabites. — Pourquoi le Saint garde une lettre sans l'envoyer.

 

Annecy, 23 septembre 1617.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            C'est sans loysir que je vous escris, car le P. Redento part a l'improviste aujourd'huy, duquel j'attendois le despart seulement a lundi. Vous recevres un paquet ou sont les livres de l'Introduction et les nouvelles desplaysantes de nostre perte recente de nostre pauvre et tres aymable vefve. Madame la Marquise d'Urfé a receu le paquet des mains de monsieur le premier President, et s'est chargee, de sa grace, de le vous rendre.

            Je vous supplie de me faire office vers Monseigneur le Reverendissime Cardinal, affin que je puisse sçavoir si ce sera a Grenoble ou a Paris que j'iray cet Advent et ce Caresme ; car Son Altesse a promis a monsieur le Mareschal que j'iray a Grenoble, et a d'autres que j'iray a Paris, et je ne sçai auquel des deux son intention est que je m'attache. Or, il est tems que je le sçache, et selon qu'elle me fera entendre, je me resoudray. Je [97] vous supplie, mon Reverend Pere, de me faire cette faveur que ce soit au plus tost.

            Nostre Mere se porte bien, Dieu merci, et toute joyeuse de la belle croix. Nous tascherons d'eschapper en toute façon d'avoir besoin du jardin des Peres, puisque je voy que cela en offence grandement quelques uns, qui m'ont dit que vous avies escrit que vous avies fait toutes les sollicitations. J'espere que Dieu nous aydera.

            O mon tres Reverend cher Pere, je suis incomparablement tout vostre et de tout mon cœur : c'est ce que je puis dire pour le present, allant celebrer les Ordres. Je salue la signora dona Genevra et dona Bona. J'ay receu une lettre de la premiere qui estoit addressee a Vostre Reverence, et en vostre absence, a moy, en laquelle j'ay plus de part que je ne merite ; c'est pourquoy je ne vous la renvoye pas.

            Je suis donq infiniment, mon Reverend Pere,

Vostre tres humble et fidele serviteur,

[FRANÇS, E. de Geneve.]

            Annessi, le 23 septembre 1617. [98]

_____

 

 

MCCCLXII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Le « Pré Lombard » demandé au duc de Nemours pour la Visitation.

 

Annecy, 27 septembre 1617.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Vous recevres par M. Rousselet une de mes lettres, par laquelle je vous supplie de nous assister vers Monsieur pour obtenir le Pré Lombard en faveur des Seurs de la Visitation, et nous vous ouvrons un expedient : qu'au moins il luy playse de permettre que les susdites Dames en eussent la moytié pour donner en eschange aux Peres de Saint Dominique, gardant l'autre moytié pour en faire ce que Sa Grandeur voudroit. Mais me doutant que ces Peres de Saint Dominique ne voudront pas lascher ce dont nous avons besoin si on ne leur donne tout le susdit pré, je vous supplie de faire ce qui sera bonnement a faire, affin que Monsieur se contente que nous leur puissions donner le tout. Que s'il ne se peut, alhors on pourra parler de la moytié. [99]

            Vous voyes, Monsieur mon Frere, comme je traitte avec vous, car j'escris ceci furtivement sans que personne le sçache, parce que le porteur ne me donne nul loysir. Mon cœur salue et embrasse le vostre, et je suis invariablement,

Vostre tres humble et tres affectionné

frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            27 septembre 1617, Annessi.

 

            A Monsieur

            Monsieur de Foras,

Gentilhomme de la Chambre de Monseigneur le Duc de Nemours.

            A Paris.

_____

MCCCLXIII. A Madame de Granieu. Le courage appuyé sur la confiance. — Joie inaltérable des âmes données à Dieu. — « Religieux entre les soldatz » et « sainte entre les Religieuses »

 

Annecy, fin septembre ou octobre 1617.

 

            Je croy fermement, ma tres chere Fille, que vostre cœur reçoit de la consolation de mes lettres, qui vous sont aussi escrites d'une affection nompareille, puisqu'il a [100] pleu a Dieu que ma dilection envers vous fust toute paternelle, selon laquelle je ne cesse point de vous souhaiter le comble de toutes benedictions.

            Tenes bien vostre courage relevé, je vous supplie, ma tres chere Fille, en la confiance que vous deves avoir en Nostre Seigneur, qui vous a cherie, vous donnant tant d'humbles attraitz a son service, et vous cherit en vous les continuant, et vous cherira en vous donnant la sainte perseverance. Je ne sçai, certes, comme les ames qui se sont donnees a la divine Bonté ne sont tous-jours joyeuses, car y a-il bonheur esgal a celuy la ? Ni les imperfections qui vous arrivent ne vous doivent point troubler, car nous ne les voulons pas entretenir et ne voulons jamais y arrester nos affections. Demeurés donq bien en paix, et vivés en douceur et humilité de cœur.

            Vous aves bien sceu, ma tres chere Fille, toutes nos petites afflictions, lesquelles j'aurois bien sujet de nommer grandes, si je n'eusse veu un amour special de Dieu envers les ames qu'il a retirees d'entre nous ; car mon frere mourut comme un Religieux entre les soldatz, ma seur, comme sainte entre les Religieuses. C'est seulement pour les recommander a vos prieres que j'en touche ce mot.

            Monsieur vostre mary a bien rayson s'il m'ayme, car je le veux a jamais honnorer ; et vous, ma tres chere Fille, je m'imagine que vous m'affectionnes tous-jours cordialement, et vostre ame vous respondra pour moy que je suis vostre, puisque Nostre Seigneur et Createur de nos espritz a mis cette liaison spirituelle entre nous. Qu'a jamais son saint nom soit beni et vous rende eternellement sienne, qui est le souhait continuel,

            Ma tres chere Fille, de

Vostre tres humble serviteur,

FRANCS, E. de Geneve. [101]

_____

 

MCCCLXIV. A une religieuse. L'arbre de vie et la rosée qui le féconde. — Un désir qui sera sûrement satisfait.

 

Annecy, mai-octobre 1617.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Il me semble, certes, que je le voy, ce Sauveur crucifié, au milieu de vostre ame comme un bel arbre de vie, qui, par les fleurs des bons desirs qu'il vous donne, vous promet les fruitz du divin amour qu'il produit ordinairement es lieux ou sont la rosee d'humilité, douceur et simplicité de cœur. Vives donq bien ainsy, ma tres chere Fille : ce sont mes vœux et mes souhaitz continuelz, comme vous cherissant d'une affection singuliere, et me confiant que reciproquement vous souspireres souvent devant sa divine misericorde pour l'amendement de mon cœur, dont je vous conjure ardemment, ma tres chere Fille.

            Si je puis retourner a Saint André, ce sera de toute mon affection : vous aures vostre desir. Que si je ne puis, [102] vous aures plus que vostre desir, puisque le bon Pere que j'ayme et honnore si cordialement, y fera cent fois mieux le service de nostre commun Maistre que moy.

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

MCCCLXV. A Madame de Grandmaison (Inédite). Retour douloureux et résigné sur les deuils multiples de l'année qui s'achève. — Le Saint prépare la destinataire à celui qui doit la frapper bientôt. — Où se transforment nos amertumes.

 

Belley, 5 octobre 1617.

 

            Je vous puis dire, Madame ma tres chere Seur, que toute cett'annee j'ay vescu parmi les mortz ; car, outre une quantité d'amis et parens que j'ay perdus pour ce monde, j'ay veu ecclipser en trois moys mon frere, son filz unique et sa femme, que je cherissois incomparablement. Mays, graces a Dieu, tout cela s'est passé [103] a leur salut ; car mon frere, qui estoit allé au service de Son Altesse en soldat, y est mort en Religieux ; son filz est passé en innocence, et sa femme en sainte, apres avoir demandé et obtenu l'habit de la Visitation et fait les vœux au lit de la mort. En somme, ma tres chere Seur, ma Fille, tel a esté le bon playsir de Dieu, auquel nos volontés doivent estre toutes soumises.

            Et je voy bien que dans peu de jours vostre bon naturel recevra une pareille attaque ; car je vis hier madame nostre bonne Mere, et la trouvay sur les confins de cette vie mortelle, ou sa maladie, et principalement son aage, l'ont conduit, et a mon advis, pour lent que soit son passage, elle ne peut pas beaucoup tarder de l'achever. Or sus, ma tres chere Seur, il faudra bien tenir vostre cœur ferme, affin quil ne chancele point a cette secousse, mais qu'attaché a la Providence divine, apres les premiers eslans de douleur qui sont inevitables, il demeure doucement en paix, en attendant avec une sainte esperance le tems auquel, par le mesme passage, nous irons revoir ceux qui nous præcedent. Ma tres chere Seur, nous avons a remercier Dieu qui nous a si longuement laissé cette mere, et n'est pas raysonnable que nous treuvions mauvais sil la reprend, puis que c'est pour luy donner une meilleure vie.

            Je sçai que vous irés digerer ce desplaysir au pied de la Croix de Nostre Seigneur ou toutes nos amertumes deviennent douces. C'est pourquoy je n'ay plus rien a vous dire, sinon que je ne cesse jamais de souhaiter mille et mille benedictions a vostre chere ame que j'ayme de tout mon cœur, estant a jamais,

            Madame ma tres chere Seur,

Vostre plus humble frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            V octobre 1617.

 

Revu sur une photographie de l'Autographe, conservée à la Visitation d'Annecy. [104]

_____

MCCCLXVI. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier (Inédite). Pourquoi le duc de Savoie désigne Grenoble à François de Sales pour les prédications de l'A vent et du Carême. — Une ambition de l'apôtre au sujet de Lesdiguières ; son peu d'espoir de la voir satisfaite. — Joies qu'il aurait eues à Paris, avantage qu'il trouve en Dauphiné. — La paix sans les effets de la paix. — Doute sur la validité d'une dispense.

 

Annecy, 19 octobre 1617.

 

            Monseigneur,

            En fin, apres plusieurs incertitudes sur le lieu ou je devois prescher ces Advens et Caresme prochains, Son Altesse me commande de retourner a Grenoble pour complaire a monsieur le mareschal de Lesdiguieres, qui, prié par la cour du Parlement, en a tesmoigné un tres grand desir. O sil playsoit a Dieu de le toucher, l'attirer et gaigner ! car c'est bien la coustume de sa divine providence d'employer les choses basses et infirmes pour les grans effectz de sa Bonté. Mais ce souhait, entre vous et moy, qui serois estimé homme d'ambition excessive si quelqu'un l'entendoit ; et neanmoins, j'y ay certes aussi peu d'ambition que d'esperance, a cause de l'exclamation du Sauveur : O quam difficile est hominem divitias habentem, etc.

            Cependant, je confesse que, comme d'un costé ce m'eut [105] esté un contentement indicible de jouir de la presence de cet amy incomparable qui me souhaitoit a Paris et de la conversation de plusieurs autres qui me font lhonneur de m'affectionner, aussi m'est-ce un grand soulagement de m'esloigner si peu de ma residence quil semble presque que je ne m'en esloigne point ; car en somme, ma femme, mes enfans, mon devoir et mes affaires sont icy, puisque Dieu a voulu que j'y fusse pere de famille et son œconome.

            Je fus l'autre jour dire a Dieu a mon tres cher, tres aymable et tres digne voysin Monseigneur de Belley, qui s'en reva en son Paris et païs prescher a Saint Severin ; et outre mille qualités qui m'obligent a l'honnorer, je le vis si plein d'amour, de respect et d'estime pour vos merites quil ne se peut rien adjouster, et partant vous fustes une grande part de nos plus doux entretiens.

            Nous avons la paix, mais non pas encor les effectz de la paix, car l'execution du traitté est, ce dit on, en quelque sorte de difficulté. Qui cœpit bonum opus, perficiet solidabitque par sa misericorde. [106]

            M. le juge mage Arpeaud et messieurs Fenouillet m'ont parlé du mariage de M. Garin, et m'ont demandé si je recevrois la dispense requise venant de Monseigneur le Legat d'Avignon. C'est la verité que nous n'avons jamais rien veu de cette authorité, ce païs estant hors de la legation ; si neanmoins le diocæse luy estant marqué il dispense, j'auray tout sujet de croire quil ne fait rien quil ne puisse ; mais en chose de telle importance et qui tire consequence, j'aymerois mieux que l'expedition vint de Rome, pour mettre tout en asseurance.

            Vous commanderes, et vous seres obei de tous eux, et de moy en verité plus affectionnement que de tout le reste, puisque, vous baysant tres humblement les mains et vous souhaitant toute sainte fœlicité, je suis,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant

frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, 19 … 1617.

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Montpellier. [107]

_____

MCCCLXVII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. L'Evêque de Genève implore la charité du Prince en faveur d'un ancien converti.

 

Annecy, 24 octobre 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Il pleut a Son Altesse, il y a plusieurs annees, d'ordonner quelques commodités au cappitaine Henry de la Rose, homme lequel meshuy n'est pas seulement viel, ains decrepite ; et bien que la liberalité de saditte Altesse fut excitee par diverses considerations, si est ce que celle de la conversion de cette ame en fut le fondement. Et c'est celle qui me fait en toute humilité supplier Vostre Altesse de l'avoir en recommandation, si toutefois il peut asses vivre pour avoir besoin de ce qu'il recherche ; car il part, ce me semble, a moytié mort, tant il a desir d'avoir moyen de vivre.

            Dieu, par sa bonté, veüille conserver et prosperer la personne de Vostre Altesse,

            Monseigneur, de qui je suis

Tres humble, tres obeissant et tres fide (sic)

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XXIIII octobre 1617.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [108]

_____

 

 

MCCCLXVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Un pauvre capitaine converti, solliciteur de Son Altesse.

 

Annecy, 30 octobre 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Le pauvre cappitaine La Rose, sur le bord de sa fosse, recourt a la bonté de Vostre Altesse pour en obtenir le moyen de passer avec quelque soulagement cette extremité de sa vie. A quoy je joins tres humblement ma recommandation, avec mille et mille souhaitz que je fay devant Dieu quil comble Vostre Altesse de fœlicité, demeurant, Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XXX octobre 1617.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

_____

MCCCLXIX. A la Mère de Chantal. Béatitude des crucifiés. — Le testament de la baronne de Thorens. — Murmures faits au sujet d'un projet de mariage pour Françoise de Chantal.

 

Annecy, [15-31 octobre] 1617.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je ne puis m'empescher d'estre un peu en peyne de [109] vostre tracas survenu si mal a propos ; mais il faut estre constant et ferme aupres de la croix, et sur la croix mesme, s'il plait a Dieu de nous y mettre. Bienheureux sont les crucifiés, car ilz seront glorifiés.

            J'ay cuydé connoistre que M. Colom venoit a double intention. Hier il me demanda comme ma seur avoit disposé, et je le luy dis franchement ; et il tesmoigna de le treuver bon, hormis qu'il eust voulu que Mlle de Chantal eust eu les trois mille escus, ce dit-il. Je ne luy parlay point des mille escus de la legitime. Que s'il faut defendre au notaire de n'en rien monstrer, je vous prie d'en prendre la peyne, car je m'en vay dans demi heure au college.

            Il me parla du mariage de M. de Foras en termes extremement extravagans, et me dit qu'il avoit charge de vous en parler et a ma fille ; mais ces paroles procedent d'un mauvais fondement, car ilz croyent que l'on vous ayt fait la demande, et a Mlle de Chantal, pour qu'on veuille mespriser le consentement du frere et de [110] l'oncle. Je dis que l'on n'avoit fait aucune demande, ains quelques significations par ci par la, lesquelles ne requeroyent point de responce, laquelle aussi on n'avoit point faite.

            Soulagés-vous, ma tres chere Mere, au mieux qu'il se pourra. Je vous iray voir sans faillir. Dieu soit a jamais au milieu de nostre cœur. Amen.

_____

 

MCCCLXX. A une personne inconnue (Fragment inédit). Douceur de la main divine. — Affliction et consolation.

 

Annecy, [septembre-novembre] 1617.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Il est vray, Dieu a affligé nostre mayson en la mort de mon frere et de ma seur de Thorens ; mais sa main divinement paternelle nous force d'adorer sa suave bonté qui ne nous a touchés que doucement, puisque mon frere est mort saint entre les soldatz, ou il se treuve si peu de saintz, et ma seur, sa chere espouse et mon unique fille, est morte sainte entre les servantes de Dieu et dans le cloistre, qui est ordinairement un seminaire de sainteté. Elle a fait profession, et est enterree dans l'habit de la Visitation. Le medecin qui la servoit en sa derniere maladie disoit que si les Anges pouvoyent mourir, ilz voudroyent mourir de la sorte.

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy.

_____

 

 

MCCCLXXI. A M. Jean de Lacurne. Lettres perdues. — Eloge des PP. Barnabites ; la seule chose qui leur manque. — Fruits qu'on peut espérer de leur établissement en France. — La divine origine des afflictions. — Souvenir du baron et de la baronne de Thorens.

 

Annecy, 6 novembre 1617.

 

            Monsieur,

 

            Je n'ay point receu de vos lettres des quil vous pleut de me faire sçavoir que vous desiries des miennes pour ces messieurs de la cour, en recommandation de vos droitz. Et je vous prie de croire que je vous ay neanmoins escrit plus d'une fois despuis, et que je suis bien marri quand je sçay que vos addresses me manquent, car je fay beaucoup d'estat de vos escris, esquelz j'apprens ordinairement et treuve une particuliere consolation.

            Mays disons un mot de nos Barnabites, puisque je suis pressé et ne puis pas m'estendre. Ce sont des gens de fort solide pieté, doux et gratieux incomparablement, qui travaillent incessamment pour le salut du prochain ; en quoy ilz [se] rendent admirables egalement et infatigables. Une chose leur manque, que nous supportons facilement icy : c'est qu'encor qu'ilz ayent des excellens praedicateurs, nous ne pouvons pas jouir pour encor de leur talent en cela, d'autant qu'ilz n'ont pas encor [112] l'usage parfait du langage françois, ains seulement autant quil faut pour se faire entendre es cathechismes, petites exhortations et conversations spirituelles ; mays ilz le vont aquerant tous les jours. Et il est arrivé encor ces jours passés un malheur, en la perte qu'ilz ont faite d'un Pere Parisien qui deceda. Pour moy, je pense qu'ilz seront un jour de grand service a la France ; car ilz ne font pas seulement proffit en l'instruction de la jeunesse (aussi n'est il pas si requis ou les Peres Jesuites font si excellemment), mais ilz chantent au chœur, confessent, cathechisent voire mesme es villages ou ilz sont envoyés, preschent et en somme font tout ce qui se peut desirer, et fort cordialement, et ne demandent pas beaucoup pour leur entretien. Voyla ce que je vous puis dire, et ce qui me feroit desirer leur introduction es lieux ou les Peres Jesuites ne sont pas. Vostre prudence discernera ce qui se pourra faire pour les attirer en vostre Autunois. [113]

            Je voy, ce pendant, madamoyselle vostre femme, que je cheris a la verité tres cordialement, sur la croix, entre les clouz et les espines de plusieurs tribulations qu'elle sent et que vous ressentés. Que vous dirois je sur cela, Monsieur mon tres cher Frere ? Interroges souvent le cœur de Nostre Seigneur, d'ou cett'affliction procede, et il vous fera sçavoir qu'elle a son origine dans le divin amour. C'est bien fait de jetter nostre pensee sur la justice qui nous punit, mais c'est mieux fait encor de benir la misericorde qui nous exerce.

            Toute cett'annee nous avons vescu parmi les adversités, et je croy que vous aures sceu le trespas inopiné de mon frere et de, ma seur, que j'appelle inopiné, car, qui l'eut pensé ? mais trespas tres heureux pour le genre et la sainteté du passage ; car, particulierement ma chere petite seur, fit sa (sic) depart avec tant de pieté et de suavité, qu'un docte medecin qui le vit me dit que si les Anges estoyent mortelz ils desireroyent cette sorte de mort. Mays en somme, que pouvons nous dire en toutes ces occurrences ? Il est mieux de ne rien dire, ains acquiescer. Obmutui, et non aperui os meum, quoniam, Domine, tu fecisti. Et a la verité, pour parler cœur a cœur avec vous, je n'ay presque jamais osé adjouster ce qui s'ensuit : Amove a me plagas tuas.

            Je prieray Dieu quil sanctifie sa volonté en nous et nous en sa volonté. Quil soit vostre consolation, et de madamoyselle que je vous prie treuver bon que je nomme [114] ma chere fille. Sic state in Domino, charissimi, et diligentem diligite. Je suis,

            Monsieur,

Vostre tres humble et cordial serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            6 novembre 1617.

 

            A Monsieur

            Monsieur de la Curne,

Lieutenant general au balliage d'Arne-le-Duc.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nancy.

_____

 

 

MCCCLXXII. A la Mère de Chantal. Attente de nouvelles de la Fondatrice malade.

 

Annecy, 22 novembre 1617.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            La glorieuse sainte Cecile m'appelle au chœur pour ouïr les louanges de son Seigneur, que les musiciens, par devotion particuliere, veulent chanter de sa part. Mays si faut il pourtant sçavoir des nouvelles de ma pauvre malade avant disner. Commandes donq, je vous prie, que [115] de la main de madamoyselle de Chantal, ma fille bien-aymee, ou de ma chere Seur de Chastel, me soit envoyé quelque petit billet qui m'en apporte, ou du moins quelque message d'honneur.

            Cependant, bonjour, ma tres chere Mere ; Dieu soit nostre medecin et nostre guerison luy mesme.

 

Revu sur une copie conservée à Turin, Archives de l'Etat.

_____

MCCCLXXIII. A Don Jérôme Boerio, Général des Barnabites (Minute). Action de grâces pour le retour d'un Religieux. — Les desseins du prince de Piémont et de l'Evêque de Genève sur Contamine ; pour les faire réussir, l'intervention de D. Juste auprès des cours de Savoie et de Rome est nécessaire. — Deux autres affaires importantes demandent ce voyage. — Litige au sujet d'un étang sans poissons ; équité et charité du Saint.

 

Annecy, vers la fin de novembre 1617.

 

            Reverendissimo in Christo Padre osservandissimo,

 

            Ringratio humilmente V. P. Rma dell'amorevolezza colla quale ha rimandato in questi luoghi il P. D. Redento, il quale io spero che farà frutti degni della sua vocatione et grati a V. P. [116]

            Ecco fra tanto la santa et desiderata pace, et è hormai tempo di veder come potremo far riuscire i pii disegni del Serenissimo Prencipe di Piemonte per la solida fundatione de questi düoi collegii di Annessi et Tonone ; per laquale trattando io con Sua Altezza, ella si contentò che si pigliasse tutta l'entrata del monasterio di Contamina, supprimendo li monaci per più ragioni, et transferendo le loro præbende parte in questo collegio, et parte in quello di Tonone, con patto però che si mettano in luogho loro altri tanti Padri Barnabiti in questi collegii, che possano celebrar le Messe alle quali detti monaci erano obligati, et con certe altre conditioni lequali dal P. D. Giusto saranno spiegate a V. P., poichè io le ho poste in scritto alla distesa.

            Ma ho giudicato bene, si come ancho il P. D. Giovanni Battista, Superiore di questo collegio, huomo giudicioso et che dà a questi popoli gran sodisfattione, che questo [117] negotio si debba trattar dal P. D. Giusto, non solamente in questa nostra corte appresso il Serenissimo Prencipe (il che, s'io non m'inganno, sarà cosa facile), ma ancora in Roma, doüe detto Padre faccia instantia appresso il signor Ambasciatore di Sua Altezza, laquale, con espresso commandamento, farà fare la sollecitatione ; ma sollecitatione che non si farà mai bene se [non da] detto Padre, informatissimo delle cose di qua, et de tutti li motivi et circonstantie che ponno indurre Sua Santità a far la gratia. Onde mi pare necessario che detto Padre vada subito di una corte nell' altra. Et havendo io un par d'altri negotii buoni et laudabili nella Corte di Roma, cioè, per un Seminario in questa diocæsi, et per rendre conto di questa mia Chiesa alla Santa Sede, dovendo in ogni modo mandar costì persona aposta et ben qualificata, [118] sarei molto ubligato a V. Pta et alla Congregatione s'io potessi adoprar detto P. D. Giusto ; et io farei la spesa del viagio, in maniera che la Congregatione non ne sentirebbe danno nessuno.

            Et per l'istessa via, detto Padre farebbe duoi altri negotii : uno sarebbe procurar l'unione di certi benefìcii non conventuali per il stabilimento del Novitiato di Rumigli ; et l'altro, far venire l'approbatione di queste Sorelle della Visitatione, all' espeditione della quale si attende, ma molto lentamente, come il R. P. Procuratore scrive, per esser le Regole in lingua francese : et il P. D. Giusto spedirebbe il negotio in un tratto. Supplico adunque nel nome del Signore V. P. Rma di volerci concedere detto viaggio.

            Et già che ho parlato di queste Sorelle della Visitatione, dirò anco quatro parole sopra l'ultimo articolo della lettera mandatami da V. P. per il P. D. Redento, et supplico V. P. di credere saldamente che io non havrei [119] giamai pensato di domandare quella pezza di terra, nella quale è la peschiera senza pesci, del collegio, s'io havessi veduto che il darla fosse stato di pregiuditio alli Padri, massime circa la loro ricreatione, essendomi la sanità et giucundità de' Padri cara quanto la mia propria ; et io so con quale proportione si debbano risguardare la case (sic) de Religiosi et quella delle Sorelle, onde non vorrei dar incommodità a quella per accommodar questa. Ma per dirlo alla libera et sinceramente, il prezzo di quella piazza della peschiera essendo adoprato come si conviene, sarà molto più utile al collegio che la piazza ; et mi son stupito della præoccupatione de questi nostri Padri, alli [120] quali io non hô voluto parlarne, perchè vedendo che il solo imaginar questo negotio li dava un gran freddo verso di me, non volevo passar inanzi. Ma però, quantunque il P. Superiore moderno fosse præoccupato dall'opinione de l'altri al principio, tuttavia, considerando che a lui toccava il negocio come capo del collegio, il (sic) volsi parlar con lui, non per persuaderli la mia opinione, ma solamente per farglie intendere che il mio sentimento non era tanto extravagante come altri dicevano. Et adesso ha toccato colla mano che io ho ragione, perchè fra le piazze del collegio non ciè la più infruttuosa, nè la manco utile alla recreatione, havendo due fenestre de' Padri Dominicani lequali sonno di vista immediata sopra quella pezza di terra ; et il P. Priore, nell'istesso muro che è immediatamente sopra quel luogho, praetende di fabricare il Novitiato suo colle finestre dalla istessa banda, nella quale non sô come si possa negare che habbiano jus luminis et fenestrarum, poichè de facto ne hanno già la possessione in quelle due fenestre.

            Hora veda V. P. Rma se sarà gran prasgiuditio al collegio [121] di dar detto luogo ; anzi, se non si alzano le mura di esso luogho che si estendono verso il restante del collegio, quasi tutto il collegio è scoperto alla vista de' Padri Dominicani. Onde, come affettionato al collegio et al bene della Congregatione quanto altro pare mio possa esser, io giudicarei esser espediente che questa vendita si facesse ; et non dubito che V. P. Rma vedendo la pianta o piano di questo collegio, giudicarà che io ho ragione, sì come in fine il P. Superiore et il P. D. Simpliciano han confessato.

            Hora ritorno a supplicare V. P. Rma di concedere il viagio del P. D. Giusto, che mi sarà di manco speza et di magior utilità alla Congregatione. Et non havendo più tempo di scrivere più diffusamente, anzi havendo occasione di pregarla che mi scusi se così mi son disteso, augurando a V. P. Rma ogni santa felicità nel servitio del Signore, resto di essa

Humilissimo et affettionatissimo fratello et servitor,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

 

Revu sur l'Autographe conserve à la Visitation d'Annecy. [122]

 

 

 

            Révérendissime et très honoré Père dans le Christ,

 

            Je remercie humblement Votre Paternité Révérendissime pour la bienveillance avec laquelle elle a renvoyé en ce pays le P. D. Redento qui, je l'espère, fera des fruits dignes de sa vocation et agréables à Votre Paternité. [116]

            Voici cependant la sainte paix tant désirée ; aussi est-ce le moment de voir comment nous pourrons faire réussir les pieux desseins du Sérénissime Prince de Piémont pour consolider la fondation de ces deux collèges d'Annecy et de Thonon. Lorsque j'en traitai avec Son Altesse, elle agréa que, dans ce but, on prit tout le revenu du monastère de Contamine, supprimant les moines pour plusieurs raisons, et attribuant leurs prébendes, partie au collège de cette ville, partie à celui de Thonon, à condition, cependant, de placer dans ces collèges autant de Pères Barnabites qui puissent célébrer les Messes auxquelles les moines étaient tenus. Quelques autres conditions seront expliquées à Votre Paternité par le P. D. Juste, car je les ai mises au long par écrit.

            Toutefois je crois avec le P. D. Jean-Baptiste, supérieur de ce collège, homme judicieux et qui donne beaucoup de satisfaction à la population, que cette affaire doit se traiter par le P. D. Juste [117] non seulement en notre cour auprès du Sérénissime Prince (ce qui, si je ne me trompe, sera chose facile), mais encore à Rome, où le Père la poursuivrait auprès de l'Ambassadeur de Son Altesse, laquelle, par exprès commandement, en ferait faire la sollicitation. Mais cette sollicitation ne pourra jamais être bien faite que par ledit Père qui est très au courant de la situation locale, non moins que des motifs et des circonstances qui peuvent engager Sa Sainteté à accorder la faveur implorée. C'est pourquoi il me semble nécessaire qu'il aille tout de suite d'une cour à l'autre. J'ai moi-même deux autres bonnes et louables affaires à traiter en Cour de Rome : l'érection d'un Séminaire en ce diocèse, et le compte à rendre au Saint-Siège de l'état de mon Eglise. De toutes manières, je devrai y envoyer exprès une personne bien qualifiée ; aussi serais-je très [118] obligé à Votre Paternité et à la Congrégation si je pouvais employer le P. D. Juste. Je me chargerais des frais du voyage, de sorte que la Congrégation n'en éprouverait aucun dommage.

            Par ce même moyen, le Père pourrait s'occuper encore de deux autres choses : il ménagerait l'union de certains bénéfices non conventuels pour l'établissement du Noviciat à Rumilly, et il obtiendrait l'approbation des Sœurs de la Visitation, à l'expédition de laquelle on s'emploie, mais très lentement, comme l'écrit le Révérend Père Procureur, parce que les Règles sont en français ; le P. D. Juste achèverait rapidement l'affaire. Je supplie donc au nom de Notre-Seigneur Votre Paternité Révérendissime de vouloir bien autoriser ce voyage.

            Et puisque j'ai parlé des Sœurs de la Visitation, je dirai encore quatre mots sur le dernier point de la lettre que vous m'avez envoyée par le P. D. Redento. Je supplie Votre Paternité de croire fermement que je n'aurais jamais songé à demander la pièce [119] de terrain du collège où se trouve l'étang sans poissons, si j'avais vu que cette cession dût porter préjudice aux Pères, surtout en ce qui touche leur récréation ; car leur santé et leur agrément me sont chers comme les miens propres. Je sais d'ailleurs dans quelle mesure on doit avoir égard soit à la maison des Religieux, soit à celle des Sœurs ; aussi ne voudrais-je point incommoder celle-là pour accommoder celle-ci. Mais, pour le dire librement et sincèrement, si le prix de cette place de l'étang est employé comme il convient, il sera bien plus utile au collège que la place elle-même ; voilà pourquoi j'ai été étonné des préventions de nos Pères, [120] auxquels néanmoins je n'en ai point parlé ; car voyant que la seule idée de cette affaire les refroidissait avec moi, je n'ai pas voulu passer outre. Toutefois, bien qu'au commencement le Père Supérieur actuel fût prévenu par l'opinion des autres, je pensai que la chose le regardait comme chef du collège, et je me crus obligé de lui en parler, non pour lui persuader de se ranger à mon sentiment, mais seulement pour lui donner à entendre que mon avis n'était pas aussi extravagant que quelques-uns le disaient. En effet, il a maintenant touché du doigt que j'ai raison ; car, dans tout le jardin du collège, il n'est pas une place plus stérile et moins propre à la récréation : deux fenêtres des Pères Dominicains y ont vue directe, et le Père Prieur prétend bâtir son Noviciat contre le mur qui donne juste sur cet endroit-là, avec des fenêtres du même côté. Je ne sais vraiment comment on peut nier qu'ils aient sur celui-ci jus luminis et fenestrarum, puisque par ces deux fenêtres ils en ont de fait la possession.

            Votre Paternité Révérendissime verra maintenant si l'abandon de [121] cette place porterait grand préjudice au collège. J'ajoute même que si on n'exhausse pas de ce côté les murs qui s'étendent vers l'autre partie du collège, celui-ci demeure presque tout entier découvert aux regards des Dominicains. C'est pourquoi, étant aussi affectionné au collège et au bien de la Congrégation qu'aucun autre peut l'être, j'estimerais qu'il serait expédient de faire cette vente ; et sans doute, Votre Paternité Révérendissime, après avoir vu le plan, jugera que j'ai raison, comme l'ont enfin avoué le P. Supérieur et le P. D. Simplicien.

            Je supplie de nouveau Votre Paternité Révérendissime d'autoriser le voyage du P. D. Juste, qui me sera de moindre dépense, et à la Congrégation de plus grande utilité. Et puisque je n'ai pas le temps d'écrire plus longuement, ou plutôt, ayant sujet de vous faire agréer mes excuses pour m'être trop étendu, je souhaite à Votre Paternité Révérendissime tout saint bonheur dans le service du Seigneur, et je demeure

Son très humble et très affectionné frère et serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève. [122]

_____

 

 

MCCCLXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Supplique en faveur de ceux qui s'occupent de «l'art de la soye».

 

Annecy, 29 novembre 1617.

 

            Monseigneur,

 

            Vostre Altesse a des le commencement favorisé l'establissement de l'art et traffiq de la soye en ces cartiers de deça comme une œuvre de grande utilité au païs et de grande importance pour la gloire de Dieu, affin de divertir les artisans et ouvriers d'aller perdre leurs ames dans Geneve. Playse donq a Vostre Altesse de confirmer les privileges des-ja accordés aux maistres et apprentifz, et autres personnes qui font profession de cet exercice. Je l'en supplie tres humblement, et ne cesse jamais de luy souhaiter toute sainte prosperité, comme je suis obligé de faire, puisque j'ay lhonneur d'estre,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur de Vostre Altesse,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIX novembre 1617, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

 

MCCCLXXV. A la Mère de Chantal. Salutation affectueuse.

 

Grenoble, 4 décembre 1617.

 

            Dieu, par sa bonté, vous conserve, ma tres chere Mere. Mon cœur vous salue infiniment et a tous-jours le vostre [123] au dessus de toutes ses affections. Qu'a jamais soyes vous benie ma tres chere Mere.

            VIVE JESUS !

            4 decembre 1617, a Grenoble, sans loysir.

 

            A ma tres chere Mere.

_____

 

 

MCCCLXXVI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon Inquiétudes du Saint au sujet de la Mère de Chantal. Nouvelles et salutations.

 

Grenoble, 4 décembre 1617.

 

            Que vous diray je, ma tres chere Fille ? Certes, je me porte bien, mais tous-jours en peyne de nostre Mere, que je laissay un peu mieux qu'elle n'estoit il y a dix ou douze jours, mais tous-jours en danger. Et pensés si, ayant demeuré despuis la veille de saint André sans sçavoir en sorte que ce soit de ses nouvelles, je dois estre peyné ! La volonté de Dieu soit a jamais l'unique refuge de la nostre, et son accomplissement, nostre consolation.

            Je suis icy receu avec joye, et ne nous manque que [124] nostre seur Barbe Marie, laquelle sachant vers vous je ne requiers point. Ma tres chere Fille, je vous salue de tout mon cœur et suis tres parfaitement vostre.

            Nostre pere se porte bien ; le frere et la seur vont a Nessi, trop heureux que sera ce peuple de les voir.

            Je salue nos cheres Seurs, et ma Seur Marie Aymee tres parfaitement, avec ma Seur Jeanne Françoise, et ma Seur Marie Catherine et ma Seur Françoise Hieronime, en somme, toutes sans reserve, et ma Seur [125] Colin. Dieu soit a jamais au milieu de leurs ames. Amen.

            4 decembre 1617, a Grenoble.

_____

 

 

MCCCLXXVII. A la Mère de Chantal. Un chant de joie du saint Evêque. — Ses souhaits pour lui-même et pour la destinataire.

 

Grenoble, 8 décembre 1617.

 

            Au nom de la tressainte Trinité, trois paroles a ma tres chere Mere. Je suis allé tout gay comme un petit oyseau, dans ma chaire, ou j'ay chanté plus joyeusement que l'ordinaire a l'honneur de ce grand Dieu, qui a racheté ma vie de la mort, et qui me couronnera en sa misericorde et miserations. Ouy, ma chere Fille, car saint Paul disoit bien a ses enfans : ma joye et ma couronne, composee des misericordes divines. Soyons a jamais tout a Dieu, benissons son saint nom, et exaltons le throsne de son amour sacré dans nostre ame ; elle vivra jusques au siecle des siecles.

            Dieu donq soit a jamais beni, qui nous console en toutes nos tribulations. Dieu soit a jamais beni, et veuille de plus en plus establir l'esperance qu'il nous donne de la guerison de ma tres aymee Mere et Fille. Dieu soit beni, et me donne la grace de luy rendre quelque service icy, et par tout ou il luy plaira de m'appeller, sur tout en mon diocese, puisqu'il luy a pleu de m'en charger, et du costé duquel, ou que j'aille, mon cœur s'y tournera a tous momens. [126]

            La glorieuse Vierge soit a jamais honnoree, qui est nostre Dame et Reyne de dilection. C'est aujourd'huy sa premiere feste, qui m'est signalee, et je viens de l'eglise des Peres Recolletz qui est dediee au mystere qui se celebre.

            O Dieu, Sauveur de nostre ame, qui estes le jour de la clarté eternelle, donnés ce jour temporel et dix mille apres, bons et utiles, saintz et aggreables, a la Fille bienaymee qu'il vous a pleu rendre mienne et pretieuse a mon cœur comme moy mesme.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Jour de la Conception Nostre Dame, 1617.

_____

 

 

MCCCLXXVIII. A la même (Fragment). Messe d'action de grâces pendant laquelle la Sainte Vierge a regardé François de Sales de « bon œil ».

 

Grenoble, 9 décembre 1617.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Je ne pouvois mieux faire recevoir mon remerciement au celeste Medecin qui vous a guerie, que par les mains de ma Dame sa Mere, Marie conceuë sans peché, nostre chere et souveraine Maistresse. C'est pourquoy, aussi [127] tost apres mon pauvre petit sermon, je me suis venu reposer en son eglise des Recolletz pour celebrer la Messe, durant laquelle cette sainte Dame, de sa grace, a bien daigné me voir de si bon œil, que j'espere d'y retourner quelquefois pour la supplier de conserver long tems la tres chere Mere de laquelle sans doute elle m'a obtenu la guerison…

 

Revu sur le texte inséré dans un ancien Ms. de l'Année Sainte,

conservé à la Visitation d'Annecy. [128]

_____

 

 

MCCCLXXIX. A Madame de Chailliol. Un heureux mariage. — Exhortation à l'humilité. — Les avantages de la dévotion. — Quelle vertu il faut « soigneusement nourrir. »

 

Grenoble, 27 décembre 1617.

 

            Madamoyselle,

 

            Les marques d'une vraye vertu et pieté que j'ay veuës en vostre ame et l'estime que je fay de vostre merite ne permettront jamais que je cesse de vous honnorer et cherir parfaitement. C'est pourquoy, bien que par les projetz de l'annee passee je devois m'imaginer que vous n'esties plus icy, si est ce que je n'ay peu m'empescher que d'abord mon cœur ne vous cherchast autour de [128] madame vostre mere. Et je ne vous ay [cherchée que] pour premierement me res-jouir avec vous de vostre heureux mariage, car on m'en dit beaucoup de bien ; que vous aves tant de contentement et que vous en rendes tant, que monsieur vostre mari est si vertueux, et que le lien d'une sainte et forte amitié vous tient unis ensemble ; en somme, que vous aves toute occasion de louer Dieu, qui vous a fait rencontrer si favorablement le soin de monsieur vostre pere et de madame vostre mere.

            Et puis, me resouvenant que vous aves esté un peu ma fille spirituelle, je vous supplie de vivre bien conformement a la grace que Nostre Seigneur vous a faite, et de correspondre fidelement a la lumiere qu'il vous a envoyee par tant d'instructions qu'il vous a fait donner.

            Souvenés vous, Madamoyselle, de vivre tous les jours en humilité, affin que Dieu vous benisse en toute vostre mayson, puisqu'il est certain que Dieu resiste aux superbes et vains, et donne aux humbles sa grace. Rien ne vous honnorera tant que cette humilité, car Dieu exalte les humbles. Elle vous acquerra…

             [Il n'y a rien] qui face tant arriver d'honneur, de reputation et de bonheur sur nous que de ne point s'amuser.

            Je ne vous dis rien de la sainte devotion, qui est desirable en tous tems et tous lieux ; car, comme vous sçaves, parmi les joyes et contentemens, elle modere nos espritz ; [129] entre les adversités, elle nous sert de refuge et nous delasse ; et, quoy qu'il nous arrive, elle nous fait benir Dieu, qui est meilleur que tout. Elle rend la jeunesse et plus sage et plus aymable, et la viellesse moins insupportable et ennuyeuse.

            Voyés, je vous supplie, ce que j'ay marqué au livre de l'Introduction a la Vie devote, de la douceur et suavité que l'on doit soigneusement nourrir au mariage ; et pour bien apprendre a prattiquer les enseignemens que vous y treuveres, il faut commencer des maintenant d'en essayer, en faysant faire l'exercice du matin et du soir. Et quand vous seres quelquefois en priere, priés, je vous supplie, un peu pour moy, qui de tout mon cœur vous souhaitte, et a monsieur vostre mari que je veux honnorer de toute ma force, mille et mille benedictions, demeurant,

            Madamoyselle,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le jour de saint Jean l'Evangeliste 1617.

 

            A Madamoyselle

[Madamoyselle] de Chaillol.

            A Briançon.

_____

 

 

MCCCLXXX. A la Sœur de Gérard, Novice de la Visitation. La plus grande austérité. — L'école de l'abnégation de la propre volonté. Quelle mortification il faut rechercher.

 

[Grenoble, décembre 1617.]

 

            J'ay veu les suggestions que l'ennemy de vostre avancement fait a vostre cœur, ma tres chere Fille, et voy [130] d'ailleurs la grace que le tressaint Esprit de Dieu vous donne pour vous maintenir forte et ferme en la poursuite du chemin auquel il vous a mis. Ma tres chere Fille, ce malin ne se soucie point que l'on deschire le cors, pourveu qu'on face tous-jours sa propre volonté ; il ne craint pas l'austerité, ains l'obeyssance. Quelle plus grande austerité y peut-il avoir que de tenir sa volonté sujette et continuellement obeyssante ?

            Demeurés en paix. Vous estes amatrice de ces volontaires penitences, si toutefois penitences se doivent nommer les œuvres de l'amour propre. Ouand vous pristes l'habit, apres plusieurs prieres et beaucoup de considerations, il fut treuvé bon que vous entrassies en l'escole de l'obeyssance et de l'abnegation de vostre propre volonté, plustost que de demeurer abandonnee a vostre propre jugement et a vous mesme. Ne vous laisses donq point esbransler, mais demeures ou Nostre Seigneur vous a mis. Il est vray que vous y aves des grandes mortifications de cœur, vous y voyant si imparfaite et digne d'estre souvent corrigee et reprise ; mais n'est-ce pas ce que vous deves chercher, que la mortification du cœur et la connoissance continuelle de vostre propre abjection ?

            Mais, ce dites vous, vous ne pouves pas faire telle penitence que vous voudries. Or dites moy, ma tres chere Fille, quelle meilleure penitence peut faire un cœur qui fait faute, que de subir une continuelle croix et abnegation de son propre amour ? [131]

            Mais je dis trop : Dieu luy mesme vous tiendra de la mesme main de sa misericorde avec laquelle il vous a mis en cette vocation, et l'ennemy n'aura point de victoire sur vous, qui, comme la premiere fille de ce païs-la, deves estre bien espreuvee par la tentation, et bien couronnée par la perseverance.

            Je suis tout vostre, ma tres chere Fille.

FRANCS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCCCLXXXI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Force des vœux dans l'Institut de la Visitation. — Un procédé que le monde n'approuve pas. — Légitimité de l'expulsion dans les Ordres religieux, et de la prolongation du noviciat. — Douce plainte du saint Fondateur.

 

Grenoble, décembre 1617.

 

            Vos vœux, ma tres chere Fille, sont aussi fortz que les vœux de tous Ordres de Religion pour obliger la conscience des Seurs a leur observance. Il est vray neanmoins qu'une fille qui voudra perdre son ame et son honneur se pourra marier apres les vœux, comme feroit la plus grande professe de France si elle se vouloit perdre et se servir de l'Edict de pacification. Le formulaire [132] de vos vœux est fait selon ceux des pareilles Congregations d'Italie, et exprime beaucoup plus la force de l'obligation que ne font la pluspart des formulaires de la Regie de saint Benoist. Le vœu de chasteté est fondamental, selon les anciens Peres, es monasteres des femmes, et les autres ne laissent pas d'estre essentielz.

            Il est vray, on peut estre dispensé des vœux simples, et des autres aussi ; plus facilement toutefois de ceux la que de ceux ci, mais non sans grande occasion, et lhors qu'il est expedient : dont les Peres Jesuites se treuvent extremement bien, maintenant en partie le lustre de leur tres illustre Compaignie par ce moyen, lequel le monde n'appreuve pas, mays ouy bien Dieu et l'Eglise. Et toute l'antiquité des Religions a esté comme cela, la solemnité des vœux ayant esté establie despuis peu de centaines d'annees.

            L'expulsion a tous-jours esté parmi les anciens Religieux. C'est une chose rigoureuse que pour ne vouloir pas observer le silence on mist une fille dehors. Ce ne seroit pas faute d'observer le silence, mays pour vouloir obstinement troubler et renverser l'ordre et la Congregation, et mespriser le Saint Esprit qui a ordonné le silence es Maysons religieuses. Que si on n'expulse pour l'obstinee desobeyssance et le mespris affecté de l'ordre, je ne sçai pourquoy on expulsera. En fin, les Religieux, mesme les plus solemnelz, expulsent ; au moins voit-on des [133] Religieux expulsés de l'Ordre de Saint François, voire mesme des Capucins ; et les Peres Jesuites, qui sont si avisés et prudens, expulsent pour les desobeyssances, pour peu qu'elles soyent affectionnees et entretenues.

            La prolongation du noviciat se faysant pour cause, n'est pas contraire au Concile, comme ont declairé ceux qui ont la charge des declarations d'iceluy, et les docteurs mesmes l'entendent ainsy. De fait, les Carmelines la font selon qu'il semble a propos.

            Si ces bons Messieurs eussent autant estudié et pensé pour censurer comme nous avons fait pour establir, nous n'aurions pas tant d'objections. Or, Dieu soit loué ! J'espere que bien tost chacun s'accoysera par la conclusion qu'on y mettra a Rome.

            Ma tres chere Fille, pour Dieu, ayes bon courage ; c'est aussi pour luy que vous vives et travailles. Il soit a jamais beni et glorifié. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Si ceux qui font cette objection sont gens d'estude, ilz pourront lire Leonard Lessius, Jesuite, ou ilz treuveront ce qu'il leur faut. [134]

_____

 

MCCCLXXXII. A Madame de la Valbonne. Deux vertus essentielles. — Le plus sûr moyen d'acquérir l'honneur. — Les sécheresses spirituelles et leurs remèdes. — Avis pour la confession.

 

[1615-1617.]

 

            Dieu vous benisse, ma tres chere Niece, ma Fille, dequoy vous perseveres tous-jours au soin de luy garder les plus pretieuses affections de vostre cœur. Que vous seres heureuse, si cette perseverance dure jusques a la fin de cette miserable vie ! car ainsy cette fin sera le sacré commencement d'une belle et tressainte eternité.

            Il faut bien tous-jours tenir ferme en nos deux cheres vertus, la douceur envers le prochain et la tres aymable humilité envers Dieu ; et j'espere qu'il sera ainsy, car ce grand Dieu qui vous a pris par la main pour vous tirer a soy, ne vous abandonnera point qu'il ne vous ayt logee en son tabernacle eternel. Il faut arracher tout a fait le soin des preseances, puisque mesme on ne possede jamais tant l'honneur qu'en le mesprisant, et que cela trouble le cœur et nous fait faire des eschappees contre la douceur et l'humilité.

            Ne vous estonnes nullement de vos distractions, froideurs et secheresses, car tout cela se passe en vous du costé des sens et en la partie de vostre cœur qui n'est pas entierement en vostre disposition ; mays, a ce que je voy, vostre courage est immobile et invariable es resolutions que Dieu nous a donné. Vrayement, ma chere [135] Fille, il ne faut pas laisser la tressainte Communion pour cette sorte de mal ; car rien ne ramassera mieux vostre esprit que son Roy, rien ne l'eschauffera tant que son soleil, rien ne le destrempera si souëfvement que son bausme.

            Et ne vous troubles point dequoy vous ne remarques pas toutes vos menues cheutes pour vous en confesser ; non, ma Fille, car, comme vous tombes souvent sans vous en appercevoir, aussi vous vous releves sans vous en appercevoir. Aussi n'est-il pas dit au passage que vous m'aves allegué, que le juste se voit ou sent tomber sept fois le jour, mais qu'il tombe sept fois ; aussi il se releve sans attention a ses relevees. Ne vous mettés donq pas en peyne pour cela, mais allés humblement et franchement dire ce que vous aures remarqué ; et pour ce que vous n'aures pas remarqué, remettes le a la douce misericorde de Celuy la qui met la main au dessous de ceux qui tombent sans malice, affin qu'ilz ne se froissent point, et les releve si vistement et doucement qu'ilz ne s'apperçoivent pas, ni d'estre tombés, parce que la main de Dieu les a recueillis en leurs cheutes, ni d'estre relevés, parce qu'elle les a retirés si soudain qu'ilz n'y ont point pensé.

            A Dieu, ma tres chere Fille, ma Niece ; conservés tous-jours bien vostre ame bienaymee, et ne tenes pas grand conte de ces annees qui passent, sinon pour gaigner la tressainte eternité.

FRANCS, E. de Geneve. [136]

_____

 

MCCCLXXXIII. A la Mère de Brechard, Superieure de la Visitation de Moulins (Fragment). Pourquoi les premières Mères de la Visitation doivent être très humbles et unies à Dieu.

 

Septembre 1617-mars 1618.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Mon Dieu, ma tres chere Fille, que vous autres qui estes les premieres Meres et comme les colomnes de cette petite Congregation, deves estre grandement humbles, vertueuses et unies a l'esprit de Dieu, puisque vous voyes que de toutes partz l'on vous desire, par tout l'on cherche des greffes et plantes de vos pepinieres ; car voyla Grenoble, Turin, Montpellier, Valence, Clermont, Le Mans, en somme par tout il semble que l'on vous veuille a l'envi, sans que par nul artifice on recherche ces recherches…

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy. [137]

_____

 

Année 1618

_____

 

 

MCCCLXXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Prochain voyage du Cardinal de Savoie en France. — L'Evêque de Genève se dispose à l'accompagner.

 

Annecy. 4 janvier 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Comme Vostre Altesse Serenissime pouvoit choysir mille et mille personnes plus capables de servir dignement Monseigneur le Prince Cardinal au voyage de France, aussi ne pouvoit elle donner le commandement de ce faire a homme qui vive, qui, avec plus de fidelité et de cœur, receut cet honneur, ni qui, avec plus d'affection, se veuille essaÿer de correspondre par son tres humble service a la faveur et gloire que je sens d'y estre appellé. [138]

            Et attendant un nouveau commandement pour le jour auquel je me rendray a ce devoir, je demeure,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

MCCCLXXXV. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée (Inédite). Reconnaissance et soumission au sujet d'un commandement honorable.

 

Annecy, 4 janvier 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Je reçois a grand bonheur le commandement que Vostre Altesse me fait de suivre Monseigneur le Serenissime Cardinal en France, et le feray, Dieu aydant, avec tant de fidelité et sujettion, que je ne demeriteray point lhonneur que je possede d'estre,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            4 janvier 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Biblioteca Civica. [139]

_____

 

 

MCCCLXXXVI. A Don Juste Guérin, Barnabite. Raisons pour lesquelles on sollicite le privilège du petit Office pour les Sœurs de la Visitation. — Demande d'Indulgences pour les Monastères. — Traiter toute cette affaire avec prudence. — Nouvel effort du Saint pour l'établissement d'un Séminaire.

 

Annecy, [commencement de janvier] 1618.

 

            Mon Reverend Pere,

 

……………………………………………………………………………………………………..

            L'affaire des Dames de la Visitation a Rome consiste en ce point : qu'il playse a Sa Sainteté leur permettre de n'estre point obligees a dire le grand Office, pour les raysons suivantes :

            Premierement, il n'y a nation au monde ou les femmes prononcent si mal le latin qu'en celle de France, et notamment icy ; et seroit presque impossible de faire bien apprendre la prononciation de tout le grand Office, la ou il sera aysé de la leur apprendre pour le petit Office de Nostre Dame, comme elles le prononcent en effect fort bien des a present.

            Secondement, en cette Congregation on desire recevoir les filles de petite complexion, et lesquelles, faute de forces corporelles, ne peuvent estre receuës es Religions plus austeres. Or, celles qui sont obligees au grand Office, si elles le veulent dire distinctement et posement, ne le peuvent faire sans effort ; et si elles le veulent dire viste et couramment, elles se rendent ridicules et indevotes. [140] C'est pourquoy il est plus convenable que celles-ci qui, faute de forces corporelles, ne le pourroyent pas dire posement, ne disent que le petit Office.

            Troysiesmement, il y a exemple a Paris, ou les Seurs de Sainte Ursule, Religieuses des trois vœux solemnelz, ne disent que le petit Office.

            Quatriesmement, les Seurs de la Visitation font plusieurs exercices spirituelz qu'elles ne pourroyent pas faire en disant le grand Office.

            Je pensois vous marquer les autres pointz ; mais je me resouviens que le P. Procureur general les a bien au long. Il faut que je vous die que les Regles dont on demande l'approbation sont toutes conformes a la Regie de Saint Augustin, hormis en la clausure absolue, que saint Augustin n'avoit pas establie, a laquelle neanmoins les Seurs se veulent astreindre, selon le sacré Concile de Trente. Peut estre que le Saint Siege commettra quelqu'un de deça, quelques Prelatz de Religions et autres theologiens pour les revoir, corriger et appreuver.

            Je ne voy pas qu'il soit besoin de vous advertir d'autre [141] chose sur ce sujet, sinon que, quant au Monastere de cette ville, attendu que l'eglise d'iceluy est consacree sous le tiltre de la Visitation de Nostre Dame et du glorieux saint Joseph, il seroit desirable que l'on obtinst Indulgence pleniere pour ces jours la, et pour les jours des tiltres des autres Maysons et Monasteres de cette Congregation, outre l'Indulgence du jour de la Visitation, qui est le tiltre general de la Congregation.

            Monseigneur de Lion est la, auquel s'il plaist de favoriser l'affaire, il peut infiniment en cela. Or, je croy qu'il luy plaira, puisqu'il a en sa ville metropolitaine une Mayson de la Visitation ou Dieu est grandement honnoré.

            Mais, mon Reverend Pere, il faut traitter toutes choses doucement et avec circonspection. Ce que je dis, parce que quelques ecclesiastiques austeres et exactz en leurs personnes ont rendu quelque signe qu'ilz n'estoyent pas satisfaitz dequoy en cette Congregation il y avoit si peu d'austerité et de rigueur de peynes ; mais il faut tous-jours regarder a la fin, qui est de pouvoir recueillir les filles et femmes debiles, soit en aage, soit en complexion.

            Je desire encor obtenir une lettre de la Congregation des Evesques a moy et au clergé de ce diocese, par laquelle il me soit enjoint d'eriger un Seminaire de ceux qui pretendent a l'estat ecclesiastique, ou ilz puissent se civiliser es ceremonies, a catechiser et exhorter, a chanter, et autres telles vertus clericales ; car, quant aux petitz enfans, nous en avons de reste qui veulent estre ecclesiastiques et qui n'estudient pour autre fin.

            Or, je desire que le clergé ait part a la lettre, affin qu'on puisse imposer pour cela quelque petite cotisation sur les benefices. Le Concile de Trente suffiroit, mais [142] pour le faire valoir plus efficacement, la susdite lettre seroit requise.

……………………………………………………………………………………………………...

            Je suis

Vostre frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCCCLXXXVII. A M. Benigne Milletot. Aimable réponse à la demande d'une cédule d'amitié. — Le voyage de l'Abbesse du Puits-d'Orbe ; ce que le Saint blâme et regrette. — Une âme que l'amertume trouble démesurément. — Nouvel ami de l'Evêque de Genève. — Tristesses et difficultés au sujet du testament de la baronne de Thorens.

 

Annecy, 13 janvier 1618.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Je receu a Grenoble la lettre quil vous pleut m'escrire le 6 decembre 1617 ; mays que vous diray-je ? Ni moy et tout je ne le croy pas que jamais vous puyssies entrer en opinion que je varie et chancele en la sincere et solide affection que j'ay de vous honnorer et cherir a jamais, sans reserve ni exception quelcomque. Non, Monsieur montres cher Frere, vous n'aures jamais cette cogitation, et ce n'est pas cela qui vous fait demander une cedule de [143] moy pour vostre asseurance ; car je suis certain que l'amitié dont vous me favorises est si parfaite qu'elle est au dessus de toute desfiance. Et comme m'eussies vous peu tant aymer si vous n'eussies eu le sentiment de l'invariable nature de mon ame en cette passion d'amitié ?

            Vous le sçaves donq bien, je m'en asseure, je suis exempt de ses vicissitudes, et mesme mon affection ayant rencontré un object si invariablement aymable comme vous estes, mon tres cher Frere ; mays il ny a remede, il faut que vostre amour s'esgaye a me demander des certitudes du mien, dont toutefois il ne peut douter. Nous sçavons bien cette douce importunité des amans, qui se playsent d'ouïr mille et mille fois repeter qu'on les ayme, non pour s'asseurer, mays pour se complaire en l'asseurance quilz ont, qui semble estre mieux savouree quand ell'est plus souvent repetee. Que si vous voulies neanmoins une cedule de mon cœur, comme vous me le signifiés, envoyes moy donq le vostre sur lequel je l'escriray, car nul autre papier n'est capable de cette sorte d'escriture. Or sus, c'est asses dit pour cette verité que jamais vous ne revoqueres en doute.

            Je viens a l'accessoire de vostre lettre. Je vis, de vray, Mme du Puis d'Orbe, et, autant que j'ay sceu connoistre et discerner, son voyage estoit exempt d'aucun mauvais dessein ; car elle venoit, ainsy qu'elle et madame la Premiere, ains monsieur le premier President mesme, m'avoyent adverti au paravant, seulement pour me venir voir et descharger, comme elle me dit, son cœur de cet amas d'ennuys qu'ell'avoit accueillis des qu'elle ne m'avoit veu. Voyla ce que j'en croy, quoy que j'ay treuvé tres mauvais le rencontre et la suite de celuy qui estoit si odieux a tant de gens de respect, et qui [144] devoit, par tant de raysons, ne jamais approcher cette trouppe.

            Mays quant a ma chere niece vostre fille, j'en demeuray fort satisfait ; je vous supplie de vous en asseurer. Pleut a Dieu seulement qu'elles eussent poursuivi leur voyage jusques icy, ou madame de Chantal leur avoit præparé une douce retraitte pour tant qu'elles eussent volu ; je m'asseure qu'elles s'en fussent retournees fort consolees de voir la devotion qui se prattique en la Mayson de la Visitation, ou maintenant nostre fille est portiere pour la seconde fois, tant on estime sa vertu que de luy donner cette charge, l'une des plus importantes, affin que je vous die encor ce mot de consolation.

            Je fis tant par mes remonstrances, que l'esprit de Mme du Puis d'Orbe, qui estoit aux abboys a cause de tant de troubles et de regretz dont il estoit accablé, reprit un [peu de vigueur] pour s'en aller en paix et vivre en paix en [son abbaye.] Mays elle m'escrit despuis son retour, qu'elle a de rechef treuvé tant de mauvais traittemens, qu'ell'a perdu presque toute esperance de jamais avoir la paix. Or, je suis au bout de ma science pour cela. Il y a la des bons Peres Jesuites qui pourront mieux que moy discerner ce qui est requis pour le bien de ce Monastere. Quant a moy, je pense que la douceur gaigneroit plus sur cett'ame qu'aucune autre chose ; au moins vois-je bien que l'amertume la trouble demesurement. [145]

            Le bon Pere Dom Pierre a rayson de m'aymer, puisqu'il vous honnore si fort et que je suis vostre cher frere. Vous l'aves conduit a præsjuger pour moy : et comme pourroit il autrement juger ? Je n'ay pas le bonheur de le connoistre, mais ouy bien de connoistre sa Congregation que j'ay au milieu de mon cœur, et de laquelle je respecte et le General et plusieurs autres grans personnages qu'elle reunit, auxquelz donq je joindray celuy ci et le luy tesmoigneray a la premiere commodité qui s'en presentera. Que sil se treuve a Paris le moys suivant, j'auray peut estre le bien de l'y voir, car je pense que Monseigneur le Cardinal de Savoye s'y en va, que j'y accompagneray, Son Altesse me l'ayant ainsy commandé sans reserve.

            Vous aures sceu combien l'annee passee nous a esté dure par le trespas de mon frere, de son filz et de sa femme qui en moins de quatre moys ont esté emportés. Mais, oserois-je vous dire un surcroist de desplaysir qui m'est arrivé en cett' occasion ? Je le feray, Monsieur mon tres cher Frere, mais c'est en confiance, vous suppliant que si il ne vous en est parlé, il vous playse n'en rien tesmoigner a personne.

            Ma pauvre belle seur nous fut ravie a l'improveu trois jours apres qu'elle fut accouchee, et n'eut loysir qu'environ de cinq heures a mettre ordre a ses affaires. En cette presse, on ne vid jamais un esprit si clair, si doux, si paisible, ni plus de marques d'une vraye sainteté, car jusques au trespas elle souspira des [affections] si extremement devotes qu'elle nous ravissoit tous en admiration. Or, parmi cela et soudain qu'elle vid qu'elle mourrait de [146] cet accident, elle voulut tester, laissant a madame sa mere, a monsieur son frere et a sa seur sa dote, hormis un legat qu'elle fit encor d'environ 900 escus ; et pour le reste, elle me fit son heritier, a la charge que je laisserois l'heritage entier a mes freres. Sur quoy je m'apperçois que [Mgr de Bourges et les autres] proches de M. le Baron de Chantal ont opinion que j'aye procuré l'advantage et commodité que cette pauvre defuncte a laissé a mes freres. Cela, certes, me fait de la peine, car je prevoy bien que la bienveuillance que ce Prælat et ces messieurs avoyent envers moy s'en rafroidira. Et neanmoins, Monsieur mon tres cher Frere, je vous dis le cœur ouvert et devant le Scrutateur des cœurs, que ni directement ni indirectement, ni par moy ni par entremise d'aucun, onques je ne parlois a cette chere seur ni de tester, ni de rien faire de tout ce qu'elle fit pour mes freres. Madame sa mere, qui fut presente a cette action, et pour le moins vingt personnes d'honneur m'en seront tesmoins asseurés. Mays il est vray que ceux qui ont veu avec quel amour, quel honneur, quelle douceur cette pauvre fille estoit cherie de tous nous, ne treuvent pas si estrange qu'elle n'ayt pas volu tirer de nostre mayson que ce qu'elle y avoit apporté, sans que par autre voye nous luy ayons ni donné ni pensé a luy donner cette volonté.

            Je n'ay sceu me retenir, Monsieur mon Frere, de vous dire ce petit mal de cœur, sachant a qui je le dis ; car d'en escrire a M. de Bourges, qui ne m'en a point escrit, je ne le juge pas a propos, et me contente de sçavoir en mon ame que suis exempt de ces viles prattiques, ne sçachant mesme pas ce que les testemens de mes pere et mere contiennent, sinon pour rayson des legatz pieux. Mais c'est trop d'une chose que j'escris par eschappee. [147]

            Dieu, par son infinie bonté, vous conserve et comble de bonheur, Monsieur mon Frere, avec madame ma chere seur, et suis

Vostre tres humble frere et tres asseuré serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XIII janvier 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon-Fourvière.

_____

 

MCCCLXXXVIII. A la Mère de Chantal. L'embarras du Saint à l'arrivée de voyageurs dauphinois.

 

Annecy, 13 ou 14 janvier 1618.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Nos amis de Grenoble doivent arriver demain. Je les recevray avec playsir, a condition que vous vous chargeres des femmes, car en fin, qu'en ferois-je ? [148]

_____

 

 

MCCCLXXXIX. A M. Bénigne Milletot. Recommandation en faveur d'un ami engagé dans un procès. — Voyage du Prince Cardinal de Savoie différé.

 

Annecy, 15-17 janvier 1618.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Vay-je point trop souvent a vostre porte ? Vous importune-je point par mes si frequentes supplications ? Certes, je ne dois, ni ne puis, ni ne veux manquer au devoir que j'ay a monsieur le Marquis d'Aix, qui me fait la faveur de m'aymer tres particulierement et que pour ses rares qualités j'honnore parfaitement. Or, il a un'affaire devant la cour et, de bonne fortune, en la Chambre de la Tournelle en laquelle vous estes ; et je vous supplie donq tres humblement, Monsieur mon Frere, de la (sic) gratifier de vostre appuy au soustenement de son bon droit, puisque mesme il implore mon [149] intercession aupres de vous, sachant le bien que j'ay d'estre advoüé vostre frere.

            Le voyage du Prince Cardinal de Savoye estant differé pour quelque tems et, comme je croy, jusques a carneval, je suis par consequent d'autant esloigné de l'esperance que j'ay que par quelque rencontre ce voyage me pourra donner le bonheur de vous voir. Mays ce pendant je ne laisseray pas de vous avoir present a mon ame, ni de prier Nostre Seigneur qu'il vous comble, et madame ma seur, de toute sainte prosperité, qui suis,

            Monsieur mon Frere,

Vostre tres humble et tres affectionné frere et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

 

             [A Monsieur]

Monsieur Milletot, seigr de Villy,

            Conseiller du Roy au Parlement de Bourgoigne.

 

Revu sur l'Autographe qui se conservait au Grand Séminaire de Besançon.

_____

 

 

MCCCXC. A Madame de Blanieu. Le prix de la paix ; sa récompense. — Deux moyens de la conserver.

 

Annecy, 18 janvier 1618.

 

            Madame,

 

            Conservés-le donq bien, ce cœur, en ce juste contentement qu'il a de se sentir en paix avec son Dieu ; paix de laquelle le prix n'est point au monde, non plus que la recompense, puisqu'elle vous est acquise par le merite [150] du sang de nostre Sauveur, et qu'elle vous acquerra le Paradis eternel, si vous la gardes bien. Faites-le donq, ma tres chere Fille, et ne fuyes rien tant que ce qui la vous peut oster. Et vous le feres, je le sçai bien ; car vous invoqueres Dieu, affin qu'il vous en continue la grace, et prendres soin de bien prattiquer ce que je vous ay conseillé, que j'espere de confirmer par mon retour, puisque, comme j'ay opinion, le voyage de ce Prince que je devois accompaigner est retardé.

            Ce pendant, faites-moy part a vos prieres, puisque je ne cesseray jamais de vous souhaiter toute sorte de bonheur, et seray toute ma vie,

            Ma tres chere Fille,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 18 janvier 1618, Annessi.

_____

 

MCCCXCI. A la Présidente de Bouquéron. Comment le respect règle les témoignages de l'affection. — Souhaits des gens de bien et contradictions au sujet de la fondation du Monastère de Grenoble. — Le service de Dieu, unique bonheur en ce monde.

 

Annecy, 18 janvier 1618.

 

            Madame,

 

            Si jamais ma bouche a refusé de vous nommer ma fille, ç'a esté sans le consentement de mon cœur, qui des le premier abord du vostre sentit bien que Dieu luy donnoit [151] une forte et invariable affection, toute vrayement paternelle pour vous ; mais on n'ose pas tous-jours parler comme on desireroit, sur tout quand on doit du respect a ceux qui portent les mesmes tiltres que nous voudrions avoir. Certes, puisque vous le voules, je ne sçaurois aussi plus me priver de ce contentement.

            Et vous diray donq, ma tres chere Fille, que je suis bien ayse que ces filles soyent venues icy faire l'apprentissage du sacré mestier que par apres elles iront exercer, comme j'espere, dedans le païs de leur naissance et de mon affection : pour moy, je n'en puis plus douter, voyant cette generale concurrence des souhaitz qu'en font tant de gens de bien. Cependant il est fort certain, comme vous dites, que ce bon œuvre ne se fera pas sans quelques contradictions ; car, comme seroit-il bon autrement ? Mais pour cette dame, je ne croy pas qu'elle la face longue, puisqu'elle est vertueuse et de bon esprit ; et puis, Dieu dissipe les cogitations humaines par sa science celeste.

            Or sus, ma tres chere Fille, continués tous-jours a servir ce divin Maistre et Sauveur de vostre ame en pureté et douceur d'esprit : c'est l'unique bonheur que nous pouvons pretendre, et l'infallible asseurance de le [152] posseder eternellement consiste a l'aymer en ce monde fidelement et confidemment.

            Je ne suis pas hors d'esperance de vous revoir ce Caresme, et de vous dire de vive voix, comme je le dis de tout mon cœur, que je suis,

            Ma tres chere Fille,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 18 janvier 1618.

_____

 

 

MCCCXCII. Au Roi de France, Louis XIII (Minute). L'avis du Saint pour le rétablissement des Carmes à Gex. — Impossibilité de leur assigner le revenu destiné au service des paroisses. — Travail et dévouement des Capucins. — Deux moyens de hâter l'entière conversion du pays.

 

Annecy, 21 janvier 1618.

 

            Sire,

 

            Pour obeir au commandement que Vostre Majesté me fait par sa lettre du dernier jour d'aoust 1617, que je n'ay receu sinon quatre mois apres, je diray ce qu'il me semble sur la proposition que le Pere Provincial des Carmes de la province de Narbonne luy a faite, pour [153] le restablissement du couvent que ceux de son Ordre avoyent jadis a Gex ; et attendu qu'il y a quelques restes des edifices et des biens dudit couvent, je croy bien, Sire, qu'il seroit bon qu'ilz fussent remis en l'Ordre duquel ilz dependent, a la charge que le service y fust fait selon la proportion du revenu qui en proviendroit. Et parce que maintenant il n'y a pas suffisamment pour entretenir une seule personne, s'il plaisoit a Vostre Majesté leur ordonner les cent cinquante livres sur les tailles, que ledit Pere Provincial luy a demandees en aumosne, il pourrait par ce moyen y colloquer quelque habile et discret Religieux, qui, par les voyes ordinaires de la justice et des loix publiques, retireroit petit a petit les pieces esgarees dudit couvent, sans que pour cela aucun eust occasion de se plaindre, ni que personne en fust grandement incommodé.

            Mais quant aux trois cens livres que ledit Pere Provincial demandoit sur les autres revenus ecclesiastiques remis entre mes mains pour le restablissement de l'exercice catholique es eglises du balliage dudit lieu, je ne voy pas que cela luy doive ni puisse estre accordé ; veu que tout est requis pour estre employé aux services et offices divins et a l'entretien et reparation des edifices sacrés, sans qu'on en puisse rien oster, ainsy que j'ay clairement fait voir audit Pere Provincial par les contes de ceux qui, de la part de Vostre Majesté, ont esté establis et commis a la recette desditz revenus. Outre que, s'il y avoit quelque chose de plus, il devrait plustost estre destiné a l'accommodement des Peres Capucins qui, des plusieurs annees en ça, resident audit lieu de Gex et y travaillent avec beaucoup de zele et d'incommodités.

            Et quant a ce que Vostre Majesté veut sçavoir, s'il seroit point plus a propos d'introduire en la ville dudit Gex quelque compaignie de Religieux reformés, je pense, Sire, qu'il n'y a point de doute, puisque les desvoyés ne sont pas moins attirés a la connoissance du bon chemin par les bons exemples que par les bonnes instructions. [154] Mais le reste des biens du couvent des Carmes estant si petit, serviroit de peu a cela, qui ne peut estre fait que par le dessein expres de Vostre Majesté et par union de quelque benefice riche, quand il viendroit a vaquer, ou par quelque autre liberalité royale. Et lhors, Sire, si Vostre Majesté me commandoit de nommer quelle compaignie j'estimerois plus propre pour ce lieu la, je nommerois celle des Prestres de l'Oratoire, bons a toutes sortes de services spirituelz et qui plus aysement peuvent se mesler parmi les adversaires.

            Que si d'abondant Vostre Majesté me commandoit de luy marquer un autre moyen grandement utile a l'avancement de la foy catholique en ce balliage de Gex, je dirois, Sire, que ce seroit d'y mettre des officiers catholiques ; et sans ce moyen icy, les autres n'opereront que foiblement et lentement.

            Je prie Dieu, ce pendant, qu'il comble de benedictions Vostre Majesté, vostre couronne et vostre royaume ; qui suis et seray a jamais,

            Sire,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le 21 janvier 1618. [155]

_____

 

 

MCCCXCIII. A la Mère de Chantal. Départ d'une belle âme pour le Ciel. — Une demeure toute de paix. — Confiance en Dieu, et regrets sur les morts.

 

Annecy, 24 janvier 1618.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Quand on m'a osté d'aupres de vous, ça esté pour monsieur de Sainte Catherine, mais je pensois que ce fust un accident comme l'autre fois ; et voyla que ça esté pour luy faire saintement dire dix ou douze fois : VIVE JESUS ! et protester qu'il avoit toute son esperance en la mort de Nostre Seigneur : qu'il a prononcé avec beaucoup de force et de vivacité, et puis s'en est allé ou nous avons nos pretentions, sous les auspices du grand saint Paul. Dieu qui nous l'avoit donné pour son service, le nous a osté pour sa gloire : son saint nom soit beni ! [156]

            Demeures cependant en paix, avec mon cœur, au pied de la providence de ce Sauveur pour lequel nous vivons et auquel, moyennant sa grace, nous mourrons. Dieu reparera cette perte et nous suscitera des ouvriers en lieu de ces deux qu'il a pleu retirer de sa vigne pour les faire asseoir en sa table. Mais tenes vostre cœur en paix, car il le faut ; et, comme dit l'Escriture, pleures un peu sur les trespassés, mais pourtant loues Dieu en consolation, puisque nostre esperance est vivante. Amen.

FRANCS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCCCXCIV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Mort de deux grands serviteurs de Dieu. — Admirable acquiescement du Saint.

 

Annecy, 24 janvier 1618.

 

            Ma tres chere Fille,

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Il faut demeurer coy en ce que Dieu dispose et ordonne ; nous l'avons mesme fait ce jourd'huy. A 7 heures du matin, nous avons perdu pour cette vie le P. D. Simplicien, et a trois heures le bon monsieur de Sainte Catherine, deux grans serviteurs de Dieu, sans qu'il y aye presque [157] aucun malade en cette ville. O Providence celeste ! sans esplucher vos effectz, je les adore et embrasse de tout mon cœur, et acquiesce a tous les evenemens qui en succedent par vostre volonté.

……………………………………………………………………………………………………...

_____

 

MCCCXCV. A la Baronne de Menthon (Inédite). Vacance d'un bénéfice. — Trois raisons d'en pourvoir sur-le-champ Benoît de Chevron.

 

Annecy, 26 janvier 1618.

 

            Madame,

 

            En la vacance de la chapelle de Sainte Catherine par le trespas du bon et devot M. de Quoëx, j'ay rencontré par mon desir le choix que monsieur vostre mari et vous aves fait ; et je n'avois garde de faillir, puisque monsieur le Doyen vous est si proche en toutes façons, que vostre bon naturel ne vous eut pas permis de faire autrement. Il m'a dit tout ensemble, et l'obligation [158] qu'il vous en avoit, et la difficulté, ou plustost la consideration pour laquelle il n'avoit pas l'acte de la nomination : qui estoit que monsieur vostre mari auroit quelque sorte d'opinion de pouvoir un jour luy mesme la deservir.

            Mays, Madame, il faut que je vous die trois choses en confiance. L'une est, que quand monsieur le Baron seroit en estat (dont Dieu le garde) de deservir cette chapelle, en estant le nominateur il ne pourroit pas la prendre pour soymesme, car nulle (sic) ne peut estre nominateur de soymesme. L'autre est que laiqs ne peuvent en conscience tenir les benefices, ni les nominateurs ne peuvent non plus les tenir en suspens sans offencer Dieu et les ames [159] des fondateurs. Et la troysiesme, c'est que, si cette chapelle demeure quelque tems sans recteur, elle n'est pas si petite quil ne se treuve des courans qui l'impetreront a Rome ; et elle sera bien impetree, attendu la negligence de ceux qui doivent nommer. Sur cela, Madame, il me semble que vous deves des maintenant gratifier ce neveu qui vous appartient en tant de façons, et luy donner la nomination, affin de conserver vos droitz et l'intention des prasdecesseurs.

            Pour [ce], je vous escris ainsy librement et sans art, sachant que vous m'aymes franchement, et croires aysement que je parle selon le devoir et l'affection que je vous ay et qui me rend, Madame,

Vostre plus humble tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVI janvier 1618, Annessi.

 

            A Madame

Madame la Baronne de Menthon.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte de Menthon, au château de Menthon (Annecy).

_____

 

 

MCCCXCVI. A Madame Bourgeois, Abbesse du Puits-d'Orbe. Très sage avis du Saint au sujet du transfert de l'abbaye du Puits-d'Orbe. — Devoir de l'Abbesse pour maintenir ses filles en union et charité. — Humble démarche qu'elle doit faire.

 

Annecy, 30 janvier 1618.

 

            Dieu, qui a fait vostre cœur pour son Paradis, ma tres chere Fille, luy face la grace d'y bien aspirer. Je vous escris sans loysir, comme je fay presque tous-jours en cette multiplicité d'affaires qui m'accablent. [160]

            Je vous ay des-ja escrit qu'il ne failloit nullement penser a transplanter vostre Monastere a Lion ; car, a quel propos oster une si notable fondation d'une province et d'un diocese pour la porter en un autre ? Ni le Pape, ni l'Evesque, ni le païs, ni le Parlement ne le permettront jamais. Demeurés donq ferme en la resolution de le transferer des chams a la ville, mais en une ville de la province et du diocese ; s'il se pouvoit, a Langres, ou a Chastillon, ou a Dijon, et icy il seroit mieux. Et ne faut point craindre que vos parens vous y faschassent, car y vivant en une bonne et sainte reformation, chacun vous y reverra avec un amour nompareil ; et puis, il ne faut pas tant regarder a vostre personne particuliere qu'au public et a la posterité. Mais si vous ne pouves ranger vostre esprit a cet advis, du moins que ce soit a Chastillon.

            Je n'appreuve nullement que vous separies vos filles, tenant les unes comme vos affectionnees et partisanes, et les autres comme distraittes de l'affection qu'elles vous doivent, ni qu'on leur reinette leurs pensions ou autres particularités. Il faut que vostre courage surnage a tout cela ; et croyes que si vous estes bien resolue de vivre en charité avec elles, leur monstrant un cœur de douce mere, qui a oublié tout ce qui s'est passé jusqu'a present, vous les verres toutes revenir a vous dans bien peu de moys.

            Madame la Premiere vous escrira. Je vous prie, escrivés luy en esprit de douceur et d'humilité, et, sans faire conte des choses passees, tesmoignés que vous estes fille de Nostre Seigneur crucifié. Et non seulement a elle, mais escrivés aussi a M. le President et a monsieur [161] d'Origny, leur disant qu'apres tant de tourmens que vou saves souffertz, en fin Nostre Seigneur et vostre vocation vous convient de les prier de vous assister au dessein qui a tous-jours esté en vostre ame, de reduire vostre Monastere a quelque perfection de la vie religieuse, et qu'es occasions vous les advertires des moyens requis a cet effect, a ce qu'ilz vous aydent ; car en fin, ma tres chere Fille, il faut avoir la paix, et la paix naist de l'humilité. De renvoyer ce point a eux, il n'est pas raysonnable ; il faut que ce soit vous qui commencies. En somme, il faut amollir et briser ce cœur, ma tres chere Fille, et convertir nostre fierté en humilité et resignation.

            Je salue toutes nos Seurs, et particulierement madame la Prieure. Dieu, par sa bonté, vous comble de son Saint Esprit, affin que vous vivies en luy et a luy.

            30 janvier 1618.

_____

 

 

MCCCXCVII. A la Mère de Chantal. Discrétion que garde le baron de Chantal et qu'il faut garder avec lui.

 

Annecy, 16 janvier-février 1618.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Vostre Baron ne me parla point de son cousin M. de Rabutin, ni moy a luy ; mais je croy qu'il ne [162] desire pas que vous luy parlies, comme en effect, aussi bien sera-ce chose inutile, sinon en general, et dissimulant la particularité.

            J'iray, si je puis, cet apres disné voir Mlle de Colombier. Ce pendant, je vous donne le bon jour de tout mon cœur.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

_____

MCCCXCVIII. Au Père Claude-Louis-Nicolas de Quoex, Prieur de Talloires. Doux reproche à un ami trop affligé. — Aimer le bonheur de ceux qui nous ont quittés pour aller à Dieu.

 

Annecy, fin janvier-février 1618.

 

            Mon cher Frere (car je suis en la place de celuy que nostre bon Dieu a retiré pres de luy), on me vient de [163] dire que vous pleures continuellement pour cette veritablement bien sensible separation. Il ne faut nullement que cela soit, car, ou vous pleures sur luy, ou pour vous. Si c'est sur luy, pourquoy pleurer, que nostre Frere est en Paradis ou les pleurs n'ont plus de lieu ? Que si pour vous, n'y a-il point trop d'amour propre (je parle avec vous ainsy franchement), d'autant qu'on jugera que vous vous aymes plus que son bonheur, qui est incomparable ? Et voudries vous que, pour vous, il ne fust pas avec Celuy in quo movemur et sumus, tous tant que nous sommes qui acquiesçons a son saint playsir et divine volonté ?

            Mais venes nous voir, et souvent, et nous convertirons les pleurs en joye, nous souvenant par ensemble de celle de laquelle nostre bon frere jouit et laquelle jamais plus ne luy sera ostee. Et en somme, pensés souvent en elle et en luy, et vous vivres joyeux, comme je le souhaite de tout mon cœur, avec lequel je me recommande a vos prieres et vous asseure que je suis vostre.

FRANÇS, E. de Geneve. [164]

_____

 

MCCCXCIX. Au Père Ange Calcagni, Cordelier. Consolation à un prisonnier.

 

Annecy, 4 février 1018.

 

            Molto Reverendo Padre in Christo osservandissimo,

 

            Andando costì il signor Rocho suo fratello, anch'io vado con esso lui mentalmente a salutar Vostra Riverenza et pregharla che stia allegra quanto Ella potrà in questa sua tribulatione che, gratia al Signore, finirà presto, poichè subito che Sua Eccellenza che deve venir fra pochi giorni [sarà giunta], Vostra Paternità sarà messa in libertà. [165]

            Et cosi, augurandoli ogni vera consolatione doppo questo travaglio, con tutto il cuore alle sue orationi mi raccommando.

            Di Vostra Paternità molto Reverenda,

Affettionatissimo come fratello et servitor,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli 4 di Febraio 1618.

 

            Al molto Rdo in Christo,

            Il P. Angelo Calcagno,

Guardiano della Madonna della Campagna di Piacenza.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Morandi, à Plaisance (Italie). [166]

 

 

 

            Très Réverend et très honoré Père dans le Christ,

 

            M. Roch votre frère se rendant vers vous, je vais aussi en esprit avec lui saluer Votre Révérence et la prier de demeurer joyeuse, autant qu'elle le pourra, en cette tribulation. Grâce à Dieu, elle finira bientôt, puisque dès l'arrivée de Son Excellence, qui doit venir dans quelques jours, Votre Paternité sera mise en liberté. [165]

            Ainsi, vous souhaitant toute vraie consolation après cette épreuve, je me recommande de tout cœur à vos prières.

            De Votre très Révérende Paternité,

Très affectionné comme frère et serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

 

Au très Révérend [Père] dans le Christ,

            Le Père Ange Calcagni,

Gardien de Notre-Dame de la Campagne de Plaisance. [166]

_____

 

MCD. A M. Jean de Chatillon (Inédite). Décisions pour le service de quelques paroisses.

 

Annecy, 6 février 1618.

 

            Monsieur,

 

            Re non integra, je pense que cette attestation soit suffisante, laquelle pour cela je vous renvoye, affin qu'elle serve au suppliant.

            J'ay donné verbalement charge a M. le curé de Vualier, de dire a monsieur le curé des Alinges et a [167] M. le curé d'Orcier, qu'en secourant Draillans, jusques a ce que nous y puissions mettre autre ordre, et eux et le vicaire des Alinges pourront celebrer deux fois a cette contemplation, car il faut faire ce que l'on peut.

            Madame d'Orlier me prie qu'elle puisse avoir la chapelle de Saint François, qu'elle dotera. Je vous prie de voir que c'est et m'en tenir adverti, bien que je ne laisseray pas d'en parler avec monsieur de Blonnay, puisque il vient de deça, a ce quil m'escrit.

            Je suis, Monsieur,

Vostre tres humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            6 febvrier 1618, Annessi.

 

D'après une copie de l'Autographe qui appartenait à M. Griolet, et qui a été vendu à Genève en 1910, par M. Thury. [168]

MCDI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Supplique pour l'installation des Chartreux à Ripaille.

 

Annecy, 11 février 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Entre les saintz projetz que Dieu inspira a Vostre Altesse tandis qu'elle fut icy, pour restablir le lustre du service divin en ces païs de deça, l'un estoit de mettre les Peres Chartreux a Ripaille, qui de tous tems ont une tres particuliere obligation et fidele affection a la coronne de Savoye, et desquelz la vie et les offices sont d'une merveilleuse edification. C'est pourquoy, Monseigneur, le P. Don Laurens de Saint Sixt estant par dela, j'ay creu que ce seroit a propos d'en ramentevoir Vostre Altesse, a ce qu'elle oÿe avec confiance ce qu'il luy en [169] representera, puisque non seulement il a pour ce sujet la creance de son General, mais aussi une speciale fidelité au service et a l'obeissance de Son Altesse, delaquelle il est nay sujet et vassal. Et ce pendant, je prieray Dieu qu'il comble de ses graces Vostre Altesse, a laquelle faysant tres humblement la reverence, je suis,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, le XI febvrier 1618.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

____

 

MCDII. A la Sœur de Blonay, Maitresse des novices a la Visitation de Lyon. La foi en la Providence au milieu des sécheresses spirituelles. — Quel examen il faut faire. — Le grand acte d'amour de Notre-Seigneur sur la croix. — Profit que nous devons tirer de nos imperfections. — Vivre joyeuse sous le regard de Dieu. — Saluts paternels.

 

Annecy, 18 février 1618.

 

            Ce m'eust esté une consolation sans pair de vous voir toutes en passant, mais Dieu ne l'ayant pas voulu, je m'arreste a cela ; et ce pendant, ma tres chere Fille, tres volontier je lis vos lettres et y respons.

            O Nostre Dame ! ma trrs chere Fille, si Nostre Seigneur pense en vous et s'il vous regarde avec amour ? Ouy, ma trrs chere Fille, il pense en vous, et non seulement [170] en vous, mais au moindre cheveu de vostre teste : c'est un article de foy, et n'en faut nullement douter. Mays je sçai bien aussi que vous n'en doutes pas, ains seulement vous exprimes ainsy l'aridité, secheresse et insensibilité en laquelle la portion inferieure de vostre ame se treuve maintenant. Vrayement, Dieu est en ce lieu, et je rien sçavois rien, disoit Jacob ; c'est a dire, je ne m'en appercevois pas, je n'en avois nul sentiment, il ne me sembloit pas. J'ay parlé de ceci au livre de l'Amour de Dieu, traittant de la mort de la volonté et des resignations ; je ne me souviens pas en quel Livre.

            Et que Dieu vous regarde avec amour, vous n'aves nul sujet d'en douter ; car il voit amoureusement les plus horribles pecheurs du monde, pour peu de vray desir qu'ilz ayent de se convertir. Et dites-moy, ma tres chere Fille, n'aves vous pas intention d'estre a Dieu ? ne voudries vous pas le servir fidelement ? Et qui vous donne ce desir et cette intention, sinon luy mesme en son regard amoureux ? D'examiner si vostre cœur luy plaist, il ne le faut pas faire, mais ouy bien si son cœur vous plaist ; et si vous regardes son cœur, il sera impossible qu'il ne vous plaise, car c'est un cœur si doux, si suave, si condescendant, si amoureux des chetifves creatures, pourveu qu'elles reconnoissent leur misere, si gracieux envers les miserables, si bon envers les penitens ! Et qui n'aymeroit ce cœur royal, paternellement maternel envers nous ?

            Vous dites bien, ma tres chere Fille, que ces tentations vous arrivent parce que vostre cœur est sans tendreté envers Dieu ; car c'est la verité que si vous avies de la tendreté vous auries de la consolation, et si vous avies de la consolation vous ne series plus en peyne. Mais, ma Fille, l'amour de Dieu ne consiste pas en consolation ni en tendreté ; autrement, Nostre Seigneur n'eust pas aymé son Pere lhors qu'il estoit triste jusques a la mort et qu'il crioit : Mon Pere, mon Pere, pourquoy m'as-tu abandonné ? Et c'estoit lhors, toutefois, qu'il faysoit le plus grand acte d'amour qu'il est possible d'imaginer. [171]

            En somme, nous voudrions tous-jours avoir un peu de consolation et de sucre sur nos viandes, c'est a dire avoir le sentiment de l'amour et la tendreté, et par consequent la consolation. Et pareillement, nous voudrions bien estre sans imperfections ; mais, ma tres chere Fille, il faut avoir patience d'estre de la nature humaine et non de l'angelique. Nos imperfections ne nous doivent pas plaire, ains nous devons dire avec le saint Apostre : O moy miserable ! qui me delivrera du cors de cette mort ? mais elles ne nous doivent pas ni estonner ni oster le courage. Nous en devons voirement tirer la sousmission, humilité et desfiance de nous mesmes ; mais non pas le descouragement ni l'affliction du cœur, ni beaucoup moins la desfiance de l'amour de Dieu envers nous ; car ainsy Dieu n'ayme pas nos imperfections et pechés venielz, mais il nous ayme bien nonobstant iceux. Ainsy, comme la foiblesse et infirmité de l'enfant desplaist a sa mere, et pourtant, non seulement ne laisse pas pour cela de l'aymer, ains l'ayme tendrement et avec compassion, de mesme, bien que Dieu n'ayme pas nos imperfections et pechés venielz, il ne laisse pas de nous aymer tendrement ; de sorte que David eut rayson de dire a nostre Seigneur : Aye misericorde, Seigneur, parce que je suis infirme.

            Or sus, c'est asses, ma tres chere Fille. Vivés joyeuse : Nostre Seigneur vous regarde, et vous regarde avec amour, et avec d'autant plus de tendreté que vous aves d'imbecillité. Ne permettes jamais a vostre esprit de nourrir volontairement des pensees contraires ; et quand elles vous arriveront, ne les regardés point elles mesmes, destournés vos yeux de leur iniquité, et retournés devers Dieu avec une courageuse humilité, pour luy parler de sa bonté ineffable par laquelle il ayme nostre chetifve, pauvre et abjecte nature humaine, nonobstant ses infirmités.

            Priés pour mon ame, ma chere Fille, et me recommandés a vos cheres filles novices, lesquelles je connois toutes, [172] fors que ma Seur Colin. Je suis entierement vostre en Nostre Seigneur, qui vive a jamais en nos cœurs. Amen.

            Annessi, ce XVIII febvrier 1618.

_____

 

MCDIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Les mères poules et leurs poussins. — Une école de charité et de patience. — Conseils au sujet de Novices. — Le filet imperceptible de la Providence. — Parure de ce monde et parure du Ciel pour les épouses du Christ. — Humilité du saint Evêque.

 

Annecy, 19 février 1618.

 

            Je vous voy, ma tres chere Fille, toute malade et [173] dolente sur les maladies et douleurs de vos filles. On ne peut estre Mere sans peyne. Qui est celuy qui est malade, dit l'Apostre, que je ne le sois avec luy ? Et nos anciens Peres ont dit la dessus, que les poules sont tous-jours affligees de travail tandis qu'elles conduisent leurs poussins et que c'est ce qui les fait glosser continuellement, et que l'Apostre estoit comme cela. Ma tres chere Fille, qui estes aussi ma grande fille, le mesme Apostre disoit aussi, que quand il estoit infirme, alhors il estoit fort, la vertu de Dieu paroissant parfaite en l'infirmité. Et vous donq, ma Fille, soyes bien forte parmi les afflictions de vostre Mayson. Ces maladies longues sont des bonnes escholes de charité pour ceux qui y assistent, et d'amoureuse patience pour ceux qui les ont ; car les uns sont au pied de la croix avec Nostre Dame et saint Jean, dont ilz imitent la compassion, et les autres sont sur la croix avec Nostre Seigneur, duquel ilz imitent la Passion.

            Quant a la Seur de laquelle vous m'escrives, Dieu vous fera prendre le conseil convenable. Cette douceur es souffrances est un pronostic de la future faveur abondante de Nostre Seigneur en cette ame, ou qu'elle aille ou demeure. Salués, je vous supplie, ces deux filles tendrement de ma part, car je les ayme ainsy.

            Au demeurant, s'il est treuvé convenable de renvoyer cette Novice, il le faudra faire avec toute la charité possible, et Dieu reduira tout a sa gloire. Dieu garde et benit les sorties aussi bien que les entrees de celles qui font toutes choses pour luy, et qui n'occasionnent pas leurs sorties par leurs mauvais deportemens. Sa providence fait vouloir le sacrifice qu'elle empesche par apres [174] d'estre fait, comme on voit en Abraham ; et me semble que je dis je ne sçay quoy de ceci au livre de l'Amour de Dieu, mais je ne me souviens pas ou.

            Dilatés cependant vostre cœur, ma chere Fille, mon ame, parmi les tribulations ; aggrandisses vostre courage, et voyes le grand Sauveur penché du haut du Ciel vers vous, qui regarde comme vous marches en ces tourmentes, et, par un filet de sa providence imperceptible, tient vostre cœur et le balance en sorte qu'a jamais il le veut retenir a soy.

            O ma tres chere Fille, vous estes espouse non pas encor de Jesus Christ glorifié, mais de Jesus Christ crucifié : c'est pourquoy les bagues, les carquans et enseignes qu'il vous donne et dont il vous veut parer sont des croix, des clouz, des espines, et le festin de ses noces est de fiel, d'hyssope, de vinaigre. La haut nous aurons les rubis, les diamans, les esmeraudes, le moust, la manne et le miel. Je ne dis pas ceci, non, ma chere grande Fille, vous tenant pour descouragee, mais vous tenant pour adoloree, et m'estant advis que je dois mesler mes souspirs avec les vostres, comme je sens mon ame meslee avec la vostre.

            Voyes vous, ne me dites point que vous abuses de ma bonté a m'escrire des grandes lettres ; car en verité, je les ayme tous-jours suavement.

            Ce bon Pere dit que je suis une fleur et un vase de fleurs, et un phœnix ; mais en verité, je ne suis qu'un puant homme, un corbeau, un fumier. Mais pourtant, aymés moy bien, ma tres chere Fille, car Dieu ne laisse pas de m'aymer et de me donner des extraordinaires desirs de le servir et aymer purement et saintement. En somme, apres tout, nous sommes trop heureux d'avoir pretention en l'eternité de la gloire, par le merite de la Passion de Nostre Seigneur, qui fait trophee de nostre misere pour la convertir en sa misericorde, a laquelle soit honneur et gloire es siecles des siecles. Amen. [175]

            Je suis vostre, ma tres chere Fille, vous le sçaves bien, mais je dis vostre d'une façon incomparable.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 19 febvrier 1618.

_____

 

 

MCDIV. Au Père Jean-Matthieu Ancina de la Congrégation de l'Oratoire (Inédite). Envoi d'un mémoire sur les vertus de Juvénal Ancina.

 

Annecy, 23 février 1618.

 

            Molto Reverendo Padre osservandissimo,

 

            Mi dispiace sommamente che Vostra Paternità non habbia sin adesso ricevuto l'elogio fatto da me intorno al concetto nel quale ho sempre havuto la felicissima memoria del nostro Monsignore Rmo di Saluzzo. Et ecco che io ne mando un duplicato fatto et scritto in fretta, et dal rozzo mio ingegno, onde non sarà degno d'esser appresentato alli occhi del publico ; ma fatto però da un cuore che stima sommamente [e] è amantissimo della ricordatione di detto nostro Monsignore. Et ho poco detto, perchè non ho havuto tempo da vedere in esso la prattica [176] delle virtù alla distesa ; Vostra Paternità potrà allargar, corregere, abbreviare et mutar come gli parerà.

            Et me facia gratia di haver sempre una solida dilettione dell'anima mia, massime nelli suoi Sacrificii, che così resto eternamente,

            Di Vostra Paternità molto Reverenda,

Certissimo et affettionatissimo servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            Di 23 Febraio 1618, in Annessi.

 

Revu sur une copie conservée à Milan, à la Bibliothèque Ambrosienne.

 

 

 

            Très Révérend et très honoré Père,

 

            Je regrette infiniment que Votre Paternité n'ait pas encore reçu l'éloge que j'ai fait en témoignage de l'estime en laquelle j'ai toujours tenu notre Révérendissime Monseigneur de Saluces, de très heureuse mémoire. Voici donc que j'en envoie un double, sorti de mon lourd entendement, et écrit à la hâte ; aussi ne sera-t-il pas digne d'être mis sous les yeux du public. Il est cependant fait par un cœur qui honore grandement et chérit le souvenir de notre Monseigneur. J'ai dit peu de chose, parce que je n'ai pas eu le temps de voir [176] en lui la pratique des vertus en détail ; Votre Paternité pourra allonger, corriger, abrég er et changer comme bon lui semblera.

            Faites-moi la grâce d'avoir toujours une constante dilection pour mon âme, surtout dans vos saints Sacrifices, puisque je demeure à jamais, de Votre très Révérende Paternité,

Le très assuré et très affectionné serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            23 février 1618, à Annecy.

_____

 

 

MCDV. A Dona Ginevra Scaglia. Remerciements pour une lettre et un présent. — Sur la demande de la destinataire, l'Evêque de Genève lui offre une occasion d'aider les Sœurs de la Visitation. — Nouvelles de la Congrégation.

 

Notre-Dame de Myans, 27 février 1618.

 

            Illustrissima Signora mia in Christo osservandissima,

 

            Non ero in Granoble quando l'Eccellentia del signore [177] suo padre vi capitò, ma egli tuttavia non lasciò di mandarmi la lettera di V. S. Illma in Annessi ; et pochi giorni passati ricevei da parte del buon Padre D. Giusto una corona con la croce del legno di San Francesco, che pur V. S. Illma, per quanto mi scrisse detto [178] Padre, mi donava, et laquale io conservarò caramente, ringratiando humilmente il cuore et la mano che la diede. Et se le mie orationi saranno essaudite dal Signor Iddio, a quel cuore sarà dato il cumulo perfetto del celeste amore, et a quella mano l'annello dello sponsalitio eterno col Redentore delle anime, acciò V. S. Illma, come Ella desidera, viva tutta per Christo et in Christo et a Christo.

            Detto Padre poi mi scrisse che dove occoresse qualche occasione di agiutare il monasterio delle Sorelle della Visitatione, io ne scrivessi a V. S. Illma et che Ella poi farebbe l'officio con la Serenissima Infante. Et perchè dette Sorelle hanno questi giorni passati comprato un certo molino dal Signor Duca di Nemours, et che morendo detto Signor Duca senza figli sarebbe pericolo che la Camera di Sua Altezza non solamente pigliasse detti molini, ma facesse ancora perdere a dette Sorelle il loro dinario (sic), per questo si domanda a Sua Altezza che come ha usato con parecchi altri in simili occasioni, cosi si compiaccia di fare in questa opera pia, rattificando il [179] contratto fatto con esso Duca di Nemours o vero con quelli che in vece sua contrattano ; et cosi dette Sorelle supplicano la Serenissima Infante che si degni raccommandar il negotio, et V. S. Illma che per carità sia l'intercessora loro.

            Et per dargliene animo l'assicuro che quella Congregatione va tuttavia crescendo nella perfettione religiosa et dà tanto odore, che da molte bande si domandano Sorelle che vadano fondare Monasterii in diversi luoghi. Ma si aspettano i dispacci di Roma, per i quali havendo adesso un tanto buon sollecitatore come è il P. D. Giusto, et tante intercessioni, si è da sperare che presto le haveremo, mediante la gratia del Signore, et massime poichè [180] è servitio et gloria di Sua Divina Maestà et salute delle anime comperate col sangue del Redentore, a cui sia dato honore et gloria et benedittione eterna, et a V. S. Illma quelle gratie che da me glie sonno desiderate.

            Di V. S. Illma

Humilissimo et certissimo servitore in Christo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            Nel monasterio di Nostra Signora di Mians, alli 27 di Febraio 1618.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation d'Annecy. [181]

 

 

 

            Très illustre Madame, très honorée dans le Christ,

 

            Je n'étais pas à Grenoble quand Son Excellence monsieur votre [177] père y vint, mais il ne laissa pas de m'envoyer à Annecy la lettre de Votre Seigneurie Illustrissime. Il y a peu de jours, je reçus de la part du bon Père D. Juste un chapelet avec la croix du bois de saint François, qui, à ce qu'il m'écrivit, m'est aussi offert par [178] vous. Je le garderai précieusement, et en remercie humblement le cœur et la main qui me l'ont donné. Si mes prières sont exaucées par le Seigneur notre Dieu, ce cœur recevra le comble de la perfection de l'amour céleste, et cette main l'anneau des éternelles épousailles avec le Rédempteur de nos âmes, afin que, suivant les désirs de Votre Seigneurie Illustrissime, elle vive toute pour le Christ, dans le Christ et au Christ.

            Le Père m'écrivit aussi que si quelque occasion d'aider le monastère des Sœurs de la Visitation se présentait, je le fisse savoir à Votre Seigneurie qui servirait d'intermédiaire auprès de la Sérénissime Infante. Et voilà que ces Sœurs ont justement, ces jours passés, acheté un certain moulin de Monsieur le Duc de Nemours ; or, si le prince venait à mourir sans enfants, il serait à craindre que la Chambre de Son Altesse, non seulement s'emparât de ces moulins, mais qu'elle fît encore perdre aux Sœurs leur argent. C'est pourquoi on demande à Son Altesse de daigner faire en faveur de cette œuvre de piété ce qu'elle a fait en de semblables occurrences, ratifiant le [179] contrat passé avec le Duc de Nemours ou avec ceux qui contractent en son nom ; et les Sœurs supplient la Sérénissime Infante de vouloir bien recommander cette affaire, et Votre Seigneurie Illustrissime, d'intercéder pour elles, par charité.

            Pour vous y encourager, je vous assure que cette Congrégation croît toujours plus dans la perfection religieuse et répand une telle odeur [de vertu], que de plusieurs côtés on demande des Sœurs pour fonder des Monastères. Mais on attend les dépêches de Rome ; ayant maintenant pour les obtenir un solliciteur aussi habile que l'est le P. D. Juste, et de si nombreuses recommandations, il faut espérer qu'avec la grâce de Dieu nous les recevrons bientôt, d'autant plus [180] qu'il s'agit du service et de la gloire de sa divine Majesté, et du salut des âmes rachetées par le sang du Rédempteur. A lui soit honneur, gloire et bénédiction éternelle, et à vous, Madame, toutes les grâces que vous souhaite,

            De Votre Seigneurie Illustrissime,

Le très humble et très assuré serviteur dans le Christ,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Au monastère de Notre-Dame de Myans, le 27 février 1618. [181]

_____

 

MCDVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amedee. Les nécessités de la Sainte-Maison de Thonon. — Appel à la bonté du prince.

 

Notre-Dame de Myans, 28 février 1618.

 

            Monseigneur,

 

            La Sainte Mayson de Thonon ne peut subsister che (sic) par la bonté et liberalité de Son Altesse, qui en est la fondatrice, et laquelle partant est suppliee maintenant sur divers articles desquelz la resolution et execution est necessaire pour maintenir laditte Mayson, ainsy que le sieur Gilette, present porteur, representera.

            Playse a Vostre Altesse Serenissime d'estre favorable a ce bon oeuvre, comme elle l'est ordinairement a toutes ; c'est la supplication seule que pour le present je luy fay, et qu'elle me face la grace de m'advouer tous-jours,

            Monseigneur,

Son tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Nostre Dame de Myans, le 28 febvrier 1618.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [182]

_____

 

MCDVII. A Madame de Vignod, Religieuse de l'Abbaye de Sainte-Catherine. Un bouquet mystique à offrir aux Saints ; de quelles fleurs il faut le composer. — Saint Thomas d'Aquin. — Quel est l'ennui le plus importun. — Les menues tracasseries exercent l'amour de la propre abjection. — Avis pour supporter et corriger une petite fille d'humeur difficile.

 

Annecy, [février 1606-1618.]

 

            Vous me demandes, ma tres chere Fille, quel bouquet vous pourres donner a vostre Valentin ? Il doit estre fait de quelques petites actions de vertu, que vous prattiqueres expres en faveur de ce Valentin celeste, et au bout de la meditation du matin, vous le luy presenteres, affin qu'il le consacre a vostre cher Espoux. Vous pouves aussi en cueillir quelquefois au jardin des Olives, sur le mont de Calvaire (je veux dire ces bouquetz de myrrhe de vostre saint Bernard), et supplier le celeste Valentin de les recevoir de vostre cœur et d'en louer Dieu, qui est comme s'il en respandoit l'odeur, puisque vous ne pouves ni asses dignement flairer ces divines fleurs, ni asses hautement en louer la suavité. Vous le pourres encor prier, ce brave Valentin, qu'il prenne aussi ce bouquet, et que de sa main il le vous face odorer, et mesme qu'il vous en rende quelqu'autre en eschange ; qu'il vous donne des gans parfumés, couvrant vos mains d'oeuvres de charité et d'humilité, et vous donne des brasseletz de corail, des chaisnes de perles ; et ainsy faut [183] il exercer des tendresses d'amour avec ces heureux gentilzhommes de ce Roy de gloire.

            Il me semble que ce fut saint Thomas d'Aquin que vous tirastes pour le mois : le plus grand Docteur qui aye jamais esté. Il estoit vierge, et la plus douce et humble ame qu'on sçauroit dire.

            Or, parlons un peu de ce cœur de ma tres chere Fille : s'il estoit a la veuë d'une armee d'ennemis, ne feroit-il pas des merveilles, puisque la veuë et le rencontre d'une petite fille maussade et escervelee le trouble si fort ? Mais ne vous troubles pas, ma tres chere Fille, il n'est point d'ennuy si importun que l'ennuy qui est composé de plusieurs petites, mais pressantes et continuelles importunités. Nostre Seigneur permet qu'en ces petites rencontres nous demeurions courtz, affin que nous nous humiliions, et que nous sçachions que si nous avons surmonté certaines grandes tentations, ce n'a pas esté par nos forces, mais par l'assistance de sa divine Bonté.

            Je le voy bien, que par ces menues tracasseries il y a force sujetz d'exercer l'amour ou l'acceptation de nostre propre abjection : car, que dira-on d'une telle fille qui n'a point fait proffiter et n'a point bien dressé ni donné bonne action a cette petite fille ? Et puis, qu'est ce que nos Seurs diront de voir que pour la moindre importunité qu'une creature nous fait, nous nous desbattons, nous nous plaignons, nous grondons ? Il n'y a remede, ma tres chere Fille. La fille de saint Athanase eust acheté cette condition au prix de l'or, mais ma fille n'est pas si ambitieuse : elle aymeroit mieux que l'occasion luy fust ostee que d'entreprendre de la faire valoir. Recourés bien a l'humilité, et pour ce peu de tems que cet exercice durera, essayés-vous de la supporter en la presence de Dieu, et d'aymer cette pauvre chetifve pour l'amour de Celuy qui l'a tant aymee qu'il est mort pour elle. Ne la corriges pas, si vous pouves, en cholere ; prenes la peine qu'elle vous donne a gré, et me croyes tout vostre.

FRANCS, E. de Geneve. [184]

 

MCDVIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Témoignage et intercession en faveur du P. Ange Calcagni.

 

Grenoble, 8 mars 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Le Pere Frere Angelo Calcagnio, Gardien des Observantins de Playsance, est prisonnier des il y a trois moys a Chamberi ; et par ce que je l'ay souvent veu a Annessi, ou il a quelquefois demeuré les moys entiers avec son frere, et n'ay jamais rien reconneu en luy contraire a la pieté et religion, je l'ay visité en sa prison, ou je l'ay treuvé comme un homme que le tesmoignage de sa conscience tient asseuré. Et par ce qu'il m'a demandé pour l'amour de Dieu mon intercession aupres de Vostre Altesse, je ne la luy ay peu refuser ; c'est pourquoy, croyant fermement que rien ne se treuvera en cette occasion contre son innocence, je fay tres humble supplication a Vostre Altesse de luy vouloir departir sa faveur pour sa briefve sortie et son renvoye en son cloistre.

            Dieu face de plus en plus abonder ses graces sur la personne de Vostre Altesse, a laque (sic) je suis,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

             A Grenoble, le 8 mars 1618.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [185]

_____

 

MCDIX. A Don Juste Guérin, Barnabite (Inédite). Louange à Dieu pour le bon et le mauvais succès de divers événements. — Confiance en la Providence et courage pour agir. — Pourquoi il faut tout tenter et tout sacrifier afin d'obtenir aux Sœurs de la Visitation le privilège du petit Office.

 

Grenoble, [vers 5-10] mars 1618.

 

            Mon Reverend Pere, que je cheris comme mon ame propre,

 

            J'ay receu il y a 4 jours vostre lettre du 14 febvrier. Or, Dieu soit loué de vostre arrivee en bonne santé et des peines que vous aves souffertes en chemin, comme encor du mauvais estat auquel vous aves treuvé l'affaire de la Visitation, contre l'esperance en laquelle on nous avoit nourri. Si bona suscepimus de manu Domini, mala etiam cur non sustinemus ? Mays je sçai si asseurement que nos prætentions tendent a la plus grande gloire de Dieu, que je ne puis perdre l'esperance de les voir reuscir, apres que sa divine Majesté aura un peu espreuvé nostre courage.

            Mays pourtant, affin que de nostre costé nous attirons le bon succes par toute la sousmission quil nous sera possible, je vous diray, mon tres cher Pere : premierement, que si vous voyes du jour qu'avec un peu d'importunité nous puissions obtenir les trois articles que nous [186] demandons, je vous supplie de faire tout effort opportune, importune.

            2. Mais toutefois, si vous voyes qu'on ne les puisse pas obtenir tous trois, qu'au moins on tienne bon en la poursuite de celuy du petit Office ; car le grand Office dissiperoit et le lustre et la fin de cette Congregation, puisqu'on ne pourroit pas le dire avec la gravité requise, ni avec la bonne prononciation, et que plusieurs femmes et filles foibles de veüe ou d'estomac, quoy que grandement devotes d'ailleurs, ne pourroyent estre receües. Et je sçai en verité que cet article fait une notable attraction des ames. Ainsy, pourveu qu'on obtienne cet article, nous serons asses contens, encor qu'on refusera les autres, quoy que grandement desirables.

            3. Et plus tost que de mettre le grand Office en cette Congregation, j'aymerois mieux accepter le parti que Monseigneur de Lyon propose, pourveu qu'on le puisse impetrer du Saint Siege : a sçavoir, que cette Congregation demeurast en tiltre de simple Congregation, avec les vœux simples, et qu'il pleut neanmoins a Sa Sainteté d'annuller et casser, ou declarer nulz et de nulz effectz, tous les mariages que les Seurs (ce que Dieu ne veuille jamais permettre) voudroyent contracter apres avoir faitz lesditz vœux simples, tout ainsy que Gregoire 13 a fait en faveur des Jesuites estudians. Ains, si cela se pouvoit obtenir, je l'aymerois mieux que toute autre [187] chose, car toutes les difficultés cesseroyent ; mays j'ay grand peur que cela ne fut encor plus difficile a impetrer du Saint Siege, quoy que l'exemple des Peres Jesuites serviroit de beaucoup pour faciliter l'affaire.

            4. Que si en fin on ne peut mieux faire, il faudra au moins tascher d'obtenir que cette Congregation soit mise en tiltre de Religion, mais avec remission de l'obligation de dire le grand Office, tant en particulier qu'en general, pour le plus long tems que se pourra, comme pour cinquante ans ou soixante ; car au bout dudit tems on obtiendroit peut estre bien une prolongation, quand le Saint Siege auroit veu par experience que cette dispense reusciroit a plus grand bien. Enfin, cet article du petit Office est si important, que pour l'obtenir il faut se sousmettre a toute sorte d'autres rigueurs.

            Je sçai que si Monseigneur de Lyon affectionne le bon evenement de cette negociation, il le fera reuscir heureusement ; et bien que je ne luy escrive pas, respectant ses occupations, si ne laisse je pas de luy faire la reverence et vous supplier de l'asseurer de ma fidelité tres humble a son service. Et quant a vous, mon Reverend Pere, vous sçaves ce que je vous suis, c'est a dire que je suis vostre, sans reserve ni condition, et

Vostre serviteur et frere tres humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

             Al molto Rdo Padre osservandissimo,

Il P. D. Giusto Guerini, della Conge de Chierici regolari di S. Paolo.

            Roma.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'évêché d'Asti (Piémont). [188]

_____

 

MCDX. A M. Claude de Quoex. Dévouement aux Religieux de Talloires en mémoire d'un ami défunt. « Multitude de bonnes occupations. »

 

Grenoble, 10 mars 1618.

 

            Monsieur,

 

            Voyla les deux lettres pour l'affaire des Religieux de Talloire, que je veux servir, cherir et honnorer comme leur pieté et les desirs de mon pauvre aysné requierent ; car les desirs de ce defunct et sa fidele amitié vivront a jamais en ma memoire et en mes affections. Que si je n'ay pas escrit plus tost, ça esté sans ma coulpe, a cause de la multitude des bonnes occupations qui m'environnent, outre la principale des sermons.

            Faites moy cependant lhonneur, je vous supplie, de perseverer a m'aymer, puisque je seray toute ma vie, et [189] de vous et de celle qui est toute vous mesme, Monsieur,

Plus humble, tres affectionné frere et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            X mars 1618, a Grenoble.

 

             A Monsieur

[Monsieur] de Quoex, Conseiller [de S. G.]

            et Collateral premier au Conseil de Genevois.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Chambéry, Archives du Sénat de Savoie.

_____

 

MCDXI. A Madame de Lescheraine. Une visite manquée.

 

Grenoble, 10 mars 1618.

 

            Madame,

 

            Je n'ay point servi monsieur de Lescheraine vostre [190] filz, ains je ne l'ay mesme pas veu, ni hier quil prit la peine de venir ceans tandis que je me præparois au sermon, ni aujourd'huy qu'il m'a apporté vostre lettre, par ce qu'il n'a pas fait sçavoir son nom a celuy a qui il a parlé et que sa discretion a esté trop grande a s'en retourner, me sachant en occupation. Mays, Madame, ne laisses pas, je vous supplie, pour cela de croire qu'en toutes occurrences je ne le serve de tout mon pouvoir avec particuliere affection, comme estant de tout mon cœur,

            Madame,

Vostre plus humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            X mars 1618, a Grenoble.

 

            A Madame

Madame de Lescherayne.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Denarié, à Chambéry.

_____

 

 

MCDXII. A la Mère de Chantal (Fragment). A quelle condition Dieu bénit les entreprises. — Sortie d'« avettes ».

 

Grenoble, 11 mars 1618.

 

            En fin, ma chere Fille, nous venons de conclure avec nos bonnes dames l'establissement de nostre Monastere. Tout le monde applaudit a ce dessein ; nostre bonne dame la Presidente Le Blanc a une sainte ardeur pour cela, et moy j'ay une esperance tres douce que Dieu [191] benira ses intentions, si nous sommes si heureux que de nous humilier comme il faut devant luy, qui veut bien se glorifier en nostre petitesse.

            Je vous prie, ma tres chere Mere, de preparer doucement nos petites avettes pour faire une sortie au premier beau tems, et venir travailler dans la nouvelle ruche pour laquelle le ciel prepare bien de la rosee.

……………………………………………………………………………………………………...

_____

 

MCDXIII. A la même (Fragment inédit). Pronostic sur une Novice.

 

Grenoble, 15-fin mars 1618.

 

            Il faut que la Seur Anne Françoise face abnegation du desir qu'elle a de demeurer a Annessi, parce qu'elle [192] sera un bon pilier d'observance et mesme, un jour, une bonne Superieure de la Mayson de Grenoble…

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation de la Visitation de Grenoble.

_____

 

MCDXIV. A la Mere de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Espérance d'un prochain revoir. — Projets de fondations à Bourges et à Paris ; celle de Grenoble va se faire. — Un bienfaiteur de la Maison de Moulins. — Œuvres dont Dieu « tiendra bon comte ».

 

Grenoble, 29 mars 1618.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Accablé des sermons et de mill'autres surcharges, je vous diray que vous pouves, a mon advis, recevoir ces filles pour soulager vostre Mayson et gratifier ceste damoyselle d'honneur qui le desire, puisqu'il ny a nul inconvenient, les personnes estant si discrettes que la discipline n'en sera point incommodee.

            Encor me confirme-on que cett'esté se fera le voyage de Monseigneur le Cardinal ; qui me donne esperance de vous voir. Monseigneur de Bourges, a la verité, veut faire une Mayson a Bourges, mais ce ne sera pas si tost ; cependant on en fait une en cette ville, ou nostre [193] Mere sera dans huit jours, et on travaille a Paris pour un'autre. Dieu soit loué de tout.

            Asseures monsieur le general de Palierne que je suis fort humblement son serviteur, honnorant de tout mon cœur la grace que Nostre Seigneur luy fait de le tenir en son saint amour et service. Et de toutes les assistences quil vous fait, sa divine Majesté luy en tiendra bon comte ; comm'il fera aussi de la patience et du courage que vous prattiqueres a maintenir et avancer cette Mayson lâ, laquelle reuscira un jour dautant plus grande qu'elle semble croistre plus lentement.

            Dieu soit au milieu de vostre cœur et de vostre chere trouppe. Mays je salue a part ma Seur Marie Avoy, ma Seur Françoise Gabriele et ma Seur Jeanne Marie, ma niece, et suis vostre tres absolument, ma tres chere Fille.

            A Grenoble, le 29 mars 1618.

 

             A Madame

            Madame de Brechard,

Superieure des Seurs de Ste Marie la Visitation.

            A Moulins.

 

Revu sur un fac-simile de l'Autographe, conservé à la Visitation d'Annecy. [194]

_____

 

 

MCDXV. A Don Juste Guérin, Barnabite. A quoi les Sœurs de la Visitation emploieront-elles le temps si elles ne disent le grand Office ? — Deux réponses à cette objection.

 

Grenoble, 16 avril 1618.

 

            Mon Reverend Pere,

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Quant a la demande que fait le bon seigneur duquel vous m'escrives, sur l'occupation des Seurs de la Visitation en cas qu'elles ne disent le grand Office, il y a deux raysons.

            La premiere, que les Seurs disant le petit Office gravement et avec pauses, elles y employent autant de tems comme la pluspart des autres Religieuses en mettent a dire le grand Office, sans autre difference, sinon que les unes le disent avec plus d'edification et meilleure prononciation que les autres. Certes, il y a huit jours, qu'estant en un monastere pres de cette ville, je vis [195] des choses qui pouvoyent bien faire rire les huguenotz ; et des Religieuses me dirent qu'elles n'avoyent jamais moins de devotion qu'a l'Office, ou elles sçavoyent de faire tous-jours beaucoup de fautes, tant faute de sçavoir les accens et quantités, que faute de sçavoir les rubriques, comme encor pour la precipitation avec laquelle elles estoyent contraintes de le dire ; et que ne sachant ni n'entendant rien de tout ce qu'elles disoyent, il leur estoit impossible, parmi tant d'incommodités, de demeurer en attention. Je ne veux pas dire pourtant qu'il les faille descharger, sinon quand le Saint Siege, ayant compassion d'elles, le treuvera bon ; mais je veux bien dire pourtant qu'il n'y a nul inconvenient, ains beaucoup d'utilité, a laisser le seul petit Office en la Visitation. En somme, mon Reverend Pere, ce petit Office est la vie de la devotion en la Visitation.

            La deuxiesme responce est qu'en la Visitation il n'y a pas un seul moment qui ne soit employé tres utilement en prieres, examen de conscience, lecture spirituelle et autres exercices.

            Je m'asseure que le Saint Siege favorisera cette œuvre, qui n'est ni contre les loix, ni contre l'estat religieux, et qui luy acquiert beaucoup de maysons d'obeissance en un tems et en un royaume ou il en a tant perdu ; et puisque mesme il n'y a pas tant de considerations a faire pour des maysons de filles, d'autant qu'elles ne font nulle consequence pour les autres Ordres, ni ne peuvent estre occasion de plaintes aux autres fondees sous autres statutz. La seule consideration de la plus grande gloire de Dieu me donne ce desir, et l'utilité de plusieurs ames capables de servir beaucoup sa divine Majesté en cette Congregation, avec la seule charge du petit Office, incapables autant de pouvoir suivre le grand Office. Sera-ce pas une chose digne du Christianisme qu'il y ait des lieux ou retirer ces pauvres filles qui ont le cœur fort, et les yeux ou la complexion foible ?

            Pour le reste, mon Reverend Pere, travailles diligemment [196] a faire reuscir l'entreprise de nostre Seminaire, car j'ay opinion qu'il sera meshuy necessaire.

……………………………………………………………………………………………………..

Vostre frere et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Le … avril 1618.

_____

 

 

MCDXVI. A la Présidente le Blanc de Mions. Aimable et ferme correction de François de Sales à une de ses filles spirituelles excessive en ses témoignages d'estime et d'affection,

 

Annecy, 22 avril 1618.

 

            Ma tres chere Fille de mon cœur,

 

            Sçaches que j'ay une fille laquelle m'escrit que mon esloignement a fait approcher ses douleurs ; que si elle ne tenoit ses yeux, ilz verseroyent autant de larmes que le ciel jette des gouttes d'eau, pour pleurer mon despart ; et semblables belles paroles. Mais elle passe bien plus avant, car elle dit que je ne suis pas homme, mais quelque divinité envoyee pour se faire aymer et admirer, et, ce qui importe, elle dit qu'elle passeroit bien plus outre, si elle osoit.

            Que dites vous, ma tres chere Fille ? Vous semble-il qu'elle n'ayt pas tort de parler ainsy ? Ne sont ce pas des paroles excessives ? Rien ne les peut excuser que l'amour qu'elle me porte, lequel est certes tout saint, mais exprimé par des termes mondains. Or, dites luy, ma tres chere Fille, qu'il ne faut jamais attribuer, ni en une [197] façon ni en l'autre, la divinité aux chetifves creatures, et que penser encor de pouvoir passer plus outre en louange, c'est une pensee desreglee, ou au moins de le dire ce sont paroles desordonnees ; qu'il faut avoir plus de soin d'eviter la vanité es paroles qu'es cheveux et habitz ; que des-ormais son langage soit simple, sans estre frisé. Mais pourtant, dites-le luy si doucement, amiablement et saintement, qu'elle treuve bonne cette reprimande, laquelle part du cœur plus que paternel que vous connoisses, comme fille certes tres chere de mon cœur, mais fille en laquelle j'ay mis toute confiance.

            Dieu soit a jamais nostre amour, ma tres chere Fille, et vives en luy et pour luy eternellement. Amen.

            Le 22 avril 1618.

_____

 

MCDXVII. Au Duc Roger de Bellegarde (Inédite). Un converti fugitif qu'il faut accueillir favorablement. — L'audace des hérétiques et le remède à y opposer.

 

Annecy, 25 avril 1618.

 

            Monsieur,

 

            Ce porteur, jeun'homme de Gex, quitte son pais et la mayson de son pere pour eviter les inhumaines et continuelles persecutions qu'il y a rencontrees des qu'abjurant l'hæresie il a embrassé la foy catholique ; et c'est un grand cas, Monsieur, que cette faction de prætendus reformés, toleree par l'indulgence du Roy, est si [198] insolente que de vouloir, par des voyes extraordinaires, empescher aux sujets de la coronne la liberté de servir Dieu selon la religion du Roy et du royaume, en laquelle l'Estat a esté et laquelle a tous-jours esté en l'Estat, il a, graces a Dieu, environ douze cens ans.

            Monsieur, c'est pour cela que je vous ay supplié de nous faire avoir des magistratz catholiques en ce balliage de Gex, qui, par l'authorité qu'ilz possederont, pourront donner le contrepoids a la multitude et malice des ennemis de la religion du Roy et du royaume, qui sont si hardis au mal et si pleins d'artifices pour l'executer que, s'ilz ne sont retenus de main forte, ilz ne cesseront d'empescher par toutes sortes de moyens violens le progres de la conversion des ames. Cependant, le favorable accueil et les graces qu'il plaira a Vostre Grandeur de faire a ce jeun'homme qui recourt a vostre bonté, Monsieur, comme a son asyle, serviront de promesse a ceux qui sont si heureux d'estre appellés a la conversion, d'estre protegés envers ceux qui les voudroyent travailler et vexer pour ce sujet.

            Au reste, Monsieur, c'est meshuy chose superflue de repeter les vœux de mon service, que j'ay fait a Vostre Grandeur, puisque lhonneur que j'ay de vous oser regarder et considerer comm'un pere tres affectionné fait son tres aymable filz, met hors de doute le parfait respect et infini amour que mon ame a pour la vostre, que je supplie incessamment Nostre Seigneur de vouloir combler de sa grace, et demeure invariablement,

            Monsieur,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            25 avril 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Tours, chez les Religieuses du Saint-Esprit. [199]

_____

 

MCDXVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Reconnaissance pour la protection accordée à de pauvres curés ; prière de la continuer.

 

Annecy, 26 avril 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Je fay en toute humilité action de graces a Vostre Altesse de la lettre qu'ell'a escritte a monsieur le Marquis de Lans affin qu'il mit ordre a faire payer les curés d'Armoy, de Draillens, qui de si long tems estoyent en extreme disette et prestz a qui ter leurs charges si je ne les eusse soulagés.

            J'espere, Monseigneur, que ledit seigneur Marquis effectuera l'intention de Vostre Altesse, ainsy qu'il m'a asseuré a mon retour de Grenoble ; et ne me reste qu'a la supplier tres humblement de vouloir tous-jours ainsy proteger les affaires du service de Dieu, qui en suite multipliera ses graces sur la vie et la personne de Vostre [200] Altesse Serenissime, a laquelle je fay tres humblement la reverence, et delaquelle,

            Monseigneur, je suis

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVI avril 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

MCDXIX. A la Mère de Chantal, a Grenoble. Charmantes nouvelles de la Communauté d'Annecy. — Comment employer le nous et nostre. — Avis sur une dispense. — « Un peu de consideration humaine » dans des désirs paternels. — Difficultés du mariage de Celse-Bénigne. — La pensée du Saint sur la Communion dans son Institut. — Craintes pour le voyage de la Mère de Chantal à Lyon. — Lettres aux dames de Grenoble ; recommandations à ce sujet.

 

Annecy, 30 avril 1618.

 

            Il me tardoit bien fort, ma tres chere et plus que tres chere Mere, de vous escrire des icy, ou je suis arrivé, grace Dieu, en bonne santé. Mais quel moyen, je vous prie, a cet abord, parmy ce flux et reflux de visites, et quelque affaire que j'ay treuvé pour Piedmont et Italie ? Certes, je n'ay esté que deux fois voir nos cheres Seurs, qui font fort bien. Ma Seur Anne Marie est fort devotement sage, comme vous n'en doutes pas ; ma Seur [201] Paul Hieronime, a ce qu'on me dit, fait merveille, et vostre Econome fait des miracles, hormis que ma Seur Anne Jacqueline luy parle tous-jours savoyard et de la monnoye de Savoye, et elle ne l'entend pas ; il faut des truchemens.

            Hier je permis a la Seur Louise Marie d'aller voir sa mere en compaignie de ma Seur Anne Marie, parce qu'on ne la pouvoit faire resoudre de se confesser, quoy qu'elle fust en tel danger que les medecins croyoient qu'elle deust mourir cette nuit ; ce qu'elle n'a pas encor fait, bien qu'a ce qu'on dit elle ne puisse pas aller loin. On luy a parlé des huit cens florins qu'elle avoit promis a la Mayson, mays elle a remis a le faire quand elle pourra au desceu de son mary ; on court donq fortune de les perdre.

            Les Peres de Saint Dominique semblent vouloir m'obliger de leur jardin sans nous contraindre de vouloir le jardin des Barnabites ; toutefois je ne voy encor rien d'asseuré.

            Le nous et nostre ne me deplaist pas, et toutefois il [202] faudra le moderer en sorte que par trop grande habitude de parler ainsy on ne rende pas les defautz, pechés, imperfections communs et les confessions inintelligibles aux confesseurs estrangers ; et partant, il semble quil suffiroit de dire nous et nostre de tout ce qui est vrayement commun, comme : nostre chambre, nostre chapelet, nostre travail, nostre Seur, nostre Mere, nostre exercice ; car on peut bien dire : Je n'ay pas fait nostre exercice du matin, je n'ay pas esté a nostre disner, j'ay pensé dans nostre lict, et semblables.

            Si pour ne point differer de donner l'habit a nostre Seur de Collesieu jusques apres vostre despart, Monseigneur de Calcedoine veut dispenser du tems du premier essay, il faut accepter la dispense pour cette fois, et le supplier par apres de n'en point dispenser que pour des dignes sujetz, attendu que la regie de cet essay est fort utile et salutaire a la Congregation.

            J'ay envoyé a ma Seur Anne Marie pour avoir le double du contract de monsieur le premier President. [203]

            Et a propos de monsieur le premier President, madame la Premiere m'a fait entendre, en passant a Chamberi, quil desiroit bien que sa fille fust employee a Turin, si on la peut bonnement retirer de Lion ; ce que je ne pense pas. M. de la Roche m'en dit autant de la sienne, et par consequent vous voyes, ma chere Fille, quil y a un peu de consideration humaine en ces bons peres ; neanmoins je vous dis tout, affin que vous le consideries et ruminies pour vostre retour, et peut estre que l'on ne demandera des Seurs de deça que pour un court emprunt. Mais laissons cela.

            Je parlay a M. Carra, qui ne presse nullement la reception de sa fille, et luy est indifferent que ce soit ou un jour ou un autre. Ma Seur Françoise Marguerite, ce me semble, n'aura achevé son annee de probation [204] que la veille de saint Claude, avec ma Seur Michel et ma Seur Claude Jacqueline.

            Je seray bien marry si le mariage de monsieur de Chantal ne reuscit au gré de ceux quil regarde, et ne m'estonne pas toutefois si la bonne madame Liotart va un peu moins rondement que nous n'avons pas fait de nostre costé, car elle n'a pas peut estre encor bien despouillé la robbe du monde, ni perdu la coustume de parler selon la sagesse du monde. Je serois partant bien ayse de sçavoir en gros comme cela se sera passé, ne me pouvant empescher de cette curiosité, a cause du contentement que je souhaite a vostre Celse Benigne, et certes, encor a cette fille, que j'ayme pour l'amour de ma tres chere Mere, comme si c'estoyent mes frere et seur.

            Je consens tres librement que nostre tres chere Seur Peronne Marie communie trois, voire quatre et plus encor de fois la semaine jusques a l'edition des Regles, et que tous-jours une des Seurs communie avec elle ; et quand elle ne communiera pas, qu'une Seur communie, [205] en sorte que tous-jours quelque Communion se face tous les jours ; car je me confirme tous-jours plus au desir que je vous ay communiqué, qu'en cette Congregation la Communion y soit quotidienne de quelques unes des Seurs a tour, pour le souhait que le sacré Concile de Trente fait de voir que quelqu'un communie a chaque Messe, ainsy que je le declareray plus a plein aux Regles.

            Je croy fermement que ma Seur Barbe Marie, m'ayme singulierement, et n'a pas tort, ni aussi madame de Granieu, qui m'est a la verité precieuse.

            J'ay envoyé a ma Seur Françoise Marguerite pour faire arrester les mille ducatons a Dole. On me tourmente fort icy a l'occasion de vostre passage a Lion, d'autant, dit on, qu'il vous pourroit causer du mal : a quoy je vous supplie de prendre soigneusement garde, car penses si rien m'est si cher, apres la sainteté de nostre ame, que la sante de ma Mere. Je pense que j'ay tout dit quant aux affaires.

            Faites vous hardiment communiquer les lettres que j'ay escrit a ma Seur Barbe Marie, car il y en a, a mon advis, qui sont bien bonnes. Puisque vous voules tout avoir, j'en ay escrit une bonne une fois a madame de Vissilieu, et si j'ay du loysir, j'en escriray une autre a madame de la Baume et vous l'envoyeray a cachet volant ; mais il la faudra bien cacheter, car je ne sçay pourquoy, mais il est vray que les advis secretz frappent mieux le cœur jusques a ce que l'on soit fort avancé au renoncement de son propre amour.

            Je salue d'un cœur incomparablement paternel toutes [206] nos cheres Filles, que j'ayme tous les jours plus, m'estant advis que je dois cela a l'affection qu'elles ont de bien servir Dieu. En somme, je me repose en vous comme a moy mesme pour bien faire mes honneurs et mes amours envers ces benites ames qui m'ayment pour l'amour de Nostre Seigneur.

            Il faut remettre les lettres que j'escriray a madame de la Baume et a madame de Pisançon et a madame Odoyer, a M. d'Urme, affin quil les rende, car il le desire. Madame la conseillere Le Maistre me pria de la vous recommander, et sans doute elle a besoin qu'on asseure son ame, pleine de bonne volonté, mais un peu sujette aux abattemens de courage et melancholie : ce pourquoy il la faut encourager et un peu prendre par la main.

            Vives toute en la vie et en la mort de Celuy qui vit pour nous faire mourir a nous mesme, et est mort pour nous faire vivre a luy mesme. Ainsy soit il, ma tres chere et tres unique Mere. Amen.

            Je ne vous dis rien de madame de Bouqueron et de ses filles, car vous sçaves asses de quel cœur je suis pour elles et pour mesdames de Saint André. Or sus, vive [207] Jesus ! Amen. Cachetes bien ces lettres apres que vous les aures veuës, et les remettes au bon M. d'Urme auquel j'escris quil les donne. J'abonde un peu en dilection et es paroles d'icelle en ce commencement ; vous sçaves que c'est selon la verité et la varieté de ce vray amour que j'ay aux ames. Maintenes moy bien es bonnes graces de celles que Dieu veut estre plus de mon soin.

            C'est le 30 [avril] 1618.

            Je ne vous envoye pas le contract, d'autant que je n'ay peu le faire copier, et si il me semble quil ne soit pas trop bien fait ; mais je vous en escriray plus amplement. Dieu soit beni eternellement dans le cœur de ma tres chere Mere comme dans le mien propre.

            Aymes bien madame de Granieu, car quant a madame Barbe Marie, il y a si long tems quil ne le faut plus dire. J'ay receu la lettre que vous m'escrives, du 22 de ce mois, allant donner la derniere benediction a madame la procureuse fiscale qui a perdu tout sentiment.

            Faites bien secher les cachetz volans, affin qu'on ne s'apperçoive que les lettres ayent esté veuës.

 

Revu en partie sur une ancienne copie conservée au 1er Monastère

de la Visitation de Marseille. [208]

_____

 

MCDXX. A Madame de la Baume. Baser sa dévotion sur de fortes maximes. — Le « grand artisan de misericorde. » — Quel doit être le seul souci des enfants de Dieu. — Confiance et abandon en la Providence. — Qu'importe le temps à qui regarde l'éternité ? — Moyen de transformer en roses toutes les croix.

 

Annecy, 30 avril 1618.

 

VIVE JESUS !

 

            Playse au Saint Esprit de m'inspirer ce que j'ay a vous escrire, Madame, et s'il vous plaist, ma tres chere Fille. Il n'est besoin, pour vivre constamment en devotion, que d'establir des fortes et excellentes maximes en son esprit.

            La premiere que je souhaite au vostre, c'est celle de saint Paul : Tout revient au bien de ceux qui ayment Dieu. Et a la verité, puisque Dieu peut et sçait tirer le bien du mal, pour qui fera-il cela, sinon pour ceux qui, sans reserve, se sont donnés a luy ? Ouy, mesme les pechés, dont Dieu par sa bonté nous defende, sont reduitz par la divine-Providence au bien de ceux qui sont a luy. Jamais David n'eust esté si comblé d'humilité s'il n'eust peché, ni Magdeleine si amoureuse de son Sauveur s'il ne luy eust remis tant de pechés, et jamais il ne les luy eust remis si elle ne les eust commis.

            Voyés, ma chere Fille, ce grand artisan de misericorde : il convertit nos miseres en graces, et fait la theriaque [209] salutaire a nos ames, de la vipere de nos iniquités. Dites moy donq, je vous prie, que ne fera-il pas de nos afflictions, de nos travaux, des persecutions qu'on nous fait ? Si donq il arrive jamais que quelque desplaysir vous touche, de quel costé que ce soit, asseures vostre ame que, si elle ayme bien Dieu, tout se convertira en bien. Et quoy que vous ne voyes pas les ressortz par lesquelz ce bien vous doit arriver, demeures tant plus asseuree qu'il arrivera. Si Dieu vous jette la boue de l'ignominie sur les yeux, c'est pour vous donner la belle veuë et vous rendre un spectacle d'honneur. Si Dieu vous fait prendre une cheute, comme a saint Paul qu'il jetta en terre, c'est pour vous relever a gloire.

            La seconde maxime, c'est qu'il est vostre Pere ; car autrement il ne vous commanderoit pas de dire : Nostre Pere qui estes au ciel. Et qu'aves vous a craindre, qui estes fille d'un tel Pere, sans la providence duquel pas un seul, cheveu de vostre teste ne tombera jamais ? C'est merveille qu'estant filz d'un tel Pere, nous ayons ou puissions avoir autre soucy que de le bien aymer et servir. Ayes le soin qu'il veut que vous ayes en vostre personne et en vostre famille, et non plus, car ainsy vous verres qu'il aura soin de vous. « Pense en moy, » dit il a sainte Catherine de Sienne, de laquelle nous celebrons aujourd'huy la feste, « et je penseray en toy. » O Pere eternel, dit le Sage, vostre providence gouverne tout.

            La troysiesme maxime que vous deves avoir, c'est celle que Nostre Seigneur enseigna a ses Apostres : Qu'est ce qui vous a manqué ? Voyes vous, ma chere Fille, Nostre Seigneur avoit envoyé les Apostres ça et la, sans argent, sans baston, sans souliers, sans besace, revestus d'une seule soutane, et il leur dit par apres : Quand je vous ay ainsy envoyés, quelque chose vous a-elle manqué ? Et ilz luy dirent : Non. Or sus donq, ma Fille, quand vous aves eu des afflictions, mesme du tems que vous n'avies pas tant de confiance en Dieu, estes vous perie dans l'affliction ? Vous me dires : Non. [210] Et pourquoy donq n'aures vous pas courage de reüscir de toutes les autres adversités ? Dieu ne vous a pas abandonnee jusques a present ; comme vous abandonnera-il des a present, que, plus qu'auparavant, vous voules estre sienne ?

            N'apprehendes point le mal a venir de ce monde, car peut estre ne vous arrivera-il jamais, et en tout evenement, s'il vous arrive, Dieu vous fortifiera. Il commanda a saint Pierre de marcher sur les eaux ; et saint Pierre voyant le vent et l'orage, eut apprehension, et l'apprehension le fit enfoncer, et il demanda secours a son Maistre, qui luy dit : Homme de peu de foy, pourquoy as-tu douté ? Et luy tendant la main, il l'asseura. Si Dieu vous fait marcher sur les flotz de l'adversité, ne doutés point, ma Fille, n'apprehendes point. Dieu est avec vous ; ayes bon courage, et vous seres delivree.

            La quatriesme maxime, c'est celle de l'eternité. Peu m'importe qui je suis parmi ces momens passagers, pourveu qu'eternellement je sois en la gloire de mon Dieu. Ma Fille, nous allons a l'eternité, nous y avons presque des-ja l'un des pieds ; pourveu qu'elle nous soit heureuse, qu'importe-il que ces instans transitoires nous soyent fascheux ? Est il possible que nous sçachions que nos tribulations de troys ou quatre jours operent tant d'eternelles consolations, et que nous ne veuillions pas les supporter ? En fin, ma tres chere Fille,

 

Ce qui n'est pour l'eternité

Ne peut estre que vanité.

 

            La cinquiesme maxime, c'est celle de l'Apostre : Ja n'advienne que je me glorifie, sinon en la Croix de mon Jesus. Plantés en vostre cœur Jesus Christ crucifié, et toutes les croix de ce monde vous sembleront des roses. Ceux qui sont piqués des espines de la couronne de Nostre Seigneur, qui est nostre chef, ne sentent guere les autres piqueures.

            Vous treuveres tout ce que je vous ay dit, es troysiesme, quatriesme ou cinquiesme et dernier Livres de l'Amour [211] de Dieu. Vous treuveres beaucoup de choses a ce propos en la grande Guide des pecheurs, de Grenade.

            Il faut que je finisse, car on me presse. Escrives moy confidemment, et me marques ce que vous jugeres que je puisse pour vostre cœur, et le mien le contribuera tres affectionnement ; car je suis en toute verité,

            Madame,

Vostre tres humble et asseuré serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Quand madame de Vicillieu sera de retour, je luy escriray ; cependant, s'il vous vient en commodité, dites luy que je suis sien.

            Le.. avril, Annessi.

_____

 

 

MCDXXI. A Don Juste Guérin, Barnabite (Fragment). Esprit conciliant et condescendant du Saint. — Pourquoi les Sœurs de la Visitation se contenteront d'être logées » avec incommodité. » — Pèlerines en route vers la cité permanente, hôtesses d'une nuit.

 

Annecy, [fin avril] 1018.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Quant au jardin, mon tres cher Pere, je n'y pense plus ; non que je ne voye bien que le projet que nous avions fait n'incommodoit pas le [collège,] ains l'accommodoit par le moyen de la recompense que nous eussions donnee ; mais, par la grace de Dieu, je n'eus jamais [212] desir de me rendre contentieux, ni de blesser l'esprit de personne.

            Nos Filles de la Visitation feront leur bastiment avec incommodité, mais elles s'en contenteront tres volontier, ains, je puis dire, elles en seront tres contentes, puisqu'il ne se peut mieux. Et puis, elles sçavent qu'il n'est pas hors de propos que les fideles espouses de Celuy qui n'eut jamais ni logis ni ou reposer son chef en ce monde ne soyent pas logees a leur commodité. Comme vous sçaves, mon cher Pere, la Mere qui gouverne cette nouvelle trouppe a si bien appris a loger au mont de Calvaire, que tout autre logis terrestre luy semble encor trop beau. Elle n'a donq nul sentiment du refus, sachant bien que les pelerines qui devront avoir retraitte en ce logis, n'y devant habiter que la nuit de cette petite vie, seront, Dieu aydant, si attentives a tirer païs dans le beau sejour de leur cité permanente, que le reste leur sera indifferent.

            En fin, mon tres cher Pere, nous sommes enfans de la Providence celeste ; Dieu aura soin de ses servantes selon son bon playsir. Il faut avoir patience : Qui seminant in lachrymis, in exultatione metent. Ainsy les rosiers produisent premierement les espines, puis les roses.

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu sur le texte inséré dans l’Histoire de la Fondation du 1er Monastère de la Visitation d'Annecy. [213]

_____

 

MCDXXII. A Madame Cottin (Inédite). Recommandation à la destinataire de soumettre sa volonté à celle de Dieu.

 

Annecy, [fin avril ou mai 1618.]

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Enfin, le bon mary m'a prié de vous recommander ce que vous sçaves vous avoir esté non seulement recommandé, mais commandé au nom de Dieu, a la volonté duquel il faut joindre et lier inseparablement la vostre. Or, faites le donq courageusement et pour l'amour de Celuy qui, pour vostre amour, a bien souffert la mort.

            Atant, je suis

Vostre plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

             A Madle

            Madle Cottin.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Amiens. [214]

_____

 

 

MCDXXIII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon. Espoir d'aller à Lyon. — Le premier Président de Savoie et sa famille attendus à Annecy.

 

Annecy, 2 mai 1618.

 

            Il faut tous-jours tesmoigner a ma tres chere grande Fille que j'ay une continuelle memoire d'elle, et un mot suffit pour cela.

            Me voicy de retour, ma tres chere Fille, et, parmi l'esperance de la paix, je nourris celle de vous voir en l'occasion du voyage de M. le Prince Cardinal, s'il est vray qu'il se face, comme nos courtisans m'asseurent. Si moins, je feray mon voyage a Saint Brocard, et allant ou revenant, je prendray la consolation de voir cette grandement tres chere Fille, que mon ame ayme tres singulierement, et avec elle, ces autres cheres filles qui l'environnent.

            Ce pendant, le bon pere viendra icy faire les Rogations avec nous, et madame la Presidente et les freres, [215] ou nous ne serons pas sans parler de vous. De vous dire des nouvelles de Grenoble, ce seroit chose superflue, car nostre Mere vous en fera part suffisante. De celles d'icy, que vous diray je, sinon que tout y va tres bien.

            Reste que vous continuies aussi comme vous faites, que vous m'aymies tous-jours cordialement, et que vous priies Dieu pour mon cœur, affin qu'il vive tout a luy. Le vostre sçait bien que je suis sien.

            D'Annessi, le 2 may 1618.

_____

 

 

MCDXXIV. A la Mère de Chantal, a Grenoble (Fragment). Petites violettes à transplanter en divers jardins.

 

Annecy, [commencement de mai 1618.]

 

……………………………………………………………………………………………………..

            L'esprit humain ne peut comprendre comment nos pauvres, basses et petites violettes de la Visitation sont desirees en plusieurs jardins. Revenes donq, ma chere Mere, pour tirer d'icy de ces petites plantes de benediction et les transplanter ailleurs, a la gloire de nostre doux Jesus, que je supplie de vous benir. [216]

……………………………………………………………………………………………………..

_____

 

MCDXXV. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Inédite). Deux visites promises à la Mère Favre. — Lettres envoyées et reçues.

 

Annecy, 9 mai 1618.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous respons a petitz pointz, estant extremement pressé. Je croy que nostre Mere vous donnera le contentement que vous desires, car je la layssay resolue a cela, comm'une Mere tres amoureuse de sa tres chere fille ; et si ses forces et les necessités de cette Mayson d'icy le permettoyent, je croy mesme qu'ell'iroit volontiers a Moulin.

            J'espere que, quant a moy, j'iray et vers vous et a Moulin, passant a Paris, puisque on tient asseuré le voyage du Prince Cardinal pour cet esté, lequel ne reuscissant pas, au moins iray je vers vous, prendre la consolation de vous voir, et vostre chere trouppe, exceller en la sainte devotion, comme l'on me dit que vous faites. Qu'a jamais Dieu en soit loué.

            Il est certain que je vous escrivis des Grenoble une fois par monsieur de Bauvillars, gentilhomme de Cremieu, et l'autre, ce me semble, par monsieur Orlandini, ecclesiastique, frere de l'une de nos Seurs. [217]

            J'escris a Mlle de la Moutiere, que j'honnore grandement pour plusieurs raysons, et a monsieur l'Aumosnier. Je salue nos Seurs pour vous, et donneray vostre lettre a monsieur de Boysi quand il sera de retour des chams ou il est. La chere belle et bonne seur se porte bien, et nous tressaillons desja d'ayse en l'attente de monsieur le pere et madame la Presidente dans dix jours.

            Dieu soit au milieu de vostre cœur, et je suis de tout le mien, tout invariablement et tres parfaitement vostre, ma tres chere grande Fille, ma bien aymee Fille. Amen.

            Vive Jesus !

            IX may.

 

A ma tres chere grande Fille,

            Supe de Ste Marie.

 

Revu sur l'Autographe conservé chez les Sœurs Bénédictines de Santa Cecilia, à Rome.

_____

 

MCDXXVI. A la Mère de Chantal, a Grenoble (Inédite). Encore l'affaire des jardins. — Les lettres de M. de Granier. — Difficultés au sujet d'un contrat de mariage. — Roses changées en épines. — La clarté dans les affaires.

 

Annecy, 10 mai 1618.

 

            Ma tres chere Mere, Je vous ay escrit ce matin avant que de prendre le [218] gelap du bon monsieur de Granieu, et ay respondu a vos deux lettres du 1er et 7e de ce moys. Tout maintenant je reçois celle du 5 et j'adjouste ces deux motz.

            Les Peres de Saint Dominique m'ont offert un parti pour avoir ce morceau de jardin dont nous avons besoin, sans toucher a celuy des Peres Barnabites, mais parti si impossible et, si je ne me trompe, desraysonnable, qu'en fin ce n'est rien. Dieu y mettra sa main, sil luy plait, et nous en fera treuver d'autres.

            Vous vous resouviendres bien de ce que vous me dites de M. de Grenier et de ses lettres ; j'ay sceu que c'est, et m'est advis que c'est si peu de chose, que si vous n'en pouves parler fort doucement et imperceptiblement, il ne seroit presque pas bon d'en rien dire, de peur d'effaroucher cette pauvre fille qui se promet tant de consolation de vostre veue ; et peut estre les termes generaux suffiront, sil ne se presente d'autre biais bien propre pour venir aux particuliers.

            Si vous voyes quil y ayt quelque messeance de manger en mesme table avec vostre conducteur, vous pourres bien manger dessus vostre lit, comme lasse, et y faire manger aupres de vous vostre conducteur.

            Vrayement, je seray bien ayse de revoir M. de la Gran, que j'honnore cherement pour la bonté de son cœur au [219] service de Dieu. Nous avertirons affin qu'on face la profession au tems que vous desirés.

            Que je suis en peine, ma tres chere Mere, de crainte que nostre mariage, dont nous nous promettions tant de consolation, ne se rompe ; car de ne pas communiquer tres clairement et sans replys toutes les difficultés quil y a, a M. de Chantal et a Monseigneur de Bourges, il ny a point d'apparence ; et de les leur communiquer, il y a toute apparence que Monseigneur de Bourges se rebutera de voir que cette terre dont on avoit parlé ne soit pas terre, ains une mayson seulement ; que mesme on ne la veuille donner que pour apres le trespas, et non aux noces ; que l'argent n'est pas exigeable pour estre colloqué a propos des affaires que l'on a, et que l'on veuille tant de pompe, que deux ou trois mille escus ne suffiront pas : de sorte que rien ne demeure qui puisse bien contenter son esprit que vous connoisses, sinon la fille, que tout le monde avoüe estre digne d'amour. Et puis, cette methode de se desfaire du gentilhomme que vous sçaves, engendrera elle pas indubitablement [220] des querelles, puisque il s'est declairé de sa pretention a M. de Chantal et a moy, a qui mesme il a monstré l'escrit ? En somme, il arrive souvent en ce monde que les roses se convertissent en espines.

            J'ay pensé que je devois escrire un mot a Mme Lyotart, laquelle je ne nie pas qu'elle ne me dit qu'elle ne vouloit pas donner cette piece, qu'ell'appelloit terre, qu'hors du contract de mariage : dequoy je me remis, comme des autres particularités, a ce qui seroit avisé entre vous, comme peu expert en telles affaires. Ce sera pourtant grand domage si ce mariage ne se fait, car a mon advis, les parties se fussent fort entr'aymees, et les parens contentés de cette aymable fille. Pour moy, je faisois conte de quinze mille escus bien revenans en argent, et quinze mille en la terre ; car si ell'eut esté terre de cinq cens escus de revenu, elle les valoit fort bien. Et neanmoins, si on fait 24 mille qui soyent franchement et clairement asseurés et recevables, quant a l'argent, selon la necessité des affaires de M. de Chantal, je pense que l'on devra passer outre. C'est une belle chose que la clarté es affaires. J'ay a contre cœur tout… En somme, je recom[mande] … supplie d'accroistre en … crainte filiale et parfaite … ces dames : ma Seur Barbe Marie, madame de Granieu, avec toutes … en esprit continuellement.

……………………………………………………………………………………………………...

 

A ma tres chere Mere

            Madame de Chantal.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry. [221]

_____

 

MCDXXVII. A Madame Liotard. Regrets du Saint en apprenant les obstacles qui s'opposent à la conclusion d'une alliance. — Prière de la faciliter.

 

Annecy, 10 mai 1618.

 

            Madame,

 

            J'ay sceu par une lettre de madame de Chantal, que le desirable mariage qui fut conclu en mon logis se treuvoit plein de difficultés en l'esclaircissement des articles particuliers ; et je confesse que, le croyant si convenable et propre au contentement des parties et de leurs amis, je ne puis m'empescher d'en estre en peyne. En suite de quoy, comme je conseille a madame de Chantal de ne point s'arrester a la diminution des esperances que nous avions des biens, aussi vous conjure-je, Madame, d'apporter de vostre costé tout ce qui peut faciliter et rendre douce et aggreable l'execution d'une si bonne [222] œuvre, et de prendre la methode la plus claire et franche. Et ce pendant, je demeure tres asseurement,

            Madame,

Vostre plus humble serviteur

FRANÇS, E. de Geneve.

            10 may 1618, Annessi.

            Je souhaitte mille et mille benedictions a Mesdamoyselles vos filles, que je cheris et honnore de tout mon cœur, et suis leur serviteur.

_____

 

MCDXXVIII. Au Duc de Nemours, Henri de Savoie. Recommandation en faveur d'un avocat.

 

Annecy, 11 mai 1618.

 

            Monseigneur,

 

            En cette vacance de l'estât d'advocat de Vostre Grandeur en ce Conseil de Genevois, advenue par la promotion de monsieur Ouvrier a celuy de senateur, je croy que le sieur Mottier sera proposé a Vostre Grandeur ; et je puis dire que si elle luy fait la grace de le recevoir en cette charge, ell'en sera extremement bien servie, non seulement par ce que c'est l'un des plus dignes advocatz que nous ayons en ce païs, mais aussi par ce qu'il [223] affectionnera ardemment son devoir. Et les effectz de ce veritable tesmoignage en seront mes garens ; qui me fait le proferer hardiment, priant au reste la divine Bonté qu'elle face abonder Vostre Grandeur en benedictions, et demeurant,

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XI may 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, Bibliothèque Nationale,

Fonds français, 3809, fol. 80.

_____

 

 

MCDXXIX. A Madame de la Fléchère. Un mal moins grand qu'on ne pensait. — Prochain retour de la Mère de Chantal.

 

Annecy, 15 mai 1618.

 

 

            J'ay esté bien en peine d'abord, mais en fin j'ay sceu, ma tres chere Fille, que ce n'estoit que les attaques ordinaires. Dieu soit loüé ! Du reste, nous en parlerons avec un peu plus de loysir quand vous viendres icy ; et cependant, voyla un billet de nostre Mere, que j'ay ouvert comm'addressé a [ma] fille et tres chere fille. Elle sera icy de vendredi en huit jours. [224]

            Dieu, par sa bonté, vive et regne en nos cœurs. Amen. XIIIII may.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

 

XXX. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Témoignage d'amitié. — Ombre à la joie du saint Evêque au sujet du mariage de Henri de Nemours.

 

Annecy, 18 mai 1618.

 

            Monsieur mon Frere,

 

            Quelle apparence y auroit il de laisser partir ce porteur, de mes amis et confreres, sans luy donner ces quatre motz ? car ne faut il pas, le plus souvent que l'on peut, ramentevoir cette juste et inviolable affection plus que fraternelle que mon cœur a envers vous ? Il est vray, Monsieur mon tres cher Frere, plus l'honneur et le bien de vous revoir m'est differé, plus ce sentiment va croissant en moy.

            Au reste, on nous a annoncé de toutes partz le mariage de Sa Grandeur ; mais j'attens que vous me le facies sçavoir, avant que j'en tesmoigne ma joye, comme je dois, a sadite Grandeur, avec laquelle je me res-jouirois bien davantage si on ne nous asseuroit pas, par la mesme [225] nouvelle, qu'elle se resoult de ne venir plus icy. Or sus, la Providence divine sçait ce qu'elle a a faire de nous.

            Cependant, aymes tous-jours constamment, Monsieur mon Frere, celuy qui, a jamais, sans cesse et sans reserve, est et veut estre

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 18 may 1618.

            On dit tous-jours que Monsieur le Cardinal fera son voyage, et que je l'accompagneray.

 

            A Monsieur

[Monsieur] de Foras,

Gentilhomme de la Chambre de M. le Duc de Nemours.

            A Paris.

_____

 

MCDXXXI. A M. Claude de Blonay. Union de joies et de peines. — La Mère de Chantal est à Lyon et se dispose à rentrer à Annecy.

 

Annecy, 19 mai 1618.

 

            Monsieur,

 

            Je participe a tous vos contentemens et a tous vos desplaysirs, selon nostre reciproque, ancienne et invariable amitié ; c'est pourquoy je regrette la perte de la presence de monsieur vostre beaufilz, et prie Dieu quil console sa chere vefve, a laquelle je voudrois bien pouvoir rendre du service.

            La Visitation vous attend, et Mme de Chantal me conjura a son depart, ou par une lettre, de vous conjurer de [226] les assister a present. Ell'est maintenant a Lyon avec nostre fille, et sera icy dans huit jours pour recevoir la profession de Mlle de Vallon et de Mlle Carra le dimanche entre les octaves de l'Ascension.

            Monsieur nostre Prieur vous dira les nouvelles tous-jours plus asseurees de la paix. Je suis, Monsieur,

Vostre tres humble confrere,

FRANCS, E. de Geneve.

            XVIIII mai 1618.

 

            A Monsieur

Monsieur de Blonnay,

Prefect de la Ste Mayson.

 

Revu sur l'Autographe qui appartenait à M. l'abbé Pettex, curé de Marignier, près Bonneville (Haute-Savoie).

_____

 

MCDXXXII. A Madame de Granieu. Quelles consolations donner à la Mère de Chastel après le départ de la Mère de Chantal.

 

Annecy, 20 mai 1618.

 

            Pour moy, ma chere Fille, je n'escris a ce coup qu'a vous, car je m'imagine que la bonne Mere sera partie, [227] et ce porteur est un personnage qui fait profession d'estre des grandes connoissances de monsieur vostre mary et ne me donne que ce moment pour vous escrire.

            Mais que vous diray-je ? Ceux qui n'ont qu'une volonté et qu'un cœur, c'est a dire, ceux qui pour tout ne cherchent que le divin amour celeste et que la volonté et le cœur du Sauveur regnent, ilz sont inseparables. C'est pourquoy, ma tres chere Fille, prenes la peyne, je vous prie, de dire cela de ma part a ma Seur Peronne Marie, laquelle, au depart de cette chere Mere, sera, je pense, un peu attendrie. Mais qu'elle soit asseuree que Dieu l'assistera en sa besoigne ; et a la premiere commodité je luy escriray moy mesme.

            Ce pendant, vivés toute a ce cœur et pour ce cœur du Sauveur, ma tres chere Fille, et je suis, certes, vostre tres parfaitement, et

Vostre serviteur plus humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

            … may 1618, Annessi.

 

            Madame la Presidente Le Blanc sçait bien ce que je luy suis, et pressé de donner vistement ce billet, je ne luy puis escrire ; je la salue neanmoins de tout mon cœur.

_____

 

 

MCDXXXIII. A Madame de la Fléchère. Sollicitude paternelle. — Visites consolantes.

 

Annecy, 22 mai 1618.

 

            Que faites vous, ma tres chere Fille ? car je suis en peine de ce violet que vous avies l'autre jour, bien que ce porteur m'a dit que vous vous porties bien, graces a Dieu. Oh ! ce grand Dieu qui est propice aux cœurs de bonne [228] volonté, soit a jamais la vie du vostre, ma tres chere Fille, et du mien, qui est vostre et ne cesse jamais de vous souhaiter cette sainte vie de l'amour celeste.

            Nous sommes icy parmi les consolations que cette bonne compaignie nous donne, attendans pour compliment de bonheur la venue de nostre chere Mere.

            Vives, ma tres chere Fille, et soyes toute a Dieu, qui m'a rendu et fait vivre tout vostre.   Annessi, le XXII may 1618.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

 

MCDXXXIV. A la Présidente le Blanc de Mions (Inédite). Un petit signe du cœur. — Messages affectueux.

 

Annecy, 23 mai 1618.

 

            Ce n'est pas escrire, ceci, ma tres chere Fille ; c'est seulement, comme par un petit signe, vous faire sçavoir que ce cœur duquel vous estes la fille a receu vostre lettre avec beaucoup de joye et ne cesse point de vous desirer la perfection de l'amour caeleste. Vives ainsy, ma tres chere Fille, de cette vie divine, toute remise es mains de Nostre Seigneur.

            A la venue de nostre Mere j'apprendray toutes vos nouvelles, et puis j'escriray a la premiere commodité. Cependant, salues cherement tout ce qui est plus cher a mon ame dans vostre Grenoble. Mays vous sçaves que la [229] nouvelle Mere est ma fille ; si est bien madame de Granieu ; salues les donq comme il faut. Dieu vous sauve toutes. Amen.

            XXIII may, sans loysir et presque sans voir du tout. 1618.

 

            A Madame

Madame la Presidente Le Blanc.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Florence, dans l'oratoire privé de Mgr Donat Velluti-Zati, duc San Clemente, Archevêque titulaire de Patras (Grèce).

_____

 

MCDXXXV. A une tante. Condoléances et consolations. — Le chemin de la félicité future. Rempart contre le torrent des adversités.

 

Annecy, 29 mai 1618.

 

            Madame,

 

            J'ay regardé avec compassion l'estat de vostre cœur, des que j'ay sceu le desplaysir qu'il a receu ces jours passés ; car encor que je sache bien que, graces a Dieu, l'experience et accoustumance que vous aves faite des quelques annees en ça a souffrir les mescontentemens, aura affermi vostre ame et animé vostre courage pour n'estre plus si extraordinairement sensible a ces coups inevitables de nostre condition mortelle, si est ce que d'ailleurs je crains que ces recharges si frequentes n'estonnent vostre resolution. [230]

            Mais toutefois, Madame, je ne laisse pas d'esperer qu'apres tant de remises de vostre volonté a celle de Dieu, apres tant de considerations que vous aves faites sur la vanité de cette vie et sur la verité de la future, apres tant de protestations de vouloir estre irrevocablement attachee a la suite de la Providence celeste, vous ne treuvies une solide consolation au pied de la croix de Nostre Seigneur, ou la mort nous a esté rendue meilleure que la vie ; et cette illusion de la vie de ce monde n'aura pas eu le credit, je m'asseure, de vous faire desmarcher des resolutions que Dieu vous fit prendre sur les evenemens d'autrefois.

            En somme, Madame, il faut s'accommoder a la necessité et la rendre utile a nostre felicité future, a laquelle nous ne devons ni pouvons aspirer que par ce chemin de croix, d'espines, d'afflictions. Et en verité, il importe peu (ains il importe beaucoup) a ceux que nous cherissons, que leur sejour soit court parmi le tracas et les miseres de cette vie ; et quant a nous, cela ne nous toucheroit point, si nous sçavions considerer que c'est la seule eternité a laquelle nous devons dresser tous nos desirs.

            Pour Dieu, ma tres chere Tante, et certes, pour parler selon mon cœur, ma tres chere Fille, ne vous laisses pas emporter au torrent des adversités, ains attachés vous aux pieds de Nostre Seigneur et dites luy que vous estes sienne ; qu'il dispose de vous et de ce qu'il a voulu estre vostre, a son gré, en vous asseurant, et a vous et aux vostres, la tressainte eternité de son amour. Ces momens ne meritent pas qu'on y pense, sinon pour parvenir a ce bien.

            Je suis, Madame,

Vostre tres humble neveu et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 29 may 1618, Annessi. [231]

_____

 

MCDXXXVI. A une dame. La souffrance des séparations. — Par quelle pensée s'en consoler. Encouragement paternel à écrire souvent.

 

Annecy, 30 mai 1618.

 

            Je vous diray, Madame, mais aussi, s'il vous plait, ma tres chere Fille, qu'il est impossible de n'avoir pas des ressentimens de douleur en ces separations ; car, encor qu'il semble que les unions qui ne tiennent qu'au cœur et a l'esprit ne soyent point sujettes a ces separations exterieures, ni aux desplaysirs qui en procedent, si est ce que, tandis que nous sommes en cette vie mortelle, nous les sentons, d'autant que la distance des lieux empesche la libre communication des ames, qui ne peuvent plus s'entrevoir ni s'entretenir que par cet office des lettres. Mays pourtant, ma tres chere Fille, il y a bien dequoy vivre content en la tressainte dilection que Dieu donne aux ames unies a mesme dessein de le servir, puisque le lien en est indissoluble, et que rien, non pas mesme la mort, ne le peut rompre, demeurant eternellement ferme sur son immuable fondement, qui est le cœur de Dieu, pour lequel et par lequel nous nous cherissons.

            Et vous voyes, ce me semble, des-ja en ces paroles le desir que j'ay que vous vous servies de mon ame avec toute confiance et sans reserve. Que si de m'escrire souvent de ce qui regarde la vostre vous sert de consolation, comme vous me le signifies, faites le eonfidemment, car je vous asseure que la consolation sera bien reciproque. Et que cela soit dit une fois pour toutes.

            Certes, je le dis en verité, je vous cheris tres particulierement des que je vis en vostre cœur les arrhes du saint amour de Dieu envers vous, tesmoignees par les [232] attraitz qu'il vous fait a son service. Bienheureuse que vous seres, si, comme vous estes resolue de faire, vous les receves humblement et les prattiques fidellement, ainsy que de toute mon affection je le souhaite, demeurant a jamais, ma tres chere Fille, et d'un cœur vrayement paternel,

Vostre tres humble et invariable serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 30 may 1618.

_____

 

 

MCDXXXVII. A la Mère de Chantal. Conséquence d'un accablement d'affaires. — Annonce d'un mariage.

 

Annecy, fin mai ou commencement de juin 1618.

 

            Vrayement le serein d'hier ni le vent ne m'ont fait aucun ennuy, ma tres chere Mere ; mais ouy bien l'accablement d'aujourd'huy qui m'a empesché d'aller saluer vostre cher cœur en presence, nonobstant le juste empressement du mien ; je veux dire de vous aller voir moy mesme, qui en avois tant de desir. Or sus, il n'y a remede ; ç'a esté le beni mariage de madamoyselle de Chavannes, qui en fin reüscira, comme je pense.

            Conservés-vous bien parmi cette fievre salutaire. Oh ! Dieu vous conserve, ma tres chere Mere, et vous comble de benedictions par tout ou vous estes, et moy aussi. Vive Jesus ! Amen.

            Voyla la lettre de madame de Gouffier. [233]

_____

 

 

MCDXXXVIII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Les étoiles pâlissant devant le soleil. — Une nouvelle apprise « a tastons. » — Souhaits de bonheur au duc de Nemours. — Aimable plaisanterie.

 

Annecy, fin mai-juin 1618.

 

            En somme il est donq vray, Monsieur mon Frere, que les estoilles ne sont plus en veuë quand le soleil l'est sur nostre horizon, et qu'ainsy ce grand contentement que vous contemples au mariage de Monsieur vous vaut tellement que nous ne sommes plus en memoire. Or sus, nous nous res-jouissons, certes, avec vous, et de tout nostre cœur, de ce mesme bonheur que nous estimons grand ; mais nous avons sceu cette heureuse nouvelle a tastons, ramassant ça et la les asseurances que nous en avions parmi le bruit qui s'en faysoit ; car ni Monsieur, ni aucun de sa part, ni nul homme du monde ne nous en a donné aucun advis. Mais Dieu soit loué, et veuille multiplier ses benedictions sur cette sainte liayson.

            Et vous, Monsieur mon Frere, passé ces premiers ravissemens que la grandeur de vostre joye vous donne, vous vous demettres, je m'asseure, a nous vouloir encor un peu gratifier de vostre bienveuillance. Ce pendant, croyés que, quant a moy, je demeure immobile en l'affection que j'ay de vivre a jamais

Vostre plus humble et affectionné frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve,

 

            A Monsieur

[Monsieur] de Foras, Gentilhomme ordinaire

de la Chambre de Monseigneur le Duc de Nemours. [234]

_____

 

MCDXXXIX. A la Mère de Chantal (Fragment). Comment se disposer à recevoir le comble du saint amour. — D'où procède la souveraine unité dans une âme.

 

[Mai ou juin 1614-1618.]

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Or sus, Dieu ne donne pas tant de desir a nostre tres unique cœur, qu'il ne nous veuille favoriser de quelque effect correspondant. Esperons donq, ma tres unique Mere, que le Saint Esprit nous comblera un jour de son saint amour ; et, en attendant, esperons perpetuellement, et faysons place a ce sacré feu, vuidant nostre cœur de nous mesmes tant qu'il nous sera possible. Que nous serons heureux, ma tres chere Mere, si nous changeons un jour n.ostre nous mesme a cet amour qui, nous rendant plus un, nous vuidera parfaitement de toute multiplicité, pour n'avoir au cœur que la souveraine unité de la tressainte Trinité, qui soit a jamais benite au siecle des siecles ! Amen. [235]

_____

 

 

MCDXL. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. La vanité d'un chef de guerre. — La vanité d'un portrait.

 

Annecy, 3 juin 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Ce digne porteur vous dira ce que nous sommes et ce que nous faysons. Nous sommes tous-jours esperant et attendant la reddition de nostre Verceil, laquelle devroit il y a long tems estre faite, selon la rayson et les promesses, mais qui ne devroit pas estre si tost attendue, selon l'honneur de celuy qui tient la ville, qui expres, dit on, ne la veut pas faire selon les articles et a point nommé, affin que l'on ne puisse pas dire que c'est par l'authorité du Roy qu'il fait ce dernier accomplissement de la paix. En somme, la vanité prevaut.

            Ouy mesme, je le puis dire, sur le sujet de l'image qu'on vous porte, laquelle, vuide d'ame et de cœur, [236] et n'estant que vaine representation d'un homme qui n'est que vanité, prevaut sur moy, qui desirerois bien d'aller en presence aupres de vous pour vous offrir de vive voix mon tres humble service et jouir de l'honneur de vostre veùe. Mais ne pouvant pas encor, je demeure, et suis de plus en plus desireux d'estre reconneu et advoué de vous,

 

            Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce jour sacré de la Pentecoste 1618, a Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Toulouse.

_____

 

 

MCDXLI. A Madame de Granieu. Les « empeschemens » du saint Evêque et sa paternelle bonté. — Envoi de deux portraits. — « Le secret des secretz en l'orayson. » — Quelle est la meilleure prière. — Double travail de la « petite mouche a miel. » — Messages de père et d'ami.

 

Annecy, 8 juin 1618.

 

            Par cette si asseuree commodité, je vous diray, ma tres chere Fille, que nostre Mere dit la verité : je suis extremement accablé, non tant d'affaires comme d'empeschemens, mais d'empeschemens dont je ne puis me [237] desprendre. Neantmoins je ne voudrois certes pas, ma chere Fille, que pour cela vous laissassies de m'escrire quand il vous plaira ; car la reception de vos lettres me delasse et me recree beaucoup. Seulement faut-il que vous me soyes un peu bonne, en m'excusant quand je seray un peu tardif a respondre, puisque je vous puis asseurer que ce ne sera jamais que par necessité que je differeray, mon esprit prenant bien playsir a visiter le vostre.

Je ne vous sçaurois rien refuser, ma tres chere Fille, et partant, les deux portraitz que vous desires se feront. Que n'ay-je desiré de conserver l'image de nostre Pere celeste en mon ame, avec l'integrité de sa ressemblance ! Ma tres chere Fille, vous m'ayderes bien a demander la grace qu'elle soit reparee en moy.

            Vostre sorte d'orayson est tres bonne, ains beaucoup meilleure que si vous y faysies des considerations et discours, puisque les considerations et les discours ne servent que pour exciter les affections ; de sorte que s'il plait a Dieu de nous donner les affections sans discours ni consideration, ce nous est une grande grace. Le secret des secretz en l'orayson, c'est de suivre les attraitz en simplicité de cœur. Prenes la peine ou de lire, ou de vous faire lire si vos yeux ne peuvent fournir a cela, le septiesme Livre du Traité de l'Amour de Dieu, et vous y treuveres tout ce qui vous sera necessaire de connoistre de l'orayson.

            Je me resouviens fort bien qu'un jour en la confession vous me dites comme vous faysies, et je vous dis que cela alloit fort bien, et qu'encor qu'il falut porter un point, si toutefois Dieu vous tiroit a quelque affection soudain que vous series en sa presence, il ne falloit point s'attacher au point, ains suivre l'affection ; et quand elle sera plus simple et plus tranquille, elle sera meilleure, car elle attache plus fortement l'esprit a son object. Mays, ma tres chere Fille, estant une fois resolue de cela, ne vous amuses point, au tems de l'orayson, a vouloir sçavoir ce [238] que vous faites et comme vous pries ; car la meilleure priere ou orayson, c'est celle qui nous tient si bien employés en Dieu que nous ne pensons point en nous mesmes, ni en ce que nous faysons. En somme, il faut aller la simplement, a la bonne foy et sans art, pour estre aupres de Dieu, pour l'aymer, pour s'unir a luy. Le vray amour n'a guere de methode.

            Demeures en paix, ma tres chere Fille, marches fidelement au chemin auquel Dieu vous a mis ; ayes bien soin de contenter saintement celuy quil vous a associé et, comme une petite mouche a miel, en faysant soigneusement le miel de la sacree devotion, faites encor bien la cire de vos affaires domestiques ; car si l'un est doux au goust de Nostre Seigneur, qui estant en ce monde mangea le beurre et le miel, l'autre aussi est a son honneur, puisque il sert a faire les cierges allumés de l'ædification du prochain.

             Dieu, qui vous a pris par la main pour vous mettre au chemin de sa gloire, vous conduira, ma tres chere Fille. Je ne cesseray jamais de l'en supplier, car croyes, ma tres chere Fille, que je cheris tendrement et plus que paternellement vostre ame et vostre cœur, que Dieu veuille de plus en plus rendre siens. Amen. Vive Jesus !

            VIII juin 1618.

            Je vous supplie, ma chere Fille, de saluer la bonne Mere et nos Seurs de la Visitation, puisque je n'ay nul moyen d'escrire davantage : ce sera au premier loysir, Dieu aydant. Elles sçavent bien, comme je pense, de quelle sorte je suis a elles. Cette Mere m'est grandement a cœur ; Dieu l'assistera et benira ses bons desirs.

            J'ay un monde de lettres a escrire, mais je ne puis presentement. Je salue tres humblement monsieur vostre cher mari et suis fort asseurement son serviteur. Je doy [239] une response a M. d'Aouste, vostre bienaymé et bien aymable cousin, mais je payeray la debte, quoy qu un peu plus tard, Dieu aydant ; dites le luy, je vous supplie, ma tres chere Fille.

 

            A Madame

[Madame] de G[ranieu].

            Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry. [240]

_____

 

 

MCDXLII. A Don Juste Guérin, Barnabite (Fragment). Un serment inutile. — Protestation d'amitié.

 

Annecy, 17 juin 1618.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            Je vous respons bien courtement, mais c'est par force, n'ayant autre loysir que pour cela. Vrayement, mon Pere, il n'est nul besoin de serment pour me faire croire la verité de vostre sincere, cordiale, intime et invariable amitié envers moy ; car je la croy, je la sçai, je la voy, je la sens, je la touche, et il faudroit que mon ame fust inanimee et mon cœur insensible, s'il en doutoit. Mays croyes bien reciproquement, mon tres cher Pere, que mon esprit correspond tres exactement au vostre pour ce regard, et que je suis tres indissolublement et invariablement vostre, sans reserve ni exception quelcomque ; mais voyes vous, je dis vostre, en sorte que mon cœur en cela n'a point de sentiment qui n'y consente.

……………………………………………………………………………………………………..

            Annessi, 17 juin 1618. [241]

_____

 

MCDXLIII. A Madame de la Forest, Religieuse de l'Abbaye de Bons (Inédite). Comment apaiser, par humilité et douceur, un cœur mécontent. Nul déshonneur à pardonner.

 

Annecy, 20 juin 1618.

 

            Ma tres chere Seur,

 

            Je voy bien es lettres que vous m'aves envoyees, le cœur de cette chere seur tout gros d'ennuy et de mescontentement ; il faut avoir patience avec son naturel et ne point s'estonner. Nostre seur de la Flechere m'a dit comme tout estoit passé, car je n'en sçavois autrement chose quelcomque.

            Il me semble que vous pourres luy respondre en peu de paroles quant a ce qui regarde la grace, en luy disant que en la grande presse qu'on vous a donnee, pour laquelle vous n'avies nul loysir d'attendre sa response, vous aves pris advis de ceux que vous aves jugé vous le pouvoir donner ; et que, en fin, selon leur conseil, vous aves fait ce que vous aves fait, marrie que vous seres si elle l'a a contrecœur ; et qu'elle excuse vostre simplicité, et n'impute toute cette procedure qu'au manquement d'experience es telles occurrences (car en somme, ma tres chere Fille, il faut affoiblir la passion de cette seur ainsy par humilité et douceur) ; qu'il ny a d'empesché que ceux qui se treuvent en la meslee, et les filles n'auront ni honneur [242] ni deshonneur en tout ceci, car on sçaura tous-jours que ce sont des filles. Et puis en fin, il faut revenir au point : il ny a point de deshonneur a pardonner, ou sil y a de deshonneur, ce n'est que devant le monde.

            Je suis sans loysir, et suis

Vostre tres humble frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Vous treuveres Monseigneur de Belley revenu.

            XX juin 1618.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin.

_____

 

MCDXLIV. A madame de la Fléchère. Deux mots écrits en allant à Vêpres. — Ne pas se mettre en peine après avoir fait ce que l'on a cru être bon.

 

Annecy, 21 juin 1618.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Allant a Vespres et faire la benediction et procession, je vous escris ces deux motz. Vous verres ce que j'escris a nostre chere seur de Bons. Pauvre fille, ell'est bien en peine, mais il n'y a pas de quoy, car elle a fait ce qu'ell'a cuydé estre bon. Je croy que nostre seur qui est en Piemont n'eut pas fait ainsy, mays elle ne peut pas gouverner tout ; la pauvre chere seur Religieuse a fait selon sa condition. Tout cela reviendra a bien, moyennant la grace de Dieu, a laquelle je recommande vostre ame qui m'est chere comme la mienne propre.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [243]

_____

 

 

MCDXLV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). Un homme « tout spirituel et tout de Dieu. » — Avis du Saint pour la conduite intérieure.

 

[Annecy, juin-juillet 1618.]

 

            Je vous dis, ma chere Fille, que non seulement vous pouves, ains que vous feres parfaitement bien d'ouvrir vostre cœur tout candidement au Pere Isnard ; il est non seulement docte et religieux, mais il est tout spirituel et tout de Dieu ; vostre cœur bienaymé aura de la consolation et du proffit a recevoir ses advis.

            Il faut que je vous die, ma chere Fille, que, gardant nostre liberté, je treuve qu'en plusieurs rencontres il y peut avoir un incomparable advantage (sans s'attacher toutefois a des directions particulieres) de faire passer le [244] jugement de quelqu'un par dessus le nostre pour nostre conduite interieure : ainsy le divin Espoux renvoyoit son amante aux tabernacles des pasteurs.

……………………………………………………………………………………………………..

 

Revu sur le texte inséré dans la Vie manuscrite de la Mere de Chastel, par la Mère de Chaugy. conservée à la Visitation d'Annecy.

_____

 

 

MCDXLVI. Au Duc Roger de Bellegarde. Inquiétudes au sujet de la santé du destinataire et action de grâces pour sa guérison. — Que faire pour le bien de la vie conservée. — Recommandation en faveur d'un nouveau converti.

 

Annecy, 9 juillet 1618.

 

            Monsieur mon tres cher Filz,

 

            Je ne vous sçaurois dire de combien d'afflictions mon cœur a esté tourmenté parmi les incertitudes de vostre santé. Que de divers advis j'ay receus il y a environ deux mois ! Mais Dieu soit loüé, qu'apres avoir pleuré et amerement regretté sur vostre trespas, qu'on m'avoit annoncé, je benis sa divine Majesté et la supplie avec une incomparable consolation pour vostre vie que, certes, vous deves meshuy cherir, Monsieur mon tres cher Filz, puisque vous voyes combien elle est desiree, comme tres utile, par tant de gens de bien ; car on m'escrit de Gex que parmi tout vostre gouvernement on a fait des actions de graces publiques a la divine Bonté pour vostre guerison. Et en ce païs mesme de deça, si on ne les a fait publiques, on les a fait generales, et moy je les ay fait tres particulieres, comme ayant receu en vostre conservation un des plus singuliers bienfaitz que j'aye receus il y a long tems.

            Aymés-la donq vostre chere vie, Monsieur mon tres cher Filz, et faites ensuite deux choses pour son bien. L'une sera de la conserver soigneusement par les moyens [245] convenables, estayant et appuyant l'infirmité d'icelle et le penchant que l'aage et les maladies luy ont causé, par le repos et reglement propre a cela.

            L'autre, et la premiere, sera que, si jusques a present vous aves eu intention de dedier tous les momens de vostre vie presente a l'immortalité et eternité de la future, vous en redoublies la resolution et les vœux, contant les jours et les heures, et les employant affectionnement a vostre advancement en l'amour divin, a l'amplification de la pieté parmi les mondains, et en somme, a l'execution des saintes vertus que la grace de Dieu et vostre bon naturel vous ont fait aymer et desirer il y a long tems. Pour moy, je ne cesse point, certes, de prier a ce dessein, que par un asseuré pressentiment je voy des-ja, ce me semble, tout executé, avec un surcroist de contentement indicible de sçavoir combien monsieur vostre frere fraternise heureusement pour ce regard.

            Au demeurant, Monsieur mon Filz, le jeune Bursal, de Gex, s'estant converti a la foy catholique par la bonté de Dieu, a tant receu de mauvais et indignes traittemens en sa patrie par ses bourgeois et mesme par ses proches, qu'il a esté contraint de se retirer a Paris, ou il a pensé de pouvoir treuver quelque condition de service pour s'entretenir ; et nos ecclesiastiques de Gex m'asseurent qu'il est fort bon enfant. Ce qui me fait vous supplier tres humblement, Monsieur mon Filz, d'avoir quelque soin de luy, affin que l'on voye que ceux qui abandonnent cette fause religion pour embrasser celle du Roy et du royaume, qui est la seule vraye religion, ne sont pas abandonnés de ceux qui tiennent les meilleurs rangs au service du Roy et de la coronne.

            Vivés longuement, heureusement et saintement ; c'est le souhait personnel, Monsieur mon Filz, de

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Ce 9 julliet 1618, a Annessi.

_____

 

 

MCDXLVII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins (Inédite). Envoi d'une lettre pour Mme des Gouffiers. — Comment vivre au-dessus du monde et de ses embûches.

 

Annecy, 18 juillet 1618.

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous supplie de faire donq seurement tenir cette response que je fay a madame de Gouffiez, puisqu'elle desire tant de l'avoir. Le parti qu'elle propose pour vous est incomparable, sil reuscit, et pourra mesme fort facilement obtenir de Rome le petit Office a perpetuité.

            Courage, ma tres chere Fille, tenes vostre esprit haut eslevé au dessus de ce monde et de toutes les embusches qu'il nous tend. Je veux dire, ma tres chere Fille, que vostre cœur ayant toute sa confiance en la bonté de celuy de Nostre Seigneur, vous deves vivre joyeusement, paysiblement et genereusement en vostre charge, que sa divine providence fera et portera avec vous. Ainsy soit il.

Vostre, tres parfaitement vostre,

ma tres chere Fille, croyes le bien, car ainsy est il.

F. E. de Gen.

            18 julliet 1618.

 

            A ma tres chere Fille.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme Gaulard, à Auxonne (Côte-d'Or). [247]

_____

 

MCDXLVIII. Au Chanoine Jean-François d'Ulme. Contradictions suscitées à la Visitation. — Le vaisseau « prest a singler et a faire voyle. » — Pourquoi les Sœurs de Grenoble sont heureuses. — Fleurs de suavité.

 

Annecy, vers le 18 ou le 19 juillet 1618.

 

            Monsieur,

 

            Je ne m'estonne point de l'empressement que ces bons personnages ont a destourner les ames que Dieu appelle a la Visitation ; car encor me semble-il que cette bienaymee petite Congregation est quitte a bon marché des persecutions et contradictions que l'ennemi de son progres luy suscite et a accoustumé de susciter en toute pareille occasion. Certes, je croy pourtant qu'il n'en peut [248] plus, car, comme un plaideur qui a mauvaise cause, il ne sçait plus que faire, sinon caler et prendre des delais.

            J'ay receu de Rome commission d'eriger cette Congregation en tiltre de Religion, avec tous les privileges, preeminences, immunités et graces qu'ont toutes les autres Religions, et ce, sous la Regie de saint Augustin. Dites a cette bonne ame qu'elle entre asseurement a Sainte Marie ; bien qu'elle ne soit pas encor Religion, elle le sera bien tost, et j'oserois dire que, devant Dieu, elle l'a tous-jours esté, puisque, par sa grace, l'on y a tous-jours vescu religieusement. Certes, asses entre sur la mer qui entre dans un vaysseau qui est a l'emboucheure du Rosne, prest a singler et faire voyle.

            Nostre Meré ira cet hiver faire une Mayson a Paris, et, comme je prevoy, avec tant de bonheur, d'advantage, de protection et d'assistance, qu'apres cela je m'asseure que tout demeurera calme et en paix.

            J'estime nos Seurs de vostre ville trop heureuses de jouir, comme elles font, des effectz de vostre charité, soin et affection. O quelle suavité a mon chetif cœur paternel, de sçavoir que mon frere tres aymable est tout charitablement cordial a mes Filles bienaymees ! Je vous en fay mille tres humbles actions de graces, Monsieur mon tres cher Frere, et vous proteste que, recevant vostre lettre, il me sembloit cueillir des fleurs de suavité incomparable sur le coupeau d'une de nos montaignes, ou j'estois alhors. C'estoit en l'octave de nostre grand saint Jean, ou, me souvenant que l'Evangeliste de nostre Princesse dit de luy : Et vinum et siceram non bibet, j'admiray [249] la douceur de Dieu, de m'abreuver, moy chetif homme, du vin de la charité que le Saint Esprit a respandu en nos cœurs.

            Vivons ainsy, mon tres cher Frere, et croyes que, tant que je vivray, je porteray la qualité de

Vostre tres obeissant frere et serviteur,

tout inutile et tout affectionné,

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCDXLIX. A madame de Granieu. Heureuse occasion d'avoir de mutuelles nouvelles. — Ce que dit un portrait au cœur filial. — Conseils au sujet du confesseur et de la confession. — Salutations paternelles.

 

Annecy, 19 juillet 1618.

 

            Je vous escris, ma tres chere Fille, a mesme que je vay monter sur le bateau pour aller visiter un monastere de Religieux reformés desquelz pour le present j'ay charge ; mais ce gentilhomme, qui est et mon parent et mon grand amy, allant vers M. le Mareschal, il faut a quel prix que ce soit qu'il vous porte de mes nouvelles, puisque mesme il reviendra et m'en pourra rapporter des vostres. Or, je respons a vos deux derniers billetz, lesquelz, comme tout ce qui vient de vous, m'ont donné une consolation nompareille. [250]

            Vray Dieu, ma tres chere Fille, que sera ce quand nous verrons aeternellement la face du Pere eternel en elle mesme, puisque le portrait mort et muët d'un chetif homme res-jouit le cœur d'une fille qui l'ayme ? Mays, ce me dites vous, ce portrait n'est pas muët, car il parle a vostre esprit et luy dit des bonnes paroles. Or bien, c'est a vos seules aureilles, qui escoutent si delicatement, que sans dire mot il parle, vous remettant en imagination ce que je disois lorsqu'en chaire je vous representois la volonté de Dieu, qui est vostre sanctification. Mays laissons cela.

            Communies tous-jours comme vous faites ; confesses vous hardiment a monsieur d'Aouste : en ce parquet la, il ni a point recusation a craindre. Vrayment, il faut que je die a ma tres chere fille, que ma mere, avant que mourir, fit sa confession generale a moy, et me rendoit despuis tous les ans conte de sa vie avec une grande humilité ; et ma pauvre belleseur, de la sainte mort de laquelle ma Seur Peronne Marie vous tesmoignera, en fit de mesme. Il ny a donq point de danger en ce que vous faites devant un tel cousin. Vous pourres neanmoins rendre conte a vostre ancien confesseur de tems en tems, pour luy tesmoigner que vous le respectes tous-jours.

            Ne vous mettes nullement en peine de n'avoir pas la memoire si tenante en la recherche de vos fautes, car ce n'est pas le manquement de memoire qui desplait a Dieu, c'est le manquement de volonté ; et, graces a sa Bonté celeste, vous ne manques pas en ceci.

            Il est vray, je suis debiteur a monsieur d'Aoste et a [251] monsieur de la Gran de je ne sçai quoy que je leur promis, mais je ne tarderay pas de m'en aquiter a mon premier loysir.

            Vives tous-jours toute en Dieu, ma tres chere Fille, et je vous asseure que puisqu'il luy plait, et je sens bien qu'il luy plait et luy plaira tous-jours, je suis tres parfaitement vostre, et de tout mon cœur.

            Je salue la chere Mere de dela, qui est bien ma fille, et nos Seurs et nos Novices, et toute cette Mayson la. Mays, ma tres chere Fille, recommandes tous-jours mon cœur a la misericorde de Nostre Seigneur, que je supplie vous combler de sa benediction, avec monsieur vostre cher mari et toute vostre famille.

            Annessi, le 19 jullet 1618.

 

            A Madame

[Madame] de Granieu.

            Grenoble.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Chambéry. [252]

_____

 

MCDL. A Messieurs du Conseil de la Sainte-Maison de Thonon. Projet d'une assemblée pour le bien de la Sainte-Maison.

 

Annecy. 23 juillet 1618.

 

            Messieurs,

 

            Outre l'extreme desir que j'ay tous-jours eu de voir une resolution au maniment des affaires de la Sainte Mayson, par laquelle tous ceux qui y servent a Dieu puissent vivre avec plus de tranquillité qu'on n'a pas fait jusques a present, monsieur le Marquis de Lans me convie a m'employer a cela, s'offrant de son costé de contribuer toute son authorité et son pouvoir. C'est pourquoy, toutes choses considerees, j'ay creu qu'il estoit requis de faire un'assemblee a cett'intention et qu'il seroit a propos qu'elle se fit icy, affin que nous fussions plus pres de Son Excellence, pour, en cas quil fut necessaire, recourir a elle.

            Pour cela, j'ay prié ce Pere de procurer de dela une assemblee preparatoire, en laquelle vous deputeres ceux qu'il vous semblera plus propres a laditte resolution ; et pourveu que le jour de Saint Pierre aux liens et celuy de Nostre Dame ad Nives soyent exceptés, tout autre tems [253] m'est indifferent, vous priant seulement, sil se presentoyt commodité, de m'en advertir.

            Cependant, je demeure,

            Messieurs,

Vostre tres humble confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXIII julliet 1618, Annessi.

 

            A Messieurs

Messieurs du Conseil de la Ste Mayson.

            A Thonon.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Lyon-Fourvière.

_____

 

MCDLI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Inédite). Estime que l'on fait du crédit du Saint ; celle qu'il en fait lui-même.

 

Annecy, vers le 26 juillet 1618.

 

            Cette lettre vous est estroittement recommandee, ma tres chere Fille, par celuy qui l'a escritte en chemin, allant d'icy en Bornand ; car quant a moy, je ne vous dis rien pour le present, sinon que je feray response a ces bons Peres desquelz vous m'envoyastes les lettres. Et ne laisse pas d'admirer comm'ilz desirent que j'escrive au Roy de leurs affaires, moy que le Roy ne sçait pas estre au monde ; car, quel credit puis je avoir en chose de cette consequence ? Neanmoins, puis que le P. de Lesseau [254] le veut, je le feray et vous envoyeray la lettre par ma Seur Barbe Marie, nostre tres chere fille.

            Cependant, demeures tous-jours toute en Dieu, qui, a la verité, a conduit nostre esprit pour le sujet de la bonne Mme Liotard. Qu'en soit il beni a jamais. Amen. Je salue cherement nos Seurs.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'évêché d'Alexandrie (Piémont).

_____

 

 

MCDLII. Au Roi de France, Louis XIII. Petite mer agitée. — Eloge des PP. Célestins. — Double sentiment de l'Evêque de Genève en approchant le trône de France.

 

Annecy, 31 juillet 1618.

 

            Sire,

 

            La Congregation des Cœlestins, agitee maintenant en France de quelque contention, espere que la venue [255] de son Abbé general, qui est de plus commis expressement par nostre Saint Pere le Pape, calmera et accoysera aysement leur petite mer ; mais sur tout, si l'œil de Vostre Majesté en favorise le dessein.

            C'est de quoy, Sire, vostre justice et pieté est suppliee tres humblement par cette trouppe de tres fideles sujetz et tres devotz orateurs que Vostre Majesté a en cet Ordre, tous-jours jusques a present de grande edification, et mesme sous vostre couronne royale, laquelle les a aussi tous-jours gratifiés de sa speciale protection. Et puisque il a desiré que j'adjoustasse ma tres humble recommandation a leur demande, je le fay, Sire, avec toute reverence, quoy que je me sente tres indigne d'approcher le trosne de Vostre Majesté, parce que la renommee de vostre debonnaireté et devotion me promet autant d'acces aupres de vostre esprit royal que ma bassesse me donne de juste sujet de respect et de veneration.

            Playse a la souveraine misericorde de Dieu de vous benir, Sire, d'une tres longue et tres heureuse et tres-sainte royauté, souhait continuel que je fay pour

            Vostre Majesté, comme estant

Son tres humble et tres obeissant

orateur et serviteur, FRANÇOIS,

Evesque de Geneve.

            Annessi, le XXXI julliet 1618.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Paris, Bibliothèque Nationale,

Fonds français, 17362, p. 157. [256]

_____

 

 

MCDLIII. A la Mère de Chantal (Inédite). Vraie cause du peu de santé d'une Novice. — Que faire en face de caprices inguérissables.

 

Annecy, 31 juillet 1618.

 

            J'escrivoys au Roy, ma tres chere Mere, quand ma Seur Anne [Jacqueline] est arrivee.

            Je ne voy pas qu'il y ayt autre chose a dire en l'affaire de nostre chere Seur, sinon qu'il faut au plus tost faire le renvoy de cette pauvre fille. Madame [de] Brochenu, sa tante, me dit a Grenoble qu'elle desiroit [qu'on] la renvoyast en la Mayson de Grenoble, estimant [que l'air] luy seroit plus propre ; c'est pourquoy il ny [aura pas] grande difficulté de la renvoyer, en disant [que ce] n'est pas l'air, mais la volonté de cette fille [qui l']afflige. Il faudra pourtant luy faire sçavoir a [bon]n' heure son renvoye, et le faire charitablement.

             [Ce n']est pas mauvais signe, mais bon, quand il se fait ainsy quelque petite purgation ; et comme ce seroit [257] cruauté de renvoyer les filles par nos caprices, aversions ou inclinations, aussi seroit ce cruauté de les retenir contre les leurs, quand ilz ne sont pas guerissables.

Bon jour, ma tres chere Mere ; apres disné j'auray le bien de vous voir, car j'ay donné parole a nostre seur d'Aiguebelette.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Caen.

_____

 

 

MCDLIV. Aux Consuls de Chabeuil. Le Saint congratule les consuls de l'établissement projeté des PP. Barnabites dans leur ville.

 

Annecy, 10 août 1618.

 

            Messieurs,

 

            Je me res-jouis de voir que nos bons Peres Barnabites prennent resolution d'envoyer a Milan vers leur General pour pouvoir satisfaire a vos desirs, et prendre vostre petit college, lequel, a mon advis, deviendra grand, s'ilz sont secondés de vostre assistence, comm'ilz ont occasion d'esperer. Pour moy, je vous asseure que ce [258] me sera tous-jours de la consolation quand je sçauray que vous aures du contentement en ce sujet, auquel, et en tout autre, je vous offre de rechef tout ce que je puis et que je suis, vous souhaitant, et a vostre ville, toute sainte benediction, et demeurant de tout mon cœur,

            Messieurs,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur

en Nostre Seigneur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            X aoust 1618, Annessi.

 

            Je pense, Messieurs, que Monseigneur de Valence, vostre Evesque, pourra tout et voudra tout pour cette affaire, et que ces Peres luy seront fort agreables, et que par consequent il sera a propos que de bon'heure on [259] l'advertisse, affin qu'il coopere aupres de Sa Majesté et puis aupres de messieurs du Parlement.

 

            A Messieurs

Messieurs les Consulz de Chabeul.

 

Revu sur l'Autographe conservé aux Archives communales de Chabeuil (Drôme).

_____

 

 

MCDLV. A la Présidente du Faure. Réponse à des témoignages de confiance et d'affection. — Prières et souhaits pour la destinataire.

 

Annecy, 10 août 1618.

 

            Madame,

 

            Ce porteur m'a fort obligé par la peine qu'il a prise de me venir voir, mais encor plus par le soin qu'il a eu de me dire de vos nouvelles, puisqu'elles sont toutes bonnes, et qu'avec cela, pour me donner plus de gloire et de contentement, il m'a dit que vous avies souvent memoire de moy ; car je confesse franchement que ce bonheur m'est grandement praetieux, selon l'extreme affection que je sens en mon ame a cherir et honnorer singulierement la vostre qui m'est tous-jours presente, je vous asseure, au moins en mes principales prieres, qui sont celles de la sainte Messe. Et aussi, certes, serois-je extremement ingrat si je ne correspondois de tout mon cœur a la sainte confiance que le vostre a pris en moy.

            Dieu, par sa bonté, vous veuille combler de ses plus desirables benedictions, ma tres chere Fille, et vous rendre de plus en plus toute parfaitement sienne. En cette [260] esperance vives joyeusement, et en fin eternellement sans fin, ma tres chere Fille, selon le souhait continuel de

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            X aoust 1618, Annessi.

 

            A Madame

Madame la Presidente du Faure.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. Gauduel, à Grenoble.

_____

 

 

MCDLVI. A Madame de Granieu. L'obéissance et le pain quotidien. — Explication d'un avis mal compris. — Comment la confiance restreint le nombre des lettres. — L'amour céleste exercé ici-bas. — Préparation d'un sermon.

 

Annecy, 14 août 1618.

 

            Vous le voyés bien, ma tres chere Fille, si l'obeissance est aymable : vous allies avec un peu de repugnance, et vous y aves treuvé la permission de recueillir force manne celeste. Or ainsy soit il et a la tres bonne heure, que tous-jours, quand vous obeires, vous vous treuvies de plus en plus unie a nostre Sauveur.

            Vous aves donq extremement bien fait d'obeir a vostre confesseur, et vostre confesseur a bien fait de vous imposer l'obeissance en un sujet si agreable. Je ne seray jamais celuy qui vous ostera vostre pain quotidien tandis que vous seres bien obeissante. Je veux dire, ma tres chere Fille, que vous communiies hardiment tous-jours, quand ceux a qui vous vous confesses diront oüy, outre les Communions ordinaires que je vous ay marquees.

            Quand je vous escrivis que vous rendissies comte de tems en tems a vostre ancien confesseur, je ne voulois [261] pas dire que vous fissies des revëues, car il suffit que ce soit d'annee en annee a celuy que vous voudres ; mais je voulois dire que vous allassies vous representer a luy pour luy faire connoistre la continuation de vostre sousmission, partie pour vous humilier, partie pour le consoler.

            Je suis bien ayse que vous ayes une parfaite confiance a la Mere de dela, car je croy qu'elle vous sera utile, et c'est une Mere qui est toute ma tres chere fille et en laquelle j'ay toute confiance aussi ; et sans cette confiance je luy escrirois plus souvent, mais je m'en dispense, comme je feray de vous a qui j'escris maintenant par rencontre, et j'en suis bien ayse. Mon Dieu, ma tres chere Fille, que l'amour cæleste est aymable, voire mesme quand il est exercé icy bas parmi les mysteres de nostre mortalité ! la distance des lieux, ni rien du monde ne luy peut oster la suavité. Ainsy me semble il que je suis tous-jours avec vostre cœur et avec celuy de cette chere Mere, et que nos cœurs s'entretiennent les uns aux autres, ains ne sont qu'un cœur qui, de toute sa force, veut aymer Dieu, et ne s'ayme qu'en Dieu et pour Dieu. La tressainte Vierge, nostre Dame et Maistresse et nostre sainte Abbesse, soit a jamais nostre Mere et Directrice.

            Et je cesse de vous escrire davantage, malgré mon inclination, pour aller penser comment elle mourut d'amour et comme ell'est coronnee de son amour au Ciel, pour en parler demain a mon cher peuple de cette ville qui s'y attend.

            Je ne pense pas que nostre Mere d'icy vous escrive, mais elle vous a bien escritte au milieu de son cœur. Dieu soit a jamais nostre tout. Amen.

            XIIII aoust 1618.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron d'Yvoire,

au château d'Yvoire (Haute-Savoie). [262]

_____

 

 

MCDLVII. A Don Jérome Boerio, General des Barnabites. L'offre d'un collège aux PP. Barnabites, — Réponses à des objections.

 

Annecy, 16 août 1618.

 

            Reverendissimo Padre osservandissimo,

 

            Si propone alla Paternità Vostra Rma l'occasione di accettare un collegio nella provincia del Delfinato, il quale veramente è piccolo, ma è tuttavia commodo per far connoscere in quelle bande la Congregatione sua, et in consequentia per farla gustare et dilatare nel regno di Francia. Onde questi nostri Padri havendone trattato meco per cavar il mio sentimento, mi è parso di doverli dar animo a procurare che detto luogho sia accettato. Ma non lascio di vedere che Vostra Paternità potrà considerare in questo alcune difficoltà.

            1. Che quella communità non dà molto sufficientemente per stabilirvi numero convenevole de Padri. Ma ciè buona speranza di amplificatione, massime che Monsignor Vescovo di Valenza, veramente valentissimo et [263] zelantissimo Praelato, so che volentieri ajiutarà il negotio et haverà singoiar sollecitudine in promovere detta Congregatione.

            2. Parerà forsi duro che voglia quella communità che i figliuoli delli haeretici siano ricevuti al collegio per impararvi le lettere ; ma oltre che habbiamo l'essempio nelli collegi de Padri Giesuiti, non solamente questa conditione non ci deve ritardare, anzi ci deve incitare, perchè non ciè forsi più facil strada di convertir gl'hæretici che questa, et essendo usato questo mezzo con destrezza, farà mirabil riuscita.

            3. Le Messe si potranno ridurre facilmente dall'Ordinario, et col tempo, essendosi amplificate le entrate, potrà la Congregatione scarigarsi.

            4. Se bene par duro a questi nostri Padri che voglia quella communità astringerli di non pigliar altri studii in quella provincia 7e leghe vicine a quel di Chabeuil, tuttavia non mi par inconveniente, già che la Congregatione può dilatarsi pigliando chiese ad ufficiare, et che si eccettarà la theologia et philosophia. [264]

            Per il restante me rimetto alla molta prudentia del nostro Padre Prevosto, latore, ringratiando pur Vostra Paternità che ci habbia dato detto P. Prevosto et inviati questi novi Padri che sonno tanto amarevoli. Et preghando il Signor Iddio che a Vostra Paternità Rma dia ogni vero contento, la saluto humilmente.

            Di Vostra Paternità Rma,

Humil et affettionatissimo fratello et servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli XVI di Agusto 1618.

 

Al Rmo in Christo Padre osservandissimo,

            Il P. Generale de' Chierici regolari di S. Paulo.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Rome, dans les Archives des RR. PP. Barnabites. [265]

 

 

 

            Révérendissime et très honoré Pere,

 

            On propose à Votre Révérendissime Paternité d'accepter un collège dans la province du Dauphiné. A la vérité, il est petit, mais néanmoins très propre à faire connaître votre Congrégation en ce pays, et par conséquent à la faire goûter dans le royaume de France et s'y étendre. C'est pourquoi, nos Pères d'ici ayant traité de cette affaire avec moi pour en avoir mon sentiment, j'ai cru devoir les encourager à s'employer pour que l'offre de ce collège fût acceptée. Je ne laisse pas cependant de voir que Votre Paternité pourra trouver à cela quelques difficultés.

            1. Que la commune ne donne pas assez pour établir un nombre suffisant de Pères. Mais il y a bon espoir d'une augmentation de revenu, d'autant plus que Mgr l'Evêque de Valence, Prélat vraiment [263] de grand mérite et très zélé, aidera volontiers, je le sais, au succès de l'affaire et protégera la Congrégation avec une particulière sollicitude.

            2. Peut-être semblera-t-il dur que la commune exige l'admission au collège des fils des hérétiques pour y apprendre les lettres. Toutefois, outre que nous avons l'exemple des collèges des Pères Jésuites, cette condition, loin de nous faire hésiter, doit au contraire nous exciter à accepter ; car peut-être n'y a-t-il pas de voie plus facile pour convertir les hérétiques que celle-ci, et ce moyen employé avec adresse aura un merveilleux succès.

            3. Les Messes pourront se réduire facilement par l'autorité de l'Ordinaire, et, avec le temps, les revenus étant augmentés, la Congrégation aura de moins lourdes charges.

            4. Si bien il semble dur à nos Pères que la commune veuille les astreindre à ne pas accepter d'autres classes en cette province dans un rayon de sept lieues autour de Chabeuil, cela ne me paraît pas un inconvénient ; car la Congrégation peut s'étendre en prenant des églises pour les desservir. De plus, l'enseignement de la théologie et de la philosophie sera excepté. [264]

            Quant au reste, je m'en remets à la grande prudence de notre Père Prévôt, présent porteur ; je remercie aussi Votre Paternité de nous l'avoir donné et de nous avoir envoyé ces nouveaux Pères qui sont si aimables. Priant Dieu notre Seigneur d'accorder tout vrai contentement à Votre Paternité Révérendissime, je la salue humblement.

            De Votre Paternité Révérendissime,

L'humble et très affectionné frère et serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, le 16 août 1618.

 

Au Révérendissime et très honoré Père dans le Christ,

            Le Père Général des Clercs réguliers de Saint-Paul. [265]

_____

 

MCDLVIII. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment). Tenir son cœur au-dessus des variations de la dévotion sensible.

 

Annecy, 19 août 1618.

 

            Dites moy, ma tres chere Fille, vostre cœur que fait il ? Il est, je m'asseure, plus brave que l'ordinaire en cette sainte octave en laquelle on celebre les triomphes de nostre Reyne, en la protection de laquelle nostre esprit repose et nostre petite Congregation respire. O ma Fille, il le faut tenir haut eslevé ce cœur, et ne permettre point qu'aucun accident de secheresse, d'empressement ou d'ennuy l'estonne, puisque, encor que cela le puisse esloigner de la consolation sensible de la charité, il ne le peut toutefois esloigner de la veritable charité, qui est la souveraine grace de Dieu envers nous pendant cette vie mortelle.

            Nos imperfections a traitter des affaires tant intérieures qu'exterieures sont un grand sujet d'humilité, et l'humilité produit et nourrit la generosité et confiance.

……………………………………………………………………………………………………..

            Annessi, le 19 aoust 1618. [266]

_____

 

 

MCDLIX. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Insuccès de précédentes démarches. Nouvelles instances en faveur de deux pauvres curés.

 

Annecy, 25 août 1618.

 

            Monseigneur,

 

            Quoy que Vostre Altesse Serenissime ayt souvent commandé, comme la justice et pieté requeroit, que les curés dArmoy et de Draillens fussent payés de leurs pensions, neanmoins il (sic) n'ont jamais peu retirer un seul liard despuis quatre ans en ça, quelle sollicitation qu'eux et moy en ayons sceu faire, et qu'elle (sic) remonstrance que nous ayons proposee de l'extreme necessité que ces parroisses ont d'estre assistees. C'est pourquoy, Monseigneur, je suis forcé de recourir de rechef a l'æquité et bonté de Vostre Altesse, affin qu'il luy playse d'user de sa providence en cett'occasion et d'ordonner ces payemens, en sorte que meshuy ces pauvres ecclesiastiques puissent en paix faire le service de Dieu en leurs eglises ; et cette divine Majesté en benira de plus en plus Vostre Altesse,

            Monseigneur, de laquelle je suis

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXV aoust 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [267]

_____

 

 

MCDLX. A M. Jean Carron (Inédite). Premier témoignage d'honneur et d'estime. — L'insuccès des démarches et la vanité des promesses faites en faveur des curés d'Armoy et de Draillant. — Triste état de leurs paroisses. — Financiers à court d'argent. — Moyen proposé par le Saint pour remédier au mal.

 

Annecy, 25 août 1618.

 

            Monsieur,

 

            Je ne vous rendis onques aucun tesmoignage de l'honneur que je vous porte, ni de l'estime que je fay de vostre amitié ; mais la faveur que vous m'aves faite de m'asseurer de vostre assistance es occasions, me promet que vous me la departires au sujet qui s'en presente.

            Quand Monseigneur le Serenissime Prince estoit icy il y a deux ans, je luy representay la justice de la demande des curés d'Armoy et de Draillens, selon la requeste ci jointe ; et Son Altesse commanda, et par escrit et de bouche, qu'ilz fussent payés, en consideration de ce que leur payement estoit de droit divin et humain. [268] Despuis, sadite Altesse l'a de rechef commandé par lettres fort expresses, que vous, Monsieur, escrivites environ les festes de Pasques a monsieur le Marquis de Lans, auquel je les rendis moy mesme ; et ne se peut dire de quelle asseurance il me promit que j'en verrois les effectz. Mays pour tout cela, non plus que pour trente pareilles promesses, rien ne se fait, ains finalement Son Excellence a declaré qu'il n'y avoit pas moyen ; qui me fait de rechef hurter a la providence de sadite Altesse. Et si elle sçavoit la necessité qu'il y a que ce payement se fasse, je m'asseure qu'elle le presseroit grandement ; car, Monsieur, il n'y a rien en ces parroisses (je dis rien pour tout) pour l'entretenement du service de Dieu et des ames, Son Altesse ayant voulu d'authorité souveraine, contre les arrestz du Senat, que tout le revenu que l'Eglise y possedoit fut relasché a ceux de Geneve, assignant seulement a chaque curé cinquante escus pour son entretien. Et il n'y a moyen d'en rien avoir, ains faut qu'ilz despensent beaucoup par empruntz, pour solliciter inutilement ce qui est deu si justement.

            Or, si Son Altesse nous renvoye aux tresoriers, gabelliere, financiers, nous n'en aurons jamais chose du monde, car ilz se treuvent tous-jours courtz d'argent pour nous. Nous la supplions donq d'assigner nostre payement sur les tailles ordinaires des mesmes parroisses, avec commandement a la Chambre de faire descharger les païsans d'autant, et jusques a la concurrence de ce qui nous est deu. Et les parroisses en seront soulagees, car elles payeront plus a commodité, et les curés asseurés, tant de ce qui leur est deu et qu'ilz doivent reciproquement [269] ailleurs ou ilz ont emprunté, que de ce qui leur doit ci apres estre payé pour leurs pensions.

            Mais encor, s'il n'y a de bonnes clausules derogatoires, courrions nous fortune de n'avoir rien, tant sommes nous favorisés en nos poursuites, pour justes qu'elles soyent ! Ce que je dis, non pour me plaindre de la Chambre, qui est certes marrie de nous voir maltraitter non obstant les arrestz qu'elle a rendus pour nous contre les gabelliers, mais pour vous supplier, Monsieur, de ne rien oublier es depesches, affin que nous vous soyons, et ces curés et moy, de plus en plus obligés. Comme, me promettant vostre assistance, je me confesse des maintenant estre et vouloir estre toute ma vie, pour me dire et tenir,

            Monsieur,

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E, de Geneve.

            25 aoust 1618, Annessi.

            Monsieur, je n'ay pas creu de devoir importuner monsieur Boschiz par une lettre en cette occasion, estimant de devoir en cela espargner son loysir et me contenter de le supplier, par vostre entremise, de [me] tenir pour son tres obligé serviteur, qui se promet sa faveur et en cette occurrence et es autres, pour sa bonté.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turiu. [270]

_____

 

MCDLXI. Au Père Léonard Lessius, de la Compagnie de Jésus. Pourquoi le Saint aime et vénère le P. Lessius. Trois livres du docte Jésuite ; appréciation de François de Sales.

 

Annecy, 26 août 1618.

 

            Admodum Reverende in Christo Pater,

 

            Attulit mihi Paternitatis Vestræ litteras dilectissimus nobis magister Gabriel, quæ ut perhonorificæ ita et jucundissimæ mihi fuerunt. Amabam jampridem, imo etiam venerabar te nomenque

tuum, mi Pater, non solum [271] quia soleo quicquid ex vestra illa Societate procedit magnifacere, sed etiam quia sigillatim de Vestra Reverentia multa audivi præclara primum, deinde vidi, inspexi et suspexi.

            Vidi namque ante aliquot annos opus illud utilissimum De Justitia et Jure, in quo et breviter simul et luculenter difficultates illius partis theologiæ, præ cæteris authoribus quos viderim, egregie solvis.

            Vidi postea consilium quod a magni consilii Angelo per te mortalibus datum est de vera Religione eligenda ; ac demum obiter vidi in bibliotheca Collegii Lugdunensis Tractatum de Prædestinatione, et [272] quamvis nonnisi sparsim ut fit oculos in eum injicere contigerit, cognovi tamen Paternitatem Vestram sententiam illam antiquitate, suavitate ac Scripturarum nativa authoritate nobilissimam, de prædestinatione ad gloriam post prævisa opera, amplecti ac tueri. Quod sane mihi gratissimum fuit, qui nimirum eam semper, ut Dei misericordiæ ac gratiæ magis consentaneam, veriorem ac amabiliorem existimavi, quod etiam tantisper in libello de Amore Dei indicavi.

            Cum igitur ita erga Paternitatis Vestræ merita, quam dudum laudaverant apud me opera ejus, affectus essem mirifice, profecto gavisus sum me tibi vicissim utcumque etiam charum esse. Quod ut semper contingat, et dictum magistrum Gabrielem commendatissimum habebo, et si quid unquam potero, quod tibi piacere cognoscam, id exequar quam impensissime.

            Valeat interim Reverenda Paternitas Tua, et te Deus [273] usque in senectam et senium nunquam derelinquat, sed canos tuos benedictionibus Cæli omet et compleat.

            Admodum Reverenda Paternitatis Vestræ,

Humilis et addictissimus frater ac servus in Christo,

FRANCS, Episcopus Gebennensis.

            Annessi Gebennensium, XXVI Augusti 1618.

 

Admodum R. P. in Christo Patri Leonardo Lessio,

            Societatis Jesu Theologo clarissimo.

 

Revu sur deux fac-simile de l'Autographe, conservés à la Visitation de Nancy et à celle de Fribourg.

 

 

 

            Très Révérend Père dans le Christ,

 

            Notre cher maître Gabriel m'a apporté la lettre de Votre Paternité, dont j'ai été charmé autant qu'honoré. Depuis longtemps j'aimais, bien plus, je vénérais votre personne et votre nom, mon [271] Père ; non seulement à cause de l'estime que je fais toujours de tout ce qui tient à votre Compagnie, mais encore à cause des œuvres remarquables de Votre Révérence, dont j'ai d'abord entendu parler, et qu'ensuite j'ai vues, examinées, admirées.

            En effet, j'ai lu, il y a quelques années, ce traité si utile De la Justice et du Droit, dans lequel, avec autant de concision que de clarté, vous résolvez excellemment, et mieux qu'aucun des auteurs que je connaissais, les difficultés de cette partie de la théologie.

            J'ai vu depuis le conseil que, par votre intermédiaire, l'Ange du grand conseil donne aux pauvres mortels touchant le choix de la vraie Religion. Enfin, passant à Lyon, j'ai vu dans la bibliothèque du Collège, votre Traité de la Prédestination. Comme il arrive [272] en ces occasions, je n'ai pu qu'y jeter rapidement les yeux ; cela m'a suffi pour me rendre compte que Votre Paternité y embrasse et soutient cette doctrine, qui a pour elle l'antiquité, le charme propre et le pur sens de l'Ecriture, de la prédestination à la gloire en suite de la prévision des œuvres. Cette constatation m'a été d'autant plus agréable, que moi-même j'ai toujours regardé cette opinion comme plus vraie et plus aimable, en tant que plus digne de la grâce et de la miséricorde divine. Ainsi l'ai-je indiqué dans mon petit livre de l'Amour de Dieu.

            Ayant de tels sentiments pour vos mérites dont vos œuvres ont fait depuis longtemps l'éloge auprès de moi, mon Père, est-ce merveille si je me suis réjoui en voyant à mon tour l'amitié dont vous voulez bien m'honorer ? Pour que vous me la continuiez toujours, je tiendrai maître Gabriel pour très recommandé, et je n'épargnerai rien, à l'occasion, de ce que je saurai vous être agréable.

En attendant, j'envoie à Votre Paternité tous mes souhaits de santé. Que Dieu, jusqu'à la vieillesse et au dernier déclin de l'âge, ne [273] retire jamais de vous sa main protectrice, et que les bénédictions du Ciel, dont je le prie de vous combler, soient l'ornement de vos cheveux blancs.

            Je suis, de Votre très Révérende Paternité,

Le très humble et très dévoué frère et serviteur dans le Christ,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy en Genevois, le 26 août 1618.

 

Au très Révérend Père dans le Christ, Léonard Lessius,

            Eminent théologien de la Compagnie de Jésus.

 

MCDLXII. A Don Juste Guérin, Barnabite. Chant de victoire avant le triomphe. — Un contrat rompu. — Désir d'avoir quelques livres.

 

Annecy, 27 août 1618.

 

            Je ne vous escris jamais qu'avec precipitation, mon Reverend Pere, mays il faut (sic) mieux pourtant quelque chose que rien. Je chantay, l'autre jour, la victoire avant le triomphe, quand je vous escrivis que nous estions d'accord avec les Peres de Saint Dominique ; car, comme le contract a esté dressé, il (sic) n'ont pas volu tenir parole, de sorte quil faudra marcher dans les termes de la justice, laquelle si ell'est un peu bien administree, ilz [274] se repentiront d'avoir refusé dix mille florins de ce qui n'en vaut pas cinq cens. Or, je voy bien que, quoy qu'on leur donnast, ou un autre jardin, ou autre chose, il sera impossible de les ranger, car ilz s'obstinent par pure tentation. La rupture du contract se fit hier seulement, et je n'ay encor pas eu loysir de penser a ce qu'il faut faire sur cela ; mays, y ayant pensé, je le vous escriray.

            Cependant, tenes moy continuellement en vostre cœur, comme un homme qui est parfaitement vostre et ne sera jamais que vostre, et vostre d'une façon nompareille.

            Je seray bien ayse si je puis avoir la Regie de saint Augustin, d'Italie, car j'ay celle des Augustins de France, outre la latine qui est en ses Œuvres ; et qui pourroit avoir les Constitutions des Angeliques, [275] elles serviroyent beaucoup. — Je suis ce que je viens de dire, plus que vostre.

            XXVII aoust 1618.

 Au R. Pere en Nostre Seigneur,

Le R. P. Don Juste Guerin,

Prevost en la Congregon des Clercz de St Paul.

            A Thurin, aux Barnabites.

 

            Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Adélaïde Vuÿ, à Carouge (Genève).

 

MCDLXIII. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Les victimes d'un désastre aux pieds de Son Altesse. — L'Evêque joint ses supplications aux leurs pour obtenir la pitié du prince.

 

Annecy, 30 août 1018.

 

            Monseigneur,

 

            Ces pauvres gens de la Vald'Aux, comme esperdus d'une ruine presente qui les accable, n'ont sceu ou se jetter a refuge qu'aux pieds de Vostre Altesse. Et certes, je ne voy nullement qu'une main moins forte et un (sic) providence moins paternelle que la vostre, Monseigneur, les puisse garentir ; car je pense qu'ilz n'ont a se plaindre principalement que de leur malheur, contre lequel rien ne peut leur donner allegement que le bonheur d'estre regardés en pitié de Vostre Altesse, a laquelle Dieu, qui void leur extreme misere, inspirera, comm'ilz esperent, quelque moyen favorable pour les retirer de ce gouffre. [276]

            C'est ce en quoy j'implore avec eux la grace de Vostre Altesse, a laquelle faysant tres humblement la reverence et souhaitant le comble de toute sainte prosperité, je demeure,

            Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXX aoust 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

 

MCDLXIV. A Don Juste Guérin, Barnabite (Fragment). Affectueux reproches à un ami qui ne prend pas assez de soin de sa santé.

 

Annecy, 30 août 1618.

 

            O mon cher Pere, vous aves donq esté malade deux fois en si peu de tems ? C'est signe que vous n'aves pas asses soin de conserver vostre santé, et neanmoins vous estes obligé d'avoir ce soin la, pour servir tant mieux nostre grand Maistre et ses enfans, puisque vostre vocation vous y astreint. Faites le dores-en-avant, mon tres cher Pere ; mais je vous le dis tout de bon, et avec tout le cœur que j'ay pour vous et de tout le credit que j'ay envers vous.… [277]

_____

 

MCDLXV. A un religieux (Fragment). Course rapide d'une âme vers le sommet de la perfection. Le mystère d'un nom.

 

Annecy, 15-fin août 1618.

 

            Mon Reverend Pere,

 

            En fin vostre bonne Niece a surmonté genereusement toutes les difficultés et tous les obstacles qu'on opposoit a son dessein. Elle est dans le noviciat, et je vous asseure que si elle persevere a courir, comme elle commence, dans les voyes de Dieu, elle se treuvera bien tost au sommet de la montagne du Seigneur. Elle ne m'a pas [278] caché que la grace divine luy avoit fait remarquer que ces trois noms de Marie, Marguerite, Michel, luy imposoyent l'obligation destre une fille d'orayson, de mortification et de victoire. Je ne doute point qu'elle n'en vienne la, et qu'elle ne soit un jour une grande servante de Dieu…

_____

 

MCDLXVI. Au Chanoine Honore des Echelles. L'inconstance, loi des choses de ce monde ; les amitiés saintes en triomphent. — Désir de quelques jours de repos à Belley. — La demeure des Filles de la Visitation ici-bas, leur demeure dans l'éternité. — Eloge de la Mère de Chantal.

 

Annecy, [août-septembre 1618.]

 

            Entre les incertitudes du bienaymé voyage qui nous devoit assembler pour plusieurs moys, Monsieur mon tres [279] cher Frere, je ne regrette rien tant que de voir differer le bonheur que nos cœurs se promettoyent de se pouvoir entretenir a souhait sur leurs saintes pretentions ; mais le monde et tous ses affaires sont tellement sujetz aux loix de l'inconstance, qu'il nous en faut souffrir l'incommodité, tandis que nos cœurs disent : Non movebor in æternum. Non, rien ne nous esbranlera en l'amour de la Croix et en la chere union que le Crucifix a fait de nos espritz. Mais voyci le tems qu'il faut employer l'advantage que nostre amitié a au dessus de celle des enfans de ce monde, et la faire vivre et regner glorieusement, nonobstant l'absence et division des sejours ; et cela, a cause que son autheur n'est point lié au tems ni au lieu. Certes, mon tres cher Frere, ces amitiés sacrees que Dieu a fait sont independantes de tout ce qui est hors de Dieu.

            Oh ! si j'estois veritablement Theophile, comme vostre grand Prelat m'appelle (plus selon la grandeur de sa charité que selon la connoissance qu'il a de mes infirmités), que je vous serois aggreable, mon tres cher Frere ! Mays si vous ne me pouves aymer parce que je ne le suis, aymes moy affin que je le sois, priant nostre grand Androphile qu'il me rende par ses prieres son Theophile. J'espere d'aller faire dans quelques jours un peu de saint repos aupres de luy, qui est nostre commun phœnix, pour odorer les bluettes de cinnamome dans lesquelles il veut mourir, pour plus heureusement revivre parmi les [280] flammes de l'amour sacré duquel il escrit les saintes proprietés dans une histoire qu'il compose.

            Mays, qui vous a peu dire que nos bonnes Seurs de la Visitation ont esté traversees pour leurs places et bastimens ? O mon cher Frere, Dominus refugium factus est nobis ; Nostre Seigneur est le refuge de leurs espritz, ne sont elles pas trop heureuses ? Et comme nostre bonne Mere, toute vigoureusement languissante, me dit hier, si les Seurs de nostre Congregation sont bien humbles et fideles a Dieu, elles auront le cœur de Jesus, leur Espoux crucifié, pour demeure et sejour en ce monde, et son palais celeste pour habitation eternelle.

            Il faut que je dise a l'oreille de vostre cœur, si amoureusement aymé du mien, que j'ay une suavité d'esprit inexplicable de voir la moderation de cette chere Mere et le desengagement total des choses de la terre qu'elle a tesmoigné parmi toutes ces petites traverses. Je dis ceci a vostre cœur seulement, car j'ay fait resolution de ne rien dire de celle qui a entendu la voix du Dieu d'Abraham : Egredere de terra tua, et de cognatione tua, et de domo patris tui, et veni in terra quam monstravero tibi. En verité, elle le fait, et plus que cela. Or, il me reste de la recommander a vos prieres, parce que les frequens assautz de ses maladies nous donnent souvent des assautz d'apprehension, bien que je ne cesse d'esperer [281] que le Dieu de nos peres multipliera sa devote semence comme les estoilles du ciel et le sablon qui se voici sur l'arene des mers.

            Mais, mon Dieu, c'est trop dire en ce sujet, ou je ne voulois rien dire. Toutefois c'est a vous, a qui toutes choses sont disables, puisque vous aves un cœur incomparable en dilection pour celuy qui, avec un amoureux respect, vous proteste qu'il est incomparablement,

            Monsieur,

Vostre tres obeissant et tres aymant serviteur

et confrere en Jesus Christ,

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

 

MCDLXVII. A M. François Fyot de Barain. Grande union des chanoines de Saint-Pierre de Genève avec leur Evêque. — Celui-ci soutient leurs droits dans un procès avec la ville de Seyssel.

 

Annecy, 3 septembre 1618.

            Monsieur,

 

            J'ay un Chapitre autant bien qualifié qu'il se peut dire ; c'est pourquoy, outre le devoir que j'ay au service de Dieu et de l'Eglise, j'en ay un bien particulier a mes Chanoynes, qui, par un asses rare exemple, ne sont qu'un cœur et qu'un'ame avec moy au soin de ce [282] diocæse. Pour cela, Monsieur, j'implore avec eux vostre justice et pieté pour la conservation de leur droit en l'affaire qu'ilz ont avec messieurs les scindiqs et habitans de Sessel, lesquelz, si je ne suis grandement trompé, ont bon besoin d'estre rangés et remis en devoir» tant envers les ecclesiastiques qu'envers le magistrat.

            Mays de cela, Monsieur, vous en discerneres et jugeres, tandis que priant Dieu qu'il vous face de plus en plus abonder en sa grace, je veux estre a jamais de tout mon cœur,

            Monsieur,

Vostre ………

FRANÇS, E. de Geneve.

            Annessi, 3 septembre 1618.

 

            A Monsieur

             [Monsieur] Fiot [de] Barain,

Conseiller du Roy au Parlement de Bourgoigne.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Amiens. [283]

_____

 

 

MCDLXVIII. A Monseigneur Pierre Fenouillet, Evêque de Montpellier. Remerciements pour l'accueil fait au président Crespin. — Naufragé abordant au hâvre de grâce. — Le voyage du Cardinal de Savoie est toujours incertain.

 

Annecy, 4 septembre 1618.

 

            Monseigneur,

 

            On ne remercie pas le soleil dequoy il fait le jour, ni la lune dequoy elle esclaire la nuit, parce que c'est leur nature. Ni je ne vous remercieray pas du bon accueil que vous aves fait a monsieur le President Crespin, soit que vous l'ayes fait selon la generosité de vostre esprit, qui vous est naturelle, soit que vous l'ayes fait selon la bienveuillance que vous me portes, de laquelle l'habitude est passee meshuy en nature par la multitude de l'exercice que vous en faites continuellement. Seulement vous diray je que je prie Dieu d'en estre le remunerateur, luy qui en est l'autheur en vous.

            Au demeurant, comme je loue le desir que ledit sieur President a de finir ses jours en nostre vocation ecclesiastique, comme dans un havre de grace pour passer au havre de gloire apres cette si rude tempeste et l'essay des plus cruelz orages du monde, aussi suis je de vostre advis, que ce soit apres s'estre enrayé pour un peu du naufrage duquel il sort.

            Nous sommes icy en paix, mays non pas du tout exemptz des ressentimens de la guerre passee ; playse a Dieu qu'ilz ne degenerent pas en recheute.

            Pour moy, je ne sçay encor si j'iray a Paris ou non, cette incertitude dependant de celle du voyage de Monseigneur le Prince Cardinal et de celle qui est ordinaire es cours ; ou, pour ne point mentir, je ne dis rien, [284] sinon peut estre qu'il est vray, et peut estre que non. Mais je dis toutefois qu'il est vray, et ne sera jamais autrement, que je suis de tout mon cœur invariablement,           Monseigneur,

Vostre tres humble et tres obeissant frere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            4 septembre 1618, a Annessi.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Toulouse.

_____

 

 

MCDLXIX. A la Présidente du Faure (Inédite). Lettres qui soulagent au lieu de surcharger. — Demande et promesse de prières.

 

Annecy, 22 septembre 1618.

 

            Vous ne sçauries, je vous asseure, Madame, m'escrire trop souvent, ni donner du divertissement a mes occupations par vos lettres, qui plus tost me soulagent par la consolation que j'ay de sçavoir des nouvelles de vostre cœur qui m'est extremement cher, et que je prie de tout le mien de vouloir continuer sa charité envers mon ame, la recommandant souvent a Nostre Seigneur ; comme de mon costé je ne cesseray jamais de vous souhaiter la tressainte perseverance, avec un continuel accroissement en l'amour celeste de sa divine Majesté, qui est le comble de tout bonheur, Demeurés en paix, ma tres chere Fille, et benisses de plus en plus la Bonté divine qui vous veut toute pour elle.

            Je suis sans fin, d'un cœur nompareil, Madame,

Vostre plus humble, tres fidele serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

            22 septembre 1618.

 

            A Madame

Madame la Presidente du Faure.

 

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. [285]

_____

 

MCDLXX. A Madame de Granieu. Ne pas craindre d'écrire souvent. — Le souhait du Saint pour l'âme de sa chère fille. — Espérance d'un revoir.

 

Annecy, 22 septembre 1618.

 

            Vous faites certes tres charitablement, ma tres chere Fille, de m'escrire souvent, car en verité, vos lettres me consolent et recreent extremement, puis que Dieu a voulu que mon cœur soit si paternel qu'il ne se peut dire plus, pour vous, qui estes reciproquement ma fille tres desirable es entrailles de nostre Sauveur. Faites donq tous-jours bien ainsy, escrives moy tous-jours quelques motz, et moy, quand je pourray, je vous rendray soigneusement la pareille.

            Dieu est bon, ma tres chere Fille, et puis qu'il luy a pleu de vous donner le desir de son pur amour, il le rendra un jour parfait. C'est cela que souvent je luy demande pour vostre chere ame, ma Fille, laquelle j'ayme comme la mienne propre.

            Je vous escris sans loysir et seulement pour respondre a vostre petit billet ; un'autre fois que j'auray plus de commodité, je respondray a vos deux precedentes, et qui sçait si dans le moys prochain je passeray a Grenoble ? J'en ay certes quelqu'esperance : soit fait selon le bon playsir de Dieu. Je suis vostre.

F., E. de Geneve.

            22 septembre 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de la Côte-Saint-André. [286]

_____

 

 

MCDLXXI. A Dom Bruno d'Affringues, Général des Chartreux. Messages affectueux par un Capucin en route pour la Chartreuse.

 

Annecy, 22 septembre 1618.

 

            Mon tres Reverend Pere,

 

            Outre le desir que j'ay de me ramentevoir souvent en vostre bonne grace, ce bon Pere Capucin, qui est grandement de mes amis, m'en a reveillé la volonté quand il m'a dit qu'il alloit expres voir cette saintete (sic) solitude en laquelle beneplacitum est Deo habitare in ea ; et que particulierement il desiroit de vous bayser les mains, poussé de la renommee qu'il a pleu a Dieu que vous ayes, qu'il honnore avec inclination comm'estant du voysinage du lieu de vostre naissance.

            Ainsy donq, mon tres Reverend Pere, je vous salue tres humblement par cette entremise, et vous souhaitant toute sainte prosperité, je demeure a jamais

Vostre tres humble et tres affectionné

serviteur et confrere,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXII septembre 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Trappe de Westmalle (Belgique). [287]

_____

 

 

MCDLXXII. A Messieurs les Avoyers et les Membres du Conseil de ville de Fribourg. Gracieuses offres de service. — Pourquoi le Saint veut toujours obliger les magistrats de Fribourg.

 

Annecy, 23 septembre 1618.

 

            Messieurs,

 

            Jamais il ne se presentera occasion de vous rendre service, que je ne l'employe avec toute l'affection et sincerité que Vos Excellences pourroyent desirer ; et non seulement par le devoir d'amitié et voysinage, mais par une speciale inclination que j'ay envers vostre tres catholique, tres pieuse et tres illustre Republique et Seigneurie, je m'estimeray tous-jours fort heureux quand je pourray executer vos desirs. Ainsy, ces bons et devotz ecclesiastiques s'en revont promeuz aux saintz Ordres, marri que je suis que une quantité d'occupations qui me sont survenues en ces deux jours ne m'ayent permis de les caresser a mon gré, selon l'affection que je porteray toute ma vie a tous ceux qui me seront recommandés de Vos Excellences, que je prie Dieu vouloir combler de [288] benedictions, et sa tressainte Mere de les conserver sous sa douce protection, qui suys tres cordialement,

            Messieurs,

Vostre plus humble et tres affectionné serviteur,

amy et voysin,

FRANCS, E. de Geneve.

            XXIII septembre 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Fribourg.

_____

 

 

MCDLXXIII. A la Mère de Chantal. François de Sales seconde, sans les connaître, les désirs de la Mère de Chantal.

 

Annecy, [1613-octobre 1618.]

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Voyla les lettres, et celle que j'escrivois quand ma Seur Anne Jacqueline est venue, estoit a M. de Leaval. Regardes donq si vos desirs ont du pouvoir sur mon esprit, que ne les sachant pas, je les seconde. Qu'a jamais les divines inspirations fassent de si puissantes influences en nostre cœur, que sa volonté soit parfaitement faite en nous. Amen. Vive Jesus !

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [289]

_____

 

 

MCDLXXIV. A la même (Billet inédit). Une bannière, ou une croix de confrérie à restaurer.

 

Annecy, [1616-octobre 1618.]

 

            Voyla la plus belle des trois. Qui auroit le loysir d'y mettre un autre rideau, il ne la connoistroit pas, ou bien qui en osteroit le boys pour la luy rendre plus portable. Mays tenes bien comte, car en somme, je suis homme qui ne veux rien perdre.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le baron de Viry, au château de Cohendier (Haute-Savoie).

_____

 

 

MCDLXXV. A la même. Sollicitude paternelle du Saint pour ses Filles. — Quelque chose que la Mère de Chantal ne saura peut-être jamais. — Une postulante pauvre qu'il faut gratifier.

 

Annecy, commencement d'octobre 1618.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Il faut que je vous die que j'ayme bien cette pauvre Seur Estiennette, et pensant en elle il me (sic) venu [290] en l'imagination que peut estre a elle quelque scrupule sur ses confessions, puisque hier elle me dit qu'ell'avoit un grand desir de faire une confession generale. Je voudrois donq que vous sceussies cela d'elle, mais il faudroit que ce fut dextrement, affin que, s'il n'estoit pas besoin, elle ne s'embarassast pas en cet article, et si elle en avoit besoin, qu'elle le dit, et vous me le feries sçavoir. Vous sçaves, ma tres chere Mere, ce que je suis a ceux que j'affectionne, et sur tout a nos Filles ; mais vous ne sçaures jamais peut estre ce que je vous suis, tant Dieu m'a rendu vostre.

            Je vay aux Cappucins pour un appointement. Il faudra passer la pauvre Fontani pour 400 ducatons et diminuer la liste des meubles, car monsieur le collateral Flocard dit que ses freres sont pauvres et que ce sera aumosne, et ell'est fille d'une si bonne mere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mlle Hélène de Thiollaz, au château de Monpont, près Alby (Haute-Savoie). [291]

 

MCDLXXVI. A un gentilhomme (Inédite). Offre de services et demande de protection.

 

Annecy, 16 octobre 1618.

 

            Monsieur,

 

            L'essay que je fis de vostre courtoysie il y a 20 ans que je fus a Rome, le recit que m'en fait monsieur le chanoyne Desplans, la consideration de lhonneur ou vos merites vous portent, m'obligent a vous offrir mon service, quoy qu'inutilement, puisque, estant si peu de chose comme je suis, je ne me puis pas promettre le pouvoir de vous en rendre.

            Et bien que cette mesme consideration me deut retenir de vous importuner, si est ce qu'en l'occasion que ledit sieur Desplans vous represente pour le secours des Chanoynes de mon Eglise, je ne laisseray pas de vous supplier de nous estre favorable a tous, affin que les uns soyent aydés, et moy consolé de les voir un peu assistés et delivrés de pauvreté, vous asseurant, Monsieur, que vous obligeres force gens d'honneur et qui ont affection [292] de marcher de bien en mieux au service de Dieu ; et en mon particulier, j'en demeureray a jamais,

            Monsieur,

Vostre tres humble et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI octobre 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Bar-le-Duc, au couvent des Sœurs Dominicaines.

_____

 

 

MCDLXXVII. Au Cardinal Frédéric Borromée, Archevêque de Milan. Envoi d'une harangue du cardinal du Perron, et promesse de son oraison funèbre.

 

Annecy, 16 octobre 1618.

 

            Illustrissimo et Reverendissimo Signor mio colendissimo,

 

            Questi honorati Padri Visitatori de Barnabiti hanno trovato in me una particolarissima memoria delli favori ricevuti di V. S. Illma ; et havendomi significato che [293] Ella tiene notitia della nostra lingua francese, glie mando con humil… questa oratione o harenga fatta [dal Cardinal] del Perrone, opra bellissima, s' io non m'inganno, [per] la vivacità del' ingegno che in essa è mostrata. Et se essendo in Parigi, dove vado per accompagnare il Prencipe Cardinale di Savoya, posso veder qualche oratione funebre di detto fû Cardinale del Perrone, non mancarò di darne parte a V. S. Illma, non dubitando che haverà a caro il saper la morte felicissima et piena di zelo di questo grand'huomo et Prelato.

            Et fratanto, basciando humilissimamente le sacre mani [294] di V. S. Illma et ritornando a farli profonda riverenza, resto

Suo divotissimo et humilissimo [servitore],

FRANCO, Vesco[vo di Geneva.]

            XVI Ottobre 1618, Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Milan, à la Bibliothèque Ambrosienne.

 

 

 

            Illustrissime, Révérendissime et très vénéré Seigneur,

 

            Ces honorés Pères Visiteurs des Barnabites ont trouvé chez moi un très particulier souvenir des faveurs reçues de Votre Seigneurie Illustrissime ; et comme ils m'ont dit que vous aviez quelque [293] connaissance de notre langue française, je vous adresse en toute humilité ce discours ou harangue faite par le cardinal du Perron, œuvre très belle, si je ne me trompe, pour la vivacité du génie qui la caractérise. Si je puis trouver à Paris, où je vais accompagner le Prince cardinal de Savoie, quelque oraison funèbre de feu le cardinal du Perron, je ne manquerai pas d'en faire part à Votre Seigneurie Illustrissime, qui, je n'en doute point, aura pour agréable d'apprendre les particularités de la mort très heureuse et pleine de piété de ce grand homme et Prélat.

            En attendant, je baise les mains sacrées de Votre Seigneurie [294] Illustrissime, et lui renouvelant mes profonds hommages, je demeure

Son très dévoué et très humble serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            16 octobre 1618, Annecy.

_____

 

MCDLXXVIII. A Dona Ginevra Scaglia (Inédite). Nouveaux délais pour la fondation de Turin. — Départ pour la France ; joie au sujet d'un compagnon de voyage. — L'itinéraire de la Mère de Chantal différent de celui de l'Evêque de Genève.

 

Annecy, 16 octobre 1618.

 

            Illustrissima Signora mia in Christo osservandissima,

 

            Essendosi data la parola mia et quella della Madre per Bourges et Parigi, saria impossibile di far altramente ; ma ella ritornarà presto, cioè questa prima (sic), et fra tanto le cose del Monasterio di Turino si saldaranno [295] et pigliaranno fondamento. Si riserba la Sorella Paola Hieronima di Monthouz per accompagnarla et esser impiegata in Turino, già che questo è gusto di V. S. et, come si spera, sarà gusto del Serenissimo Prencipe.

            Et quanto a me, parto adesso adesso per andarmene servir il Serenissimo Prencipe Cardinale, già che così vuole Sua Altezza ; et se è vera la nuova che mi vien data che il signor Marchese fratello di V. S. facci il viagio, mi sarà una particolar consolatione, et tanto più se io fossi tanto felice di darli qualche segno della molta servitù ch'io tengo verso il signor Comte et la persona di V. S. [296]

            Raccommandar a V. S. il nostro P. Dom Giusto par cosa ingiuriosa alla charità che ella tiene ; ma mi è lecita per darglie qualche testimonio del mio affetto verso di lui.

            Della ratificatione del mollino per queste Madri non si ha nuova veruna, et non so doüe sarà capitata l'amorevole cura che V. S. si è degnata pigliarne.

            La Madre fa una strada per andar a Bourges differente dalla nostra, et restarà in Bourges mentre sarò in Parigi ; ma non lasciarò di dar parte delli progressi di questa Congregatione a V. S. Illma, già che tanto glie vuol bene.

            Così mi tengha nella gratia sua V. S. Illma, et io a lei pregho il perfetto et puro amor divino.

            Di V. S. Illma,

Certissimo et humilissimo servo in Christo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli XVI di Ottobre 1618.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Biandrate di San Giorgio, au château de Piasco, près Turin. [297]

 

 

 

            Très Illustre Dame, très honorée dans le Christ,

 

            Ma parole et celle de la Mère étant données pour Bourges et Paris, il serait impossible d'agir autrement. Mais notre Mère reviendra bientôt, c'est-à-dire au printemps, et d'ici là, les affaires du Monastère [295] de Turin s'affermiront sur un fondement plus solide. On réserve la Sœur Paule-Jéronyme de Monthouz pour accompagner la Mère et être employée à Turin, puisque cela agrée à Votre Seigneurie, et agréera, nous l'espérons, au Sérénissime Prince.

            Pour moi, je suis sur mon départ pour le service du Sérénissime Prince Cardinal, ainsi que l'a voulu Son Altesse. Si la nouvelle que l'on vient de m'annoncer est vraie, que M. le Marquis votre frère est du voyage, ce me sera une particulière consolation, surtout si j'ai le bonheur de pouvoir lui donner quelque marque de mon profond attachement pour M. le Comte et pour vous, Madame. [296]

            Vous recommander notre bon P. D. Juste serait une chose injurieuse à la bienveillance que vous lui portez ; elle ne m'est permise qu'en témoignage de l'affection que j'ai pour lui.

            De la ratification pour les moulins de ces Mères, nous n'avons aucune nouvelle, et je ne sais où aura échoué le soin bienveillant que Votre Seigneurie a daigné prendre de cette affaire.

            La Mère suivra, pour aller à Bourges, une route différente de la nôtre et demeurera dans cette ville tandis que je serai à Paris ; mais je ne laisserai pas de vous faire part des progrès de notre Congrégation que Votre Seigneurie aime tant.

            Veuillez aussi, Madame, me conserver dans vos bonnes graces, et à mon tour, vous souhaitant le parfait et pur amour de Dieu, je suis,

            De Votre Seigneurie Illustrissime,

Le très assuré et très humble serviteur dans le Christ,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Annecy, 16 octobre 1618. [297]

_____

 

 

MCDLXXIX. Au Père Jean-Matthieu Ancina de la Congrégation de l'Oratoire. Pourquoi le Saint est obligé de renoncer à écrire la Vie de Juvénal Ancina. Ses regrets.

 

Annecy, 16 octobre 1618.

 

            Molto Reverendo Padre, singolarmente carissimo et osservandissimo,

 

            Quantunque io vedeva di non poter in niun modo scrivere convenientemente la Vita della felice memoria di Monsignor Vescovo suo fratello, per la mia troppo grande rozzessa et insufficientia, nientedimeno il diletto ch'io havrei di dar gusto a V. R. et de dar testimonio della stima di questo gran servo d'Iddio, mi dava un certo che di speranza di poterlo fare in qualche modo. Ma vedendomi adesso tirato in Parigi, per servire il Serenissimo Prencipe Cardinale nostro in questo viagio di Francia, io perdo ogni sorte di speranza di scrivere, et massime che detta historia richiede di esser scritta da [298] huomo che possa saper moltissime particolarità che io non posso cognoscere nè intender qui, et molto meno in Francia.

            Mi perdoni adunque V. P. s'io non la servo in questa occasione, che per altro mi sarebbe stata gratissima, et veda che la sola impossibilità m'impedisce. Ma non lasciarò a suo tempo di mandargli alcune osservationi circa queir historia, che potranno forsi giovare al scrittore ; et in ogni modo sono et sarò sempre,

            Di Vostra Paternità,

Certissimo et affettionatissimo fratello et servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            In Annessi, alli XVI di Ottobre 1618. [299]

 

 

 

            Très Révérend Père, très particulièrement aimé et honoré,

 

            Bien que je fusse convaincu de ne pouvoir en aucune façon écrire convenablement la Vie de Monseigneur l'Evêque votre frère, d'heureuse mémoire, à cause de ma trop grande rusticité et insuffisance, néanmoins la satisfaction que j'aurais eue d'agréer à Votre Révérence et de rendre témoignage de mon estime pour ce grand serviteur de Dieu, me donnait quelque espérance de pouvoir entreprendre ce travail. Mais me voyant maintenant appelé à Paris pour servir notre Sérénissime Prince Cardinal en ce voyage de France, je perds tout espoir de le faire, d'autant plus que l'histoire dont il s'agit requiert [298] un écrivain qui soit à même de savoir beaucoup de particularités que je ne puis connaître ni apprendre ici, et moins encore en France.

            Pardonnez-moi donc si je ne sers votre Paternité en cette occasion qui cependant m'eut été si agréable, et voyez que la seule impossibilité m'en empêche. Toutefois je ne manquerai pas de vous envoyer en leur temps quelques remarques touchant cette histoire ; peut-être pourront-elles être utiles à l'auteur.

            De toute manière, je suis et serai toujours, De Votre Paternité,

Le très assuré et très affectionné frère et serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            A Annecy, le 16 octobre 1618. [299]

_____

 

 

MCDLXXX. A M. Michel Favre. Une liste de nécessiteux à soulager.

 

Annecy, 16 octobre 1618.

 

            Monsieur Michel,

 

            Je vous prie que de l'argent qui viendra entre vos mains, qui m'appartiendra, vous delivries a madame la collaterale Flocard, six florins pour la Jeanne Peloux de Geneve ; autres trois florins pour la Gautier, et trois pour la Jaquemine de Bœuf ; et a la Janine, trois pour la Marguerite de Grenoble, et quatre pour la femme de Maleteste.

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI octobre 1618.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Rome, chez les Dames du Sacré-Cœur

de la Trinité du Mont. [300]

MCDLXXXI. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Les excuses que doit faire la Mère de Bréchard, pour le Saint et pour elle-même.

 

Annecy, 16 ou 17 octobre 1618.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Tout a la haste, et sans haleyne ni loysir, j'escris a monsieur vostre grand bienfacteur par cette si asseuree commodité. Faites luy bien excuses, et commences a vous excuser vous mesme de l'exces dont vous aures usé a dire du bien de moy affin quil m'aymast, car me voyla a la veille d'estre conneu de luy, puisque le Prince Cardinal fait indubitablement son voyage.

            Ma tres chere Fille, Dieu soit au milieu de vostre cœur. Amen.

 

             [A ma tr]es chere Fille en N. S.,

[La Mère] Jeanne Charlotte de [Bréchar]d,

            Superieure de la Congregation de la Visitation.

            A Moulins.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Nevers. [301]

_____

 

MCDLXXXII. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Servantes, grandes et petites, de la Mère de Dieu, unies dans son amour.

 

[Orléans, commencement de novembre 1618.]

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Je vous envoyeray la copie du Bref par lequel nostre Congregation est establie en tiltre de Religion.

            J'ay presché ce soir au couvent des Carmelites de cette ville. Oh ! Dieu soit beni, qu'estant filles toutes et servantes de la mesme Mere de Dieu, quoy qu'elles grandes et vous petites, vos cœurs soyent unis par sa sainte dilection que cette sacree Mere verse dedans le cœur de toutes les Seurs. [302]

            Soyés tous-jours toute courageuse, ma tres chere Fille, et vives toute en Celuy pour lequel et par lequel vous estes creee, baptizee et eslevee a cette sublime dignité d'espouse de Jesus Christ.

Vostre tres affectionné pere et serviteur,

FRANÇS E. de Geneve.

_____

 

 

MCDLXXXIII. A M. Guillaume de Bernard de Foras. Grand désir de l'Evêque de Genève d'obliger M. de Montholon. — Difficultés d'accepter les prédications de l'Avent à Saint-André-des-Arts.

 

Etampes, 5 novembre 1618.

 

            C'est moy qui veux respondre, Monsieur mon tres cher Frere, puisque c'est a moy a qui lhonneur dont vous parles a nostre frere s'addresse. Or, vous juges donq bien qu'estant aupres de ce Prince pour ce voyage, je ne suis plus a moy, ni n'ay point de liberté que celle qu'il me donnera. Et toutefois, tout ce que je pourray je le feray, affin qu'il veuille bien me permettre que je face tout ce que monsieur de Montelon desirera de moy pour la chaire de Saint André, estimant la bienveuillance de ce seigneur au dessus de toute la pensee quil en sçauroit avoir, comme en verité je suis obligé de faire pour plusieurs respectz. Des demain donq je parleray au Cardinal affin que, sil se peut sans incommoder son service, je soys tout reservé a [303] Saint André ; et s'il ne se peut pour l'Advent, comme a la verité il sera difficile que ce soit, pour autant d'autres occasions quil plaira a mondit sieur de Montelon de me marquer.

            Mays quant au logis, il me faut laisser ou le fourrier du Roy me fourrera ; car, quoy qu'inutile, ce Prince me veut voir assidu aupres de sa personne, et la rayson veut que je rende ce devoir en suite de l'intention de Son Altesse. Mays j'ay tort [de] dire tant de choses sur ce papier, puisque me voyci a la veille de vous voir en presence, et de prendre avec monsieur de Montelon tous les moyens de suivre au plus pres qu'il se pourra toutes ses volontés.

            Bonjour, Monsieur mon tres cher Frere ; Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur.

            A Estampes, le 5 novembre 1618.

            A Monsieur

            Monsieur de Forax.

Revu sur l'Autographe conservé à la Maison-Mère des Religieux

des SS. Cœurs, dits de Picpus, à Paris. [304]

_____

MCDLXXXIV. A Dona Ginevra Scaglia. Projets de voyages pour la Mère de Chantal. — La bienveillance du comte de Verrua pour François de Sales. — Un Cardinal et un Evêque ramant sur la Loire. — Tout Paris à la rencontre de Maurice de Savoie. — Portrait de la future princesse de Piémont. — Accroissement de piété dans la capitale.

 

Paris, 9 novembre 1618.

 

            Illustrissima Signora mia osservandissima,

 

            Hier sera ricevei la lettera di V. S. Illma per via del signor Vardelli, et la ringratio humilmente del favor che Ella mi fa di scrivermi, che me dà mille consolationi.

            La Madre dunque, per providentia particolare d'Iddio, si trovô in strada et giunta in Borges quando ricevei il memoriale del Serenissimo Prencipe ; et cosi, da Borges verrà, come credo, qui in Parigi per fundar un Monasterio, perchè se bene la morte del Cardinale Perrone mette un poco de difficoltà alle dispositioni che egli vi haveva messe, tuttavia vedo che poco a poco [305] vanno disparendo. Et da questa città, nel ritorno passarà in Digione, oüe le cose sonno apparechiate per la fundatione di un'altro Monasterio ; et alla prima (sic) potrà andare in Turino, se pur le cose si trovaranno in stato di dovervi far la fundatione. Et così spero che senza perdere tempo, ell'a (sic) impiegherà bene le giornate, pur che sua divina Maiestà l'agiuti et conforti.

            L'Illustrissimo signor Conte sta molto bene, et per gratia sua mi dà tutti li segni d'amarevolezza che si possono desiderare ; et per strada mi disse che voleva parlar meco delle cose di V. S. Illma ma sin adesso non l'ha fatto, nè credo che sia per farlo cosi presto, essendo assai occupato intorno alli negotii che tutti sopra le braccia sue ricadono et sopra quelle dell'Illustrissimo signor Marchese suo fratello.

            Il viaggio è stato

buonissimo, il Serenissimo nostro [306] Padrone essendo venuto allegramente, et havendo ricevute moltissime carezze et applausi generali de grandi et minimi, ognuno benedicendo Iddio et la Casa de Prencipi nostri, et testificando un fervor particolare per il matrimonio ricercato. Et li cinque giorni di navigatione ho havuto tempo di godere la presenza del Serenissimo Cardinale, non senza parlare di moltissime cose buone ; et due volte il giorno Sua Altezza legeva libri francesi per andar di più in più imparando la lingua et le cose di questo Regno. Et anco alle volte vogava et mi faceva vogare con lei, pensando al principio che io non sapessi quell'arte, nella quale tutta via s'è trovato che io era dottore.

            Essendo giunti a Orleans, incontrati da monsieur de Betune et di Modena, siamo stati duoi giorni per [307] riposare un poco, et ivi, il giorno di tutti Santi, Sua Altezza fece la santissima Comunione, et poi, a piccole giornate, siamo venuti qui ; et non si può dire con quanto honore fu ricevuta Sua Altezza, nè quanto fosse il popolo che venne fuori per vederla, nè si è veduto, di memoria d'huomo, tanta concurrentia per entrata de Prencipe. Il Re, poi, la Regina, Monsieur fratello del Re, Madama magiore et minore fecero caresse grandissime a detta [308] Altezza, ma sopra tutti il Re che tutti li suoi dicono haver fatto segni straordinarii di allegrezza.

            Madama magiore è compitissima, havendo scolpita la maestà et benignità nel volto ; et è grande per l'età sua, et ha una gratia incomparabile a carezzare con modestia et gravità singolare. Il suo prædicatore, molto mio amico [309] et huomo di gran pietà, mi disse che haveva una divotione singolare, una prudentia esquisita et una bontà notabilissima. Non si può dire poi in che concetto sia qui il nostro Prencipe magiore ; tutti lo chiamano specchio de Principi in bontà verso li popoli, in pietà, in fortessa et in summa in tutte le parti che si possono desiderare. Et quanto a Sua Altezza Serenissima, ella ha tanti servitori qui partiali che non si possono numerare, et le lodi sue si publicano ognora.

            Ma ho torto, perchè so che si mandaranno rilationi particolarissime di tutto il viagio et de tutte le cose successe qui. Dirò solamente che ho trovato Parigi con tanto accrescimento di divotione che è un stupore ; et quel che è sopra tutto, il Re ha un concetto tanto alto della santissima religione catholica, che si ha da sperare ogni beneditione in questo Regno.

            Al nostro buon P. D. Giusto mille et mille saluti, et non mancarò di fare tutti li officii che si potranno per sua Congregatione nell'occorrenze. [310]

            Iddio sia eternamente lodato, et Egli dalla sua santa mano tengha et benedica V. S. Illma, della quale io sono

Humilissimo et certissimo servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            9 Novembre 1618, in Parigi.

            Di gratia, V.S. Illma saluti cordialmente il nostro Padre D. Giusto,… quelle Serenissime non mancarò di offerire preci et Sacrificii…

 

All' Illma Sigra mia osservandissima,

            La Sigra Donna Genevra Scaglia.

            Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de San Remo (Italie).

 

 

 

            Illustrissime et très honorée Madame,

 

            Je reçus votre lettre hier au soir par M. Vardelli, et je remercie humblement Votre Illustrissime Seigneurie de la faveur qu'elle me fait de m'écrire, car cela me donne mille consolations.

            La Mère, donc, par une spéciale providence de Dieu, se trouvait déjà en voyage et même était arrivée à Bourges lorsque me parvint le mémoire du Sérénissime Prince. De Bourges elle viendra, je crois, à Paris, pour fonder un Monastère ; car, bien que la mort du cardinal du Perron amène quelques difficultés dans les dispositions qu'il avait prises, je vois néanmoins que petit à petit elles [305] disparaissent. En quittant cette ville, elle passera à Dijon, où tout est prêt pour la fondation d'un autre Monastère, et au printemps elle pourra se rendre à Turin, si toutefois les choses sont en état pour l'établissement. Ainsi j'espère que, sans perdre de temps, elle emploiera bien ses journées, pourvu que la divine Majesté l'aide et la conforte.

            L'Illustrissime M. le Comte se porte très bien et me donne, grâce à sa bonté, tous les témoignages de bienveillance qu'on saurait souhaiter. Il me dit en chemin qu'il voulait me parler de ce qui concerne Votre Illustrissime Seigneurie, mais il ne l'a pas fait jusqu'à présent ; je ne crois pas même qu'il le puisse de si tôt, occupé comme il l'est par les affaires qui toutes retombent sur ses bras et sur ceux de M. le Marquis votre frère.

            Le voyage a été excellent ; notre Serenissime Seigneur est venu [306] joyeusement. Partout il a reçu un accueil très empressé, avec un applaudissement général des grands et des petits ; chacun bénissait Dieu et la Maison de nos Princes, témoignant un ardent désir du mariage projeté. Pendant les cinq jours de navigation, j'ai pu jouir à loisir de la présence du Sérénissime Cardinal, non sans parler de beaucoup de bonnes choses. Deux fois par jour, Son Altesse lisait des livres français pour apprendre de plus en plus la langue et s'initier aux affaires de ce royaume. Parfois même elle ramait et me faisait ramer avec elle, pensant d'abord que je ne savais pas cet art, dans lequel pourtant il s'est trouvé que j'étais déjà passé docteur.

            Arrivés à Orléans, accueillis par MM. de Béthune et de Modène qui étaient venus à notre rencontre, nous arrêtâmes deux [307] jours pour nous reposer un peu ; là, Son Altesse fit la sainte Communion pour la fête de la Toussaint, puis, à petites journées, nous vinmes jusqu'ici. Il ne se peut dire avec quels honneurs Son Altesse fut reçue, ni combien grande était la foule sortie pour la voir ; de mémoire d'homme, on n'avait vu pareille affluence pour une entrée de prince. Le Roi, la Reine, Monsieur frère du Roi, Madame l'aînée et Madame la cadette firent ensuite grande fête à Son [308] Altesse, mais le Roi surtout qui, au dire de tous les siens, a donné des marques extraordinaires de joie.

            Madame l'ainée est accomplie, la majesté et la bonté sont empreintes sur ses traits ; elle est grande pour son âge et met une grâce incomparable à accueillir, avec une modestie et une gravité singulière, ceux qui l'approchent. Son prédicateur, mon grand ami et homme [309] très pieux, m'a dit qu'elle est douée d'une rare piété, d'une exquise prudence, d'une bonté remarquable. Il ne se peut dire en quelle estime est ici notre Prince majeur : tous l'appellent le miroir des princes en bonté pour les peuples, en piété, en vaillance, enfin en toutes les qualités qu'on saurait désirer. Quant à Son Altesse Sérénissime, si nombreux sont ici ses partisans dévoués, qu'il est impossible de les compter ; partout on publie ses louanges.

            Mais j'ai tort [de vous en écrire si long], sachant qu'on doit envoyer des relations détaillées du voyage et de tout ce qui s'est passé. J'ajouterai seulement que j'ai trouvé à Paris un tel accroissement de piété que c'est merveille ; le Roi surtout a une si haute idée de la très sainte religion catholique, qu'on peut espérer toutes sortes de bénédictions sur ce royaume.

            A notre bon Père D. Juste mille et mille salutations ; je ne manquerai pas, à l'occasion, de faire à sa Congrégation tous les bons offices que je pourrai. [310]

            Dieu soit éternellement loué ; qu'il daigne, de sa sainte main, tenir et bénir Votre Seigneurie Illustrissime, dont je suis

Le très humble et très assuré serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            9 novembre 1618, à Paris.

            De grâce, que Votre Illustrissime Seigneurie veuille bien saluer cordialement notre Père D. Juste, … ces Sérénissimes… je ne manquerai pas d'offrir prières et Sacrifices…

 

A l'Illustrissime et très honorée Madame,

            Dona Ginevra Scaglia. — Turin.

_____

 

 

MCDLXXXV. A Madame de Charmoisy. Le seul mot de consolation que puisse dire le Saint. — Comment apaiser les sanglots et soupirs.

 

Paris, novembre 1618.

 

            Mon esprit ne peut cesser de penser en vous, ma tres chere Cousine, ma Fille, et ne voudroit faire autre chose [311] que de vous parler en la façon qu'il peut, et ne sçait neanmoins que vous dire, estant, comme le vostre, encor tout estonné ; sinon, ma tres chere Fille, que le divin Espoux de nos ames veut que nous regardions tous nos evenemens dans le sein de sa celeste Providence et que nous jettions nos affections en l'eternité, ou nous nous reunirons tous pour ne jamais plus estre separés. O ma Fille, pourquoy nous sommes nous jamais asseurés et confiés en la vanité de cette vie perissable ? Nos pretentions sont au dele, ou il faut donq lancer nos affections.

            En somme, vous voyla, ma tres chere Fille, au vray essay de la fidelité que vous deves a Dieu, auquel vous aves si souvent resigné toutes vos adventures. Ma tres chere Cousine, tenes vostre cœur en haut et mettes le sacré Crucifix sur vostre poitrine, affin qu'il accoyse vos sanglotz et souspirs. Soyes bien toute sienne et, croyes moy, il sera tout vostre.

            Pour moy, je ne puis pas dire plus que jamais, mais s'il se pouvoit dire, certes, je dirois qu'inseparablement, plus que jamais, je suis

Tout vostre, sans condition ni reserve,

FRANCS, E. de Geneve. [312]

_____

 

 

MCDLXXXVI. A la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon (Fragment). Une pépinière de fondations. — Vertus à y enraciner. — Ce que la Mère Favre doit lire dans le cœur de son père spirituel.

 

Paris, [fin novembre ou décembre 1618.]

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Vous me distes, ma tres chere Fille, qu'en vostre Mayson on faisoit particuliere profession de l'egalité d'esprit. Pour Dieu, je vous en conjure, taschés de bien establir cet esprit la en tout, avec celuy de la douceur et humilité reelle. Je regarde meshuy vostre Mayson comme une pepiniere de plusieurs autres ; c'est pourquoy il faut songer d'y enraciner les grandes et parfaites vertus de l'abnegation de son amour propre, l'amour de son abjection, la mortification des humeurs naturelles, la sincere dilection, affin que Nostre Seigneur et sa tressainte Mere soyent glorifiés en nous et par nous.

            Nous avons icy la cour, cela m'oste beaucoup de mon loysir d'escrire a mon gré ; mais ma grande Fille se contentera bien aussi de lire dans mon cœur de loin, que je suis parfaitement sien en Celuy qui, pour estre nostre et affin que nous fussions siens, voulut bien mourir pour nous. Vives toute a Dieu, ma tres chere Fille, donnes tous les momens de vostre vie avec un grand soin a Celuy qui vous prepare son amiable eternité.

            Je suis tout vostre.

FRANÇS, E. de Geneve. [313]

_____

 

MCDLXXXVII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Comment Dieu bénit une œuvre. — Trois fondements de la Visitation. La racine de la joie.

 

Paris, 3 décembre 1618.

 

            Je salue vostre cœur de tout le mien et vous prie d'aymer tous-jours bien ce vieux pere qui vous cherit, certes, de tout son cœur de plus en plus, ma tres chere Fille, et se res-jouit d'apprendre que, graces a Dieu, cette Mayson la s'advance en humilité, douceur, paix et amour divin. Qu'a jamais l'eternelle Bonté soit benie !

            On parle fort de faire un Monastere de la Visitation a Turin. Voyla, ma tres chere Fille, comme Dieu multiplie et benit l'œuvre qu'il luy a pleu de faire commencer par la petitesse et abjection de troys petites creatures, lesquelles pour cela doivent s'esvertuer d'estre de plus en plus toutes a la divine Majesté et a cette vocation, pour la rendre tous les jours plus aggreable a Dieu.

            Je vous escris selon mon sentiment present, car il faut que j'escrive ainsy a l'ame de ma tres chere Fille, priant Dieu qu'il la face sainte, et moy aussi, qui suis tant esloigné de ce bonheur.

            Encor vous faut-il dire ce mot, ma tres chere Fille : si vous n'estes pas favorisee, aymés bien cette abjection. Croyes moy, Dieu void volontier ce qui est mesprisé, et la bassesse aggreee luy fut tous-jours aggreable. Dieu est si bon, qu'il visitera interieurement nostre Visitation, la fortifiera et l'establira a la solide humilité, simplicité et mortification. [314]

            Vives joyeuse tant que vous pourres, de cette joye paisible et devote de laquelle l'amour de nostre abjection est la racine. Ma tres chere Fille, je vous salue d'un esprit qui est inseparablement vostre.

            Vive Jesus ! Amen.

FRANCS, E. de Geneve.

            Le 3 decembre 1618.

_____

 

MCDLXXXVIII. Au Prince de Piémont, Victor-Amedée. Félicitations à Victor-Amédée au sujet de son mariage. — Eloge de la future princesse de Piémont. — Grand prince et très digne cardinal.

 

Paris, 18 décembre 1618.

 

            Monseigneur,

 

            En cette generale allegresse de tout ce royaume sur l'heureuse conclusion du mariage de Vostre Altesse, je ne puis ni ne dois m'empescher de rendre quelque tesmoignage de la mienne, laquelle, certes, est d'autant plus grande, que d'un costé je suis plus obligé a la bonté de Vostre Altesse, et de l'autre j'ay reconneu plus particulierement un tres parfait assemblage de perfections en Madame, au visage, au maintien, au parler ; en la conduitte de laquelle on remarque tant de traitz de bonté, de prudence, de douceur et de devotion, qu'on ne sçait discerner laquelle de ces perfections y èst plus parfaite. Et parce que la Sainte Escriture dit que le mary d'une femme bonne est heureux, je puis des a present augurer toute sorte de bonheur a Vostre Altesse pour ce regard, et en benir Nostre Seigneur de tout mon cœur, puisque, [315] comme la mesme Escriture nous annonce, la mayson et les richesses nous sont acquises par nos peres, mais la femme sage et vertueuse, a proprement parler, est donnee comme un pretieux present de la liberalité divine.

            Au surplus, Monseigneur, je ne sçaurois exprimer avec combien de grace Monseigneur le Cardinal se comporte en cette cour, et combien il est adroit a mesler la qualité de grand Prince que sa naissance luy a donnee, avec celle de tres digne Cardinal que sa profession luy fait tenir, alliant admirablement bien la franche et generale courtoysie, qui est si desiree et estimee de cette nation, avec la modestie et bienseance qui y est si pretieuse, comme par tout le monde.

            Ainsy donq, Monseigneur, a Dieu soit de toutes parts honneur et gloire, avec tres humble action de graces pour les consolations qu'il donne et qu'il prepare encor a Son Altesse Serenissime et a la vostre, de laquelle je suis sans fin,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres fidele et tres obeissant

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Paris, 18 decembre 1618.

_____

 

MCDLXXXIX. A Madame de la Fléchère. Douloureuses nouvelles de Savoie ; nombreuses et bonnes affaires à Paris. — Difficultés pour l'établissement de la Visitation.

 

Paris, 19 décembre 1018.

 

            Croyes, ma tres chere Fille, que le trespas de ce cousin et l'apprehension des regretz de la chere cousine m'ont vivement touché ; mays parmi tout cela, Dieu soit [316] beni qui, par sa providence, reduit toutes choses au proffit des siens.

            Je suis icy presque accablé d'affaires, toutes bonnes, graces a Nostre Seigneur. Vous en sçaures le detail par mon frere de Thorens, car je m'imagine qu'on luy en escrit par le menu. Nous aurons au moins la plus vertueuse Princesse qui vive.

            J'ay escrit selon que nostre seur, Mme de Bressieu, desiroit, au P. D. Juste.

            Nostre bonne Mere se porte bien a Bourges. Icy, nous avons beaucoup de peine a faire reuscir l'establissement de la Congregation et crains grandement qu'il ne soit differé, bien que c'est merveille de la quantité des ames qui desirent en estre.

            Si pour vostre consolation vous desires aller a la Visitation passer quelques jours, pourveu que ce soit sans en [317] sortir pendant ledit tems, vous le pouves. Salues, je vous prie, nos cheres Seurs, car il n'y a moyen d'escrire ; et nostre seur de Bons et Mme la Comtesse et ses filles.

            Dieu soit a jamais nostre Tout, ma tres chere Fille. Je suis en luy, plus vostre qu'il ne se peut dire.

            A Paris, le 19 decembre 1618.

 

            A Madame

Madame de la Flechere.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat.

 

MCDXC. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragment). Un sermon devant « la Reyne et son beau monde. »

 

Paris, 24 décembre 1618.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Oüy, ma Fille, j'ay presché ce matin devant la Reyne et tout son beau monde ; mais en verité, je n'ay pas presché avec plus de soin, plus d'affection ni plus de playsir qu'en ma pauvre petite Visitation. Ah ! ma Fille, que la vive presence du Roy et de la Reyne du Ciel fait bien eclipser devant les yeux de nostre cœur toutes autres grandeurs de la terre !

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu sur un ancien Ms. de l'Année Sainte, conservé à la Visitation d'Annecy. [318]

_____

 

 

MCDXCI. A Madame de la Fléchère. Permission et conditions pour l'entrée de la destinataire à la Visitation. — Pourquoi le Saint est de bon cœur à Paris, pourquoi il y souffre.

 

Paris, 29 décembre 1618.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Je vous ay des-ja escrit que vous pourries entrer avec nos Seurs, puisque vous en estes de cœur, d'affection et de pretention, pourveu que vous n'en sorties point pour aller parmi la ville, ailleurs.

            Je voy les douleurs et estonnemens de vostre cœur, parmi lesquelz Dieu ne laisse pas de regner ; c'est pourquoy vous ne deves pas vous en tourmenter.

            Je suis icy jusques a Pasques ; et croyes moy, ma tres chere Fille, puisqu'il le faut, j'y suis de bon cœur, mais d'un cœur qui se plairoit grandement d'estre parmi nos petitesses et dans mon païs. Il ne se peut dire toutefois combien on voit d'exemples de pieté icy, mesme au milieu de la cour. Mais, en somme, je n'y ay pas mon devoir, ni mes cheres brebis.

            Dieu soit beni ! Ayes bon courage ; il faut passer parmi les ronces et espines en ce desert, pour aborder a la terre de promission.

            Je suis vostre ma tres chere Fille.

            Paris, le 29 decembre 1618. [319]

_____

 

MCDXCII. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragment). Un novice qui ne sera pas profès. — Racine, branches et fruits. — Pommes de senteur entre les mains de Dieu. — Le dépouillement total de soi-même, combien difficile.

 

Paris, 29 décembre 1618.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Ne croyes pas, ma tres chere Mere, qu'aucune faveur de la cour me puisse engager. O Dieu, que c'est chose bien plus desirable d'estre pauvre en la mayson de Dieu, que d'habiter dans les grans palais des Rois ! Je fay icy le noviciat de la cour ; mais jamais je n'y feray profession, Dieu aydant. La veille de Noël je preschay devant la Reyne, aux Capucines, ou elle fit sa Communion ; mais je vous asseure que je ne preschay ni mieux ni de meilleur cœur devant tous ces princes et princesses que je fay en nostre pauvre petite Visitation de Nessi.

……………………………………………………………………………………………………..

            O Dieu, ma tres chere Mere, il faut bien mettre son cœur en Dieu et ne point jamais l'en oster. Il est luy seul nostre paix, nostre consolation et nostre gloire : que reste-il, sinon que nous nous unissions de plus en [320] plus a ce Sauveur, affin que nous portions bon fruit ? Ne sommes nous pas bien heureux, ma chere Mere, de pouvoir enter nos cœurs sur celuy du Sauveur qui est enté sur la Divinité ? car ainsy, cette infiniment souveraine Essence est la racine de l'arbre, duquel nous sommes les branches, et nos amours les fruitz : ç'a esté le sujet de ce matin.

            Courage, ma cherement unique Mere, ne cessons point d'eslancer nos cœurs en Dieu : ce sont ces pommes de senteur qu'il se plait a manier, laissons les luy donq manier a son gré. Ouy, Seigneur Jesus, faites tout a vostre gré de nostre cœur ; car nous n'y voulons ni part ni portion, ains le vous donnons, consacrons et sacrifions pour jamais.

……………………………………………………………………………………………………..

            Je salue cherement nos Seurs. Je suis marri que nostre Seur [Jeanne-Marie] ayt la fantasie de changer de Mayson. Quand sera ce que nous ne voudrons rien, ains laisserons entierement le soin a ceux a qui il appartient de vouloir pour nous ce qu'il faut ? Mais il n'y a remede : la propre volonté est bridee par l'obeyssance, et toutefois on ne peut l'empescher de regimber et faire des caprices ; il faut supporter cette infirmité. Il y va bien du tems avant que nous soyons du tout despouillés de nous mesmes et du pretendu droit de juger ce qui nous est meilleur, et de le desirer. J'admire le petit Enfant de Bethlehem, qui sçavoit tant, qui pouvoit tant, et, sans dire mot quelcomque, se laissoit manier, et bander, et attacher, et envelopper comme on vouloit.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur et du mien, ma tres chere Mere.

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 29 decembre …. [321]

_____

 

 

MCDXCIII. A un ecclésiastique. Le mot du plus franc amour selon la nature et la grâce. — Assaut d'humilité et d'affection.

 

[1618.]

 

            Monsieur,

 

            Je vous ay tesmoigné par mes lettres que je prendrois a faveur de me nommer vostre frere, qui est le mot du plus franc et desirable amour de tous ceux que la nature nous a donné et que la grace nous ordonne. Mays quand je parle avec vous sous ce tiltre de frere, c'est avec un tres singulier sentiment de fraternité ; et toutefois, vous me demandes encor que je sois vostre pere et que vous soyes mon filz. Certes, je ne sçaurois refuser mon consentement a vos desirs ; mais usons un peu de temperament, je vous supplie, qui m'oste le blasme d'estre un peu trop facile en un sujet ou il y a danger d'outrecuydance.

            Les freres aisnés succedoyent aux peres, anciennement, dans les familles, et estoyent comme vice peres de leurs freres, en sorte que c'estoyent des freres peres, et des peres freres ; et les puisnés estoyent des enfans freres et des freres enfans. Or sus, soyons comme cela. Il est vray, l'affection que j'auray pour vous tiendra rang, puisqu'il vous plait, de paternelle, a cause de sa force et constance, et de fraternelle, pour sa confiance et privauté ; et, comme que ce soit, « la charité esgale ceux qui l'ont » avec tant d'art, qu'ilz sont entre eux freres, peres, meres, enfans. Or, c'est celle la dont vous me parles, mon tres [322] cher Frere ; c'est pourquoy je vous diray encor, mon tres cher Filz, et mon tres cher Pere encor.

            Et moy, ne pouvant sans prejudice du porteur escrire plus longuement, je demeureray d'un cœur paternellement fraternel,

Vostre tres affectionné pere et frere,

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

MCDXCIV. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble. Conseils de prudence au sujet de visions et de révélations. — Ruses du malin esprit. — Exemple de Nicole Tavernier. — Quelle conduite tenir à l'égard d'une âme qui marche par une voie extraordinaire ; la leçon qu'elle doit apprendre. — Puissance de l'imagination.

 

Paris, [fin 1618 ou commencement de 1619.]

 

            Puisque je n'ay sceu plus tost, ma tres chere Fille, je respondray maintenant aux deux pointz principaux pour lesquelz vous m'aves cy devant escrit.

            En tout ce que j'ay veu de nostre Seur Marie Constance, je ne treuve rien qui ne me face penser qu'elle [323] soit fort bonne fille, et que partant il la faut aymer et cherir de tres bon cœur. Mais quant a ses visions, revelations, predictions, elles me sont infiniment suspectes, comme inutiles, vaines et indignes de consideration ; car d'un costé, elles sont si frequentes, que la seule frequence et multitude les rend dignes de soupçon. D'autre part, elles portent des manifestations de certaines choses que Dieu declare fort rarement : comme, l'asseurance du salut æternel, la confirmation en grace, le degré de sainteté de plusieurs personnes, et cent autres choses pareilles qui ne servent tout a fait a rien ; de sorte que saint Grrgoire ayant esté interrogé par une dame d'honneur de l'Imperatrice, qui s'appelloit Gregoire, sur l'estat de son futur salut, il luy respondit : « Vostre douceur, ma Fille, me demande une chose qui est esgalement et difficile et inutile. »

            Or, de dire qu'a l'advenir on connoistra pourquoy ces revelations se font, c'est un pretexte que celuy qui les fait prend pour eviter le blasme des inutilités de telles choses. Il y a plus : que quand Dieu se veut servir des revelations qu'il donne aux creatures, il fait preceder ordinairement ou des miracles veritables, ou une sainteté tres particuliere en ceux qui les reçoivent. Ainsy le malin esprit, quand il veut notablement tromper quelque personne, avant que de luy faire faire des revelations fauses, il luy fait faire des prodiges faux et luy fait tenir un train de vie fausement saint.

            Il y eut du tems de la bienheureuse Seur Marie de l'Incarnation, une fille de bas lieu qui fut trompee [324] d'une tromperie la plus extraordinaire qu'il est possible d'imaginer. L'ennemy, en figure de Nostre Seigneur, dit fort long tems ses Heures avec elle, avec un chant si melodieux qu'il la ravissoit perpetuellement. Il la communioit fort souvent sous l'apparence d'une nuee argentine et resplendissante, dedans laquelle il faysoit venir une fause hostie dedans sa bouche. Il la faysoit vivre sans manger chose quelcomque. Quand elle portoit l'aumosne a la porte, il multiplioit le pain dans son tablier, de sorte que, si elle ne portoit de pain que pour trois pauvres et il s'en treuvoit trente, il y avoit pour donner a tous tres largement, et d'un pain fort delicieux, duquel son confesseur mesme, qui estoit d'un Ordre tres reformé, envoyoit ça et la parmi ses amis spirituelz, par devotion. Cette fille avoit tant de revelations, qu'en fin cela la rendit suspecte envers les gens d'esprit. Elle en eut une extremement dangereuse, pour laquelle il fut treuvé bon de faire faire essay de la sainteté de cette creature ; et pour cela, on la mit avec la bienheureuse Seur Marie de l'Incarnation, lhors encor mariee, ou estant chambriere et traittee un peu durement par feu monsieur Acarie, on descouvrit que cette fille n'estoit nullement sainte, et que sa douceur et humilité exterieure n'estoit autre chose qu'une doreure exterieure que l'ennemy employoit pour faire prendre les pilules de son illusion, et en fin on descouvrit qu'il ny avoit chose du monde en elle qu'un amas de visions fauses. Et quant a elle, on conneut bien que non seulement elle ne trompoit pas malicieusement le monde, mais qu'elle estoit la premiere trompee, ny ayant de son costé aucune autre sorte de faute, sinon la complaysance qu'elle prenoit a s'imaginer qu'elle estoit sainte, et la contribution qu'elle faisoit de quelque simulation et duplicités pour maintenir la reputation de sa [325] vaine sainteté. Et tout cecy m'a esté raconté par la bienheureuse Seur Marie de l'Incarnation.

            Voyes, je vous prie, ma chere Fille, l'astuce et finesse de l'ennemy, et combien ces choses extraordinaires sont dignes de soupçon. Neanmoins, comme je vous ay dit, il ne faut pas pour cela mal traitter cette pauvre Seur, laquelle, comme je croy, n'a point d'autre coulpe en son affaire que celle du vain amusement qu'elle prend en ces vaines imaginations. Seulement, ma tres chere Seur, il luy faut tesmoigner une totale negligence et un parfait mespris de toutes ses revelations et visions, tout ainsy que si elle racontoit des songes ou des resveries d'une fievre chaude, sans s'amuser a les refuter ni combattre ; ains au contraire, quand elle en veut parler, il faut luy donner le change, c'est a dire, changer de propos et luy parler des solides vertus et perfections de la vie religieuse, et particulierement de la simplicité de la foy, par laquelle les Saintz ont marché, sans visions ni revelations particulieres quelcomques, se contentans de croire fermement en la revelation de l'Escriture Sainte et de la doctrine apostolique et ecclesiastique, inculquant bien souvent la sentence de Nostre Seigneur : Il y aura plusieurs faiseurs de miracles et plusieurs prophetes ausquelz il dira a la fin du monde : Retires vous de moy, ouvriers d'iniquité ; je ne vous connois point. Mais pour l'ordinaire, il faut dire a cette fille : Ma Seur, parlons de nostre leçon que Nostre Seigneur nous a recommandé d'apprendre, disant : Apprenes de moy que je suis humble et doux de cœur. Et en somme, il faut tesmoigner un mespris absolu de toutes ces revelations. Et quant au bon Pere qui semble les approuver, il ne faut pas le rejetter ni disputer contre luy, ains seulement tesmoigner que, pour espreuver tout ce traffiq de revelations, il semble bon de le mespriser et n'en tenir conte. Voyla donq mon advis, pour le present, quant a ce point. [326]

……………………………………………………………………………………………………

            J'avois oublié de vous dire que les visions et revelations de cette fille ne doivent pas estre treuvees estranges, parce que la facilité et tendreté de l'imagination des filles les rend beaucoup plus susceptibles de ces illusions que les hommes : c'est pourquoy leur sexe est plus addonné a la creance des songes, a la crainte des espritz et a la credulité des superstitions. Il leur est souvent advis qu'elles voyent ce qu'elles ne voyent pas, qu'elles oyent ce qu'elles n'oyent point et qu'elles sentent ce qu'elles ne sentent point.

            Playsante histoire d'une de mes parentes, de laquelle le mary estant mort en Piemont, s'estant imaginee qu'il l'avoit laissee grosse, elle demeura en cette imaginaire grossesse quatorze mois, avec des imaginaires douleurs et des imaginaires sentimens des mouvemens de l'enfant, et a la fin cria tout un jour et toute une nuit parmi des tranchees imaginaires d'un imaginaire enfantement ; et qui l'eust creuë a son serment, elle eust esté mere sans faire aucun enfant.

            Il faut donq traitter cet esprit la avec le mespris de ses imaginations, mays un mespris doux et serieux, et non point mocqueur ni desdaigneux. Il se peut bien faire que le malin esprit ayt quelque part en ces illusions ; mais je croy plustost qu'il laisse agir l'imagination, sans y cooperer que par des simples suggestions. La similitude apportee pour l'explication du mystere de la sainte Trinité est bien jolie, mays elle n'est pas hors de la capacité d'un esprit qui se complaist en ses propres imaginations.

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu en partie sur une copie faite par M. Michel Favre, conservée

à la Visitation de Venise. [327]

_____

 

 

MCDXCV. Au Père Gérard de Tournon, Capucin L'esprit de contrariété là où devraient régner l'union et la « conformité. » — Un poste favorable pour un ecclésiastique. — Sollicitude du Saint pour quelques paroisses du pays de Gex. — Son humilité et sa reconnaissance à l'égard du destinataire.

 

Paris, fin 1618 ou commencement de 1619.

 

            Mon Reverenti Pere,

 

            Ce m'est un desplaysir sensible de voir un si grand manquement de douceur parmi messieurs nos ecclesiastiques de dela, et ne sçai ce que je ne ferois pas pour moderer leurs passions. Mays il ny a remede ; l'esprit de contrarieté se fourre par tout, mais plus violemment ou il sçait que l'unité et conformité seroit de plus grande edification. J'escris a monsieur le Curé affin qu'il ne remue rien ni contre M. Jaquin, ni contre M. Paris jusques a mon retour, qui sera, Dieu aydant, soudain apres Pasque.

            Je seray bien ayse que M. Jaquin soit en quelque lieu [328] ou il puisse s'exercer en sa vocation, puisqu'a Chevry il n'a pas la commodité, et comme quelques uns pensent, ni beaucoup de volonté, dautant qu'il ny a point encor fait de service. De sçavoir sil seroit expedient de le loger ou a Sessi, ou a Grilly, je n'en puis pas bien resoudre de si loin, encor que j'inclinerois plus tost a Grilly. puisque luy mesme y incline ; et je croy qu'il y fera bien, car il a asses de capacité pour se rendre capable, quand il voudra y soigner.

            Reste, mon Reverend Pere, qu'il vous playse de vous treuver avec les trois ou quatre ecclesiastiques que je marque en la lettre que j'escris a M. le Curé, pour faire un advis de ce qui sera necessaire estre fait pour Sessi, Grilly, Chevry, Versoex, Thuery ; et j'escris un billet a monsieur Rogex affin qu'il face des provisions selon cela, ayant creance que je ne sçaurois mieux faire que de suivre si bon conseil.

            Je ne suis pas prest a consentir qu'on oste le service de l'eglise de Gex, ni que M. Paris soyt maltraitté, car je l'estime trop. Que si j'ay treuvé bon que M. Jaquin ny eut plus rien a faire, ça esté par ce qu'il failloit preferer l'un des deux, dont le premier ne vouloit point de compaignon, ni le second de maistre.

            Volontier je remetz M. Dagan en l'exercice de ses Ordres, et suis bien ayse que vous en rendiés bon tesmoignage. Je suis en butte a tous les complaignans, et puis en certaine façon dire : Quis infirmatur, et ego [329] non infirmor ? Vous participés avec compassion, je m'asseure, a toutes nos imbecillités et miseres, et aves bon besoin d'exercer la patience parmi la multitude de nos impatiences, devant estre arbitre parmi nous, affin de nous tenir en paix et tranquillité d'esprit. Dieu en sera vostre recompense : ainsy l'en supplie-je, et demeure,

            Mon Reverend Pere,

Vostre plus humble confrere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Paris.

 

            Au R. P. en N. S.

            Le P. Gerard de Tournon,

Praedicateur de l'Ordre des Capucins.

            Gex.

 

Revu sur une copie authentique conservée à la Visitation d'Annecy. [330]

_____

 

Année 1619

_____

 

 

MCDXCVI. A la Présidente de Herse. Le Saint accepte une invitation et le carrosse de la Présidente.

 

Paris, 1619.

 

V. + J.

 

            De tout mon cœur, Madame, je me treuveray ou vous me marques et quand vous me marques, et ne refuse pas la commodité de vostre carosse, puisque je n'en ay point que de ceux qui me favorisent ; parmi lesquelz vous estes, je vous asseure, l'une des ames a laquelle je souhaite plus cherement, tendrement et fortement toute sorte de sainte consolation, estant sans fin et sans reserve,

Vostre tres humble serviteur en Nostre Seigneur,

FRANCS, E. de Geneve.

 

            A Madame

[Madame] la Presidente de Herse.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Poitiers. [331]

_____

 

MCDXCVII. A la Mère de Chantal, a Bourges. Les aventures de Celse-Bénigne et les tourments de la Mère de Chantal. — Consolations et encouragements. — Le bonheur de ceux qui sont à Jésus-Christ. — Un prétendant grandement en peine.

 

Paris, 5 janvier 1619.

 

            Vous aures, je m'asseure, receu deux de mes lettres, ma tres chere Mere, quand celle ci arrivera, et croyes que je ne perdray desormais null'occasion.

             Je suis grandement en peine de vostre affliction, bien que je n'en sache pas les particularités ; mais je voy bien, par ce peu de paroles que vous m'escrivés, que vous la sentés vivement. Ma tres chere Mere, cette vie mortelle est toute pleine de telz accidens, et les douleurs de l'enfantement durent souvent plus que les sages femmes ne pensent. En quelles occurrences pouvons nous faire les grans actes de l'invariable union de nostre cœur a la volonté de Dieu, de la mortification de nostre propre amour et de l'amour de nostre propre abjection, et en somme, de nostre crucifixion, sinon en ces si aspres assautz ? Ma tres chere Mere, vous ay-je pas souvent intimé la nudité de toutes les creatures, pour se revestir de Nostre Seigneur crucifié ? Or sus, Dieu sera au milieu de vostre cœur, qui vous affermira, et j'espere [332] qu'il conduira ce filz a bon port et que vous aurés encor la consolation interieure de le sçavoir.

            Je me porte fort bien, et je pense qu'aujourdhuy on resoudra sur nostre affaire, qui a esté grandement agité. Plus je vay avant en la connoissance du monde, plus j'estime heureux ceux qui sont a Jesuschrist, quoy qu'ilz endurent pour luy.

            Je n'ay seulement pas loysir de revoir vostre lettre pour voir si j'y oublie rien. Annessi, tout va bien, graces a Dieu, Le bon M. de Forax est un peu malade, et grandement en peine sur le sujet de sa pretention. C'est, a mon gré, le plus digne d'amitié quil est possible de voir. Mon frere est encor aussi un peu mal de son pied. J'ay eu un certain engourdissement de jambes, qui passe, et ne m'a nullement empesché d'aller et faire tout ce que j'ay volu. [333]

            J'avois grand desir de voir Monseigneur nostre Archevesque, mais puis qu'il ne vient pas, je me res-jouis en la consolation que vous aves de sa presence et luy bayse tres humblement les mains, et salue de tout mon cœur nos tres cheres Seurs ; qui suis infiniment, ainsy que vous sçaves, ma tres chere Mere, vous mesme, en une façon incomparable tout vostre.

            A Paris, 1619, le V janvier.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à M. le comte Sormani-Andreani, à Milan.

_____

 

 

MCDXCVIII. A une religieuse. Le cœur de l'Enfant Jésus : ses attraits. — Une sainte jalousie. — Comment concourir, du fond du cloître, à la prédication du Saint. — Efficacité de la prière.

 

[Paris, vers le 6 janvier 1619.]

 

            Et croyes moy bien aussi, ma chere Fille, que ce m'est une fort particuliere consolation de recevoir de vos lettres et de vous envoyer des miennes.

            Vous estes bien aupres de cette cresche sacree en laquelle le Sauveur de nos ames nous enseigne tant de vertus par son silence. Mays, qu'est ce qu'il ne nous dit pas en se taisant ? Son petit cœur, pantelant d'amour [334] pour nous, devroit bien enflammer le nostre. Mais voyes combien amoureusement il a escrit vostre nom dans le fond de son divin cœur, qui palpite la sur la paille pour la passion affectueuse qu'il a de vostre avancement, et ne jette pas un seul souspir devant son Pere auquel vous n'ayes part, ni un seul trait d'esprit que pour vostre bonheur. L'aymant attire le fer, l'ambre attire la paille et le foin : ou que nous soyons fer par dureté, ou que nous soyons paille par imbecillité, nous nous devons joindre a ce souverain petit Poupon, qui est un vrai tire cœur.

            Ouy, ma Fille, ne retournons point en la region de laquelle nous sommes sortis ; laissons pour jamais l'Arabie et la Chaldee, et demeurons aux piedz de ce Sauveur. Disons avec la celeste Espouse : J'ay treuvé Celuy que mon cœur ayme, je le tiens, et ne l’abandonneray.

            Helas ! ma chere Fille, l'envie que vous me portes procede elle de ce que je presche au monde les louanges de Dieu ? O que c'est quelquefois un grand contentement au cœur de publier la bonté de ce qu'on ayme ! Mays si vous desires de prescher avec moy, je vous en prie, faites le, ma Fille, tous-jours, priant Dieu qu'il me donne des paroles selon son cœur et selon vos souhaitz. Combien de fois arrive il que nous disons des bonnes choses parce que quelque bonne ame nous les impetre ? Ne presche elle pas asses, et avec cet advantage, que n'en sçachant rien elle ne s'en enfle point ? Nous ressemblons aux orgues, ou celuy qui met le souffle fait en verité le tout et n'en porte point la louange. Aspirés donq souvent pour moy, ma Fille, et vous prescheres avec moy ; et moy, croyes moy, je joins mon ame a la vostre tous les jours par le lien du tressaint Sacrement, que je ne reçoy point qu'avec vous et pour vous. Faites donq, ma Fille, faites mille fois le jour ces saintes aspirations a Dieu, protestant que vous estes toute, totalement, a jamais et eternellement sienne.

            VIVE JESUS ! car c'est nostre vie. Qu'a jamais son saint amour vive et regne dans nos cœurs. [335]

_____

 

 

MCDXCIX. A Dona Ginevra Scaglia. Au milieu des affaires de la cour, François de Sales n'oublie pas la vocation de sa fille spirituelle. — La conduite de la Providence sur ses serviteurs. — Quand différer l'exécution d'un vœu en toute sûreté de conscience.

 

Paris, 7 janvier 1619.

 

            Illustrissima Signora mia in Christo osservandissima,

 

            Ecco che parte il signor Marchese suo fratello con tutte le buone speditioni che si potevano desiderare ; et rimettendomi a quello che da lui si saprà, dirò solamente a V. S. Illma che non mancarò punto di far tutti l'officii che possibili mi saranno appresso l'Eccellentia del signor Conte, acciò agiuti il buon desiderio di V. S. Et piacendo al Signore, haverò facilità horamai de trattar con lui quando non haverà più tanti negocii adosso, mentre si aspettarà la venuta del Serenissimo sposo. [336] Et veramente, detta Sua Eccellenza mi favorisce di una particolarissima confidentia ; onde spero di poter qualche cosa con essa.

            V. S. Illma fa bene di rimettere nelle mani d'Iddio quel che tocca al P. D. Giusto ; et già che lui non è consapevole del negotio fatto… Se nascerà qualche calomnia, la divina Providentia la farà presto finire, che così tratta ella ordinariamente con suoi servi.

            De gratia, che la chara anima di V. S. non si lasci turbare da scrupuli circa il voto fatto da lei d'esser Religiosa ; perchè chi non differisce il pagamento senon per pagar in moneta più magnifica, non deve esser chiamato mal pagatore, massime doiie il giorno nè il tempo non è præfisso. La charità è regina della conscientia, et dove dice che per magior gloria dello suo Sposo si differisca, non deve la conscientia temere. V. S. aspetta il tempo nel quale seco tirarà parechie altre anime : aspetti pure et non dubiti, che è meglio senza dubbio il far così.

            Non so ancora quando io sia per ritornare in là, ma so bene che se così piacerà al Signore, io non tardarò d'andar [337] in Torino o col Serenissimo Cardinale, o col Serenissimo Prencipe.

            Viva tutta in Dio, a Dio et per Dio V. S. Illma, alla quale di tutto il mio cuore sono

Servitore humilissimo et certissimo,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            VII Gennaio 1619, Parigi.

            Si ritarda il signor Marchese sino a Sabatho.

            Illma Sigra osservandissima,

La Sigra Dona Genevra Scaglia.

            Turino.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Harrow (Londres). [338]

 

 

 

            Illustrissime Madame, très honorée dans le Christ,

            Voilà que M. le Marquis votre frère part avec toutes les dépêches aussi bonnes qu'on pouvait les souhaiter. M'en remettant à ce qu'on apprendra par lui-même, je dirai seulement à Votre Illustrissime Seigneurie, que je ne manquerai pas de faire tout ce qui me sera possible auprès de Son Excellence M. le Comte, afin qu'il seconde votre pieux désir. S'il plaît à Dieu, j'aurai désormais plus de facilité de traiter avec lui ; car il ne sera plus surchargé de tant d'affaires tandis qu'on attendra la venue du Sérénissime époux. [336] Et vraiment, Son Excellence me favorise d'une confiance toute particulière, ce qui me fait espérer pouvoir quelque chose sur elle.

            Votre Seigneurie Illustrissime fait bien de remettre entre les mains de Dieu ce qui concerne le P. D. Juste ; et puisqu'il n'est pas au courant du fait… S'il s'élevait quelque calomnie, la divine Providence la fera bientôt cesser, car c'est ainsi qu'elle agit d'ordinaire avec ses serviteurs.

            De grâce, que votre chère âme ne se laisse pas troubler par des scrupules touchant le vœu que vous avez fait d'être Religieuse ; car, qui ne diffère le paiement que pour payer en meilleure monnaie ne doit pas être appelé mauvais payeur, surtout lorsque le jour ni le temps n'ont pas été fixés. La charité est la reine de la conscience ; quand elle dit de différer pour la plus grande gloire de l'Epoux, la conscience ne doit point craindre. Votre Seigneurie attend l'heure où elle pourra tirer après soi plusieurs âmes : attendez donc et ne craignez rien, car sans aucun doute il est mieux de faire ainsi.

            Je ne sais encore quand je retournerai en Savoie, mais je sais bien [337] que, s'il plaît à Dieu, je ne tarderai pas d'aller à Turin, ou avec le Sérénissime Cardinal, ou avec le Sérénissime Prince.

            Que Votre Illustrissime Seigneurie vive toute en Dieu, à Dieu et pour Dieu ; de tout cœur je suis

Son très humble et très assuré serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            7 janvier 1619, à Paris.

            On arrête M. le Marquis jusqu'à samedi.

 

A l'Illustrissime et très honorée Dame,

            Dona Ginevra Scaglia.

            Turin. [338]

_____

MD. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragments). Jésus crucifié et Jésus glorifié. — Quand est-ce que Dieu supporte notre fardeau avec nous.

 

Paris, 11 janvier 1619.

 

            Ma Mere toute tres chere,

 

            Si vous n'aves gueres ni d'or, ni d'encens pour offrir a Nostre Seigneur, vous aures au moins de la mirrhe, et je voy qu'il l'accepte tres aggreablement, comme si ce fruit de vie vouloit estre confit en la mirrhe d'amertume, tant en sa naissance qu'en sa mort. En somme, Jesus glorifié est beau ; mais quoy qu'il soit tous-jours tres bon, si semble-il qu'il le soit encor plus crucifié. C'est, pour ce tems present, vostre Espoux, ma tres chere Mere ; a l'advenir, ce sera luy mesme glorifié.

……………………………………………………………………………………………………..

            Or sus, c'est Dieu qui veut ainsy mettre nostre cœur au sec ; ce n'est donq pas une rigueur, c'est une douceur.

            Voyla que je vous dis, ma tres chere Mere ; et tout de mesme pour les nouvelles des desplaysirs de M. [de Chantal.] En fin, Nostre Seigneur, peut estre, nous veut ainsy conduire entre les espines desormais ; et je confesse, pour le regard de moy mesme en moy, qu'il en est bien tems : en vous, je le supplie de toutes mes forces qu'il attrempe tous-jours doucement son calice ; mais que nostre volonté ne soit pas faite, ains la sienne toute sainte. Ayés bon courage, car pourveu que nostre cœur luy soit fidele, il ne nous chargera point outre nostre [339] pouvoir, et supportera nostre fardeau avec nous quand il verra que, de bonne affection, nous sousmettrons nos espaules.

……………………………………………………………………………………………………..

FRANÇS E. de Geneve.

            Le 11 janvier 1619.

_____

 

MDI. A Madame de Granieu. Grand et doux moyen de n'être jamais séparés. — Une recherche inutile. — Où la Sainte Vierge tient son noviciat. — Nouvelles de la Mère de Chantal. — Prédications multipliées. — La mort de M. de la Coste.

 

Paris, 16 janvier 1619.

 

            Je sçai bien, ma tres chere Fille, que vostre cœur bienaymé demeure doucement resigné entre les bras de la divine Providence. Soit que nous allions, soit que nous revenions, soit que nous soyons en un lieu, soit que nous soyons en divers lieux, pourveu que nous soyons avec Dieu nous ne pouvons jamais estre separés ; et mesme, si nous avons memoire de la parole de Nostre Seigneur quand il dit a sa tres chere Mere : Ne sçavies vous pas qu'il failloit que je fusse es affaires de mon Pere ? car il veut dire que il importe peu ou que nous soyons, pourveu que nous vivions au service du Pere celeste. C'est pourquoy, ma tres chere Fille, nous serons tous-jours ensemble et mon cœur sera [toujours] inseparable du vostre, puisque, graces a Dieu, nous n'avons [qu'une] volonté, qui est d'accomplir la sienne selon nostre petitesse, abjection et misere. [340]

            Et bien, ma tres chere Fille, [votre lettre] m'a representé l'histoire du debat que vous eustes.... quand vous desirastes d'estre ma fille ; et il n'y a nul [mal] que vous ne sachies pas si bien exprimer en presence vos petites conceptions comme vous faites en absence. Ne vous [mettez] nullement en consideration d'ou cela procede, car il n'importe [guère.]

            Je participe par ressentiment au mal que monsieur vostre mari souffre et a la peine que vous en aves, parmi laquelle nostre tres sacree Maistresse et Abbesse vous peut bien donner de la consolation, vous menant sur la montaigne de Calvaire ou elle tient le noviciat de son monastere, monstrant la leçon non seulement de bien souffrir, mais de souffrir amoureusement tout ce qui nous arrive, et a nos plus chers. Je pense que le bon cousin, M. de La Gran, y aura bien esté pour apprendre a supporter le deplaysir que le trespas de son pere luy aura causé. J'ay prié Dieu pour cett'ame que j'honnorois beaucoup, mais je n'ay pas escrit a ce filz par ce que je n'ay sceu cett'affliction que tard et hors de sayson de consoler.

            Nostre Mere se porte bien a Bourges, et croy qu'elle viendra icy avant Pasques, puisque il y a de l'apparence qu'on y fera un Monastere, bien que jusques a present il y ayt eu des grandes traverses du costé de l'esprit mondain, qui a tous-jours un peu de credit, mesme parmi les gens de bien, [si qu'il faut être] grandement sur ses gardes. [341]

            Je me porte bien, ma tres chere Fille, quoy qu'accablé du travail des prćdications [qu'il me faut] faire a tous propos, et devant les peuples et devant la cour ; mays cela ne durera que jusques a Pasques [que, Dieu] aydant, je me retireray en mon petit bercail.

            Dieu soit a jamais la vie de nos cœurs, ma tres chere [Fille, et] veuille y regner eternellement. C'est par luy et en luy que je suis et seray invariablement, tres absolument vostre, ma tres chere Fille, toute, certes, et a jamais bienaymee.

FRANÇS, E. de Geneve.

            XVI janvier 1619, a Paris.

            Je voudrois bien avoir loysir d'escrire a madame de Saint André, car il m'est advis que je luy doy cela pour l'affliction que son cœur aura eu au trespas de monsieur de la Coste ; mays il ny a moyen. Je m'en vay prier pour elle, et vous prie de la saluer [humble]ment, ma tres chere Fille.

            Mays que dira nostre bonne et tres aymee Seur Marie Péronne ? Si je puis, je luy escriray, car je ne sçai si je pourray ; [mais] son cœur sçait bien de quell'affection je suis sien.

 

            A Madame

Madame de Granieu.

 

Revu sur un fac-simile de l'Autographe, conservé à la Visitation d'Annecy. [342]

_____

 

 

MDII. A Madame de Veyssilieu. Le « tracas insupportable » de Paris. — Un cher malade en voie de guérison. — Ce qu'il faut pour vivre content en ce monde. — Filiale confiance en Dieu et paix entre ses bras.

 

Paris, 16 janvier 1619.

 

            Il me semble, ma tres chere Fille, que vostre cœur est tellement asseuré de l'invariable affection que j'ay pour luy, qu'il ne sçauroit meshuy plus en douter : ce que Dieu fait est bien fait. Que si j'ay retardé a vous escrire, attribués-le, je vous prie, a ce tracas insupportable parmi lequel il faut faire plus qu'on ne peut et qu'on ne veut, et ne faire pas ce que l'on veut, encor que l'on le peut.

            J'ay bien apprehendé ci devant que la maladie du bon monsieur vostre pere ne vous tinst en peine ; mais maintenant que, graces a Dieu, il reprend forces et santé, je suis bien fort soulagé de ce costé la.

            O Dieu, ma tres chere Fille, que c'est une leçon digne d'estre bien entendue, que cette vie ne nous est donnee que pour acquerir l'eternelle ! Faute de cette connoissance, nous establissons nos affections en ce qui est de ce monde dans lequel nous passons ; et quand il le faut quitter, nous sommes tout estonnés et effrayés.

            Croyés moy, ma chere Fille, pour vivre content au pelerinage, il faut tenir presente a nos yeux l'esperance de l'arrivee en nostre patrie, ou eternellement nous arresterons ; et ce pendant croire fermement (car il est vray) que Dieu qui nous appelle a soy regarde comme nous y allons, et ne permettra jamais que rien nous advienne que pour nostre plus grand bien. Il sçait qui nous [343] sommes, et nous tendra sa main paternelle es mauvais pas, affin que rien ne nous arreste. Mais pour bien jouir de cette grace, il faut avoir une entiere confiance en luy.

            Ne prevenes point les accidens de cette vie par apprehension, ains prevenes les par une parfaite esperance qu'a mesure qu'ilz arriveront, Dieu, a qui vous estes, vous en delivrera. Il vous a gardee jusques a present ; tenes vous seulement bien a la main de sa Providence, et il vous assistera en toutes occasions, et ou vous ne pourres pas marcher, il vous portera. Que deves vous craindre, ma tres chere Fille, estant a Dieu, qui nous a si fortement asseurés qu'a ceux qui l'ayment tout revient a bonheur ? Ne pensés point a ce qui arrivera demain, car le mesme Pere eternel qui a soin aujourd'huy de vous, en aura soin et demain et tous-jours : ou il ne vous donnera point de mal, ou s'il vous en donne, il vous donnera un courage invincible pour le supporter.

            Demeures en paix, ma tres chere Fille ; ostés de vostre imagination ce qui vous peut troubler, et dites souvent a Nostre Seigneur : O Dieu, vous estes mon Dieu, et je me confieray en vous ; vous m'assisteres et seres mon refuge, et je ne craindray rien, car non seulement vous estes avec moy, mais vous estes en moy, et moy en vous. Que peut craindre l'enfant entre les bras d'un tel pere ? Soyés bien un enfant, ma tres chere Fille ; et, comme vous sçaves, les enfans ne pensent pas a tant d'affaires ; ilz ont qui y pense pour eux ; ilz sont seulement trop fortz s'ilz demeurent avec leur pere. Faites donq bien ainsy, ma tres chere Fille, et vous seres en paix. Amen.

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            De Paris, le 16 janvier 1619. [344]

_____

 

MDIII. A la Mère de Chantal, a Bourges. Abjuration d'un gentilhomme. — A quelles conditions peut-on recevoir les infirmes à la Visitation. — Sans jambes, si elle n'est point estropiée de cœur, une Sœur est capable de tous les exercices essentiels de la Règle. — « La plus brave princesse » qui se puisse voir et le cartel de son royal fiancé. — Celse-Bénigne s'apprivoise avec le Saint ; ce qui lui manque pour faire des merveilles. — Le projet de mariage entre Mlle de Chantal et M. de Foras.

 

Paris, 19 janvier 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je reviens asses tard des Benedictins ou, graces a Dieu, j'ay receu au giron de l'Eglise un fort honneste gentilhomme, de bon esprit et de bonnes lettres, et si, je doy prescher demain ; c'est pourquoy je vous respondray courtement a vos lettres precedentes.

            Nous ne vous envoyerons pas encor ni l'une ni l'autre de ces dames : l'une, qui est la mariee, par ce qu'elle ne [345] veut donner que cinq cens francz de pension, se sous-mettant, quant au reste, que sa fille de chambre estant espreuvee, si elle n'est propre a demeurer on la puisse chasser ; et pour ses moyens, bien qu'elle ne se determine a rien, si me semble-il qu'elle se laissera conduire. L'autre, qui est a mon gré une brave et digne femme, par ce que voulant meshuy essayer si nous pourrons faire reuscir nostre dessein sans ce bon seigneur, qui, a la verité, est incomparable a tenir les affaires en longueur, nous aurons grandement besoin d'elle et de sa conduite qui est tres bonne.

             Ce sera eternellement mon sentiment qu'on ne laisse jamais de recevoir les filles infirmes en la Congregation, sinon que ce fut des infirmités marquees aux Regles, telle que n'est pas celle de [cette] fille qui n'a point d'usage de ses jambes, car, sans jambes, on peut faire tous les exercices essentielz de la Regie : obeir, prier, chanter, garder le silence, coudre, manger, et sur tout avoir patience avec les Seurs qui la porteront, quand elles ne seront pas prestes et promptes a faire la charité ; car il faudra souvent qu'elle supporte celles qui la porteront, si l'esprit de dilection ne les porte. Si donq ell'a de quoy nourrir celles qui la porteront, je ne voy rien qui doive empescher sa reception, si elle n'est point estropiee de cœur ; ains je l'ayme, la pauvre fille, de tout mon esprit. [346]

            Nostre Mme de Gouffier ne s'en ira pas, et je vay espiant une bonne commodité pour revoir un peu son esprit.

            Vous ne doutes plus de nostre mariage, je m'asseure ; car vous aures sceu meshuy que le contract fut solemnisé il y a 9 jours, que tout s'est passé avec un bonheur nompareil. Les ambassadeurs ont visité nostre chere petite Madame, avec tiltre de Vostre Altesse et conjouissance de son mariage : c'est la plus brave Princesse quil est possible de voir. Le Roy a escrit a M. le Prince de Piemont avec le tiltre de beau frere ; le Roy d'Espagne a rendu tesmoignage d'aggreement. En Piemont et Savoye on a fait des allegresses incroyables les festes de Noel, lors que le Prince eut receu les couleurs des faveurs ou les faveurs de couleurs de Madame ; et le Prince publia un cartel pour un tournois general, auquel il invite toute l'Italie a venir voir mourir a ses pieds tous ceux qui diront que l'amarante n'est pas la plus belle de toutes les couleurs, et la Princesse qui favorise cette couleur, la plus digne qui est (sic) jamais esté, et quechevalier qui est son esclave n'est pas le plus heureux du monde. Mais certes, je ne sçai pas trop bien l'histoire de ce cartel ; aussi n'est elle pas trop propre pour estre leüe en [347] refectoir. Je veux dire en somme que nostre mariage est fait, et Son Altesse ne fit jamais tant de demonstration d'une veritable et extraordinaire [joie] comm'il fait maintenant. M. le Prince sera icy dans troys semaines. Voyla pour ce point.

            Monsieur le Baron de Chantal me fit presque mentir quand je vous escrivis, car il arriva ceans comme j'avois envoyé la lettre, et commença fort a s'apprivoyser avec moy, mays il ne me parla point de ses affaires. Je feray tous mes effortz pour le faire entrer au service de Monseigneur le Prince, et croy quil ne sçauroit mieux faire. Mays ce que je crain, c'est que d'abord on ne le mettra pas en fortune, ains faudra qu'il la gaigne par la sujettion et par sa vertu, bien que, moyennant cela, il y a apparence qu'il la fera proportionnee a sa condition. Je luy en parleray a la premiere comodité. Qui luy pourroit persuader que la douceur et courtoysie est incomparablement plus honnorable que la violence et fierté, le mettroit au chemin de faire des merveilles. Vous sçaves, ma tres chere Mere, que la mayson du Prince est un monastere, et que pour chose du monde il ne veut souffrir les desordres ; et bien que venant icy il veuille s'accommoder a la liberté du paÏs, si est ce quil la veut vertueuse. Somme toute, je feray tout mon pouvoir pour le filz de ma tres chere Mere, le frere de ma tres chere seur, et le neveu d'un tel oncle qui m'en escrit.

            M. de Forax le rencontra, et se firent mille caresses ; mais par ce que c'estoit en rue ilz ne parlerent de rien. Ce qui tient en peine M. de Forax, c'est premierement qu'il ne sçait ou aller prendre la finale conclusion de son mariage, ou de sa prćtention, puisque madamoyselle de Chantal n'est pas aupres de vous, et que, ni elle sans vous, ni vous sans elle ne feres rien. 2. Il ne sçait encor si M. de Chantal le voudra, mais de ce second il s'en pourra [348] esclarcir. 3. Il ne sçait ni combien on luy donne de dote, ni si elle sera liquide, ou sil faudra la prendre des mains de M. de Chantal. Pour moy, j'explique ces choses a ma façon, n'entendant rien aux termes et ceremonies avec lesquelles il faut proceder en un'affaire que je ne fis jamais, Dieu merci. Et je vous asseure que le pauvre garçon n'en est guere plus grand docteur que moy, ouy bien en toute sorte de vertu, pieté et courtoysie ; et luy est advis qu'encor qu'il n'espouseroit pas Mlle de Chantal, laquelle pourtant il a bien envie d'espouser, il ne laisserait pas d'estre vostre filz.

            Mon engourdissement de jambes n'est rien de douloureux, ni qui m'empesche de marcher des que j'ay fait dix ou douze pas. Je pense que c'est que je suis vieux ; en somme, ce n'est rien, je vous asseure. Mon frere est au lit, mais il se porte bien. M. Flocard est tous-jours icy nostre camarade, et tous-jours plein de vertu et de respect pour vous.

             Dieu vous benisse et toutes nos Seurs ; mays Dieu vous benisse, ma tres chere Mere, que je cheris plus que moymesme, ou comme moymesme.

            A Paris, le 19 janvier 1619.

            Je m'en vay faire response a Monseigneur nostre Archevesque, et puis a Mme du Puys d'Orbe qui m'a envoyé homme expres. Ma tres chere Mere, je suis tout vostre.

 

            A Madame

[Madame] de Chantal.

             [A] la Visitation.

            Bourges.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Thonon. [349]

_____

 

MDIV. A la même. Celse-Bénigne recommandé au Cardinal de Savoie. — Affectueux éloges de M. de Foras. — Projet de fondation dans la capitale. — Les Haudriettes. — Monde et mondains. — Messages d'affection paternelle.

 

Paris, 21 janvier 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je vous escrivis avanthier, non sans un grand empeschement, car j'estois grandement chargé, et croyois que le messager deut partir hier de grand matin ; despuis, j'ay receu la lettre ci jointe de la pauvre petite seur, et un'autre par laquelle elle me dit que je face entrer sa fille aupres de nostre Princesse, ce que je m'essayeray de faire, Dieu aydant. Voyla une lettre de ma Seur Claude Agnes, que vous verres ; puisque elle dit que elles n'ont point de vos nouvelles, je luy vay [écrire que vous êtes] asses bien, Dieu aydant.

            J'ay des-ja parlé a M. nostre bon Prince Cardinal pour favoriser l'entree de monsieur le Baron de Chantal au service de M. son frere ; il m'a promis de s'y employer. J'en parleray ou il faudra, et feray tout ce qui sera en moy. M. de Forax m'a veu ce matin et vit hier monsieur de Chantal duquel, ainsy qu'il m'a dit, il receut nouvelles caresses et comme de frere a frere. Je ne dis [350] ceci pour rien, mais je le dis a ma chere Mere : si j'avois une seur digne de M. de Forax et que j'eusse cinquante mille escus a luy donner, je le ferois de tout mon cœur. Plus je vay, plus je l'ayme.

            Nous avons fait une petite conference ce matin, de troys dames, pour voir comme nous ferons pour le dessein de l'introduction de nostre Visitation. Nous treuvons treze mille escus d'or et quinze cens francz de revenu pour commencer ; de sorte que nous allons travailler a bon escient, et la bonne fille Mme de Gouffier va revoir toutes les dames qui doivent estre de la partie, pour estre bien asseurés de l'affaire.

            Quant a l'autre dessein, il subsiste tous-jours et je le laisse sur pied. Chacun n'est pas de la bonté de nostre Monseigneur l'Archevesque, car on veut reconsiderer nos Regles, et chacun y treuve son adire, qui d'une façon, qui d'un'autre. Nous sommes reduitz a cette proposition, qu'on recevra dans les Audriettes nos Seurs, a la charge qu'elles recevront des filles, des l'aage de 14 a 15 ans, qui ont besoin de se retirer pour faire choix de leur vocation, lesquelles seront en un quartier a part, ou deux ou trois des Seurs les gouverneront ; et pendant le tems qu'elles demeureront, ne sortiront point et vivront en obeissance, en attendant que Dieu leur envoye l'inspiration ou quelque parti. Voyci maintenant mon [351] sens : je leur laisseray faire le projet, et si es particularités de la besoigne il y a chose qui repugne, on refusera ; car ce sera asses tost quand ilz me parleront clair, ce que jusques a present ilz n'ont pas fait. Cependant, en me proposant le parti, ce sera asses appreuver nostre Institut et præjuger pour le recevoir. Mon Dieu, que ce grand embaras de Paris rend les affaires difficiles !

            Faites bien mes excuses vers Monseigneur nostre Archevesque si je ne luy escris pas fort au long. Peut estre aurons nous besoin de la faveur de monsieur le Grand pour tesmoigner des qualités de monsieur le Baron de Chantal, affin que non seulement il entre au service du Prince, mais qu'il entre d'abord en qualité qui le puisse contenter et messieurs ses parens ; mais je croy que M. le Grand le fera volontier. Vous ne sçauries croire, ma tres chere Mere, combien tout est recherché en ce tems icy ; je croy que le monde va finir, car tous ont peur qu'il ne leur manque.

            Or sus, ma tres chere Mere, saches que nostre partage en ce monde est en la croix ; il le sera en l'autre en la gloire. Amen, amen. Vive Jesus !

            Je salue tres cherement ma Seur Anne Marie, ma Seur Marie Marthe, ma Seur Anne Catherine, ma Seur Helene, ma Seur… Je vous asseure que je ne treuve pas [352] maintenant les autres qui sont avec vous, car je les vis si vistement a Lyon que je ne l'observay pas. Or sus, toutes, toutes, de tout mon cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Petit Séminaire de Zillisheim (Hte-Alsace).

_____

 

MDV. A la Soeur de la Roche, Assistante-Commise de la Visitation d'Annecy. Gracieuse annonce de François de Sales à sa correspondante. — Sainte liberté et surnaturelle prudence à garder au sujet des confesseurs extraordinaires. — Espérances pour l'établissement de la Visitation à Paris. — Salutations.

 

Paris, 21 janvier 1619.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Non, je vous prie, ne vous retenes point de m'escrire quand il vous plaira, car pourveu que vous ayes patience de ne recevoir des responses que quand j'auray la [353] commodité de les faire, je n'auray jamais que beaucoup de contentement d'avoir souvent de vos lettres ; car si vous ne le sçaves pas, je vous annonce que vous estes bien ma tres chere fille.

            Pour le point que vous me marques, il ne faut nullement alterer la regie du confesseur extraordinaire ; ni aussi estonner ce (sic) Seurs infirmes qui ont appetit d'avoir communication avec le confesseur extraordinaire plus souvent que quatre fois l'annee. Mais il faut que si les Seurs n'ont pas la confiance de demander a parler a luy, luy mesme l'ayt de demander de parler a elles quelquefois, et sil ne l'avoit pas, il faut que vous la luy donnies, si c'est un Pere qui la puisse recevoir ; car, comme il faut pourvoir d'une juste liberté aux Seurs pour la communication, aussi les faut-il retenir dans la regie de la simplicité et humilité ; et n'est pas raysonnable que la foiblesse de quelques unes face multiplier les confessions extraordinaires a toute la Congregation, et mette en tristesse et ennuy le pauvre confesseur ordinaire. Bref, si chasque Seur veut estre de croire en ses appetitz interieurs, la sousmission et la liayson se perdra, et, avec elle, la Congregation : dequoy Dieu nous veuille garder. [354] Celles donq qui voudront communiquer extraordinairement, qu'elles le facent en esprit d'une douce liberté, et qu'elles se confessent, sil [leur] plait, en communiquant, sans solliciter les autres au mesme desir et sans les forcer par menees a les imiter.

            Nostre Mere se porte bien, graces a Dieu. Icy, nous taschons a vaincre les tentations suscitees contre l'introduction de la Visitation, et espere que nous le ferons. Dieu vous benisse, ma tres chere Fille, et je suis en luy tres parfaitement vostre. Je salue de tout mon cœur nos cheres Seurs, que j'ayme infiniment en Nostre Seigneur d'un'affection incomparable.

            XXI janvier 1619, Paris.

            Je salue par vostre entremise madame la Presidente] ma tres chere fille, et Mme de Vars, et si la chere seur de la Flechere estoit la, m[ille et] mille foys.

            Je pensois escrire tout plein, mais…

 

            A ma tres chere Seur en N. S..

Ma Seur C. Agnes, Vice Supe de la Visitation.

            Annessi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Amiens. [355]

_____

 

 

MDVI. A la Comtesse de Rossillon. Prière d'agréer une protestation de respect et d'affection. — Souhait du cœur. — Délicat conseil à une jeune cousine.

 

Paris, 27 janvier 1619.

 

            Madame ma tres chere Cousine, ma Fille,

 

            Laisserois-je bien aller aupres de vous ce digne frere, sans luy donner ces quatre motz par lesquelz il vous puisse tesmoigner la protestation que je luy ay faite de lhonneur et, si vous me le permettes, de l'amour que je vous veux porter toute ma vie ? Faites moy, je vous prie, la faveur, ma tres chere Fille, de l'avoir aggreable, et de me departir reciproquement le bonheur que je desire tant, d'estre conservé en vostre bonne grace.

            Au demeurant, perseveres bien, ma tres chere Fille, a reluire en vertu et pieté devant Dieu et les hommes, puisque sa divine Majesté vous a donné et l'inclination, et l'inspiration, et la resolution pour cela. C'est le souhait que fait mon cœur pour le vostre bienaymé, ma tres chere Cousine, ma Fille, et suis

Vostre tres humble cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Je salue bien cherement madamoyselle de Tornon, ma cousine, et desire bien qu'elle ayme plus la beauté [356] de son ame et face plus pour l'accroissement d'icelle que pour celle de son cors, car il y a longtems qu'elle sçait bien que j'ayme son cœur.

            XXVII janvier, a Paris.

 

            A Madame

Madame la Comtesse de Rossillion.

            Bezançon.

 

Revu sur l'Autographe conservé chez les RRdes Sœurs Augustines,

à Rœulx (Belgique, Prov. de Hainaut).

_____

 

 

MDVII. A Madame de Villeneuve. Des tentations « plus ennuyeuses que perilleuses. » — Promesse d'une entrevue.

 

Paris, janvier ou février 1619.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Ayant bien veu la lettre que vous me donnastes aux [357] Benedictins, j'ay certes ressenti grandement la peine de celle qui me l'a escritte, non que pour cela je la voye en aucun danger, mais par ce qu'ell'est affligee ; et j'ay tant de part en elle qu'il est impossible que son affliction ne m'afflige. Ces grandes tentations sont plus ennuyeuses que perilleuses. O Dieu, que sa foy est bonne et qu'ell'est grande ! car si elle n'estoit grande et forte, elle ne feroit pas des repugnances si pressantes aux suggestions. Graces a Dieu, ma tres chere Fille, qui esprouve cet'ame, comme j'espere, pour la bien affiner en l'amour de son abjection et en la mortification de sa propre estime.

            Quand vous me verres apres le sermon, ou aujourdhuy ou demain, nous prendrons jour et heure pour parler avec elle. Cependant, voyla des lettres. Nous apprendrons aujourdhuy ou demain des nouvelles des despeches de nostre Sainte Marie. [358]

            Bonjour, ma tres chere Fille ; le doux Jesus soit a jamais au milieu de vostre cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Carmel du Mans.

_____

 

 

MDVIII. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragment). Les craintes de la prudence humaine au sujet de la fondation d'un Monastère de la Visitation à Paris.

 

Paris, vers le 20 février 1619.

 

……………………………………………………………………………………………………..

            O ma chere Mere, que la prudence humaine est admirable ! Croiries vous que des grans serviteurs et servantes de Dieu m'ont encor dit aujourd'huy que la douceur et la pieté de nostre Institut estoyent tellement au goust des espritz françois, que vous osteries toute la vogue aux autres Maysons religieuses ; que quand on auroit veu cette madame de Chantal, il n'y auroit plus que pour elle. Or sus, cela n'est rien. Dieu, qui voit que nous ne venons pas a Paris pour nous faire voir, mais affin de faire voir a sa Bonté plusieurs ames s'acheminer purement a son saint service, nous aydera. Je respons de la sincerité de vos intentions comme des miennes propres, si tien et mien se doit dire entre nous, que Dieu a unis pour luy rendre un mesme service.

……………………………………………………………………………………………………...

 

Revu sur le texte inséré dans le Ms. original des Mémoires, etc., par la Mère de Chaugy, conservé à la Visitation d'Annecy. [359]

_____

 

 

MDIX. A Dona Ginevra Scaglia. Détails bar la mort du comte de Verrua. — Consolations à sa fille. — La pensée du prince de Piémont sur la fondation de la Visitation à Turin. — Une vertu plus nécessaire que la magnanimité.

 

Paris, 17 mars 1619.

 

            Illustrissima Signora mia et Figliuola nelle viscere di Christo amantissima,

 

            Ecco che finalmente, nello horologio della Providentia divina essendo sonnata l'hora della partenza che haveva da fare il signor Conte, padre di V. S., per ritornar nella mano del Creatore dalla quale fu già creata l'anima sua, in fine ha fatto felicemente il passaggio : poichè havendo un pezzo fa ricevuto il beneficio della absolutione et Comunione, in circa quindeci giorni o tre settimane avanti la morte fece un altra confessione, et continuò quasi ogni giorno a confessarsi secondo che s'andava ricordando delli suoi difetti ; et volse che io lo visitassi, [360] et communicò meco il modo che voleva tenere per assicurare le cose della conscientia sua. Et certo, dappoi, quando io lo visitava, parlava meco con un amor riverentiale verso la dignità nella quale, quantunque indegno, io mi trovo ; che mostrava bene la sua religione. Et cavando la sua berretta, me porgeva la mano acciò io la toccassi et glie dessi la beneditione. Di poi, venendo il tempo di darglie il Viatico, temevano di turbarlo et volsero che io glie dicessi, et lo feci, et trovai che lo volse di buonissima voglia ; sì che io glie lo diedi per contentar la sua divotione et riverentia, et poi l'Oglio Santo. Agonizò poi duoi giorni et mezzo, et mentre hebbe l'uso dei sensi mostrò d'haver l'animo verso il Signore ; et per fine, quantumque io l'havessi visto poche hore manzi, non fui tuttavia presente al passaggio, del quale non s'avedevano, se non il mio fratello, il quale hebbe questa ventura di dargli l'ultima beneditione.

            Ho voluto scrivere questo a V. S. Illma parendomi che la conclusione di San Paulo sia buona : Adunque, consolatevi in queste parole ; che per i figliuoli d'Iddio [361] basta questa consolatione, che i defunti habbiano ricevuti li remedii efficaci della santa Chiesa inanzi la partenza. Et aggiungo a V. S. la consolatione di San Francesco, che adesso non havendo più il padre temporale, potrà più schiettamente [dire] : Pater noster, qui es in cœlis, a nome del quale Padre celeste io ho cominciato a chiamar V.S. : Figliuola mia dilettissima. Del testamento, io non sò le particularità, quantumque io fui testimonio dell'approbatione di esso fatta dal notaro.

            Resta che io glie dica che il Serenissimo Prencipe ha sempre la voluntà salda per il Monasterio ; ma dice che glie scrivono di Piemonte che le cose d'esso sono in buon stato, et non essendo così, che al ritorno farà ogni cosa : et per fine, che bisogna haver un poco di patienza, et se V. S. s'inquieta [e] che non vogl' aspettare, che vengha in Annessi. Ma io dico che è meglio che aspetti un poco, per magior gloria d'Iddio et salute dell'anime ; chè al più non potranno passare se non alquanti mesi [362] che non si veda il fine del negotio. Hoimè ! carissima Signora mia Figliuola, le cose del servitio d'Iddio passano con queste difficoltà et dilationi ; onde bisogna havere non solamente la magnanimità, ma ancora, et molto più, la longanimità.

            Non scriverò al nostro P. Don Giusto, huomo secondo il cuor mio ; ma egli sa bene che io lo amo et riverisco con tutto l'animo mio. Et così glie lo dirà V. S. Illma, che Dio voglia cumulare di sue santissime beneditioni.

            Di V. S. Illma,

Humilissimo et certissimo servitore,

FRANCO, Vescovo di Geneva.

            Alli 17 di Marzo, 1619.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à la Visitation de Turin. [363]

 

 

 

            Illustrissime Madame et Fille bien aimée dans les entrailles du Christ,

 

            Voici que, à l'horloge de la divine Providence, ayant sonné pour M. le Comte votre père l'heure du départ de cette vie, pour s'en retourner entre les mains du Créateur d'où son âme était sortie, il a fait heureusement ce passage. En effet, quoiqu'il eût reçu il y a quelque temps le bienfait de l'absolution et de la Communion, quinze jours ou trois semaines environ avant sa mort il fit encore une confession, et continua à se confesser presque chaque jour à mesure qu'il se rappelait ses fautes. Il voulut que je le visitasse, et traita avec moi de [360] la manière qu'il pensait tenir pour assurer sa conscience. Depuis lors, quand j'allais le voir, il me parlait avec un amour plein de révérence pour la dignité dont je suis revêtu, quoiqu'indigne ; ce qui montrait bien sa religion. Puis, se découvrant, il me tendait la main pour que je la touchasse et demandait ma bénédiction. Le moment venu de lui administrer le saint Viatique, on craignit de le troubler, et on me chargea de lui en parler ; je le fis, et trouvai qu'il l'agréait très volontiers. Aussi, pour satisfaire sa dévotion et son respect, je le lui donnai moi-même, et ensuite l'Extrême-Onction. Il resta deux jours et demi en agonie, et tant qu'il conserva l'usage de ses sens, il témoigna que son esprit était tourné vers le Seigneur. Bien que je l'eusse vu quelques heures avant sa mort, je ne fus cependant pas présent au suprême passage, dont personne ne s'aperçut, sauf mon frère qui eut le bonheur de lui donner la dernière bénédiction.

            J'ai voulu écrire tout cela à Votre Seigneurie Illustrissime parce que, me semble-t-il, la conclusion de saint Paul est bonne : Consolez-vous donc en ces paroles ; car cette consolation suffit aux enfants de [361] Dieu, que leurs défunts aient reçu avant leur départ les secours efficaces de la sainte Eglise. Et pour Votre Seigneurie, j'ajoute la consolation de saint François ; maintenant, n'ayant plus de père temporel, vous pourrez dire avec plus de vérité : Notre Père, qui êtes aux cieux. Aussi, est-ce au nom de ce Père céleste que j'ai commencé à vous appeler : Ma Fille bien aimée. Je ne sais pas les particularités du testament, quoique j'aie été témoin de l'approbation qui en fut donnée par le notaire.

Il me reste à vous dire que le Sérénissime Prince a toujours sa volonté bien arrêtée pour la fondation du Monastère. On lui écrit de Piémont, que cette affaire est en bonne voie, dit-il ; mais quand il n'en serait pas ainsi, il arrangera toutes choses à son retour. Enfin, ajoute Son Altesse, il faut avoir un peu de patience, et si Votre Seigneurie s'inquiète et ne veut pas attendre, qu'elle vienne à Annecy. Mais moi je dis qu'il vaut mieux que vous attendiez un peu, pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes ; car il ne se passera guère que quelques mois tout au plus, avant de voir la fin [362] de cette affaire. Hélas ! Madame ma très chère Fille, les choses du service de Dieu ne se font qu'avec ces difficultés et délais ; c'est pourquoi il faut avoir non seulement la magnanimité, mais encore, et bien plus, la longanimité.

            Je n'écrirai pas à notre Père D. Juste, cet homme selon mon cœur ; mais il sait bien que je l'aime et révère de toute mon âme. Veuillez le lui dire, et que Dieu daigne combler Votre Seigneurie Illustrissime de ses très saintes bénédictions.

            De Votre Seigneurie Illustrissime,

Le très humble et très assuré serviteur,

FRANÇOIS, Evêque de Genève.

            Le 17 mars 1619. [363]

_____

 

MDX. A la Mère de Chantal, a Bourges (Fragments). Nécessité de presser le départ pour Paris. — Hardiesse de l'entreprise. — Renouveler son courage pour le service de Dieu.

 

Paris, 21 ou 22 mars 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je vous escris peu, selon mon desir ; beaucoup selon mon loysir, dont je n'eus jamais moins, ce me semble, ni jamais plus de force et de santé. En somme donq, vous aures, le Samedi saint, un carrosse a Orleans, qui y arrestera le jour de Pasques, passé lequel vous pourres partir et venir. Je voy la mortification qu'il y a de voyager parmi ces bons jours et, pour toute bonne chose, je voudrois vous delivrer de cette peine ; mays nous sommes pressés de mon retour, pour l'incertitude du tems auquel il me le faudra faire, et chacun crie que vous venies avant mon depart.

            En quel estat sont les affaires, vous l'apprendres de la bonne madame de Royssieux, une toute bonne, toute vertueuse… [364]

             Cette affaire s'entreprend sous la seule Providence de Dieu… C'est un coup de hasard, et plus que cela ; mays Dieu requiert que l'on le fasse, et il vaut mieux n'estre appuyé que sur sa tressainte Providence que de se gouverner selon la sagesse et prudence humaine.

……………………………………………………………………………………………………..

            Ma chere Mere, prenons nouveau courage, ou plustost renouvelions nostre ancien courage pour faire merveilles au service de Dieu et de nostre bienaymee petite Congregation qui est toute sienne.

……………………………………………………………………………………………………..

_____

 

MDXI. A Madame de Veyssilieu. Quatre lignes sorties du cœur. — Aspirer aux contentements de l'éternité à mesure que Dieu nous sèvre de ceux de ce monde.

 

Paris, 26 mars 1619.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Si j'estois aupres de vous, je vous dirois bien plus de choses que je n'en sçaurois escrire, et si j'estois en un autre lieu je vous escrirois plus amplement que je ne puis faire en celuy ci. Ces quattre lignes partent de mon [365] cœur pour faire sçavoir au vostre que si je ne l'ay visité de presence en son affliction, ç'a esté, je vous asseure, d'une affection grande et avec beaucoup de sentimens.

            Mais en fin, ce pere est trespassé en sorte que, si la foy de la vie eternelle regne en nos espritz comme elle doit, nous devons estre grandement consolés. Petit a petit, Dieu nous sevre des contentemens de ce monde ; oh ! ma tres chere Fille, il faut donq ardemment aspirer a ceux de l'immortalité, et tenir nos cœurs eslevés au Ciel ou sont nos pretentions et ou nous avons meshuy une grande partie des ames que nous cherissons le plus.

            Qu'a jamais soit beni le nom de Nostre Seigneur et que son amour vive et regne au milieu de nos ames. La mienne salue cordialement la vostre, et suis, ma tres chere Fille, tres parfaitement

Vostre tres humble serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Paris, le Mardi saint.

_____

 

MDXII. A une dame (Inédite). Une jeune fille prisonnière chez les hérétiques.

 

Paris, 5 avril 1619.

 

            Madamoyselle,

 

            Parce que l'autre jour je vous vis en peine pour Dorothee, j'ay creu que je devois vous donner advis [366] qu'hier, revenant du Louvre tout de nuit, je treuvay ceans des Peres Benedictins qui me dirent qu'une jeune fille s'estoit peu auparavant addressee a eux pour me faire sçavoir que Dorothee estoit detenue par force chez madame de la Trimouille, qui l'avoit mise entre les mains de deux ministres, et que ce matin ilz la vouloyent emmener, et non obstant toutes les resistances qu'elle faysoit. Je pense que de Geneve on aura mis ordre icy pour faire cela ; mays je ne voy quasi point de remede, et mesme estant contraint, comme je suis, de partir pour aller a quatre lieues d'icy, d'ou je ne seray de retour que ce soir, et croy que des ce matin on a emmené cette fille.

            Demain j'auray le bien de vous voir, sil plait a Dieu, et ce pendant, je prie sa divine Majesté qu'elle vous comble de ses plus favorables benedictions, qui suis,

            Madamoyselle,

Vostre serviteur tres humble,

FRANÇS, E. de Geneve.

 

Revu sur l'Autographe conservé au Noviciat de la Compagnie

de Saint-Sulpice, à Issy (Paris). [367]

_____

 

MDXIII. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Ce que le Saint a vu dans le cœur de la destinataire. — Pourquoi Dieu n'exauce pas tout de suite nos prières. — La Visitation fondée à Paris.

 

Paris, 26 avril 1619.

 

            Madame,

 

            Ce me sera tous-jours une fort particuliere consolation quand j'auray le bonheur de recevoir de vos lettres ; car en verité, je vous cheris et honnore parfaitement, puis [368] qu'il a pleu a Nostre Seigneur de me faire voir vostre cœur, et au milieu d'iceluy, le sacré desir d'aymer invariablement cette divine Bonté, en comparayson de laquelle comme il n'y a rien de bon, aussi n'y a-il rien d'aymable. Mays croyes bien, ma tres chere Fille (car je ne puis empescher mon cœur de pousser ce mot cordial), croyes, je vous supplie, que si mes souhaitz sont exaucés, vous feres un continuel progres en cette sainte dilection ; car je n'oublieray jamais d'en supplier Dieu et de luy offrir plusieurs Sacrifices a cette intention. Mais il faut dire quelque chose sur vostre lettre.

            Vous voyes comment la Providence celeste est douce envers vous, et qu'elle ne differe son secours que pour provoquer nostre confiance. L'enfant ne perira jamais, qui demeurera entre les bras d'un Pere qui est tout puissant. Si nostre Dieu ne nous donne pas tous-jours ce que nous luy demandons, c'est pour nous retenir aupres de luy et nous donner sujet de le presser et contraindre par une amoureuse violence, ainsy qu'il fit voir en Emmaus, avec ces deux pelerins avec lesquelz il n'arresta que sur la fin de la journee, et bien tard, et quand ilz le forcerent. En somme, il est gracieux et debonnaire ; car soudain que nous nous humilions sous sa volonté, il s'accommode a la nostre. Tasches donq, ma tres chere Fille, a fortifier de plus en plus vostre confiance en cette sainte Providence, et l'adorés frequemment en vos retraittes spirituelles, et par ces regars interieurs dont nous parlons en la prattique.

            Je loüe Dieu que vous soyes plus constante, nonobstant vos perpetuelz tracas domestiques, parmi lesquelz il faut faire valoir vostre dilection, comme le courage es batailles. [369]

            Madame de Chantal est icy avec sa petite trouppe. Le vingt huitiesme avril elle commenceront a chanter les Offices en publiq, ayant treuvé beaucoup plus de faveur en l'ame de Monsieur le Cardinal, que les premieres apparences ne promettoyent.

            Je ne manqueray pas d'imprimer un singulier amour pour vostre personne en cette Congregation, specialement au cœur de madame de Chantal, vous asseurant que je desire grandement que vous soyes toute comblee de cette pure charité qui vous rende a jamais aymable a Dieu et a toutes les creatures qui le servent. Ainsy soit il. Et je suis sans fin,

Vostre tres humble et tres certain serviteur et frere,

FRANÇS E. de Geneve.

            Le 26 avril, a Paris. [370]

_____

 

 

MDXIV. A la Mère de Chantal, a Paris. Une journée laborieusement et fructueusement employée. — Proposition d'une maison pour les Filles de la Visitation.

 

Paris, 28 avril 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Voicy le conte de ma journee. Ayant passé toute la matinee a Saint Germain et deux heures qu'au chemin qu'en chaire, et un'heure et demi avec des dames qui me sont venu voir apres le sermon, j'ay treuvé le bon M. Berger qui ira voir M. le grand Vicaire, pour luy annoncer et faire treuver bon le jour auquel vous commenceres a paroistre, estimant que ce compliment estoit necessaire. Dela je suis allé chez Mme la Marquise [371] de Verneüil, que j'ayme certes bien, car ell'est, a mon advis, bien franche. Or, elle m'a dit enfin quil failloit prendre la mayson qui est pres de l'hostel de Guise et qui est, ce dit elle, a madamoyselle de Creil ; et qu'elle la nantira d'une rente qu'elle respondra de valoir 24 mille escus, dont par apres vous luy tiendres conte a commodité, ce qu'elle veut donner detrait. Elle dit plus : que l'hostel du Cardinal de Guyse, qui est proche de cette mayson, nous sera encor vendu si nous voulons. Mays prenes garde, neanmoins, qu'on ne luy desrobe pas ses tapisseries.

            Ne voyla pas une bonne negociation ? Or sus, Dieu soit au milieu de nostre cœur, ma tres chere Mere.

 

Revu sur l'Autographe appartenant à Mme la marquise Pensa, à Turin. [372]

_____

 

MDXV. A la même. Annonce d'une visite, et d'un visiteur qu'il faut traiter avec prudence.

 

Paris, 29 ou 30 avril 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je m'en vay a vous tout presentement, mays M. Berger y arrivera peut estre encor plus tost que moy. Tesmoignes luy beaucoup d'obligation, et si d'aventure il parloit de la charge des Pœnitentes, ne le rebuttes pas, ains dites simplement que pour maintenant vous [373] n'aves point de personnes capables de cela, et que si Dieu en envoye a l'advenir, ce sera aux Superieurs d'en disposer selon que Dieu les inspirera ; car en ce pais il faut grandement estre en respect.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation d'Annecy.

_____

 

MDXVI. A la Mère de Chastel, Supérieure de la Visitation de Grenoble (Fragment inédit). La présidente Le Blanc parmi les Anges.

 

Paris, commencement de mai 1619.

 

……………………………………………………………………………………………………...

            Vous n'aves donq plus parmi vous, ma tres chere Fille, Mme la Presidente Le Blanc ; or, je croy qu'elle est parmi les Anges. En verité, c'estoit une rare femme ; Grenoble perd en elle un rare exemple de vertu…

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire manuscrite de la Fondation

de la Visitation de Grenoble. [374]

_____

 

 

MDXVII. A la Mère de Chantal, a Paris. En quête d'un carrosse.

 

Paris, mai 1619.

 

            J'envoyeray prier M. des Hayes de prester son carrosse et de vous aller prendre ; s'il se treuve prest, je m'asseure qu'il le fera. Si moins, il faudra, comme tous-jours, avoir patience. Je pense toutefois que si on prioit Mme de Royssieux, peut estre vous envoyeroit elle bien le sien, ou madame la Contesse de Joigni ; et je m'advise que celuy de Mme de Royssieux n'est pas a elle, mais a son beaufrere.

            Nostre Seigneur soit au milieu de vostre cœur.

 

Revu sur l'Autographe qui se conservait chez les PP. Missionnaires de Saint-François-de-Sales d'Annecy. [375]

_____

 

 

MDXVIII. A M. Michel Bouvard. Insuccès des démarches du Saint en faveur de M. de Quoex. — Recommandations au sujet de diverses affaires.

 

Paris, 18 mai 1619.

 

            Monsieur,

 

            Respondant a la derniere lettre que vous aves pris la peine de m'escrire, je vous diray que je n'ay rien oublié de tout ce que j'ay peu pour servir le pauvre M. le Collateral de Quoex en son affliction. Mays, a ce que je voy, mes remonstrances et supplications ont esté charmees par quelque esprit contraire, la force duquel Dieu a permis avoir esté plus grande. De dire d'ou ce malheur m'est arrivé, je ne le puis qu'en devinant. Les tribulations ne seroyent pas tribulations si elles n'affligeoyent, et les [376] serviteurs de Dieu n'en sont gueres exempts ; leur bonheur est reservé pour la vie future. Et neanmoins, j'espere que le coup que M. le Collateral recevra ne sera pas si grand comme l'apprehension.

            Monseigneur le Duc de Nemours escrit a messieurs ses officiers qu'ilz luy donnent advis sur la demande que je fay des protocoles du chastelain Musici, que M. [Barfelly] a pris et gardés jusques a present de son authorité. Je vous prie de prendre la peine de les instruire de mon droit, comme encor de ne vous lasser pas a bien conduire par vos advis l'affaire que j'ay avec M. de Marcossey.

            Je suis cependant de tout mon cœur, Monsieur,

Vostre tres humble, tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            18 may 1619, a Paris.

 

            A Monsieur

[Monsieur] Bouvart, Advocat au souverain Senat de Savoye. [377]

_____

 

 

MDXIX. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Les pensées de François de Sales sur la confiance qu'on lui témoigne. — Pourquoi il est bon de prendre avis de diverses personnes. — Réponse à la crainte de suivre ses inclinations tout en obéissant. — Promesse d'une visite ou d'une lettre.

 

Paris, 25 mai 1619.

 

            Madame,

 

            Non, je vous supplie, ne soyes jamais en crainte de m'importuner par vos lettres ; car je vous dis en vraye verité qu'elles me donneront tous-jours une tres grande consolation, tandis que Dieu me fera la grace d'avoir le cœur en sa dilection, ou du moins desireux de la posseder. Or cela soit dit pour une bonne fois.

            Il est vray, sans doute, ma tres chere Seur, que si je ne fusse pas venu en cette ville, malaysement eussies-vous peu communiquer vos affaires spirituelles avec moy ; mais puisqu'il a pleu a la Providence celeste que j'y sois, il n'y a nul inconvenient que vous employes cette occasion, si vous penses qu'il soit a propos. Et ne croyés nullement que j'aye cette cogitation que vous recherchies l'excellence du personnage, car, bien que cette sorte de pensee est grandement convenable a ma misere, si est ce qu'en telles rencontres elle ne me vient pas ; ains au contraire, il n'y a peut estre rien qui soit plus capable de m'acheminer a l'humilité, admirant que tant de serviteurs et servantes de Nostre Seigneur ayent une si grande confiance en un esprit si imparfait comme est le mien. Et je prens un grand courage sur cela de devenir tel qu'on m'estime, et espere que Dieu me donnant la sainte amitié de ses enfans, me donnera la sienne tressainte, selon sa misericorde, apres qu'il m'aura fait faire une penitence convenable a mon mal. Mais j'ay quasi tort de vous dire tout ceci.

            C'est donq ce meschant esprit qui, a jamais privé d'amour sacré, voudroit empescher que nous jouissions des [378] fruitz de celuy que le Saint Esprit veut estre prattiqué entre nous, affin que, par les reciproques communications saintes, nous ayons moyen de croistre en sa celeste volonté.

            Il est malaysé, ma tres chere Seur, de treuver des espritz universelz qui puissent esgalement bien discerner en toutes matieres : aussi n'est il pas requis d'en avoir de telz pour estre bien conduit, et n'y a point de mal, ce me semble, de recueillir de plusieurs fleurs le miel qu'on ne peut pas treuver sur une seule. Ouy ; mais, ce me dites vous, ce pendant je vay dextrement favorisant mes inclinations et humeurs. Ma chere Seur, je ne voy pas qu'il y ayt grand danger en cela, puisque vous ne voules pas suivre vos inclinations qu'elles ne soyent appreuvees ; et quoy que vous cherchies des juges favorables, si est ce toutefois que, les prenant bons, sages et doctes, vous ne sçauries mal faire de suivre leurs opinions, bien que desirees par vous, pourveu qu'au reste vous proposies naifvement vos affaires et les difficultés que vous aves. Il suffit, ma tres chere Seur, de se sousmettre aux advis, et n'est pas ni necessaire ni expedient de les desirer contraires a nos inclinations, ains seulement de les vouloir conformes a la loy et doctrine celeste. Pour moy, je pense que nous ne devons pas appeller les amertumes en nos cœurs comme fit Nostre Seigneur, car nous ne les pouvons pas gouverner comme luy ; il suffit que nous les souffrions patiemment. C'est pourquoy il n'est pas requis que nous marchions tous-jours contre nos inclinations, quand elles ne sont pas mauvaises et qu'ayant esté examinees elles ont esté treuvees bonnes.

            Il n'y a pas grand mal d'ouyr les personnes et les affaires du monde quand c'est pour y mettre du bien, et ne faut pas estre pointilleuse en l'examen qu'on en fait ; car c'est chose moralement impossible de demeurer beaucoup au fin point de la moderation. Mays, ma tres chere Seur, je ne voudrois pas que vous manquassiés a l'orayson, au moins de demi heure, sinon que ce fust pour des occasions violentes, ou quand l'infirmité corporelle vous tient. [379]

            Au reste, je feray l'une des deux choses ; car, ou je vous escriray avant mon depart plus au long, ou je vous iray voir au jour que j'ay marqué a ce bon et aymable porteur. Et croyes, je vous supplie, que rien ne m'empeschera d'avoir ce dernier [contentement] que l'impossibilité, et prendray tout le loysir que vous desires ; tant il est vray que je desire infiniment le vostre, et que Dieu m'a donné une tres singuliere affection pour vostre cœur, que sa divine Majesté veuille combler de benedictions. Alhors donq nous parlerons a souhait de vostre conduitte et de tout ce qu'il vous plaira me proposer, sans que je m'excuse de rien, sinon quand je n'auray pas la lumiere requise pour vous respondre. J'auray une grande satisfaction de revoir Mme vostre chere seur quand il luy plaira.

            Demeurés donq toute en Dieu, ma tres chere Fille, et en luy je seray a jamais, sans reserve et de toute mon ame,

Vostre tres humble frere et invariable serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Le 25 may.

            Je salue infiniment Mlle vostre petite seur et la supplie de prier Dieu pour moy. [380]

_____

 

 

MDXX. A M. Soudan de la Palme (Inédite). Un parrain heureux des nouvelles de son filleul. — Prochain départ de Paris. — Deux adresses pour les lettres.

 

Paris, 25 mai 1619.

 

            Mon Filieul,

 

            J'ay esté grandement ayse d'avoir appris de vos nouvelles et que vous soyes en cet honneste exercice que vous faites. Je ne vous sçaurois asseurer de mon sejour en cette ville, par ce que devant faire mon retour a la suite de Madame sœur du Roy, nostre Princesse, je seray obligé de partir quant et elle, qui partira sur la fin de ce moys, comme l'on dit. Mays je vous diray bien que vostre pere se portoit fort bien quand je vins, et vos freres aussi. Vous pourres tous-jours, quand vous voudres, nous faire sçavoir de vos nouvelles, addressant vos lettres icy, a Maurice des Melliers, valet de chambre de monsieur [le] Comte de Moret, qui est de nos voysins de Thorens ; ou bien mesme a Rouen, a monsieur l'advocat Monet, qui est de la Bonneville. [381]

            Cependant, je prie Dieu qu'il vous benisse, mon Filieul, et suis de tout mon cœur,

Vostre plus affectionné parrein, amy

et voysin a vous faire service,

FRANCS, E. de Geneve.

            Le 25 may 1619.

 

A Monsieur Soudan de la Palme, escrivain.

            A Honnefleur.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

 

MDXXI. A Madame de Charmoisy (Inédite). L'Evêque de Genève solliciteur pour Mme de Charmoisy. — Difficultés d'obtenir et circonspection à garder dans les demandes. — Approches du retour en Savoie.

 

Paris, 28 mai 1619.

 

            Ma tres chere Cousine, ma Fille,

 

            Pour Villy, je croy que nous obtiendrons ce que nous demandons. Pour la chatelanie de Salanche, Monsieur me l'accorda il y a long tems, et tascheray d'en faire faire les despeches, mays, a ce que j'entens, ce sera inutilement. Pour Samoen, je ne voy pas que pour le present cela se puisse. [382]

            Quant a M. Meynier, Monseigneur le Prince n'estant pas icy, ains a la cour, a Tours, je ne voy pas qu'on y puisse faire autre chose. Mays croyes moy, je vous supplie, que quand il y seroit, nous n'en aurions rien davantage, ni par la voye de Madame, qui ne demande rien en matiere d'affaires que ce que Monseigneur son mari luy suggere de demander ; et il ne veut rien toucher, ni d'une sorte ni d'autre, a ce qui doit estre pris des mains de Son Altesse. Et si vous voyies ce que je voy, vous ne douteries point de cette verité, ni monsieur Meynier non plus ; et icy comme ailleurs, mais plus icy qu'ailleurs, il faut aller tendrement aux demandes.

            Mays vous sçaures mieux tout ceci bien tost, que j'auray lhonneur de vous voir, sil est vray que Monseigneur le Prince s'en aille dans 15 jours, et Madame dans 15 apres, comm'on nous dit. Je suis icy tout fin seul des serviteurs de Son Altesse.

            Je prie Dieu qu'il vous comble de benedictions, ma tres chere Cousine, ma Fille, et suis de tout mon cœur,

Vostre tres humble cousin et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Je n'oublie point le desir de monsieur de Vallon, mon cousin, et m'essayeray de le faire reuscir ; mais j'attens [383] l'occasion plus propre, et tandis, je le salue tres humblement.

            Le 28 may 1619, a Paris.

 

            A Madame

Madame de Charmoysi.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montluel.

 

MDXXII. A Madame de Villesavin. Comment supporter les petites persécutions des enfants du monde. — Salomon, ses richesses, et « son inenarrable malheur. » — La devise du Christ. — Un adieu jusqu'à l'éternité. — Pourquoi se réjouir de s'être aimés en cette vie.

 

Paris, mai 1019.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Vous seres souvent parmi les enfans de ce monde qui, selon leur coustume, se moqueront de tout ce qu'ilz verront ou penseront estre en vous contre leurs miserables inclinations. Ne vous amuses point a disputer [384] avec eux, ne tesmoignes nulle sorte de tristesse de leurs attaques ; mais, avec joye, riés de leurs risees, mesprises leur mespris, joues vous de leurs remonstrances, moques vous modestement de leurs moqueries et, sans faire attention a tout cela, marches tous-jours gayement au service de Dieu, et, au tems de l'oraison, recommandes ces pauvres espritz a la divine misericorde. Ilz sont dignes de compassion de n'avoir point d'intention d'honneste entretien qu'en riant et gaussant sur des sujetz dignes de respect et reverence.

            Je voy que vous abondes en commodités de la vie presente ; prenes garde que vostre cœur n'y demeure point engagé. Salomon, le plus sage des mortelz, commença son inenarrable malheur par la complaysance qu'il prit es grandeurs, ornemens et magnifiques appareilz qu'il avoit, bien que tout cela fust selon sa qualité. Considerons que tout ce que nous avons ne nous fait estre rien plus en effect que le reste du monde, et que tout cela n'est rien devant Dieu et les Anges.

            Souvenes vous, ma tres chere Fille, de bien faire la volonté de Dieu es rencontres ou vous aures le plus de difficulté. C'est peu de chose de plaire a Dieu en ce qui nous plaist : la fidelité filiale requiert que nous luy voulions plaire en ce qui nous desplaist, nous remettans devant les yeux ce que le grand Filz bienaymé disoit de soy mesme : Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mays pour faire la volonté de Celuy qui m'a envoyé ; car aussi n'estes vous pas chrestienne pour faire vostre volonté, mais pour faire la volonté de Celuy qui vous a adoptee pour estre et sa fille et son heritiere eternelle.

            Au reste, vous vous en alles, et moy je m'en vay aussi, sans aucune esperance de vous revoir en ce monde. Prions bien Dieu qu'il nous face la grace de vivre tellement selon son bon playsir en ce pelerinage, qu'estant arrivés en la celeste patrie nous nous puissions res-jouir de nous estre veus icy bas et d'y avoir parlé des mysteres de l'eternité. En cela seul nous devons prendre joye de nous estre aymés en cette vie : que le tout a esté pour la [385] gloire de sa divine Majesté et nostre salut eternel. Conserves la sainte gayeté cordiale qui nourrit les forces de l'esprit et edifie le prochain.

            Alles ainsy en paix, ma tres chere Fille, et Dieu soit a jamais vostre protecteur. Qu'a jamais il vous tienne de sa main et vous conduise au chemin de sa sainte volonté. Ainsy soit il, ma tres chere Fille, et je vous prometz que tous les jours je renouvelleray ces sacrés souhaitz sur vostre ame, que la mienne cherira a jamais inviolablement. Et a Dieu soit a jamais, loüange, action de graces et benediction. Amen.

FRANCS, E. de Geneve.

_____

 

 

MDXXIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Un conseil de conscience. — Ce qui « osta un peu l'asseurance » au saint prédicateur.

 

Paris, mai ou juin 1619.

 

            Monsieur de la Pause me parla hier, et espere de conduire l'affaire a bon port. Il me dit toutefois que [386] Monseigneur de la Rochefoucault vouloit assembler un conseil de conscience pour se determiner, et peut estre est ce pour cela que le P. Superieur de Saint Louys vous veut parler.

            Moy je me porte bien, et hier je n'eu nulle peine, sinon en la si longue attente qu'on fit faire aux auditeurs, qui me donna certes de l'inquietude, et m'osta un peu l'asseurance ; mays, comme vous sçavés, ces choses-la sont de peu de consideration en moy qui suis certes tous-jours de plus en plus vostre en Nostre Seigneur.

            J'eu le bien d'entretenir un peu Monseigneur d'Ayre. Mon Dieu, que c'est un digne Praglat ! [387]

            Or sus, Nostre Seigneur soit a jamais au milieu de vostre cœur. Amen.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Montélimar.

_____

 

 

MDXXIV. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Les noms de « plus grande force pour tesmoigner la dilection. » — Un sentiment que le Saint veut conserver soigneusement. — Desseins de Dieu sur l'Abbesse de Port-Royal. — Le livre de D. Sens et la manière de le comprendre. — Remarque pleine de sagesse et de délicatesse de l'Evêque de Genève au sujet de la doctrine du Général des Feuillants. — Ne pas trop se charger d'austérités.

 

Paris, vers 15-20 juin 1619.

 

            Il n'y aura donq plus en moy de Monsieur pour vous, ni en vous de Madame pour moy ; les anciens, cordiaux et charitables noms de Pere et de Fille sont plus chrestiens, plus doux, et de plus grande force pour tesmoigner la dilection sacree que Nostre Seigneur a voulu estre entre nous. Et je dis ainsy hardiment, que Dieu a voulu estre entre nous, parce que je le sens puissamment, et ne croy pas que ce sentiment puisse venir d'ailleurs. Et de plus, je connois qu'il m'est profitable et qu'il m'encourage a mieux faire : c'est pourquoy je le conserveray soigneusement. De vous dire que vous en facies de [388] mesme, je ne le feray pas ; car s'il plait a Dieu, il vous l'inspirera, et je ne puis douter qu'il ne le face.

            Or sus donq, ma tres chere Fille, c'est la verité que je suis meshuy en si grande incertitude du tems de mon depart que je n'ose plus me promettre la consolation de vous revoir de mes yeux mortelz ; mays si j'en ay le loysir, je le feray tres affectionnement, et si je croy que vostre cœur bienaymé en doive recevoir quelque notable utilité, je feray tout ce que je pourray pour cela.

            Cependant, ma tres chere Fille, souvenes vous souvent de ce que je vous ay dit : Dieu a jetté les yeux sur vous pour se servir de vous en choses de consequence et vous tirer a une excellente sorte de vie. Portés donq respect a son eslection et suivés fidelement son intention. Animes continuellement vostre courage d'humilité, et vostre humilité, c'est a dire vostre misere et le desir d'estre humble, animes les de confiance en Dieu, en sorte que vostre courage soit humble et vostre humilité courageuse.

            Parsemes toutes les pieces de vostre conversation, tant interieure qu'exterieure, de sincerité, douceur et allegresse, suivant l'advis de l'Apostre : Res-jouisses vous tous-jours en Nostre Seigneur ; je vous dis de rechef, res-jouisses vous. Que vostre modestie soit conneuë de tous les hommes. Et s'il est possible, soyes esgale en humeur, et que toutes vos actions se ressentent de la resolution que vous aves faite d'aymer constamment l'amour de Dieu.

            Ce bon porteur, que j'ayme cordialement parce qu'il est tout vostre, vous porte le livre du P. Dom Sens, General des Feüillans, ou il y a une grande et profonde doctrine spirituelle, pleine de maximes tres importantes. S'il vous sembloit qu'il vous portast hors de la [389] sainte allegresse que je vous conseille si fort, croyes que ce n'est pas sa pretention, ains seulement de rendre serieuse et grave cette joye, comme aussi faut il qu'elle soit. Et quand je dis grave, je ne dis pas morne, ni affectee, ni sombre, ni desdaigneuse, ni altiere, mais je veux dire sainte et charitable.

            Le bon Pere a une opinion, fondee en sa vertu et humilité, qu'on ne puisse pas passer un jour sans peché veniel, dont on se puisse accuser en confession. Mais l'experience en ceci m'a fait voir le contraire, car j'ay veu plusieurs ames bien examinees ne dire rien que je peusse remarquer estre peché ; et entre autres, l'heureuse servante de Dieu, madamoyselle Acarie. Je ne dis pas que peut estre il ne se passast quelques coulpes venielles ; mais je dis qu'elle ne les pouvoit remarquer en son examen, ni moy reconnoistre en sa confession, et que partant j'avois rayson de luy faire repeter l'accusation de quelque coulpe ancienne.

            Vous ne dires point ceci a personne, s'il vous plait, ma tres chere Fille ; car je revere si hautement ce bon Pere et tout ce qu'il dit, que je ne voudrois pas qu'il sceust qu'en ceci mesme je me retirasse de luy. Outre que je ne sçai pas comme il aura touché cet article, ne l'ayant pas leu en son livre, que je n'ay point veu encor, ains seulement le luy ayant ouy dire ; et je parle a vostre cœur confidemment.

            Ne vous charges pas de trop de veilles ni d'austerités (et croyés moy, ma tres chere Fille, car j'entens bien ce que je dis en ceci), mais alles au Port Royal de la vie religieuse par le chemin royal de la dilection de Dieu et du prochain, de l'humilité et de la debonnaireté.

            Si jamais vous m'escrives des nouvelles de'vostre cœur, vous n'aves point besoin de vous signer, ni de marquer le lieu d'où vous m'escrives, ni de parler de vous, ains seulement de la fille que je vous ay recommandee. Je ne sçay pourquoy je vous escris si largement ; c'est mon cœur qui ne se lasse pas de parler au vostre, mais il faut [390] que je finisse pour entrer au bain, puisque je suis entre les mains du medecin.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, ma tres chere Fille, et je suis de tout le mien invariablement, Vostre Pere et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

MDXXV. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Une dame d'honneur de la princesse de Piémont retenue à Paris.

 

Paris, 19 juin 1619.

 

            Monseigneur,

 

            La bonne madame de Saint George fait elle mesme par lettre ses excuses a Vostre Altesse, dequoy elle ne s'est [391] peu mettre en chemin pour suivre Madame ; mays elle n'a pas l'asseurance de nommer la cause de son retardement, par ce qu'elle est extraordinaire pour elle qui, n'ayant peu devenir grosse en tant d'annees de son mariage, a rencontré ce contentement en celle ci, comme plus heureuse pour la benediction des noces. Et d'autant qu'elle m'a prié de l'escrire a Vostre Altesse, je l'ay fait, Monseigneur ; suppliant encor pour moy vostre bonté de se resouvenir que je ne suis plus icy, il y a quelques moys, que pour y attendre les commandemens qu'elle me fera au retour de M. Carron, puisqu'elle me l'a ordonné, et qu'en tout je veux vivre,

            De Vostre Altesse,

            Monseigneur,

Le tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Paris 19 juin 1619.

_____

 

MDXXVI. Au Duc Roger de Bellegarde. Instante requête au destinataire pour l'heureuse conclusion d'un procès entre les chanoines de Saint-Pierre de Genève et les habitants de Seyssel.

 

Paris, 21 juin 1619.

 

            Je n'ay garde, certes, Monsieur mon tres cher Filz, de donner la liberté a mon cœur d'entretenir le vostre, maintenant qu'il est tout environné des affaires de la cour. La seule necessité de mon Eglise me dispense de ce respect, pour vous supplier, comme je fay tres humblement, de vouloir retirer la connoissance du different qui est entre maditte Eglise et les sieurs habitans de Sessel par devant vous, au tems et au lieu qu'il vous plaira de marquer. Non que nous voulions vous donner l'importunité d'assister a la meslee des allegations qui se feront de part et d'autre, mais seulement nous souhaiterions que l'affaire se passast en lieu ou vous puissies, en un mot de vostre authorité, determiner ce qui sera jugé convenable par ceux a qui il vous plaira de donner le soin de voir le droit et le juste ; autrement, Monsieur mon Filz, il ny a nul moyen de finir cette conteste, laquelle toutefois est de consequence pour le repos des ames des uns et des autres.

            Playse vous donq, je vous en supplie de rechef tres humblement, de nous faire a tous cette grace, et d'advertir les uns et les autres de vostre volonté, affin que, ce pendant, le proces cesse, et qu'ilz se præparent a venir, icy [393] ou a Digeon, au tems de vostre commodité. Et bien que je nomme ces deux lieux, ce n'est pas pour prsevenir vostre volonté, ains seulement pour tesmoigner qu'y ayant en l'un et en l'autre des gens dignes de creance, il sera peut estre plus a propos d'y faire venir des parties qui ont besoin d'estre rangees par l'advis de juges de qualité, et sur tout par vostre commandement.

            Je suis encor icy pour quelques jours, attendant ce qu'il plaira a Monseigneur le Prince de Piemont de m'ordonner sur mon retour, lequel, si je fay selon mon souhait, se fera du costé ou vous serés, pour avoir encor le bien et le contentement de vous revoir et recevoir lhonneur de vos commandemens. Et tandis, je prie Dieu, Monsieur mon tres cher Filz, qu'il vous comble de toute parfaite prosperité avec tout ce qui vous est plus cher, et suis invariablement, d'un cœur paternellement passionné,

Vostre tres humble et tres obeissant serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXI juin 1619, a Paris.

 

            A Monsieur

Monsieur de Bellegarde,

            Marquis de Seurre, etc.

 

Revu sur l'Autographe conservé à l'Hospice du Grand-Saint-Bernard. [394]

_____

 

MDXXVII. A la Mère de Chantal, a Paris. Un sentiment de l'âme du Saint au lieu d'un bouquet du désert. — Deux regards qui rendent bienheureux. — Comment faire la grille du choeur. — La première profession à la Visitation de Paris.

 

Paris, 23 juin 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Je voudrois bien, certes, avoir quelque beau bouquet du desert de nostre glorieux saint Jean pour le presenter a vostre chere ame ; mais la mienne, plus sterile que le desert, n'a sceu y en treuver aujourdhuy, bien qu'en verité ell'ayt eu ce matin et ayt encor presentement un certain petit, insensible sentiment de ne vouloir plus vivre selon la nature, mais, tant qu'il se pourra, selon la foy, l'esperance et la charité chrestienne, a l'imitation de cet homme angelique qué nous voyons, dans ce profond desert, ne regarder que Dieu et soymesme. O que bienheureux est l'esprit de celuy qui ne void que ces deux objetz, dont l'un le ravit a la dilection souveraine, et l'autre le ravale a l'abjection extreme ! car, que pouvoit dire ce grand hermite, en un lieu ou il n'avoit que Dieu et luy, sinon : « Qui estes vous, Seigneur, et qui suis-je ? »

             Quant a vostre treille, je pense qu'il la faut, pour le present, faire de boys, tandis que vous estes a louage, et qu'il y faut faire une porte, sans que toute la treille s'ouvre ; car, quant a la Profession, le Pontifical reveu [395] et imprimé par ordre du Pape, fait sortir les filles pour venir faire le vœu ; et quant a parer l'autel, on verra si on pourra continuer a faire… Je n'y voy nul inconvenient ; mais il faut subir l'esprit des autres.

            Vrayement, si on veut faire professer ma chere Seur Anastase le jour de la Visitation, je seray bien ayse d'estre l'officiant, et on pourra supplier un de ces seigneurs pour un autre jour ou pour le Dimanche dans l'octave…

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Poitiers. [396]

_____

 

MDXXVIII. A une dame. Pourquoi on ne peut pas recevoir Mme du Tertre à la Visitation de Paris. Réserve et prudence du saint Evêque.

 

Paris, juin 1619.

 

            Madame,

 

            J'ay promis a madame Goulay de vous tenir advertie de ce que j'aurois fait en son affaire, et je tiens parole. Je n'ay encor rien sceu apprendre distinctement de la resolution prise par messieurs du Conseil de Monseigneur le Cardinal de Retz.Je croy neanmoins que je la sçauray ce soir, ayant supplié M. de Pierrevive, son Vicaire general, de m'en esclaircir.

            Mays pourtant, les Seurs de la Visitation disent qu'elles se sont apperceuës que ledit Conseil ne treuve nullement convenable qu'elles reçoivent cette bonne dame, parce que leur Monastere est tout composé de Novices, et si recent en cette ville que la reputation en est delicate, comme regardé curieusement en ce commencement, et [397] regardé de beaucoup d'espritz fort tendres ; que, de plus, ledit Conseil a mis en consideration que mondit seigneur le Cardinal avoit tous-jours declairé qu'il ne souffriroit jamais qu'on y entrast, sinon pour y vouloir demeurer tout a fait : qu'en suite de cela il fut conclu qu'on ne la recevroit point pour quelque tems ; mais que si elle estoit bien tendre et qu'elle voulust estre Religieuse a bon escient, on la pourroit recevoir, comme vous me dites vous [mesme, quand on] auroit bien espreuvé sa vocation, et qu'une des bonnes marques seroit qu'elle se contentast d'aller pour quelque tems en quelqu'un des monasteres de France, pour ensuite revenir icy. Voyla en substance ce que j'en appris hier de la Mere Superieure, laquelle me nomma son autheur, bien digne de foy ; mais parce qu'il n'est pas du Conseil, je m'addressay hier a M. de Pierrevive, qui, je m'asseure, me donnera plus de clarté.

            Cependant, Madame, vous jugeres que si la chose est telle, je ne dois rien dire sur ces Messieurs, estans les interpretes du Prelat ; et n'estant icy qu'en attente de mon depart, je dois en tout et par tout suivre leurs sentimens, outre que ce seul bruit donne tant d'apprehension a ces Seurs, que s'il est vray, je n'oserois leur persuader une reception de laquelle elles auroyent tant de degoust.

Vous mesnageres, s'il vous plait, cet advis, en attendant celuy que je vous donneray soudain que j'auray receu response de monsieur le grand Vicaire ; et tenes moy, je vous en supplie,

            Madame, pour

Vostre bien humble, et tres affectionné serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve. [398]

_____

 

MDXXIX. A Madame Angélique Arnauld, Abbesse de Port-Royal a Maubuisson. Une confession générale faite « a la desrobee. » — Promesse d'un revoir. — Le chemin d'une « excellente sorte de vie. » — Divin compagnon de route ; manière de le suivre. — Méditation du Saint sur la Communion.

 

Paris, 25 juin 1619.

 

            Je ne vous escris pas, ma tres chere Fille, car je n'en ay pas le loysir ce matin, un'ame pressee de retourner aux chams et venant faire sa confession generale a la desrobee m'ostant cette commodité. Je salue seulement vostre chere ame, a laquelle il ne se peut dire combien la mienne chetifve est affectionnee, ne cessant de luy desirer la perfection du divin amour. Et vrayement, je la reverray avant mon depart, s'il se peut, affin que la connoissant encor plus particulierement, je puisse, si Dieu en dispose ainsy, la servir plus a son souhait es occurrences.

            Dites cependant a cette fille bienaymee que je vous ay tant recommandee et que j'ay tant a cœur, que je persevere a luy dire que Dieu la veut tirer a une excellente sorte de vie ; dont elle doit benir cett'infinie Bonté qui l'a regardee de son œil amiable. Mays je luy dis aussi que le chemin par lequel elle doit suivre cette vocation n'est point extraordinaire ; car, ma chere Fille, c'est une douce, paysible et forte humilité, et une tres humble, forte et paysible douceur.

            Dites luy, ma tres chere Fille, qu'elle ne doit en sorte quelcomque penser si elle sera des ames basses ou des hautes, ains qu'elle suive la voye que je luy ay marquee, [399] et qu'elle se repose en Dieu ; qu'elle marche devant iceluy en simplicité et humilité ; qu'elle ne regarde point ou elle va, mais avec qui elle va. Or, j'entens qu'elle va avec son Roy, son Espoux et son Dieu crucifié ; ou qu'ell'aille, elle sera bienheureuse. C'est aller avec l'Espoux crucifié que de s'abaisser, s'humilier, se mespriser soymesme jusques a la mort de toutes nos passions, et je dis jusques a la mort de la croix. Mais, ma chere Fille, notes que je replique que cet abaissement, cett'humilité, ce mespris de soy mesme doit estre prattiqué doucement, paisiblement, constamment, et non seulement suavement, mais allegrement et joyeusement.

            Dites luy qu'elle communie hardiment en paix, avec toute humilité, pour correspondre a cett' Espoux (sic), qui, pour s'unir a nous, s'est aneanti et suavement abaissé, jusques a se rendre nostre viande et pasture, de nous qui sommes la pasture et viande des vers. O ma Fille, qui se communie selon l'esprit de l'Espoux s'aneantit soymesme et dit a Nostre Seigneur : Masches moy, digeres moy, aneantisses moy et convertisses moy en vous. Je ne treuve rien au monde dequoy nous ayons plus de possession et sur quoy nous ayons tant de domination que la viande que nous aneantissons pour nous conserver ; et Nostre Seigneur est venu jusques a cet exces d'amour, que de se rendre viande pour nous. Et nous, que ne devons nous pas faire affin quil nous possede, quil nous manie, quil nous masche, quili nous avale et ravale, qu'il face de nous a son gré ?

Si l'on murmure, sentes-le humblement et amoureusement ; les murmurations se convertiront en benedictions. Du reste, je vous en parleray en presence.

            Ne prenes point garde a bien bastir vos lettres pour me les envoyer, car je ne cherche point les beaux ædifices, ni le langage des Anges, ains les nids des colombes et le langage de la dilection.

            Vives toute a Dieu, ma tres chere Fille, et recommandes souvent a sa Bonté l'ame de celuy qui, d'un'affection invariable, est tout dedié a la vostre.

F., E. d. G. [400]

            Je pensois ne vous escrire que pour vous saluer, mais insensiblement je vous ay escrit.

            Je salue la chere petite fille Seur Marie Angelique de Thouz et luy souhaite un'heureuse perseverance.

            Mon frere vous salue tres humblement, et moy, nos tres cheres Seurs.

            Le 25 juin 1619.

 

            A Madame

Madame l'Abbesse de Port Royal, m. f. (ma fille).

            A Maubuysson.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation de Meaux. [401]

_____

 

 

MDXXX. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. « Quatre lignes pour gage. »

 

Paris, 28 juin 1619.

 

            Monseigneur,

 

            Bien que je n'aye aucun autre sujet d'escrire a Vostre Altesse, si est ce que ayant prié ce gentilhomme, mon ami, et qui est grandement affectionné a la Mayson de Vostre Altesse, de luy faire la reverence de ma part, je luy donne ces quatre lignes pour gage, et en toute humilité je demeure,

            De Vostre Altesse, Monseigneur,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            XXVIII juin 1619, a Paris.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [402]

 

MDXXXI. A un gentilhomme. La clarté de l'Ecriture, et l'obscurité de l'esprit humain. — Contradictions des luthériens et des calvinistes dans l'explication de certains passages. — L'Eglise, gardienne et interprète infaillible de la Parole de Dieu.

 

Paris, 2 juillet 1619.

 

            Monsieur,

 

            Il est fort vray que l'Escriture sacree contient avec beaucoup de clarté la doctrine requise pour vostre salut, et ne pensay jamais le contraire. Il est encor vray que c'est une tres bonne methode d'interpreter l'Escriture sacree de conferer les passages d'icelle les uns avec les autres, et reduire le tout a l'analogie de la foy ; et cela aussi l'ay-je tous-jours dit. Mais toutefois, je ne laisse pas de croire fort asseurement et de dire constamment que, nonobstant cette admirable et amiable clarté de l'Escriture es choses necessaires a salut, l'esprit humain ne treuve pas tous-jours le vray sens d'icelle, ains peut errer, et d'effect erre tres souvent en l'intelligence des passages les plus clairs et les plus necessaires a l'establissement de la foy : tesmoins les erreurs lutheriennes et les livres calvinistes, qui, sous la conduitte des peres de la pretendue reformation, demeurent en une contention irreconciliable sur l'intelligence des paroles de l'institution de l'Eucharistie ; et se vantant l'un et l'autre parti d'avoir soigneusement et fidelement examiné le sens de ces paroles par le rapport de la conference des autres passages de l'Escriture, et le tout adjusté a l'analogie de la foy, demeurent neanmoins contraires en l'intelligence des paroles de si grande importance.

            L'Escriture est donq claire es paroles ; mays l'esprit de l'homme est obscur, et, comme une chouette, ne peut [403] voir cette clarté. La methode susmentionnee est tres bonne, mais l'esprit humain n'en sçait pas user. C'est l'Esprit de Dieu, Monsieur, qui nous a donné l'Escriture, et c'est le mesme Esprit qui en donne le vray sens, et ne le donne qu'a son Eglise, colomne et appuy de verité ; Eglise par le ministere de laquelle ce divin Esprit garde et maintient sa verité, c'est a dire le vray sens de sa Parole ; et Eglise qui seule a l'infallible assistance de l'Esprit de verité, pour bien, deuëment et infalliblement treuver la verité en la Parole de Dieu. Si que, qui cherche la verité de cette celeste Parole hors de l'Eglise qui en est la gardienne, ne la treuvera jamais ; et qui la veut sçavoir autrement que par son ministere, en lieu de la verité, il espousera la vanité ; et en lieu de la certaine clarté de la Parole sacree, il suivra les illusions de ce faux ange, qui se transfigure en ange de lumiere. Ainsy firent jadis tous les heretiques, qui tous ont eu pretexte de mieux entendre l'Escriture et de vouloir reformer l'Eglise, cherchans en vain la verité hors du sein de l'Espouse a laquelle l'Espoux celeste l'avoit confiee, comme a une fidele depositaire et gardienne, qui la distribueroit aux chers enfans du lict nuptial qui est et sera a jamais sans macule.

            C'est donq cela que je vous dis en substance, Monsieur, qui n'est ni de loin ni de pres contraire a la doctrine des saintz Peres allegués par monsieur de Mornay au livre qu'il vous pleut m'envoyer hier au soir, et que je vous renvoye ce matin, avec remerciement et protestation que je desireray continuellement de pouvoir, par quelqu'heureuse occasion, tesmoigner,

            Monsieur, que je suis

Vostre serviteur tres humble en Nostre Seigneur,

FRANÇS E. de Geneve.

            Le 2 julliet 1619. [404]

_____

 

 

MDXXXII. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. Remerciements et soumission. — Le duc et la duchesse de Nemours.

 

Paris, 4 juillet 1619.

 

            Monseigneur,

 

            Je remercie tres humblement Vostre Altesse du soin qu'il luy a pleu de prendre de m'advertir du retour de monsieur Carron, et attendray cependant les commandemens qu'elle me fera pour les affaires qui regardent Monsieur le Duc de Nemours, qu'on m'asseure devoir revenir icy samedi avec Madame sa femme, que l'on dit estre grosse.

            Dieu, par sa bonté, prosperera parfaitement Vostre Altesse, Monseigneur, sil luy plait exaucer les vœux de

Vostre tres humble et tres obeissant orateur

et tres fidele serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Paris, le 4 julliet 1619.

            Monseigneur, j'ay veu madame de Saint George de la part de Vostre Altesse, a qui elle bayse tres humblement les mains et luy fait la reverence, avec action de graces de la souvenance qu'ell' a eu d'elle.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat. [405]

_____

 

MDXXXIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Une protectrice pour la Visitation. — Préparatifs d'une cérémonie de profession.

 

Paris, vers le 8 juillet 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Il est meshuy tems que je vous rende comte de ces deux ou troys jours.

            Hier vous sceustes que Mme la Marquise de Verneüil estoit allee aux chams. Aujourdhuy j'ay veu Mme la Comtesse de Soyssons, qui a receu avec accueil la supplication que je luy ay faite de recevoir la petite Congregation en sa protection, et m'a dit qu'on s'addressat a elle en toutes occurrences.

            Ce matin j'ay eu un'emotion de ventre qui m'a retenu au logis. Je meurs d'envie de vous aller voir et entretenir, et nos cheres Seurs. Il faut præparer tout ce qui sera requis pour la profession, et pour cela j'iray demain a quelque heure concerter avec vous. Et ayant pensé a ce que vous me dites des habitz et de la demande qui s'en fait, j'incline qu'on la retranche ; mays nous verrons. [406]

            J'ay veu vostre papier, ma tres chere Mere, et j'en parleray quand vous voudres a vostre cœur, que Dieu par sa bonté veuille combler de felicité comme le mien propre.

            Je donne le bon soir a ma fille, et a toutes nos Seurs, et aux pauvres malades.

 

Revu sur l'Autographe conservé à la Visitation du Mans.

_____

 

MDXXXIV. Au Duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier. Témoignage en faveur du collatéral de Quoex. — Quelle correction permettent l'équité et la clémence pour des fautes sans malice. — Espérance en la bonté du prince.

 

Paris, 11 juillet 1619.

 

            Monseigneur,

 

            Ayant sceu la peine en laquelle se treuve le sieur collateral de Quoëx, detenu es prisons de Chamberi pour la somme d'environ mille ducatons, esquelz il a esté condamné par quelques uns des seigneurs senateurs et maistres des Comptes a ce deputés specialement ; asseuré que [407] je suis d'ailleurs, qu'en tout ce dont il a esté chargé il n'a commis aucune faute malitieuse, ni manqué en chose quelcomque a la tres humble sujettion qu'il doit a Vostre Altesse, en laquelle et luy et tous les siens ont tous-jours vescu tres fidelement ; et de plus, estant fidele tesmoin qu'en l'occasion qui se presenta en Genevoys, il y a quatre ans, et luy et son frere rendirent force bons et laborieux tesmoignages de leur zele au service de Vostre Altesse, je ne puis m'empescher de la supplier tres humblement et, si elle me permet, de la conjurer par sa propre bonté de tendre sa main secourable a cet homme de bien et d'honneur, pour le retirer de la ruine en laquelle son malheur, et non aucun forfait, le va precipiter.

            Il n'y a au monde personne si sage ni si juste auquel on ne treuve quelque chose a censurer, si a toute rigueur et curieusement on espluche par le menu la suite des actions de plusieurs annees ; mays, Monseigneur, quand les fautes sont sans malice, sans dol, sans mauvaise intention et de. nulle consequence, la clemence des grans Princes, ni mesme l'equité, ne permet pas a leur justice d'user d'autre correction que de celle d'une reprehension et d'un advertissement. Et sur tout, Monseigneur, la debonaireté et grandeur de courage de Vostre Altesse n'a jamais manqué de support pour les bons ; qui me fait esperer que celuy ci en treuvera encor abondamment, et que ma tres humble supplication sera receuë aggreablement, comme conforme a la magnanimité que chacun admire en Vostre [408] Altesse, a laquelle souhaitant incessamment toute sainte prosperité,

            Monseigneur, je suis invariablement,

Tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            Paris, 11 julliet 1619.

 

Revu sur une ancienne copie conservée à Turin, Biblioteca civica.

_____

 

MDXXXV. A la Mère de Chantal, a Paris. Le Saint, malade, traité par une « archimedecine. » — Confessions avant de « s'en aller aux chams. »

 

Paris, vers le 22 juillet 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

 

            Il est vray que je suis revenu tout gay, a mon advis. Les cinq premiers jours de mon sejour a [Maubuisson] [409] je fus travaillé de foiblesse et d'inquietude ; la femme de Port Royal, qui est une archimedecine, me traitta tout a fait comme il le failloit, avec de l'eau de rhubarbe que je meslay avec mon vin, qui me purgea et me restreignit insensiblement. Despuis, je me porte bien, non pas pour aller faire encor de grans effortz, mais pour me renforcer de jour en jour.

            Si je puis, je vous iray voir cet apres disner, non toutefois pour vous entretenir, mays c'est apres avoir confessé des dames qui n'attendent que cela pour s'en aller aux chams ; et je ne voy pas que passé cela je me treuve fort occupé que pour aller dire mes adieux tout bellement.

            Bon jour, ma chere Mere ; Nostre Seigneur soit au milieu de nostre cœur. Amen.

FRANÇS, E. de Geneve.

_____

 

MDXXXVI. Au Prince de Piémont, Victor-Amédée. La détresse du duc de Nemours. — François de Sales appuie sa cause. — Désir de l'Evêque de retourner en son diocèse.

 

Paris, 29 juillet 1619.

 

            Monseigneur,

 

            La lettre que Vostre Altesse a escrit a Monsieur le Duc de Nemours a esté receue par luy trois jours avant que la copie m'ayt esté remise en main, de sorte que des-ja il m'avoit parlé sur le sujet d'icelle, non sans se douloir du retardement pour l'article qui regarde son payement, deu par le sieur Bonfilz des il y a long tems, a ce qu'il dit, et par le manquement duquel toute sa mayson et ses affaires sont extremement incommodés ; dont il ne peut esperer le remede que de la [410] promesse qu'il a pleu a Vostre Altesse de luy faire, d'avoir du soin et de la bienveuillance pour luy qui, a la verité, n'est pas sans beaucoup d'inquietude parmi la necessité en laquelle il se treuvé (sic), ayant si peu de revenuz de deça, ou ses terres sont presque toutes engagees, et ne jouissant de celuy qu'il [a] en Savoye, qui est son fond principal. Je me suis essayé de le soulager de parole et d'accroistre la confiance qu'il a en Vostre Altesse, selon le commandement delaquelle j'arresteray ou partiray ainsy qu'il luy plaira, ne doutant point qu'elle ne face toute la consideration requise du devoir que j'ay de retourner en ma residence, soudain qu'elle jugera que mon retardement de deça ne pourra plus estre utile a son service.

            Et tandis, priant Dieu pour la prosperité de Vostre Altesse, Monseigneur, je suis,

Vostre tres humble, tres obeissant et tres fidele

orateur et serviteur,

FRANÇS, E. de Geneve.

            A Paris, le 29 julliet 1619.

 

Revu sur l'Autographe conservé à Turin, Archives de l'Etat.

_____

 

MDXXXVII. A la Mère de Bréchard, Supérieure de la Visitation de Moulins. Une jeune veuve qui désire la vocation religieuse. — Pourquoi le saint Fondateur a choisi le monastère de Moulins pour sa retraite. — De quelle tyrannie délivrer cette âme, quel joug lui imposer.

 

Paris, vers la fin de juillet 1619.

 

            Ma tres chere Fille,

 

            Vous recevres cette lettre, Dieu aydant, par les mains [411] de madamoyselle du [Tertre], grandement bien apparentee en cette ville, laquelle estant demeuree vefve despuis peu et s'estant resolue a ne plus rentrer dans les liens du mariage, a creu de ne pouvoir mieux conserver sa resolution que dans l'estat religieux, auquel neanmoins ne sentant pas pour encor une si forte affection qu'elle souhaiteroit pour pouvoir d'abord s'y engager, elle a nonobstant un desir si grand de s'y voir arrestee, qu'elle veut rechercher cette grace de Dieu es lieux ou elle espere qu'elle luy sera plus facilement accordee. Et pour cela elle a choysi entre toutes les Congregations celle de la Visitation, ou elle pretend qu'estant retiree, Dieu l'inspirera plus fortement qu'ailleurs, et que la cordiale douceur et charité dont on y fait profession servira de moyen a la divine Providence pour cet effect.

            A cette occasion donq, ma tres chere Fille, nostre bonne Mere et moy vous l'envoyons, et avons fait cette eslection pour elle comme la plus convenable, dont elle mesme vous dira franchement toutes les autres raysons. Mais je vous diray celle ci, que vous ne croiries pas si aysement de sa bouche : c'est que nous desirons grandement qu'elle soit conduitte a la vraye connoissance et prattique de la vie devote. Et parce que jusques a present elle a esté maistresse de soy mesme, et que, pour la bien et utilement mettre au vray chemin de la vie spirituelle, il faut doucement et amoureusement et prudemment la delivrer de cette ancienne et tyrannique sujettion, pour luy imposer le gratieux joug et la douce maistrise que le Saint Esprit veut avoir sur son ame, nous avons pris cette confiance en vostre charité, que vous prendries volontier ce soin et sçauries employer les moyens convenables. Je la voy toute franche, toute desireuse de reposer en la grace de Dieu, toute desireuse de se laisser gouverner a quelque main amie et lasse de se gouverner soy mesme. En somme, j'ayme en elle certaine marque de bonté, qui me fait esperer qu'un jour elle sera bonne servante de Dieu. Elle ne demandera point d'exception, ni pour la [412] rigueur de la clausure, ni pour toute la bienseance qu'on doit observer en vostre Mayson, a parler aux estrangers, donner ou recevoir des lettres, ni pour toutes telles occasions qui sont requises d'estre soigneusement gardees.

            En fin, je vous dis trop de choses, a vous qui m'entendes si bien, ma tres chere Fille. Je la recommande, en un mot, a vostre douceur et prudence, a vostre zele et condescendance, a vostre vigilance et gratieuse conduitte.

            Monsieur de N. m'a envoyé une requeste pour estre presentee au Roy de vostre part. Je ne l'ay sceu faire jusques a present ; mais si je puis, penses si je le feray de tout mon cœur, tout tel que je suis, qui ne suis ni bon demandeur ni bon defendeur. Je vous escris a moytié malade, avec tant de distractions que je ne sçai si vous m'entendres bien ; nostre Mere suppleera par la sienne.

            Dieu soit a jamais au milieu de vostre cœur, de vostre petit troupeau et de toute cette Congregation.

            Je suis en luy,

Vostre tres humble frere, oncle et serviteur,

FRANCS, E. de Geneve.

            Encor faut il que je vous die, que la retraitte de cette damoyselle en la Congregation a esté appreuvee par tout le Conseil de Monseigneur le Cardinal, luy absent, et notamment par le R. P. B[inet], bien qu'elle ayt declairé qu'elle n'avoit que le desir d'estre inspiree a demeurer en l'estat religieux ; et si la Mayson d'icy n'eust esté toute en noviciat, incommodee de logis et embarrassee de tant de visites, nous l'eussions retenue tres volontier. [413]

_____

 

 

MDXXXVIII. A la Mère de Chantal, a Paris. Obligeante intervention de M. de Neufchèzes dans une affaire. — Le saint Evêque, malade, est obligé de contremander plusieurs sermons.

 

Paris, 31 juillet 1619.

 

            Les lettres sont de M. de Neufcheze, vostre neveu bien-aymé, qui me fit la faveur de se charger d'une requeste que j'avois addressee au Clergé pour M. Boucard, et a obtenu cent escus de pension annuelle. Reste que je m'essaye de gaigner ceux qui doivent les delivrer.

            Ce matin, a quatre heures, le flux de ventre m'a repris, et m'a mené huit ou neuf fois jusqu'a disné. Il semble que cela soit un peu accoysé maintenant ; c'est pourquoy j'ay envoyé a ces bonnes dames leur dire que sur les deux heures je pourray avoir l'honneur de leur visite ; et si monsieur de Meneville venoit sur les quatre heures, j'en serois bien ayse.

            Cependant il faut avoir patience de demeurer sans vous voir pour ce jourd'huy, et de demeurer sans rien faire ; car j'ay contremandé par tout ou j'avois promis de prescher, et, ce qui m'a bien fasché, j'ay contremandé le Pere Recteur du Noviciat des Jesuites, qui a les Quarante Heures et les octaves du bienheureux Ignace, duquel j'avois desir de parler. Mays il faut demeurer en [414] paix en tout nostre cœur, et unis en la tressainte volonté de Nostre Seigneur.

            Bon soir, ma tres chere Mere. J'ay grand desir de vous entretenir et apprendre de vous les pensees de vostre bon Seigneur de Lion. La bonne Mere de Port Royal me prie de la recommander de rechef a vos prieres : je le fay de tout mon cœur.

            Dieu soit a jamais vostre vie, ma tres chere Mere, Amen ; et de toute vostre petite trouppe. Amen.

FRANCS, E. de Geneve.

            Le 31 julliet 1619.

_____

 

 

MDXXXIX. A Madame de Villesavin. Un même trésor pour tous les cœurs des enfants de Dieu. — Ne pas se lasser ni lasser les autres par la longueur des exercices spirituels. — Conduite à tenir dans les conversations. — Chasser la tristesse. — Envoi d'une méthode pour s'unir à Notre-Seigneur.

 

Paris, juillet-août 1619.

 

            Ne croyes jamais, ma tres chere Fille, que la distance des lieux puisse separer les ames que Dieu a unies par les [415] liens de sa dilection. Les enfans du siecle sont tous separés les uns des autres parce qu'ilz ont les cœurs en divers lieux ; mais les enfans de Dieu ayant leur cœur ou est leur thresor, et n'ayant tous qu'un mesme thresor qui est le mesme Dieu, ilz sont par consequent tous-jours jointz et unis ensemble. Sur cela, il faut soulager nos espritz en la necessité qui vous tient hors de cette ville ; ce qui m'en fera aussi bien tost partir pour retourner en ma charge. Nous nous reverrons bien souvent aupres de nostre saint Crucifix, si nous observons bien les paroles que nous nous en sommes donné ; aussi bien est ce la ou les entreveuës sont uniquement profitables.

            Cependant, ma tres chere Fille, je commenceray a vous dire que vous deves fortifier par tous les moyens possibles vostre esprit contre ces vaines apprehensions qui ont accoustumé de l'agiter et tourmenter. Et pour cela, reglés premierement vos exercices en telle sorte, que la longueur ne lasse point vostre ame et ne fasche point celles de ceux avec lesquelz Dieu vous fait vivre. Un demy quart d'heure, et moins encor, suffit pour la preparation du matin ; trois quartz d'heure ou une heure pour la Messe, et, parmi le jour, quelques eslevations d'esprit en Dieu, qui n'occupent point de tems, ains se font en un seul moment ; et l'examen de conscience le soir avant le repos, laissant a part les benedictions et actions de graces de table, qui sont ordinaires, et qui tiennent lieu de reunion de vostre cœur avec Dieu. En un mot, je voudrois que vous fussies toute Philothee, et que vous ne fussies rien plus que cela : c'est a dire, que vous fussies comme je marque au livre de l'Introduction, qui est fait pour vous et vos semblables.

            Es conversations, ma tres chere Fille, soyes en paix de tout ce qu'on y dit et qu'on y fait ; car s'il est bon, vous aves dequoy louer Dieu ; et s'il est mauvais, vous aves dequoy servir Dieu en destournant vostre cœur de cela, sans faire ni l'estonnee ni la fascheuse, puisque vous n'en pouves mais et n'aves pas asses de credit pour divertir les mauvaises paroles de ceux qui les veulent dire, et qui en diront encor de pires si on fait semblant de les vouloir [416] empescher ; car ainsy faysant, vous demeureres toute innocente parmi les sifflemens des serpens, et, comme une aymable fraise, vous ne contracteres aucun venin par le commerce des langues veneneuses.

            Je ne puis penser comme vous pouves admettre ces desmesurees tristesses dans vostre cœur, estant fille de Dieu, remise il y a long tems dans le sein de sa misericorde et consacree a son amour. Vous vous deves soulager vous mesme, mesprisant toutes ces suggestions tristes et melancholiques que l'ennemi nous fait avec le seul dessein de nous lasser et tracasser.

            Prenes bien garde a bien prattiquer l'humble douceur que vous deves au cher mari et a tout le monde, car c'est la vertu des vertus que Nostre Seigneur nous a tant recommandee ; et s'il vous arrive d'y contrevenir, ne vous troubles point, ains, avec toute confiance, remettes vous sur pied pour marcher de rechef en paix et douceur comme auparavant.

            Je vous envoye une petite methode de vous unir a Nostre Seigneur le matin et toute la journee.

            Voyla, ma chere Fille, ce que, pour le present, j'ay pensé vous devoir estre dit pour vostre consolation. Reste que je vous prie de ne point vous mettre a faire des ceremonies avec moy, qui n'ay ni le loysir ni la volonté d'en faire avec vous. Escrives moy quand il vous plaira en toute liberté, car je recevray tous-jours a contentement de sçavoir des nouvelles de vostre ame, que la mienne cherit parfaitement, comme en verité, ma tres chere Fille, je suis

Vostre plus humble serviteur en Nostre Seigneur,

FRANÇS E. de Geneve. [417]

_____

 

 

MDXL. A la Mère de Chantal, a Paris. Programme d'une journée.

 

Paris, [fin mai-août] 1619.

 

            Ma tres chere Mere,

            Je m'en vay a la reception de la Religieuse ; de la, je vay disner avec M. vostre frere, chez M. d'Origni ; de la, a l'assemblee qui se fait pour nos affaires, ou j'auray besoin d'une Regie, car on en parlera, et je n'en ay plus. Recommandes l'affaire a Nostre Seigneur, et m'envoyes donques encor une de ces Regles ; et bon jour de tout mon cœur.

 

Revu sur une copie déclarée authentique, conservée à Turin, Archives de l'Etat. [418]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Appendice

 [419]

 

______

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les notes marginales indiquent la corrélation des pièces de l'Appendice

avec le texte des Lettres de saint François de Sales. [420]

 

 

I. Lettres adressées a Saint François de Sales par quelques correspondants

_____

 

 

A. Lettre de la Mère Favre, Supérieure de la Visitation de Lyon

_____

 

 

VIVE † JESUS

 

            Monseigneur,

 

            Ce mot est pour vous saluer en toute humilité et nous plaindre de ce que nous n'aurons point l'honneur de vous voir selon que nous le croyions, ma sœur Barbe Marie nous assurant que vous n'allez pas à Paris, ains à Grenoble. Nous voilà donc privée de cette incomparable consolation que nous attendions avec tant d'ardeur et d'affection : Dieu en soit béni, et nous fasse la grâce de ne jamais rien désirer que l'accomplissement de sa très sainte et adorable volonté.

            Il faut avouer, mon très honoré Père, que nous sommes mortifiée tout à fait, bien que de l'autre côté nous soyons consolée d'avoir de quoi offrir à Notre-Seigneur la privation du bonheur de vous entretenir, selon que nous nous étions promis de le faire amplement, et en ayant nécessité. Oh ! Dieu soit béni de rechef de tout ce qu'il permet.

            Nous serons toujours contente en l'assurance que nous avons, [421] Monseigneur, d'avoir part en vos saintes prières, en qualité de celle qui est et sera éternellement,

            Monseigneur,

Votre très humble et plus obéissante fille et servante

en Notre-Seigneur,

M. J. FAVRE de la Visitation.

Dieu soit béni.

            De Lyon, ce 26 septembre 1617.

 

            A Monseigneur

Monseigneur le Rmo Evesque et Prince de Genesve.

            A Nicy.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à la Visitation d'Annecy.

_____

 

B. Lettre de Charles-Emmanuel Ier, Duc de Savoie

_____

 

            Tres Reverend, tres cher, bien amé et feal Conseiller et devost Orateur,

 

            Monseigneur le Mareschal des Diguieres nous a faict instance de vous permettre d'aller prescher le Caresme prochain a Grenoble. Nous la luy avons volontiers accordee pour le fruict que Nous esperons que ce lieu la en tirera. Vous vous y disposerez donc de bonne heure, sans attendre plus expresse licence de nostre part.

            Et Dieu vous ayt en sa saincte garde.

            De Thurin, ce 14e d'octobre 1617.

Le Duc de Savoye,

C. EMANUEL.

            CREST.

 

A l'Evesque de Geneve.

 

Revu sur le texte inséré dans le IId Procès de Canonisation. [422]

_____

 

 

C. Lettre du Cardinal Robert Bellarmin (Fragment)

_____

 

……………………………………………………………………………………………………..

            Quod attinet ad explicationem illam in Apostolum Paulum, cujus memini in opusculo ad Cardinalem Farnesium, litteralem, dogmaticam et moralem, jam scripseram in primum caput Epistolæ ad Romanos, cum animadverti supra vires meas esse laborem illum. Nam præter incommoda senectutis, plurimis urgeor et premor occupationibus gravissimis…

             [1617.]

_____

 

D. Bref se Sa Sainteté Paul V

_____

 

Venerabili Fratri Episcopo Gebennensi

PAULUS PP. V.

 

            Venerabilis Frater, salutem et Apostolicam Benedictionem.

 

            Sacri Apostolatus ministerio, meritis licet imparibus, Divina dispositione præsidentes, inter cætera cordis Nostri desiderabilia circa ea per quæ Majestas Altissimi ubique collaudetur cultusque sui gloriosissimi nominis amplietur, et ad illius laudem et gloriam, Monasteriorum et aliorum regularium locorum ac personarum, præsertim fœminei sexus, sub suavi Religionis jugo studio piæ vitæ Altissimo [423] famulantium, numerus augeatur, sollicitudinis Nostra studium libenter convertimus. Et ut pia Catholicorum Principum id exoptantium vota optatum sortiantur effectum, opem et operarti, quantum Nobis ex Alto conceditur, impendimus efficaces, prout ad Divini nominis exaltationem et animarum salutem in Domino conspicimus salubriter expedire.

            Cum itaque, sicut ex insinuatione dilecti filli nobilis viri Caroli Emmanuelis, Sabaudiæ Ducis, accepimus, in oppido Annecii, Gebennensis diocesis, nonnullæ honestæ mulieres, studio melioris vitæ ac pio religionis desiderio ductæ, in quandam domum ejusdem oppidi jam a multis annis se receperint ; inibique pie et devote viventes, Officium parvum Beatæ Mariæ Virginis singulis diebus recitare consueverint ; si vero domus prædicta ad formam Monasterii reduceretur, et in Monasterium Monialium ut infra erigeretur, ex hoc profecto saluti animarum dictarum mulierum cum Divini cultus augmento et spirituali incolarum dicti oppidi consolatione peramplius consuleretur : Nobis propterea dictus Carolus Emmanuel, Dux, humiliter supplicare fecit quatenus domum prædictam in Monasterium Monialium Ordinis Sancti Augustini erigere, et alias ut infra indulgere, de benignitate Apostolica dignaremur.

            Nos igitur, qui Divini cultus augmentum et Christianæ religionis propagationem sinceris desideramus affectibus, prædictum Carolum Emmanuelem, Ducem, a quibusvis excommunicationis, suspensionis et interdicti, aliisque Ecclesiasticis sententiis, censuris et pœnis, a jure vel ab homine quavis occasione vel causa latis, si quibus quomodolibet innodatus existit, ad effectum præsentium dumtaxat consequendum, harum serie absolventes et absolutum fore censentes, hujusmodi supplicationibus inclinati, Fraternitati Tuæ per præsentes committimus et mandamus quatenus, si est ita, in prædicta domo, si et postquam illa ad formam Monasterii reducta, et debita clausura munita, sacraque et profana suppellectili luculenter instructa, illique tot census, redditus, proprietates et bona stabilia, quorum annuus valor ad competentem Monasterii dotem, ac illius Abbatissæ, seu Priorissæ, et Monialium congruam sustentationem onerumque illis incumbentium supportationem sufficiat, perpetuo dotata et assignata fuerint, unum Monasterium Monialium Ordinis Sancti Augustini, cum ecclesia, campanili, campanis, cœmiterio, claustro, refectorio, dormitorio, hortis, hortalitiis cæterisque officinis et membris necessariis pro una Abbatissa, seu Priorissa, et competenti Monialium numero quæ inibi, juxta regularia ejusdem Ordinis instituta, sub illius regulari habitu Altissimo perpetuo famulentur, Divinisque laudibus insistant, ac alias in omnibus et per omnia, ad instar aliorum Monasteriorum Monialium dicti Ordinis, perpetuo, sine alicujus [424] præjudicio, auctoritate Nostra Apostolica erigas et instituas. Illique sic erecto et instituto, pro ejus dote ac manutentione, ac illius Abbatissæ, seu Priorissæ, et Monialium aliarumque personarum sustentatione, ac onerum illis incumbentium supportatione, omnia et singula tam mobilia quam immobilia bona quomodolibet nuncupata, per quoscumque Christi fideles ipsi Monasterio donanda et assignanda, simili auctoritate etiam perpetuo applices et appropries. Necnon eidem Monasterio, ac illius pro tempore existenti Abbatissæ, seu Priorissæ, et Monialibus, ministris et personis, eorumque rebus et bonis, ut omnibus et singulis privilegiis, facultatibus, prærogativis, gratiis, concessionibus et indultis, tam spiritualibus quam temporalibus, quibus alia Monialium Monasteria dicti Ordinis de jure, usu, statutu, consuetudine aut alias quomodolibet utuntur, fruuntur, potiuntur et gaudent, ac uti, frui, potiri et gaudere possunt et poterunt quomodolibet in futurum similiter et seque principaliter, absque ulla prorsus differenza, uti, frui, potiri et gaudere, ipsisque Abbatissæ, seu Priorissæ, ac Monialibus ; ut ad septennium tantum, Officium Beate Mariæ Virginis parvum nuncupatum, juxta rubricas Breviarii Romani recitare libere et licite possint et valeant, illæque Officium hujusmodi recitando, ut præfertur, obligationi Officium Divinum juxta statuta ejusdem Ordinis Apostolica auctoritate confirmata, recitandi, in omnibus et per omnia satisfaciant, eadem auctoritate concedas et indulgeas. Super quibus omnibus et singulis plenam, liberam et amplam facultatem et auctoritatem, auctoritate et tenore similibus, tribuimus et impartimur. Nonobstantibus Constitutionibus et Ordinationibus Apostolicis, necnon Monasterii et Ordinis prædictorum, etiam juramento, confirmatione Apostolica, vel quavis firmitate alia roboratis, privilegiis quoque indultis et litteris Apostolicis in contrarium præmissorum quomodolibet concessis, confirmatis et innovatis. Quibus omnibus et singulis eorum tenore præsentibus pro piene et sufficienter expressis et ad Mot insertis habentes, illis alias in suo robore permansuris, hac vice dumtaxat specialiter et expresse derogamus, cæterisque contrariis quibuscumque.

            Datum Romæ, apud Sanctam Mariam Majorem, sub annulo Piscatoris, die vigesima tertia Aprilis, millesimo sexcentesimo decimo octavo, Pontificatus Nostri anno tertio decimo.

S. Card. S. SUSANNÆ.

 

Revu sur le texte inséré dans les Registres de l'ancien Evêché de Genève. [425]

_____

 

 

E. Lettre des Avoyers et du Conseil de la Ville de Fribourg

_____

 

            Reverendissime et Illustrissime Seigneur,

 

            Le present nostre bien aÿmé bourgeois, docte et devot Balthasar Wäber, duquel jusques a present n'avons resentÿ que toute pieté et bons comportemens, desirant recepvoir les derniers Ordres de prestrise de Vostre Reverendissime Paternité, merite d'estre recommandé. C'est pourquoÿ ne l'avons point voulu laisser partir sans les presentes, par lesquelles prions tres affectueusement Vostre Seigneurie Reverendissime de l'avancer et luÿ prester toute faveur et aide, si que il soÿ (se) puisse louer avoir jouÿ de ceste nostre intercession : Nous paroffrans en toutes les occasions de nous en revancher, prians le Tout Puissant et sa saincte Mere de conserver Vostre Paternité en bonne prosperité.

            6 septembre 1618.

 

Revu sur une ancienne copie inédite, conservée aux Archives

de l'Etat de Fribourg, Missival, N° 37, p. 558.

_____

F. Lettre de M. Etienne Dunant, Curé de Gex

_____

 

             Monseigneur,

 

            Pour obeir a vos commandemens de respondre aux vostres sur l'avis que vouléz avoir touchant l'establissement que vous vouléz faire de la pension du sr Curé quil vous plaira institüér de la cure de [426] Sacconex, il est certain que pour ce effect il est necessaire de chercher aillieurs des moyens pour luy donnér quelque honneste commodité pour s'entretenir ; car ladicte cure d'a present ne sçauroit avoir guiere davantage de 300 a 400 florins, monoye de Geneve. Or ce pendant, quand a Vernier, Matigni et Meirin, mentionnees dans les vostres, il me semble que l'ont (sic) ne pourroit affectér le revenu, soit les diesmes, de toutes troys, pour rendre bonne Sacconex, sans interesser grandement icelles paroisses, et par consequent d'autres qui demeuroient (sic) desertes ; et ainsi l'ont mescontenteroit beaucoup de gens. A mon avis, l'ont ne peut du moins que de prouvoir les cures qui auront honnestement de quoy pour l'entretient d'un sr Curé, et principalement si les habitantz des lieux les requirent : comment a Grilly, Versoix, Chevry, ou les paroissiens (dis je) se plaignent de ce que ilz n'ont point de Curéz et qu'ont transporte le revenu autre part.

            Quant a celles qui ont les biens venduz ou alienéz, et ce pendant il est requis d'y establir des ecclesiastiques, comme Sacconex, Ornex, Thoiry, voisines des autres, Matigni, Vernier et Meirin, il serait expedient, voire necessaire, sçavoir a quoy monte tout le revenu des biens ecclesiastiques de ce Bailliage generalement, et, selon la porté desdicts biens, les distribüér a chasque cure comme l'ont recognoistroit estre de besoing, et non pas demembrér le corps de l'ceconomie pour accommoder un particulier. Et partant, puisqu'il vous plaict de faire un establissement general et parfaict de toutes les cures, si vous estiés de retour moyennant la grace de Dieu, vous pourriéz remettre ce qui est de Sacconex avec les autres ; et ainsi, pour une bonne foys, vous vous delivreriéz de plusieurs ennuÿs que vous en recevés a l'ordinaire. Je me crain fort que serés forcé de ce faire au plustost, et rompre cette œconomie qui mange une partie du revenu tant pour une chose que pour autre. A grand peine les sieurs Curéz sont payéz, les debtes point ; les bastimentz des eglises vont a ruine pour n'y faire aulcunes reparations.

            Monsieur Roges, de vostre part, a voulu instituer M. Poncet de la cure de Sacconex, comme vacante, lequel ne l'a osé acceptér que premierement il ne puisse veoir quelque revenu certain ; ce (sic) soubmettant et remettant le tout a vostre bien heureux et desiré retour et bon plaisir. Au reste, il en a pris la gardiature et charge dy faire le service divin, de quoy monsieur Cheynel n'en est pas [427] autrement content. Ce pendant hier, a ma presence, il promit a monsieur Poncet de luy remettre et quittér ledit benefice d'icy a Noel, n'attendant autre que de recouvrer tout ce que luy est deub de sa pension, et vous en donner avis. Si vous trouvés bon que cela soit, lors monsieur Gobet, au lieu de Versoix (qui est un lieu plus important et qui requier un homme bien capable), pourroit estre institué de Sessy. Monsieur Bernard aussy desireroit d'y venir, mais il seroit plus necessaire audit Versoix, si sa volonté y acquiesce.

            Au reste, les catholiques dudit Versoix se plaignent grandement de ce que Mr Gobet ny faict aucun service, et ny a moyen qu'il y fasse, puis qu'il ne reçoit aucune commodité pour y vivre et qu'il n'y a lieu pour y celebrér. Mais je luy ay faict entendre que, ou il entrera en payement, qu'il fasse son devoir et service en l'eglise de Souvernier, toute proche de Versoix et de l'habitation de monsieur de Cottalliod : et ainsi il consoleroit tous ces bons catholiques de part dela.

            A faute que ledit sr Cottalliod ne peut obtenir de monsieur Jaquin ce qu'il vous a pleu ordonnér pour son filz, j'ay esté contrain moy-mesme de prendre ce jeune homme avec moy, pour consoler le pere et la mere qui sont fort pauvres. Le petit filz de Montanier, l'ayant aussy gardé deux moys, est maintenant a Tonon, et son pere vous en rend un monde d'actions de graces, encores quil ne ce soit prevalu de ce que luy avéz ottroyé. Verne (sic) Israelita, et dignus tanti beneficii. M. Paris n'en a pas esté content, ne regardant qu'a son profit particulier ; lequel ne m'en veut point du bien, ne m'ayant jamais voulu rendre les clefz de ma cure, dans la quelle je l'avoys logé gratuitement pour luy faire du bien, luy ayant encor accomodé d'un jardin 3 ou 4 annees. Pour toute recompence, il m'a refusé les clefz, comme aussy les robbes que vous aviéz commandé de faire pour les enfantz qui respondroient les Messes. Je desiroys les donnér a des pauvres petitz enfantz tout nuds, et paroissiens, qui portent l'eau beniste par les maysons, qui seroient tres contens de les avoir et servir les Messes cum decóre. J'en ay prié Mr Paris les me vouloir rendre, lequel n'a jamais voulu ce faire.

            Pour cela, ny pour autres choses, n'ayez, Monseigneur, aulcune doubte quil en survienne aucun desordre, car je prometz a Vostre Reverendissime Seigneurie que je m'armeray d'une forte patience jusques a ce que, par vostre ordonnance, droict soit faict a un chescun. Ce pendant, je ne cesseray jamais, apres un tres humble baisemains, suppliér la divine clemence vous preservér longuement sur [428] terre pour son service et consolations de vos peuples et diocœsains, et rendre vostre voyage heureux pour le bien et respiration de la patrie.

            Dieu soit en vostre garde. Amen. Demeurant,

            Monseigneur,

Vostre tres humble, tres obeissant et fidelle S. et serviteur,

DUNANT, Curé de Gex.

            Ce XIII octobre 1618.

            Monseigneur, permettéz moy que je vous donne avis des empeschementz que ceux de la r. p. r. apportent aux catholiques en plusieurs lieux du Balliage : comme a Divonne, les habitans du lieu n'ont jamais permis qu'aucun catholique si soit retiré ; des particuliers y ont battus et blessés monsieur le Curé, l'ayant aggressé sur le chemin pour le vouloir tüer. comme conste par les informations prinses, lesquelles le sr Curé n'a voulu poursuivre, voyant la difficulté et longueur de la Justice de Gex.

            Dernierement, les R. P. Cappucins estantz au pays de Vaux, dans le chasteau de monsieur de Prengin de Grang Cour. seigneur de Fribourg, les domestiques se plaignoient a eux qu'ilz viendroient (sic) volontier venir a Divonne (lieu plus proche) pour ouyr la S. Messe, mais quilz n'osoient a cause d'eux qui ne le veulent permettre.

            La sepmaine passee arriva un cas fort estrange a la maison dudit sr Curé, par lequel ce peut veoir de quel esprit sont guidez les auteurs d'iceluy, qui sont gens du lieu. Certaine femme, sous l'ombre d'amitié, donne a une petite niepce quil a avec soy, aagée de quelques 15 ou 16 annees, des pommes en quelque quantité. Jaçoit que la dicte fille fit tous les refus de les accepter, de peur de desobeir a Mr sondit oncle, les reçoit neantmoins ; mais, par la volonté de Dieu, au lieu de les manger elle les jette au feu pour les cuire, au moins une partie. Voicy que ces pommes estant chaudes, qu'elles sautent toutes hors du feu, les unes en haut, les autres par la chambre, avec du bruit. La fille voyant cela, estant toute espouvantee d'un tel stratageme, sort dehors a la rue, appelle une femme pour venir voir telle chose ; retornent dedans, mettent le reste des dictes pommes au feu, arrive le semblable. Que peut lon pensér quil fut arrivé a ceste creature si elle en eust mangé ? Enfin, si Dieu ne nous avoit en sa ste protection, jamdudum consumpti essemus.

 

Revu sur l'Autographe inédit conservé à la Visitation d'Annecy. [429]

_____

 

 

G. Lettre du Président Crespin

_____

 

            Monseigneur,

 

            Je ne pouvoy entendre une nouvelle plus aggreable que celle que monsieur de Medio a donné à Monseigneur le Rme de vostre voiage de Paris, avec Monseigneur le Prince Cardinal, vous voiant regardé sur le theatre de ce grand monde de deçà comme l'instrument plus considerable pour conduire à heureuse fin l'alliance d'un si illustre et si vertueux Prince, avec une si grande Princesse que Madame de France ; y aiant pour associé monsieur le premier President, à qui l'envie eust volontiers ravy cet honneur, si son merite ne le luy eust conservé.

            Et comme, Monseigneur, vous m'avez tousjours favorisé de lhonneur de vostre amitié, c'est en l'occasion de ceste commune resjouissance que je desire d'en ressentir principalement les effects, sur l'asseurance que j'ay que le tort que monsieur de la Mente m'a fait luy estant representé par vous, Monseigneur, vostre respect adoucira sa passion et le fera rougir en son ame de la perfidie premierement, et despuis de l'impie cruauté avec laquelle il s'emporte en mon endroict, en recompense de mon affection, delaquelle monsieur le Presidant peut estre tesmoing. sil luy plait de se resouvenir combien de fois je le suis allé importuner pour ledit sieur. Je croy que Monseigneur le Rme, qui va recherchant fort curieusement touttes les occasions de m'obliger, ne perdra aussi ceste cy de se joindre a vous, Monseigneur, pour un œuvre si charitable, et quil y contribuera fort volontiers tout son credit, quoyque touttesfois le vostre seul peut suffire pour le faire reussir. Car je ne doubte point quil n'en faille venir là, recognoissant ledit sr Abbé si passionné, quil ne se contentera point de m'avoir contrainct de le diffamer par ma fuitte [430] en tous les lieux que je me suis refugié, mais se voudra diffamer luy mesme a Paris par les difficultés quil y apportera, si vostre respect, auquel je m'asseure quil deferera, ne le retient. Que si peut estre il desiroit que je luy fisse une declaration semblable a celle quil m'a fait presenter autresfois, je vous supplie, Monseigneur, de luy enlever toutte esperance, puisque aussi il se doibt resouvenir que j'ay mieux aimé m'exposer a l'hazard d'un rigoureux arrest, que de me faire ce prejudice de me charger contre la verité du faict.

            Je confesse, Monseigneur, que je ne merite une faveur si signalée, n'aiant jamais eu lhonneur de vous servir. Mais aussi, ce sera un œuvre digne d'un grand Prelat comme vous estez, de prendre en main la cause d'un vostre tres humble serviteur que l'impieté a opprimé, et duquel vous ne recevrez pas moins de gloire devant les hommes que devant Dieu, que je prie de tout mon cœur de me faire la grace que je puisse un jour vous randre preuve certeine de l'affection avec laquelle je me recognoy,

            Monseigneur, de V. S. Rme,

Tres humble et tres obeissant serviteur,

CRESPIN.

            A Beziers, ce dernier novembre 1618.

            Monsieur de la Mente se doit contenter que je porte la peyne quil meritoit luy mesme, par l'oppression quil m'a fait en justice et vers S. A., laquelle luy serrera la porte du Ciel sil ne me donne la satisfaction quil doibt. Que sil a esté exceder (sic), il le doibt rapporter a sa perfidie et a son imprudence, car sil se fust bien informé de moy, il heust sceu que je n'estoy pas si lasche que de souffrir une si grande injure sans en faire demonstration et ressentiment.

 

Revu sur l'Autographe inédit appartenant à M. le comte de Roussy de Sales, Archives de Thorens-Sales (Annecy). [431]

_____

 

 

H. Lettre du Chanoine Artus de Lionne, Seigneur d'Aoste

_____

 

            Monseigneur et mon très honoré Père,

 

            Si le Ciel, pour un comble de faveurs, nous faisait la grâce de vous ouïr encore un Carême, je pense que Grenoble serait du tout inondé de bénédictions célestes. Déjà, il semble que Notre-Seigneur ait dit à notre Grenoble ce trait de David : Inimicos ejus induam confusione ; super ipsum autem efflorebit sanctificatio mea. Véritablement, Monseigneur, vos saints discours ont vêtu nos ennemis de confusion ; car, combien d'âmes avez-vous tirées d'entre les dents cruelles de ce lion rugissant ! Vous l'avez spolié de sa conquête, nous en sentons tous les jours les effets ; et, si j'ose ajouter ma pensée, je dirai que la sanctification de Dieu fleurit sur Grenoble, par le moyen de vos très chères Filles, nos Sœurs de la Visitation. Il n'est pas croyable comme leurs saintes mœurs, leur pureté de vie et leur céleste conversation attirent les cœurs et l'estime de tout le monde. Elles ont fait presque autant de Philothées qu'il y a [de] dames dans Grenoble. O combien de vanités renversées ! combien d'inutiles conversations distraites ! combien de pertes de temps heureusement rachetées ! On ne coiffe plus Hécube en Hélène, mais on renverse Bélial aux pieds de Jésus-Christ.

            Pour moi, je vous confesse, mon très honoré Père et Seigneur, que j'estime pour l'une des rares faveurs du Ciel que j'aie jamais reçues, celle d'estre vostre fils et le petit frère de la Visitation, où votre esprit règne, ce me semble, en sa plénitude ; et je demande continuellement à Dieu la grâce de pouvoir bien concevoir cet esprit et le réduire à mon usage.

            Tout va avec grande bénédiction ; il n'y a que notre bon monsieur d'Ulme qui, par une jalousie spirituelle, voulant être tout à la Visitation, il veut la Visitation trop à lui, ce qui lui donne trop peu de repos et à notre bonne Mère trop d'exercices. Mais, vrai Dieu, Monseigneur, cette fille de votre cœur est bien fournie de votre [432] patience, douceur et discrétion, qu'à peine le bonhomme peut-il uger que par lui-même il se rend trop importun. Et moi aussi sans doute, mon très honoré Seigneur, en la longueur de ce discours : mais l'amour de fils me fait oublier le respect de disciple, et mon bonheur me fait croire que vous ne me denierez jamais la qualité de

Votre très humble fils, disciple et obéissant serviteur,

ARTUS DE LIONNE.

            De Grenoble, le 1er février 1620.

 

Revu sur le texte inséré dans l'Histoire de la Fondation de la Visitation de Grenoble, par la Mère de Chaugy, conservée au 1er Monastère d'Annecy. [433]

_____

 

II. Lettres & Pièces diverses

______

 

 

A. Lettre de l'Abbé de la Mente au Duc de Savoie (Fragment)

_____

 

            Monseigneur,

 

……………………………………………………………………………………………………..

             J'ay infiniment à me plaindre à V. A. que nonobstant toutte poursuite que j'aye sceu faire, presenté les lettres de V. A. à Messieurs du Senat, leur commandant de n'octroyer plus aucun dellay au presidan Crespin sur l'assassinat qui m'a esté faict y a deux moys, ayns de veulloyr le juger prontemant ; neantmoings, au prejudice de mon honneur et de ma reputation, et de la justice qu'ils doyvent à un chasqun, ils vont prolongant le jugemant, ayant de nouveau octroyé un prolong de troys semaynes pour ce (sic) representer ; encore qu'an mespris de la justice, un chasqun croye qu'il ne soyt jamais parti de ce lieu, estan porté d'une partie de ses (sic) Messieurs du Senat ausquels il est apparanté. Qui me faict supplier tres humblement V. A. me faire la faveur de m'octroyer les patantes et lettres a cachet necessaires pour en avoyr ma rayson, suyvan la tres humble priere que luy en fera le Conte de Verzolo de ma part ; auquel me remettant, je me diray à jamays,   Monseigneur, de V. A.,

Tres humble, tres fidele et tres obeissant

sujet, vassal et serviteur,

L'ABBÉ DE LA MANTE.

            De Chambery, ce 18 de juin 1617.

 

Revu sur l'Autographe inédit, conservé à Turin, Archives de l'Etat (Francia, Lettere Ministri, Mazzo 16). [434]

_____

 

B. Lettre de Don Juste Guérin a D. Boerio, Général des Barnabites

_____

 

            Benedicite Pater.

 

             Essendo in Annessi, fu pregato nostro R. Padre Provinciale, con molta instanza, da Monsignor Rmo Vescovo di Geneva, aciò fosse contento esso et dare licenza et autorità a nostri Collegiali d'Annessi di rimettere, o per vendita o per commutazione, un certo spazio di sito d'un cantone d'un pratticello ove è una peschiera del nostro Collegio, alli Fratti di S. Domenico, aciò essi rimettino altrettanto sito del loro giardino, necessario per la fabrica d'un monastero di Monache fondato et eretto da detto Monsignor Rmo. Et per moverli maggiormente a fargli la grazia, gli ha monstrato una lettera missiva del nostro Padre precedente Generale, per la quale egli rimetteva tutto questo negozio in petto di detto Monsignor Rmo, atteso il singolare affetto che sempre ci ha monstrato in tutte le occasioni ; il quale all'hora non eseguì secondo la rimissione fattagli, parte per causa delle sue molte occupazioni che lo tirarono fuori della sua diocesi, parte ancho perché vedeva che alcuni de nostri Padri di Annessi lo facevano tanto mal volentieri che non ne restavano contenti, et sperando detto Monsignore, o di fare contentare li detti Padri di S. Domenico che non ricercassero detto sito da noi, overo di sforzarsi di disporre in modo tale la fabrica di detto monastero acciò non havesse bisogno di detto sito. Ma tutto gli è stato impossibile, perchè è talmente angusto il luogho che non sene può passare, et gli detti Domenicani amorevolmente non si sono mai contentati ; anzi, di più et di peggio, alli giorni passati hanno mossa lite contro le dette Monache per il già fabbricato, per il che viene interrotta la fabrica et li santi dissegni di Monsignor Rmo, al quale rincresce estremamente et l'uno et l'altro. [435]

            Et havendo havuto risposta dal nostro R. P. Provinciale ch'egli non poteva dare autorità di alienare, l'ha pregato et me instantemente acciò ne scrivessimo alla Sua Molto Reverenda Paternità, pregandola, et li RR. PP. Assistenti, acciò si compiacia di rimettere parte di detto sito, et dia quella facoltà che sarà necessaria alli nostri per alienare, o per vendita o per commutazione ; et promette detto Monsignor Rmo che sarà in evidentem utilitatem nostram, et dice che vole che li nostri stessi Padri siano giudici di questa evidente utilità.

            Di più, essendo noi giunti in Torino, fu ricercato detto nostro Padre Provinciale dal Serenissimo Prencipe Cardinale di Savoia et della Serenissima Infante Margarita, Duchessa di Mantova, alla quale detto R. Padre parlò, et di propria bocca lo pregò instantemente di fare tutto quello che potrà, et pregarne da parte di Loro Altezze Serenissime la Sua Molto R. P. aciò per ogni modo sia fatta la grazia a dette Monache, delle quali ella è la protettrice et il Serenissimo Prencipe Maggiore protettore, alle quali sono affezionatissime Loro Altezze per la molta bontà di dette Monache, a beneficio de quali in questa parte dice che impiegarà il favore del Serenissimo Ducca suo padre, se farà di bisogno, et de tutti suoi fratelli li Serenissimi Prencipi.

            Per il che, havendo inteso le suddette et seguenti cose, nostro R. Padre Provinciale et io insieme, di comune concerto, scriviamo questa alla S. M. R. P., et la nostra opinione, sottoposta però a quella di S. M. R. P., che non si può negare questa grazia : poichè quando habbiamo opposto che nel contratto ch'habbiamo fatto con la città d'Annessi v'è scritto che non alienaremo li beni di detto Collegio ; et di più, che alcuni della città m'hanno detto che più presto litigaranno con noi che permettere che sia fatta alcuna alienazione, Loro Altezze Serenissime hanno risposto che quando i loro sudditi sapranno che tale è la loro volontà, nessuno d'essi contradirà, perchè essendo necessario detto sito per la fabrica di detto monastero, vogliono che per ogni modo li sia rimesso ; atteso che il sito del Collegio è grandissimo et questa parte non è di necessità per la fabrica nostra, et che si esibisce ampia sodisfazione, rilevandosi d'ogni indennità, anzi facendo detta alienazione in nostra utilità : si che gli pare che concorrendo la necessità di dette Monache, et un poco di nostra commodità, la charità et una certa equità vole che tal cosa si faccia ; et per tanto, che si contentiamo noi solamente, che faranno [436] bene contentare li altri che si volessero opporre. Hora, vedendo la risoluzione di Loro Altezze Serenissime, pare che non possiamo fare di meno, perchè habbiamo bisogno di loro ogni hora.

            Di più, mi scordavo di dire che detto Monsignor Rmo ha promesso che ci comprarà una casa immediatamente annessa ad un altro praticello pur nel sito stesso del nostro Collegio, dell'altra parte, che sarà altrettanto sito, et farà fare ancho un'altra peschiera più bella di quella che di presente habbiamo ; et questo si può fare, perche habbiamo un canale del lago che inonda di tutta quella parte nostro Collegio. Di più, l'istesso canale d'acqua ch'ora è peschiera et che si rimetterà alli Fratti, sempre perseverarà nello stesso corso suo et purgarà i luoghi comuni, i quali di presente sono in fondo di detto canale, ma però da banda nostra ; et quando faremo fabricare, forsi che bisognerà levargli d'indi. Et questo tutto possiamo fare commodamente, perchè possiamo tirare tanta aqua et per tutte le parti del Collegio che vogliamo.

            Quanto a me, id est Don Giusto, altre volte è stato contrario a questo, perchè temevo che alcuni de nostri boni amici d'Annessi non s'inimicassero ; ma hora che vedo che tutto questo si farà senza perdere l'amicizia loro, et non facendolo forsi che perderessimo quella delli Serenissimi Prencipi et Prencipesse, che pure più importano, sono di parere che si faccia la grazia, perchè non facendola perdaremo più di quello che vale tal sito ; et anche farla per charità, più principalmente.

            Aspettando dunque la risposta, chiedo la sua benedizione et mi raccomando alle sue devote orazioni et santissimi Sacrificii.

            Di Torino, alli 15 Settembre 1617.

……………………………………………………………………………………………………...

D. GIUSTO.

 

Revu sur l'Autographe conserve à Milan, dans les Archives du R. P. Provincial des Barnabites, au collège Saint-Barnabé. [437]

_____

 

C. Lettres patentes de Henri de Savoie, Duc de Nemours, en faveur des Religieuses de la Visitation d'Annecy

_____

 

             HENRY DE SAVOYE, Duc de Genevois, de Nemours et de Chartres, Marquis de Sainct Sorlin, de Sainct Rambert, Comte de Geneve, de Gisors, Baron de Faucigny et Beaufort.

            A tous qu'il appartiendra, sçavoir faisons que sur la remonstrance que Nous a esté faicte de la part des Reverendes Dames Religieuses de la Visitation de Nostre ville d'Annessy, contenant que pour avoir moyen de vivre et s'entretenir en ycelle, soubs les regles establies par nostre Sainct Pere le Pape, elles ont besoing d'avoir des revenus asseurés et proches de la dicte ville ; et estant informées que Mr Anthoine de Boege, dict de Conflens, tient de Nous, soubs grace de reachept perpetuel, les moulins assis dans Nostre dicte ville d'Annessy, soubs la riviere de Thiouz, proche l'eglise Saincte Claire, qu'elles ne peuvent commodement avoir sinon qu'il Nous plaise leur permettre d'entrer en Nostre lieu et place ; Nous inclinant volontairement a leur priere, appres avoir ouy les gents de Nostre Conseil pres Nostre personne, et desirant de tout Nostre pouvoir l'accroissement et augmentation du culte divin, et preferant la gloire et honneur de Dieu a l'interest particulier des droicts de Nostre domeyne :

            Avons octroyé et permis, octroyons et permettons par ces presentes aux dictes Dames de la Visitation d'entrer en Nostre lieu et place, et de prendre et retirer les fruicts des dicts moulins, en payant par elles audict de Conflens les sommes portées par son contract d'engaigement du dixhuictiesme janvier mil cinq cents nonante six, et aux charges et conditions portées par yceluy, avec pouvoir de faire en yceux des nouveaux artifices pour la plus grande commodité de Nos subjects.

            Sy donnons en mandement a nos chers bien aymés et feaulx [438] Conseillers, les gents tenants Nostre Chambre des Comptes de Genevois, de verifier et interiner ces presentes, et du contenu en ycelles faire souffrir et laisser jouyr pleynement et paysiblement les dictes Dames de la Visitation, sans difficulté ; et a nous (sic) advocats et procureurs fiscaulx et domaniaux, d'y prester consentement. Car telle est Nostre volonté.

            Faict a Paris, ce vingthuitiesme octobre mil six cents et dix sept.

HENRY DE SAVOYE.

            Visées, scellées par Monseigneur.

            ROUSSELET.

 

D'après une copie inédite de l'époque, conservée à Turin, Archives de l'Opera pia Barolo, Paquet 221, n° 11.

_____

 

D. Requête des Religieuses de la Visitation d'Annecy au Duc de Savoie

_____

 

            A Son Altesse Serenissime.

 

             Exposent en toute humilité les Reverendes Dames Religieuses de la Congregation par elles erigée dans Vostre Ville et cité d'Annessy, soubs le tiltre de la Visitation de Nostre Dame, Vous (sic) tres humbles Oratrices : comme pour vivre plus commodement dans leur dicte Congregation du peu de revenu que chescune d'elles y raporte, et mieux vacquer au service pour lequel elles se sont sequestrées tout a faict du monde, elles auroient besoing de quelque fond proche de la dicte ville, que leur raportast du bled pour leur provision. Et pour avoir ceste commodité, elles auroient supplié Monseigneur le Duc de Genevois et Nemours, de leur baillir pouvoir de rachepter les moulins par luy venduz, a faculté de rachapt perpetuel, situés dans Vostre dicte Ville d'Annessy, a feu Noble Anthoine de Conflens, pour le mesme prix et somme, charges et conditions portées par le contract de vente passée a Lagnieu, le dixhuictiesme [439] janvier mil cinq cents nonante six, par devant Me Burdet, nottaire, dont la copie est ci joincte.

            Ce que mondict Seigneur de Nemours leur auroit accordé facilement, par Patentes données a Paris le vingt-huictiesme octobre dernier, cy joinctes, avec la verification qu'en a faict Vostre Chambre des Comptes de Genevois, et le contract de cession de droicts qu'en a passé noble Anthoine de Boege. dict de Conflens, son [neveu], par devant Me Duret, nottaire. le sixiesme mars de l'année courante. La ratification duquel contract les Dames suppliantes desireroient obtenir de Vostre Altesse Serenissime ; et ycelle faire verifier en Vostre souveraine Chambre de Savoye, pour l'asseurance de leurs deniers a l'advenit.

            Que les faict recourir a la bonté, clemence et pieté accoustumée de Vostre dicte Altesse, a ce qu'il luy plaise ratiffier, confirmer et approuver tout le contenu au dict contract, et ordonner qu'elles jouyront du fruict et benefice d'yceluy jusques a ce qu'elles soient remboursées du prix porté par le dict contract, et despence qu'elles ce trouveront avoir faicte aux bastiments et artifices nouveaux qu'elles pretendent faire au lieu ou sont situés les dicts moulins, conformement aux Patentes sus designées et verification d'ycelles.

            Et a ces fins, plaira a Vostre Altesse Serenissime enjoindre a sa dicte Chambre des Comptes de Savoye, de verifier les Patentes que leur seront expediées pour le faict que dessus, sans aulcune difficulté et sans aulcung esmolument, en derogeant pour ce regard, entant que de besoing, a tous edicts a ce contraires : affin que les dictes Dames puissent jouyr plus seurement et paisiblement de la commodité des dicts moulins, et faire leurs fonctions avec plus de tranquillité d'esprit au service de Dieu, qu'elles prient incessamment pour la prosperité de Vostre Altesse, conservation et accroissement de ses Estats et de Nous (sic) Seigneurs les Princes Sermes, qu'il veillie combler de ses graces et benedictions.

             [Mars] 1618.

 

D'après une minute inédite, conservée à Turin, Archives de l'Opera pia Barolo,

Paquet 221, n° 11.




Copyright © 2014 Salésiens de Don Bosco - INE